ARRET
N°
S.A.R.L. FIMUREX VALOISES
C/
[J] [Y]
copie exécutoire
le 14/09/2022
à
Selarl FTN
Me GINESTRA
LDS/IL/BG
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2022
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N° RG 20/00395 - N° Portalis DBV4-V-B7E-HT36
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 16 DECEMBRE 2019 (référence dossier N° RG 19/00321)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.R.L. FIMUREX VALOISES
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée, concluant et plaidant par Me Florence NERI de la SELARL FTN, avocat au barreau de GRENOBLE
représentée par Me Christophe WACQUET de la SELARL WACQUET ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AMIENS, substituée par Me Amélie ROHAUT, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant
ET :
INTIMEE
Madame [Z] [J] [Y]
née le 02 Janvier 1973 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée, concluant et plaidant par Me Antoine GINESTRA, avocat au barreau de REIMS
Me Hervé SELOSSE-BOUVET, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant
DEBATS :
A l'audience publique du 22 juin 2022, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :
- Madame [H] [W] en son rapport,
- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Madame [H] [W] indique que l'arrêt sera prononcé le 14 septembre 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame [H] [W] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Fabienne BIDEAULT, conseillère,
Mme Marie VANHAECKE-NORET, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 14 septembre 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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DECISION :
Mme [J], née le 2 janvier 1973, a été embauchée par la société Armatures Valoises, aux droits de laquelle se trouve la société Fimurex Valoises (la société ou l'employeur) à compter 31 décembre 2005 en intérim, puis du 2 janvier 2006 par contrat à durée indéterminée en qualité d'agent administratif.
Au dernier état des relations contractuelles, la salariée occupait le poste d'assistante étude de sols.
Son contrat est régi par la convention collective des mensuels de la métallurgie de la Vallée de l'Oise.
L'effectif de la société est supérieur à 10 salariés.
Mme [J] [Y] a fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie du 8 au 20 décembre 2016 pour manifestations physiques et psychiques dans un contexte de conflit en milieu professionnel, puis du 31 mars au 20 avril 2017 pour syndrome d'épuisement physique et psychique (inaptitude temporaire au poste de travail) prolongé jusqu'au 28 mai suivant.
Elle a été déclarée inapte à son poste en un seul examen au cours de la visite de reprise du 12 juin 2017, le médecin du travail précisant qu'elle pourrait occuper un poste équivalent mais dans un autre environnement professionnel.
La salariée a été convoquée par la société Fimurex Valoises à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement fixé au 6 juillet 2017.
Par courrier du 20 juillet 2017, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Mme [J] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Reims, le 20 juillet 2018, afin de voir dire et juger que son licenciement était nul et obtenir la condamnation de la société Fimurex Valoises à lui payer des dommages et intérêts.
Le conseil de prud'hommes de Reims s'étant déclaré territorialement incompétent pour connaître des demandes, le dossier a été renvoyé devant le conseil de prud'hommes de Compiègne le 23 novembre 2018.
Ce dernier, par jugement du 16 décembre 2019, a :
- dit que la rupture du contrat de travail de Mme [J] [Y] produisait les effets d'un licenciement nul ;
- condamné la société Fimurex Valoises à payer à la demanderesse la somme de 13 641,20 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
- condamné la société Fimurex Valoises à payer à la demanderesse la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention du harcèlement moral ;
- condamné la société Fimurex Valoises à payer à la demanderesse la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts pour défaut d'exécution de bonne foi du contrat de travail, attitude abusive, manquements à l'obligation de sécurité, de protection de la santé des salariés et non-respect des règles d'hygiène et de sécurité au travail ;
- condamné la société à payer à Mme [J] [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté Mme [J] [Y] de ses autres demandes ;
- débouté la société de toutes ses demandes
- condamné cette dernière aux entiers dépens.
