ARRET
N° 183
Société [4]
C/
Organisme CRAMIF
COUR D'APPEL D'AMIENS
TARIFICATION
ARRET DU 07 OCTOBRE 2022
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N° RG 22/00357 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IKPU
Décision de la CRAMIF en date du 16 Mai 2021
PARTIES EN CAUSE :
DEMANDEUR
La Société [4], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
( MP : M. [Y] [T])
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Anne-Laure DENIZE de la SELEURL Anne-Laure Denize, avocat au barreau de PARIS
ET :
DÉFENDEUR
LA CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCE MALADIE D'[Localité 3] (CRAMIF), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Mme [U] [O] dûment mandatée
DÉBATS :
A l'audience publique du 01 Juillet 2022, devant Mme Jocelyne RUBANTEL, Président assisté de Monsieur Stéphane LANGLET et Madame Maud CHOQUENET, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la Première Présidente de la Cour d'appel d'Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.
Mme Jocelyne RUBANTEL a avisé les parties que l'arrêt sera prononcé le 07 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Audrey VANHUSE
PRONONCÉ :
Le 07 Octobre 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Jocelyne RUBANTEL, Président et Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
Le 4 juillet 2019 M. [T], salarié de la société [4] (la société [4]) a complété une déclaration de maladie professionnelle pour une tendinite de l'épaule gauche, pathologie prise en charge par la caisse primaire et à effet du 2 janvier 2018.
Les conséquences financières de cette pathologie ont été inscrites sur le compte employeur 2018 de la société [4], impactant ses taux de cotisation AT/MP 2020, 2021 et 2022.
Par courrier daté du 15 février 2021 et expédié le 22'mars'2021, la société [4] a sollicité de la caisse régionale d'assurance maladie d'[Localité 3] (la CRAMIF) le retrait de son compte employeur de la maladie de M. [T], demande que la caisse a rejetée par décision du 16 mai 2021.
Contestant ce refus, par acte d'huissier de justice délivré le 2 juillet 2021 et visé au greffe le 31 janvier 2022, la société [4] a fait assigner la CRAMIF devant la cour d'appel d'Amiens à l'audience du 4 février 2022.
Après deux renvois, l'affaire a été appelée à l'audience du 1er juillet 2022.
Aux termes de son assignation, soutenue oralement à l'audience, la société [4] demande à la cour de :
-'la déclarer recevable et bien fondée en son recours,
-'dire qu'elle a contesté annuellement ses taux de cotisation AT/MP des exercices 2020 et 2021,
-'constater que la CRAMIF a imputé de manière infondée sur son compte employeur 2018 la maladie de M. [T],
-'constater que son compte employeur 2019 sur lequel aurait dû être imputée la maladie est désormais figé,
-'infirmer la décision de la CRAMIF en ce qu'elle a déclaré irrecevable son recours,
-'ordonner à la CRAMIF de retirer des éléments de sa tarification la maladie de M.'[T],
-'dire que la CRAMIF devra recalculer dans un délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir le taux de cotisation AT/MP des exercices 2020, 2021 et celui à venir de l'exercice 2022,
-'condamner la CRAMIF aux dépens.
Par dernières conclusions communiquées au greffe le 29 juin 2022 et soutenue oralement à l'audience, la CRAMIF demande à la cour de :
-'constater que la société [4] a accédé à la décision de notification de son taux de cotisation AT/MP 2020 le 17 janvier 2020,
-'constater que la société [4] a accédé à la décision de notification de son taux de cotisation AT/MP 2021 le 6 janvier 2021,
-'constater que chacune de ces notifications faisait mention des voies et délais de recours,
-'constater que ce n'est que par courrier posté le 22 mars 2021 que la société [4] a formé un recours gracieux sollicitant le retrait de son compte employeur 2018 des conséquences financières des maladies professionnelles déclarées par M.'[T] le 26'mars'2019,
-'constater que la société [4] n'a pas contesté les notifications de ses taux 2020 et 2021 dans les délais impartis par l'article R.142-1-A-III,
-'dire et juger que les taux de cotisation AT/MP 2020 et 2021 sont devenus définitifs,
-'déclarer irrecevable en conséquence le recours de la société tendant au recalcul de ses taux de cotisation AT/MP 2020 et 2021,
-'constater qu'elle a retiré du compte employeur de la société [4] les conséquences financières de la maladie de M. [T] et qu'elle l'en a informée par courrier du 27'juin'2022,
-'constater que le recours de la société [4] est sans objet concernant le taux 2022.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
MOTIFS
-'sur la forclusion des taux AT/MP 2020 et 2021
La CRAMIF soulève la forclusion de la contestation par la demanderesse de ses taux 2020 et 2021 et soutient que le recours employeur doit être introduit dans un délai de deux mois à compter de la date de réception de la notification de son taux de cotisation AT/MP.
