ARRET
N°
S.A. GIPHAR GROUPE
C/
Syndicat CFDT CHIMIE ENERGIE PICARDIE
[R]
copie exécutoire
le 29/06/2022
à
- SCP FROMONT
- SCP FRISON - 2
FB/IL/BG
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 29 JUIN 2022
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N° RG 21/01467 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IBDG
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 26 JANVIER 2021 (référence dossier N° RG F19/305)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A. GIPHAR GROUPE
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée, concluant et plaidant par Me Cécilia ARANDEL de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de PARIS, substituée par Me Khadja BENYAHYA, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIMES
Syndicat CFDT CHIMIE ENERGIE PICARDIE
[Adresse 2]
[Localité 6]
Monsieur [N] [R]
né le 02 Juillet 1978 à [Localité 7]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentés, concluant et plaidant par Me Stéphanie THUILLIER de la SCP FRISON ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AMIENS
DEBATS :
A l'audience publique du 06 avril 2022, devant Mme Fabienne BIDEAULT, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :
- Mme Fabienne BIDEAULT en son rapport,
- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Mme Fabienne BIDEAULT indique que l'arrêt sera prononcé le 29 juin 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Fabienne BIDEAULT en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Fabienne BIDEAULT, conseillère,
Mme Marie VANHAECKE-NORET, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 29 juin 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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DECISION :
Vu le jugement contradictoire, rendu en dernier ressort, en date du 26 janvier 2021 par lequel le conseil de prud'hommes de Beauvais, statuant dans le litige opposant M. [N] [R] et le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie à la société Sogiphar Groupe, a déclaré les demandes recevables, a condamné la société Sogiphar Groupe à verser au salarié la somme de 1 053,13 euros brut à titre de rappel de salaire, la somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, la somme de 400 euros au titre des frais irrépétibles, a ordonné à l'employeur de remettre au salarié les bulletins de paie rectifiés , a condamné la société Sogiphar Groupe à verser au syndicat CFDT Chimie Energie Picardie la somme de 50 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 30 euros au titre de ses frais irrépétibles, a condamné la société Sogiphar Groupe aux entiers dépens ;
Vu l'appel interjeté le 11 mars 2021 par la société Giphar Groupe, venant aux droits de la société Sogiphar Groupe, à l'encontre de cette décision qui lui a été régulièrement notifiée ;
Vu la constitution d'avocat de M. [R], intimé, et du syndicat CFDT Chimie Energie Picardie effectuée par voie électronique le 4 mai 2021 ;
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 mars 2022 par lesquelles l'employeur appelant, soutenant son appel recevable en ce que le litige porte sur une demande d'application et d'interprétation de dispositions conventionnelles, considérant le syndicat irrecevable en son action, affirmant avoir respecté les dispositions de la convention collective, de sorte que le salarié a été intégralement rempli de ses droits au titre des temps de pauses, demandant à titre subsidiaire que le rappel de salaire du salarié soit réduit à la somme mentionnée au sein du dispositif de ses écritures, sollicite que la cour déclare son appel recevable, déclare irrecevable le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie, prononce l'infirmation du jugement entrepris, déboute le salarié et le syndicat de l'intégralité de leurs demandes, demande, à titre subsidiaire que la somme accordée au titre du rappel de salaire soit minorée, requiert en tout état de cause la condamnation du salarié et du syndicat au paiement d'une indemnité de procédure (1 000 euros chacun) ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er février 2022 aux termes desquelles le salarié intimé et le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie, soulevant in limine litis l'irrecevabilité de l'appel interjeté, requérant à titre subsidiaire qu'il soit constaté que la société Giphar Groupe n'a pas respecté les dispositions conventionnelles applicables en matière de temps de pause, sollicitent pour leur part la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a jugé que l'employeur n'avait pas intégralement rémunéré le temps de pause conventionnellement prévu, en ce qu'elle a déclaré recevable l'action du syndicat, en ce qu'elle a dit que le salarié et le syndicat avaient subi un préjudice et requièrent l'infirmation du jugement entrepris concernant le quantum des sommes allouées, demandant à la cour de condamner l'employeur au paiement des sommes reprises au dispositif de leurs conclusions au titre du rappel de salaire, des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par le salarié, des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par le syndicat, demandant en tout état de cause que la société appelante soit condamnée au paiement d'une indemnité de procédure (1500 euros à chacun d'eux) ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 24 mars 2022 renvoyant l'affaire pour être plaidée à l'audience du 6 avril 2022 ;
Vu les conclusions transmises le 9 mars 2022 par l'appelant et le 1er février 2022 par les intimés auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel ;
SUR CE, LA COUR
La société Giphar Groupe anciennement dénommée Sogiphar Groupe est une structure adossée au groupement Giphar qui réunit des pharmaciens d'officines françaises. La société est une coopérative au service exclusif des pharmaciens et gère notamment un site logistique à [Localité 8] qui assure la distribution de produits pharmaceutiques.
