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06/10/2022 | FRANCE | N°21/01329

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 06 octobre 2022, 21/01329


ARRET

N° 745





Société [7]





C/



[11] ([11])

[9]













COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 06 OCTOBRE 2022



*************************************************************



N° RG 21/01329 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IAZS



JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOULOGNE SUR MER EN DATE DU 22 janvier 2021





PARTIES EN CAUSE :





APPELANTE






Société [7] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]





Représentée et plaidant par Me DUBOIS, avocat au barreau de LILLE substituant Me Christine CARON-DEBAILLEUL ...

ARRET

N° 745

Société [7]

C/

[11] ([11])

[9]

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 06 OCTOBRE 2022

*************************************************************

N° RG 21/01329 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IAZS

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOULOGNE SUR MER EN DATE DU 22 janvier 2021

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Société [7] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée et plaidant par Me DUBOIS, avocat au barreau de LILLE substituant Me Christine CARON-DEBAILLEUL de la SCP FIDAL, avocat au barreau de LILLE, vestiaire : CASE0001

ET :

INTIMES

[11] ([11]) Subrogé dans les droits des ayants droit de Monsieur [J] [L] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée et plaidant par Me RAOULT, avocat au barreau de LILLE substituant Me Mario CALIFANO de l'ASSOCIATION CALIFANO-BAREGE-BERTIN, avocat au barreau de LILLE

[9] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée et plaidant par Mme [W] [K] dûment mandatée

DEBATS :

A l'audience publique du 25 Avril 2022 devant Mme Graziella HAUDUIN, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 06 Octobre 2022.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Audrey VANHUSE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Graziella HAUDUIN en a rendu compte à la Cour composée en outre de:

Mme Elisabeth WABLE, Président,

Mme Graziella HAUDUIN, Président,

et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 06 Octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Graziella HAUDUIN, Président a signé la minute avec Mme Blanche THARAUD, Greffier.

*

* *

DECISION

Vu le jugement en date du 22 janvier 2021 auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits, procédure et prétentions initiales des parties par lequel le pôle social du tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer, saisi initialement par le [11] suite à l'acceptation par les ayants-droit de M. [J] [L] de l'indemnisation des préjudices personnels de leur auteur et de leurs préjudices moraux d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur de M. [L], la société [7], a :

- déclaré recevables les demandes formées par le [11] subrogé dans les droits de M. [J] [L] et de ses ayants-droit ;

- dit que le caractère professionnel de la maladie déclaré par M. [J] [L] est établi dans les rapports entre la société [7] et le [11] subrogé dans les droits de la victime, de ses ayants-droit et de ses descendants;

- dit que la maladie professionnelle de M. [L] est la conséquence de la faute inexcusable de la société [7] ;

- fixé au maximum prévu par l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale le montant de la majoration de la rente qui devra être versée par la [9] à Mme [V] [L], conjoint survivant de la victime, et dit que cette majoration sera versée directement à cette dernière - dit que les héritiers de la victime doivent percevoir l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 452-3 alinéa 1 du code de la sécurité sociale qui sera répartie entre eux à proportion de leurs droits successoraux ;

- fixé les préjudices personnels subis par M. [J] [L] à la somme totale de 50 900 euros, soit 38 500 euros au titre du préjudice moral et 12 400 euros au titre des souffrances endurées ;

-fixé les préjudices moraux de Mme [V] [L], veuve de M. [J] [L], de ses quatre enfants et dix petits enfants de la manière suivante :

Mme [V] [L] (veuve) 32 600 euros

M. [J] [L] (enfant) 8 700 euros

M. [G] [L] (enfant) 8 700 euros

M. [D] [L] (enfant) 8 700 euros

M. [N] [L] (enfant) 8 700 euros

Mme [I] [Z] ( petit-enfant) 3 300 euros

M. [M] [L] ( petit-enfant) 3 300 euros

Mme Audrey [L] ( petit-enfant) : 3 300 euros

Mme [P] [L] ( petit-enfant) : 3 300 euros

M. [C] [L] ( petit-enfant) : 3 300 euros

Mme [F] [L] ( petit-enfant) : 3 300 euros

Mme [A] [L]( petit-enfant) : 3 300 euros

M. [I] [L] ( petit-enfant) : 3 300 euros

M. [Y] [L] ( petit-enfant) : 3 300 euros

M. [H] [L] ( petit-enfant) : 3 300 euros

- dit que la caisse devra en conséquence verser au [11], créancier subrogé, la somme de 151 300 euros,