Elle indique que la société n'a contesté ses taux AT/MP 2020 (notifié le 17 janvier 2020) et 2021 (notifié le 6 janvier 2021) que par un courrier adressé en recommandé le 22'mars'2021 et que, par conséquent, sa demande est irrecevable.
Elle ajoute que les recours conservatoires introduits par la société [4] les 21'février'2020 et 21 février 2021, par lesquels elle se contentait d'indiquer à la CRAMIF que des litiges étaient en cours devant les CRA des caisses primaires et devant les juridictions du contentieux général s'agissant de plusieurs sinistres dont celui de M.'[T], ne sauraient remettre en cause l'irrecevabilité pour forclusion de la présente contestation. Elle argue qu'en vertu de l'article R.142-1-A, l'ensemble des motifs de contestation d'un taux doit être présenté à l'intérieur du délai préfix de deux mois.
Elle indique que considérer qu'une demande hors délai n'est pas nouvelle, et est donc recevable, au motif qu'elle vise une fin similaire à une demande antérieure, présentée dans les délais, mais sur des motifs juridiques différents, est une position fermement combattue par la cour de cassation.
Elle expose que le taux AT/MP intègre diverses données de natures différentes, que faute de contestation dans le délai de deux mois il devient définitif et que ces données ne peuvent plus être remises en cause si elles n'ont pas été contestées dans le délai réglementaire. Elle ajoute que le principe de sécurité juridique serait gravement fragilisé si la simple contestation dans les délais d'une partie des éléments du taux permettait de ne pas faire courir le délai de forclusion à l'égard des autres données de calcul.
Elle soutient qu'en l'espèce la demanderesse s'est bornée, dans ses recours conservatoires, à indiquer que des litiges étaient en cours devant les juridictions du contentieux général s'agissant de la maladie de M. [T] et qu'elle tendait à obtenir de la CRAMIF qu'en cas de succès devant l'une de ces juridictions, l'ensemble de la tarification concernée soit rectifié.
Elle conclut qu'en aucun cas, dans ses recours conservatoires, la société [4] a sollicité le retrait de la maladie de M. [T] de son compte employeur, alors même qu'elle l'a fait dans son recours gracieux du 22 mars 2021.
La société [4] réplique qu'elle a bien contesté ses taux de cotisation AT/MP 2020 et 2021 dans le délai de deux mois à compter de leur notification et qu'elle a à chaque fois expressément visé le sinistre de M. [T].
En vertu des dispositions de l'article R.142-1-A-III du code de la sécurité sociale, le délai de recours préalable et le délai de recours contentieux sont de deux mois à compter de la décision contestée. Ces délais sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision contestée ou, en cas de décision implicite, dans l'accusé de réception de la demande.
En l'espèce, la CRAMIF expose qu'à la date du 22 mars 2021 la société [4] était forclose à contester ses taux 2020 et 2021 et produit aux débats deux documents «'preuve de la notification de la décision du taux de cotisation prévue à l'article D.242-6-22 du code de la sécurité sociale dans les conditions requises par l'article 5 de l'arrêté du 17 octobre 1995'» pour justifier de la date de notification des taux litigieux.
Il en ressort que la société [4] a accédé aux décisions de notification de ses taux de cotisation AT/MP 2020 et 2021 respectivement les 17 janvier 2020 et 6 janvier 2021.
Elle avait donc jusqu'aux 17 mars 2020 et 6 mars 2021 pour les contester.
La société [4] ne discute pas ces éléments mais prétend simplement qu'elle a toujours contesté ses taux dans le délai réglementaire de deux mois et produit à ce titre deux courriers datés des 21 février 2020 et 21 février 2021 sur lesquels elle s'appuie pour justifier de la recevabilité de sa contestation.