Par ordonnance du 29 mars 2022, le conseiller de la mise en état a :
- déclaré recevables les conclusions de l'appelante n°3 et irrecevables les conclusions n°4 de la société Fimurex Valoises et les pièces annexées mais seulement en ce qui concernait ses dispositions relatives à la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral présentée par Mme [J] ;
- déclaré être compétent pour connaître de la demande tendant à voir écarter les prétentions de Mme [J] [Y] au titre du doublement de l'indemnité de licenciement ainsi que de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents ;
- déclaré recevables les demandes de Mme [J] [Y] tendant à la condamnation de l'employeur à lui payer des sommes au titre du doublement de l'indemnité de licenciement ainsi qu'au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents ;
- débouté les parties de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que chaque partie conservait la charge de ses dépens.
Par conclusions remises le 11 janvier 2022, la société Fimurex Valoises, qui est régulièrement appelante du jugement du conseil de prud'hommes, demande à la cour de :
- juger irrecevables les demandes formées pour la première fois en cause d'appel par Mme [J] tendant à obtenir sa condamnation au paiement des sommes de 6 667,41 euros au titre du doublement de l'indemnité de licenciement et 6 820,59 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 682,05 euros au titre des congés payés y afférents ;
- débouter par conséquent Mme [J] de ses demandes nouvelles ;
- réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Compiègne le 16 décembre 2019 dans toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- débouter Mme [J] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul, aucun acte de harcèlement n'étant établi par cette dernière, de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral et de sa demande de dommages et intérêts pour défaut d'exécution de bonne foi du contrat de travail, attitude abusive, manquement à l'obligation de sécurité, de protection de la santé des salariés et non-respect des règles d'hygiène et de sécurité au travail ;
- la condamner aux entiers dépens de procédure ;
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement en ce qu'il a ramené la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul formée par Mme [J] [Y] à la somme de 13 641,20 euros net ;
- ramener le montant des dommages et intérêts sollicités par Mme [J] pour défaut d'exécution de bonne foi du contrat de travail, attitude abusive, manquement à l'obligation de sécurité, de protection de la santé des salariés et non-respect des règles d'hygiène et de sécurité au travail à une somme symbolique ;
- statuer ce que de droit quant aux dépens.
Par conclusions remises le 3 septembre 2020, Mme [J], demande à la cour de :
- déclarer la SARL Fimurex Valoises autant irrecevable que mal fondée en son appel, l'en débouter ;
- la dire et la juger recevable et bien fondée en son appel incident contre les chefs du jugement suivants :
- déboute Mme [J] de ses autres demandes ;
- condamne la société Fimurex Valoises à lui payer la somme de 13 641,20 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
- infirmer la décision attaquée ;
Statuant à nouveau,
- dire et juger que la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul et, à titre subsidiaire, d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamner la société Fimurex Valoises à lui payer :
- 6 667,41 euros au titre du doublement de l'indemnité de licenciement ;
- 6 820,59 euros au titre de l'indemnité de préavis, outre les congés payés y afférents à hauteur de 682,05 euros ;
- 81 847,2 euros net de toutes charges à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou, à titre subsidiaire, pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de
prévention du harcèlement moral ;
- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut d'exécution de bonne foi du contrat de travail, attitude abusive, manquement à l'obligation de sécurité, de protection de la santé des salariés et non respect des règles d'hygiène et de sécurité au travail ;
- 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;
- condamner la société Fimurex Valoises aux entiers dépens.
EXPOSE DES MOTIFS :
La cour rappelle que le conseiller de la mise en état a déjà statué sur la demande tendant à voir dire irrecevables les demandes formées pour la première fois en cause d'appel par Mme [J] tendant à obtenir sa condamnation au paiement des sommes de 6 667,41 euros au titre du doublement de l'indemnité de licenciement et 6 820,59 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 682,05 euros au titre des congés payés y afférents.
1/ Sur le harcèlement moral :
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.
Dès lors qu'ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l'existence d'une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l'ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.