- dit que la caisse pourra recouvrer à l'encontre de la société [7] les indemnisations versées au [11] au titre des préjudices personnels de la victime et du préjudice moral de ses ayants-droit et descendants, l'indemnité forfaire de l'article L. 452-3 alinéa 1 revenant aux héritiers de la victime ainsi que le capital représentatif de la majoration de la rente revenant à Mme [V] [L], conjoint survivant de la victime ;

- condamné la société [7] aux dépens et à payer au [11] la somme de 1 500 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté le 25 février 2021 par la société [7] de cette décision qui lui a été notifiée le 1er février précédent.

Vu les conclusions enregistrées par le greffe le 7 avril 2022 et soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la société [7] demande à la cour de recevoir son appel et d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :

- constater que la pathologie de M. [L] ne répond pas aux critères de prise en charge énoncés par les dispositions du code de la sécurité sociale ;

- débouter le [11] de ses demandes dirigées à son encontre ;

En tout état de cause, de laisser aux parties la charge de leurs propres dépens.

Vu les conclusions enregistrées par le greffe le 8 mars 2022 et soutenues oralement à l'audience, par lesquelles le [11] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner la société [7] aux dépens et à lui payer 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les conclusions visées par le greffe le 21 avril 2022 et soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la CPAM de la Côte d'Opale demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur la reconnaissance de la faute inexcusable et en cas de reconnaissance, de constater que la caisse versera à Mme [V] [L] le majoration de la rente et l'ensemble des préjudices à indemniser au [11] et l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 452-3 et qu'elle en récupérera le montant auprès de l'employeur et de condamner l'employeur, la société [7], à rembourser à la [9] l'intégralité des sommes avancées dans le cadre de l'article L. 452-3.

SUR CE, LA COUR :

M. [J] [L], employé par la société [7] du 2 juin 1953 au 31 juillet 1995 dans le secteur du tri conditionnement et plus particulièrement au poste de releveur choisisseur trempe, a été reconnu atteint d'une maladie professionnelle liée à l'inhalation de poussières d'amiante inscrite au tableau n°30 bis (cancer bronco pulmonaire primitif), après avis favorable du [10], suivant décision de la CPAM de la Côte d'Opale du 4 mars 2015 qui a pris en charge cette maladie et le décès de M. [L] survenu le 5 novembre 2014.

Après acceptation par les ayants-droit de M. [J] [L] de son offre, le [11] a engagé une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et saisi à cette fin le 1er juillet 2016 le tribunal des affaires de sécurité sociale.

Après avoir désigné pour un deuxième avis le CRRMP de la région Rouen Normandie par jugement avant dire droit du 21 septembre 2018, le tribunal judiciaire s'est, par jugement dont appel, déterminé comme indiqué ci-dessus.

Sur la recevabilité de l'appel de la société :

Il sera déclaré recevable, aucune contestation n'étant élevée au demeurant à ce titre.

Sur la maladie professionnelle et la faute inexcusable :

Les premiers juges, après avoir rappelé les dispositions des articles L. 461-1 et L. 461-3 du code de la sécurité sociale, ont par une exacte appréciation des éléments du dossier à bon droit retenu que les conditions du tableau N°30 bis des maladies professionnelles étaient réunies pour ce qui trait à la maladie dont a souffert M. [J] [L], soit un cancer bronco-pulmonaire primitif, et au délai de prise en charge, que s'agissant de l'activité exercée par l'intéressé qui ne figurait pas sur la liste limitative du tableau précité, il ressort de l'avis des deux [10] l'existence d'un lien de causalité entre le travail habituel de M. [L] et sa pathologie et que les attestations versées au débat, émanant de salariés ayant côtoyé M. [L], et les auditions de salariés par l'agent enquêteur de la [9], démontraient qu'il a été exposé aux poussières d'amiante durant les périodes d'arrêt des fours ou lors d'incidents à intervenir sans protection sur ces fours, et aussi le reste du temps pour travailler à proximité des fours, même s'il se trouvait posté au bout de la chaîne en secteur dit froid. Ils en ont justement déduit que la preuve de l'exposition aux poussières d'amiante était rapportée et qu'ainsi le caractère professionnel de la maladie de M. [L] devait être reconnu.

La société ne produit au débat aucun élément de nature à contredire cette appréciation.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que M. [J] [L] a souffert de l'affection au sens du tableau N°30 bis des maladies professionnelles.