Si ces documents ont respectivement pour objet «'contestation taux 2021 + demande révision taux ' risque 371 ZF/900BF'» et «'contestation taux 2020 - risque 371 ZF/900BF'», la cour relève cependant que la société y déclare vouloir simplement présenter à la CRAMIF des observations suite à la notification de ses taux.
Il est également observé que, bien qu'elle y indique avoir «'l'honneur de contester le taux accident du travail / maladies professionnelle'», elle n'en sollicite aucunement la modification auprès de la CRAMIF et précise à chaque fois qu'elle conditionne ses contestations à «'l'examen des prestations servies au titre d'autres sinistres durant la période triennale de référence, par l'analyse des prestations servies au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles ci-après, conduisant à la saisine de la commission de recours amiable de l'organisme de sécurité sociale concerné et/ou du tribunal du contentieux de l'incapacité'».
Pareillement, si elle déclare, de manière identique dans les deux courriers, que «'la réglementation applicable en la matière n'a pas été respectée pour le sinistre suivant : [T] [Y] AT 12/11/2018'», elle ne s'en explique jamais et ne justifie pas non plus avoir saisi la commission de recours amiable de la caisse primaire ou le pôle social sur ce point.
Contrairement à ce que soutient la société [4], la cour constate donc que ces courriers visaient simplement à informer la CRAMIF qu'elle contesterait ses éléments de tarification 2020 et 2021, dont le sinistre de M. [T], sous réserve de leur examen par les commissions de recours amiables des caisses primaires ou les juridictions du contentieux général ou technique.
Elle ne justifie d'ailleurs pas en l'espèce d'une telle saisine ni qu'une décision d'inopposabilité à son égard soit intervenue.
Ainsi, les recours des 21 février 2020 et 2021 n'évoquaient pas la demande de retrait du compte employeur 2018 de la société [4] de la maladie de M. [T].
En tout état de cause, le recours en l'espèce porte sur la demande de retrait du compte employeur 2018 de la société [4] des conséquences financières de la maladie professionnelle de M.'[T].
Cette demande a été formulée gracieusement pour la première fois par un courrier du 15'février 2021 qui n'a été adressé à la CRAMIF que le 22'mars'2021, le cachet de la poste faisant foi, soit après l'expiration du délai de deux mois suivant la notification de ses taux de cotisation AT/MP 2020 et 2021.
Aussi, à la date du 22 mars 2021, elle était forclose à contester ses taux de cotisation 2020 et 2021.
La demande de la société [4] est donc irrecevable pour forclusion.
-'sur la rectification du taux de cotisation AT/MP 2022
En cours d'instance, par décision communiquée à la société [4] le 27 juin 2022, la CRAMIF l'a informée qu'elle retirait de son compte employeur 2018 la maladie professionnelle de M. [T], qu'elle l'imputait sur le bon compte employeur soit celui de 2019 et que ce changement d'imputation ne nécessitait aucun recalcul du taux AT/MP 2022 non affecté par cette rectification.
Aux termes de son assignation, la société [4] demandait expressément à la cour que la maladie professionnelle de M. [T] soit retirée de son compte employeur 2018 mais qu'elle ne soit pas inscrite sur le compte employeur 2019 car celui-ci est figé depuis le 31 décembre 2020.
Elle expose à ce titre qu'un sinistre ne peut pas être imputé sur un compte employeur d'une année antérieure à sa déclaration effectuée par un salarié et que les comptes employeur sont figés à l'expiration de l'année N+1.
Elle soutient qu'en l'espèce la maladie a été déclarée en 2019, qu'elle ne pouvait pas de ce fait être inscrite sur son compte employeur 2018 et qu'elle ne peut plus être imputée sur le compte employeur 2019.
Aux termes de l'article D. 242-6-6 du code de la sécurité sociale, la valeur du risque telle que mentionnée à l'article D. 242-6-4 pour le calcul du taux brut individuel comprend, notamment, le produit du nombre total d'accidents du travail ou de maladies professionnelles déclarées pendant la période triennale de référence ayant donné lieu à des soins ou ayant entraîné un arrêt de travail par le coût moyen de la catégorie dans laquelle est rattachée chaque accident ou chaque maladie.