Selon l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, la salariée fait valoir qu'elle a subi des attitudes inacceptables dans le cadre de ses fonctions qui ont entraîné une dégradation de ses conditions de travail et des conséquences sur sa santé physique et mentale. Elle affirme que ce harcèlement est à l'origine de son inaptitude ce qui doit entraîner la nullité de son licenciement.
Elle présente les faits suivants : incitation pressante voire menaçante au départ par rupture conventionnelle fin 2016, comportement humiliant de M. [B] et reproches injustifiés de celui-ci le 6 avril 2017, visite d'un médecin contrôleur le 14 décembre 2017 vécue comme une atteinte à son honnêteté et sa conscience professionnelle, défaut de formation sur le nouveau poste d'assistante au service études de sols en 2016.
Elle conteste toute volonté de reconversion propre, affirmant que l'évocation, fin 2016, d'un congé individuel de formation n'était que la solution proposée par elle pour éviter une rupture du contrat de travail présentée comme inéluctable et extrêmement proche.
Elle se prévaut :
- de plusieurs attestations d'anciens collègues : notamment, M. [K] qui évoque de fréquentes humiliations de la part de M. [B] qui l'a poussée à être mal psychologiquement et lui a fait perdre confiance en elle, de Mme [M] qui fait état de l'acharnement psychologique qu'elle a subi, d'une cadence de travail infernale dans un environnement bruyant au sein d'un open space, de la malveillance de ses supérieurs hiérarchiques au service client, Mme [F] et M. [S] qui épiaient chacun de ses faits et gestes, l'agressaient verbalement, la dénigraient devant les autres (« nulle », « tête en l'air »), tentaient de les dresser l'une contre l'autre et de Mme [L] qui affirme notamment l'avoir vu plusieurs fois sortir en pleurs du bureau de M. [B], lequel avait envers ses subalternes un comportement autoritaire et irrespectueux générant des situations très humiliantes et oppressantes, et avoir constaté que sa formation à son nouveau poste d'assistante au service études de sols avait été nettement insuffisante,
- d'une lettre adressée par elle à l'employeur le 19 décembre 2016 dénonçant l'acharnement de celui-ci à son encontre alors qu'elle a subi une contre visite médicale à la suite de son arrêt de travail et qu'il lui est annoncé la suspension du maintien du salaire,
- des courriers adressés par elle à l'employeur le 17 décembre 2016 dénonçant les conditions dans lesquelles il lui a été proposé une rupture conventionnelle et le 3 avril 2017 dénonçant les reproches injustifiés de M. [B] lorsqu'elle a dû s'absenter quelques instants pour téléphoner dans le cadre de la préparation de son bilan de compétence,
- de ses arrêts de travail mentionnant des manifestations physiques et psychiques dans un contexte de conflit en milieu professionnel et un syndrome d'épuisement physique et psychique,
- d'une lettre du médecin du travail du 30 mars 2017, adressée à son médecin traitant, lui demandant de la placer en arrêt de travail, son état de santé ne permettant pas de la maintenir à son poste et évoquant la nécessité d'une prise en charge médicale et psychologique,
- d'une autre lettre du même médecin du travail du 2 mai 2017 par laquelle celui-ci émet des doutes sur la possibilité d'une reprise du travail,
- d'un certificat de Mme [U], psychologue clinicienne, selon lequel, au point de vue clinique, elle manifestait une anxiété massive face à la situation de travail et un état de stress aigu faisant suite à un environnement hostile et à des humiliations et qu'elle a pris conscience des facteurs de risque psychosociaux à l'origine de son état,
- du certificat de préreprise évoquant la nécessité de prévoir une inaptitude à court terme et de l'avis d'inaptitude.
Les éléments présentés par la salariée, pris et appréciés dans leur ensemble laissent présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral.