Ensuite, en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise et que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452' 1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Les premiers juges ont par une exacte appréciation des éléments de fait et de preuve du dossier, non utilement critiquée en cause d'appel, à bon droit considéré que les éléments constitutifs de la faute inexcusable de l'employeur étaient réunis en l'espèce et se déduisaient dans les circonstances particulières de la cause des éléments de fait et de preuve du dossier.

Il est en effet établi que la société [7], même si elle n'est pas spécialisée dans la production d'amiante, utilisait néanmoins de façon habituelle et massive, pour les besoins de son activité de production de verre, des fours calorifugés avec l'amiante.

Compte tenu de son importance et des moyens corrélatifs dont elle disposait pour recueillir les informations nécessaires à la prévention des dangers sanitaires liés à la présence d'amiante dans ses outils de production, la société [7], dont l'activité impliquait une connaissance en matière de produit isolant et corrélativement une obligation de vigilance et de suivi concernant les matériaux utilisés, ne pouvait pas ne pas avoir conscience à l'époque des faits des risques sanitaires graves, d'ores et déjà révélés par de nombreuses publications (rapport [X] sur les conséquences sanitaires de l'utilisation de l'amiante établi en 1906, étude publiée en 1930 par le Dr [T] intitulée «amiante et asbestose pulmonaire», études des Drs [R] et [O] respectivement publiées en 1955 et 1960 sur le risque de cancer du poumon, travaux du congrès France de [Localité 8] sur l'asbestose de 1964 organisé par la Chambre syndicale de l'amiante), liés à la manipulation de matériaux à base d'amiante auxquels se trouvaient exposés ses salariés appelés à intervenir sur les fours contenant des parties amiantées devant être régulièrement changées, notamment en ce qui concerne la silicose et l'asbestose respectivement inscrites dès 1945 et 1950 au tableau des maladies professionnelles provoquées par le travail de l'amiante, étant observé que les travaux de calorifugeage au moyen de produit contenant de l'amiante ont été pour ce qui les concerne inscrits dès 1951 au tableau n° 30 des maladies professionnelles, étant observé que toutes ces publications et études sont en majorité antérieures à la période effective d'exposition déterminée pour M. [L].

Il est ainsi établi que la société employeur, qui ne pouvait ignorer à l'époque considérée les risques sanitaires liés au dégagement de poussières d'amiante auxquels se trouvait exposé M. [L] dans l'accomplissement des tâches qui étaient les siennes, n'a pas pris les mesures nécessaires, efficaces et suffisantes pour l'en préserver. En effet, les photographies d'aérateurs produites au débat ne permettent pas de démontrer qu'ils étaient installés dans l'atelier où était affecté M. [L], ni au demeurant à quelle date ils l'ont été. Le courrier daté du 12 février 2001 adressé par l'inspecteur du travail au directeur de la [9] relatif à la maladie professionnelle de M. [U] Dubois, dont il apparaît qu'il était salarié de la société [12] qui utilisait encore récemment des plaques d'amiante, des gants en contenant et des tresses d'amiante destinées à la préhension du verre chaud, n'est pas davantage de nature à exonérer la société [7].

Tenue en sa qualité d'employeur d'une obligation de sécurité vis à vis de ses salariés, cette société ne peut utilement opposer l'absence de réglementation spécifique, l'éventuelle responsabilité encourue à ce titre par l'État et d'autres organismes à raison notamment de leur silence et/ou de leur carence ou invoquer le respect de normes relatives au seuils d'exposition autorisés par les pouvoirs publics.

Ainsi, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dans les circonstances de l'espèce retenu, comme l'une des causes nécessaires de la maladie dont s'est trouvé atteint M. [L] et son décès subséquent, la faute inexcusable de la société [7].

Sur les autres dispositions :

Il sera également confirmé en toutes ses autres dispositions qui ne font l'objet d'aucune contestation par la société appelante, même subsidiairement.

La société [7], appelante qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel et à verser au [11] en application de l'article 700 du code de procédure civile une indemnité procédurale de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement, publiquement, par arrêt mis à disposition;

Déclare l'appel de la société [7] recevable ;

Confirme le jugement entrepris ;

Y ajoutant :

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne la société [7] aux dépens d'appel et à verser au [11] en application de l'article 700 du code de procédure civile une indemnité procédurale de 2 000 euros.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 21/01329
Date de la décision : 06/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-06;21.01329 ?
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