Aux termes de l'article D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale, l'accident du travail ou la maladie ayant donné lieu à une incapacité temporaire est classé de manière définitive dans une des catégories définies à l'article D. 242-6-6 le 31'décembre'de l'année qui suit celle de sa déclaration, sans prise en compte de l'incapacité temporaire reconnue après rechute.
La cour observe que, par décision du 27 juin 2022, la CRAMIF a fait partiellement droit à la demande de la société [4] en ce qu'elle a retiré de son compte employeur 2018 la maladie professionnelle de M. [T]. L'imputation dudit sinistre sur le compte employeur 2019 reste toutefois contestée.
Contrairement à ce que soutient la société [4], le compte employeur peut être modifié, et notamment, dans l'hypothèse où une juridiction du contentieux général rend une décision d'inopposabilité ou d'inscription au compte spécial.
En outre, le supposé caractère «'figé'» du compte employeur n'a aucun fondement en droit et procède d'une interprétation erronée que fait la société [4] des dispositions de l'article D. 242-6-7 précitées, notamment de la mention «'classée de manière définitive dans l'une des catégories définies à l'article D.'242-6-6 le 31'décembre'de l'année qui suit celle de sa déclaration'».
En réalité, c'est le classement d'une maladie dans l'une des catégories d'incapacité temporaire ou permanente qui doit être considéré comme immuable au 31 décembre de l'année suivant celle de sa déclaration à l'assurance maladie, ce qui est justifié au regard des règles de calcul des taux de cotisation AT/MP.
Ainsi, le coût d'une maladie déclarée et imputée sur le compte employeur 2019 d'une société sera pris en compte pour la première fois dans le calcul de son taux de cotisation AT/MP 2021. Ce faisant, il est donc nécessaire que ladite maladie soit classée dans une catégorie d'incapacité temporaire ou permanente au plus tard la veille du premier jour de l'année du taux impacté, soit le 31 décembre de l'année qui suit celle de la déclaration.
En l'espèce, il ressort de la pièce n°8 de la CRAMIF intitulée «'preuve de la notification de la décision du taux de cotisation prévue à l'article D.242-6-22 du code de la sécurité sociale dans les conditions requises par l'article 5 de l'arrêté du 17 octobre 1995'» que la décision sur le taux de cotisation AT/MP 2021 de la demanderesse à effet du 1er'janvier'2021, lequel prend en compte dans sa base de calcul au titre du risque 2018 le CCMIT6 relatif à la maladie professionnelle de M. [T], a été arrêtée le 18'décembre'2020. Le classement de la maladie déclarée en 2019 est donc intervenu dans le délai légal.
Enfin, il ressort des éléments de calcul annexés à la nouvelle notification du taux AT/MP 2022 de la société [4] modifié par la CRAMIF en juin 2022 que le CCMIT6 correspondant à la maladie professionnelle de M. [T] figure bien sur le seul compte employeur 2019 de la demanderesse.
La CRAMIF était donc bien fondée à rectifier cette erreur d'imputation.
Il convient, partant, de débouter la société [4] de sa demande de retrait du compte employeur 2019 de la maladie professionnelle de M. [T].
-'sur les dépens
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
L'issue du litige commande de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement par mise à disposition au greffe, après débats publics, en premier et dernier ressort,
Dit que la société [4] est forclose à contester ses taux de cotisation AT/MP 2020 et 2021,
Déclare en conséquence irrecevable la demande de la société [4] de recalcul de ses taux de cotisation AT/MP 2020 et 2021 impactés par la maladie professionnelle de M.'[T],
Constate que la caisse régionale d'assurance maladie d'[Localité 3] a rectifié l'erreur d'imputation sur le compte employeur 2018 de la société [4] du CCMIT6 lié à la maladie professionnelle de M. [T],
Dit bien fondée la décision de la caisse régionale d'assurance maladie d'[Localité 3] d'imputer sur le compte employeur 2019 de la société [4] le CCMIT6 lié à la maladie professionnelle de M. [T],
Rejette par conséquent la demande de retrait du compte employeur de la société [4] des conséquences financières de la maladie professionnelle de M. [T],
Déboute la société [4] du surplus de ses demandes,
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.
Le Greffier,Le Président,