L'employeur conteste la valeur probante des attestations produites par Mme [J] aux motifs que leurs auteurs n'ont rien pu constater personnellement ou qu'ils mettent en cause des personnes contre lesquelles Mme [J] n'a émis aucune plainte ou, s'agissant de Mme [L], qu'elle avait un contentieux avec lui en raison de sanctions disciplinaires qu'il lui a été infligées, fait valoir que le CHSCT n'a jamais été saisi de difficultés relatives aux méthodes de management alors que l'un des auteurs d'attestation, M. [T], était membre du CHSCT à cette époque. Il affirme que les pièces médicales produites sont insuffisantes pour établir l'existence d'un harcèlement moral.
Il ajoute que les échanges de courriers démontrent que leurs relations étaient sereines pendant son arrêt de travail.
Il fait remarquer que Mme [J] n'a pas saisi les instances représentatives du personnel et n'a pas fait reconnaître le caractère professionnel de sa maladie.
Il impute la dégradation de son état de santé à son désir de reconversion professionnelle auquel elle pensait accéder en occupant le poste d'assistante études sols qu'elle s'est finalement sentie dans l'incapacité d'exercer malgré ses qualités professionnelles et la formation dispensée.
Sur ce
Il ressort de la lecture attentive des témoignages que M. [T], qui a quitté l'entreprise le 10 novembre 2014, ne peut attester de la situation telle qu'elle était en 2016 alors que la salariée elle-même n'invoque aucun fait antérieur à son affectation au service étude de sols en septembre 2016 et Mme [M] dénonce des faits qui se seraient produits alors qu'elle travaillait au service commercial dont Mme [J] ne se plaint pas et les impute à des supérieurs hiérarchiques qui ne sont pas mis en cause par cette dernière. C'est donc à juste titre que l'employeur soutient que ces deux attestations ne peuvent être retenues contre lui.
Mme [L], outre qu'elle fait mention de ses propres démêlés avec M. [B], évoque une formation insuffisante de Mme [J] au poste d'assistante études sols, un comportement généralement irrespectueux de M. [B] et affirme avoir vu plusieurs fois Mme [J] sortir en pleurs du bureau de ce dernier. Cependant, cette attestation a été rédigée le 5 juin 2020, soit quatre ans après les faits et, ainsi qu'en justifie la société, son auteure a fait l'objet de cinq sanctions disciplinaires pour de multiples fautes avant de bénéficier d'une rupture conventionnelle de sorte que son témoignage ne peut non plus être retenu.
M. [K] ne relate aucun fait précis, se bornant à des considérations générales sur l'attitude de M. [B] à son égard et à l'égard de Mme [J].
La version des faits du 6 février 2017 présentée par Mme [J] selon laquelle M. [B] lui a « furieusement reproché » de s'être absentée pour téléphoner alors qu'il lui avait précédemment accordé cette liberté, puis l'a convoquée dans son bureau pour l'humilier, est formellement contredite par l'intéressé dans une attestation produite par l'employeur. De plus, bien qu'une partie des faits se soient déroulés dans un open space, aucun témoignage n'est produit.
De même, la lettre adressée par Mme [J] à la direction le 17 décembre 2016 à propos de la procédure de rupture conventionnelle ne suffit pas à faire la preuve des faits qu'elle y relate étant observé que dans sa correspondance du 3 avril 2017, la salariée évoque les suites d'un entretien qui s'est tenu le 9 janvier précédent rappelant le fait que l'employeur avait accepté sa proposition de congé de formation et que « dans un esprit constructif et de confiance », il lui avait demandé si elle accepterait de former son successeur ce qu'elle a accepté « avec enthousiasme ».
Par ailleurs, la contre visite médicale a connu une suite positive, le médecin de la caisse ayant conclu que l'arrêt de travail n'était plus justifié de sorte qu'il ne saurait lui être reproché de l'avoir sollicitée.
Enfin, tant le psychologue que les médecins, n'ayant rien pu constater eux-mêmes, ne font que reproduire les doléances de Mme [J]. Leurs certificats sont donc impuissants à établir la matérialité des faits invoqués par la salariée.
Ainsi, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l'employeur démontre que les faits matériellement établis par Mme [J] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral n'est donc pas établi.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
2/ Sur la demande de dommages-intérêts pour défaut de prévention du harcèlement et la demande de dommages-intérêts pour défaut d'exécution de bonne foi du contrat de travail, attitude abusive, manquement à l'obligation de sécurité, de protection de la santé des salariés et non respect des règles d'hygiène et de sécurité au travail :
Mme [J] invoque le manquement de l'employeur à son obligation d'assurer la santé et la sécurité des travailleurs au soutien de ses demandes de dommages-intérêts pour défaut de prévention du harcèlement moral et manquement à l'obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail.
Elle soutient que l'employeur n'a pris aucune mesure à la suite de sa dénonciation du harcèlement alors que la situation avait déjà fait l'objet d'une alerte de la part de M. [K].
La société répond qu'elle a réagi à la lettre du 17 décembre 2016 en organisant une réunion et qu'elle n'a pu réagir à celle du 3 avril 2017 qui dénonçait pour la première fois le comportement supposé de M. [B], Mme [J] étant en arrêt maladie prolongé jusqu'à la visite de reprise. Elle affirme n'avoir commis aucune faute à l'origine de la dégradation de l'état de santé de cette dernière.
L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise doit en assurer l'effectivité.
L'article 1152-4 du code du travail précise que l'employeur est tenu de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
L'absence de harcèlement moral n'est pas de nature à exclure, en présence d'une souffrance morale en lien avec le travail, tout manquement de l'employeur à son obligation de sécurité. Ainsi, la circonstance que tout harcèlement moral soit écarté ne s'oppose pas à ce qu'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité soit caractérisé.
Si, en l'espèce, l'existence d'un harcèlement moral n'a pas été retenue, la situation de souffrance morale en lien avec les conditions de travail est démontrée par les certificats médicaux qui font état de manifestations physiques et psychiques dans un contexte de conflit en milieu professionnel et d'un syndrome d'épuisement physique et psychique.
Il ressort des éléments débattus que, bien qu'alerté par la salariée par lettres des 17 décembre 2016 et 3 avril 2017 et par la délivrance d'arrêts de travail par le médecin traitant et donc averti de l'existence d'un danger avéré pour la santé de la salariée, l'employeur, qui n'a répondu à aucune de ses lettres, ne justifie pas avoir réagi sur ce plan ni pris aucune mesure utile pour y remédier telle qu'une enquête ou une mesure de médiation. Il a donc manqué à cet égard à son obligation de sécurité.
Ainsi que le fait remarquer l'employeur à juste titre, à défaut de justifier de préjudices distincts, la salariée ne peut solliciter deux indemnités sur le fondement de la même faute.
Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité a causé à Mme [J] un préjudice qui sera justement indemnisé par l'octroi d'une somme de 3 000 euros.
Il y a lieu à infirmation du jugement de ce chef.
3/ Sur le licenciement :
- Sur la demande tendant à voir dire le licenciement nul :
Au soutien de cette demande, Mme [J] invoque le fait que son licenciement fait suite à une situation de harcèlement moral. Le harcèlement moral ayant été écarté cette demande ne peut prospérer contrairement à ce qu'a jugé le conseil de prud'hommes.
- Sur la demande tendant à voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse :
La salariée soutient que les conditions de travail imposées par l'employeur sont à l'origine de son inaptitude ce qui prive de cause réelle et sérieuse son licenciement. Elle en déduit qu'elle a droit au doublement de l'indemnité de licenciement, à trois mois de préavis et à des dommages-intérêts eu égard au fait qu'elle a été « totalement détruite ».
La société réplique que l'inaptitude de Mme [J] ne lui est pas imputable, cette dernière échouant à démontrer que la dégradation de son état de santé est due à ses conditions de travail et encore moins à son attitude.
L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise doit en assurer l'effectivité. En cas de manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, le licenciement pour inaptitude du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Ainsi, l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et doit veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration de situations existantes.
Ainsi qu'il a été dit l'employeur a manqué à son obligation de sécurité à l'égard de Mme [J] et la situation de souffrance au travail de cette dernière, à l'origine de ses arrêts de travail, est démontrée par les différents certificats médicaux produits.
Le médecin du travail a déclaré Mme [J] inapte à son poste en un seul examen au cours de la visite de reprise du 12 juin 2017, précisant qu'elle pourrait occuper un poste équivalent mais dans un autre environnement professionnel ce dont il se déduit que c'est l'environnement professionnel qui est au moins pour partie à l'origine de cette inaptitude.
Il y a lieu en conséquence de dire que le licenciement pour inaptitude de Mme [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
L'article L.1226-14 dispose : «La rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L.1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L1234-9.»
Selon l'article L.1226-15 modifié par la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, « lorsqu'un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives à la réintégration du salarié, prévues à l'article L. 1226-8, le tribunal saisi peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Il en va de même en cas de licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte prévues aux articles L.1226-10 à L.1226-12.
En cas de refus de réintégration par l'une ou l'autre des parties, le tribunal octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité ne peut être inférieure à douze mois de salaires. Elle se cumule avec l'indemnité compensatrice et, le cas échéant, l'indemnité spéciale de licenciement prévues à l'article L.1226-14.»
Compte tenu de l'autonomie du droit du travail par rapport à celui de la sécurité sociale l'application des règles protectrices du code du travail n'est pas subordonnée à la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie par un organisme de sécurité sociale.
Ces règles s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle lors du licenciement.
C'est au jour de la notification du licenciement que s'apprécie la connaissance ou non par l'employeur de l'origine professionnelle de l'accident ou de la maladie dont le salarié est victime.
En l'espèce, la société a eu connaissance du caractère professionnel de la maladie de Mme [J] à la lecture des lettres que cette dernière lui a écrites les 16 décembre 2016 et 3 avril 2017 à l'occasion desquelles elle l'informe des causes de ses arrêts de travail. Il en résulte que la salariée est en droit de bénéficier des dispositions protectrices prévues aux articles précités.
La société sera condamnée à lui payer les sommes indiquées au dispositif, non spécifiquement contestées dans leur quantum, au titre du doublement de l'indemnité de licenciement.
Aux termes de la convention collective la salariée a droit à une indemnité compensatrice égale à l'indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire soit 4 613,72 euros.
La salariée ne justifie pas de sa situation professionnelle et économique post licenciement et l'attestation de sa psychologue permet de comprendre qu'elle est parvenue à mener à bien un nouveau projet professionnel dans lequel elle se réalise.
Néanmoins, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge et de son ancienneté dans l'entreprise et de l'effectif de celle-ci (plus de dix salariés), la cour dispose des éléments nécessaires pour fixer à 28 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
4/ Sur les demandes accessoires :
Chacune des parties succombant partiellement conservera la charge de ses dépens d'appel.
Compte tenu de la disparité entre les situations respectives des parties, la société sera condamnée à payer à Mme [J] la somme de 500 euros supplémentaire au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en cause d'appel.
Elle sera déboutée de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
infirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Fimurex Valoises à payer à Mme [J] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
statuant à nouveau et y ajoutant,
dit que le licenciement de Mme [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
condamne la société Fimurex Valoises à payer à Mme [J] les sommes de :
- 28 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3 000 euros au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et de prévention du harcèlement moral,
- 6 667,41 euros au titre du doublement de l'indemnité de licenciement,
- 4 613,72 euros au titre de l'indemnité compensatrice égale à l'indemnité compensatrice de préavis,
- 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
rejette toute autre demande,
dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.