Elle emploie 177 salariés sur le site de [Localité 8] et applique la convention collective de la répartition pharmaceutique.
M. [R] a été embauché par la société aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 novembre 2006.
Contestant le refus de la société Giphar de rémunérer l'intégralité de ses temps de pause, il a saisi avec d'autres salariés et le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie le conseil de prud'hommes de Beauvais de demandes de rappel de salaire et de dommages et intérêts.
Par jugement du 26 janvier 2021, le conseil de prud'hommes de Beauvais s'est prononcé comme indiqué précédemment.
Sur la recevabilité de l'appel
Le salarié et le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie, qui rappellent que le jugement du conseil de prud'hommes a été rendu en dernier ressort, soulèvent l'irrecevabilité de l'appel interjeté par la société Giphar Groupe.
Ils soutiennent qu'en application de l'article R 1462-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes statue en dernier ressort lorsque la valeur totale des prétentions d'aucune des parties ne dépasse le taux de compétence, fixé en l'espèce, au regard de la saisine du 30 décembre 2019, à la somme de 4 000 euros.
Ils observent qu'en l'espèce, la demande était chiffrée qu'elle ne présentait pas un caractère indéterminé.
Les intimés s'opposent à l'argumentation de la société selon laquelle les demandes formulées par le salarié et le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie se cumulent pour apprécier la détermination du taux de ressort.
En application des articles 35 et 36 du code de procédure civile, les intimés soutiennent que le taux de ressort est déterminé à l'égard de chacun d'eux par la valeur de leurs propres prétentions.
Ainsi dès lors que la valeur des prétentions initiales du salarié est inférieure à 4 000 euros et que celle du syndicat était limitée à 500 euros, les intimés soutiennent que le conseil de prud'hommes a rendu un jugement insusceptible d'appel.
La société Giphar conclut à la recevabilité de son appel.
A titre principal, elle soutient que le litige opposant les parties concerne tout à la fois une question d'application de l'article K 1.1.3 de la convention collective de la répartition pharmaceutique et d'interprétation de ces dispositions, constituant ainsi des demandes indéterminées.
Ainsi, selon la société Giphar Groupe, le jugement entrepris aurait dû être qualifié de jugement rendu en premier ressort et l'appel interjeté doit être déclaré recevable.
En second lieu, la société précise que, même si en l'espèce l'atteinte du taux de ressort est indifférente en présence de demandes indéterminées, les demandes formulées par les requérants en première instance excédaient bien le taux de ressort applicable à la date des faits, soit 4 000 euros, en ce que l'ensemble de leurs demandes doit être additionné puisqu'elles reposent sur des faits identiques ou connexes.
Sur ce ;
Conformément à l'article 536 du code de procédure civile, la qualification inexacte d'un jugement par les juges qui l'ont rendu est sans effet sur le droit d'exercer un recours. L'appel n'est donc pas irrecevable en cas de jugement qualifié à tort « en dernier ressort».
L'article L 1462-1 du code du travail dispose que les jugements des conseils de prud'hommes sont susceptibles d'appel. Toutefois, ils statuent en dernier ressort en dessous d'un taux fixé par décret.
Selon l'article 40 du code de procédure civile, le jugement qui statue sur une demande indéterminée est, sauf disposition contraire, susceptible d'appel.
Ont un caractère indéterminé les demandes ayant pour objet l'application d'une convention collective déniée par l'employeur. La décision statuant sur une telle demande est susceptible d'appel nonobstant la circonstance que le montant chiffré de la prétention du salarié n'excède pas le taux de compétence en dernier ressort du conseil de prud'hommes. Dans ce cas, la prétention chiffrée n'est en effet que la conséquence de l'objet essentiel de la demande, c'est-à-dire le bénéfice de la convention collective.
En l'espèce, le litige porte sur l'application et l'interprétation des dispositions de la convention collective de la répartition pharmaceutique relatives aux temps de pause, de sorte que les demandes présentées par le salarié et le syndicat présentent un caractère indéterminé, les rappels de salaire réclamés n'étant que la conséquence de la revendication de l'application de la convention collective. Il s'ensuit qu'en qualifiant le jugement rendu 'en dernier ressort' le conseil de prud'hommes a méconnu le texte susvisé.
L'appel interjeté par la société Giphar Groupe doit être déclaré recevable.
Sur la recevabilité de l'intervention du syndicat
Au soutien de l'irrecevabilité de l'action du syndicat, la société Giphar Groupe fait valoir que le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie n'a pas d'intérêt à agir en ce qu'il a vocation à représenter les intérêts collectifs des salariés du secteur de la chimie et de l'énergie et qu'il ne représente pas les intérêts collectifs des salariés du secteur de la répartition pharmaceutique.
La société soutient que le fait que le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie soit rattaché à la fédération CFDT de la chimie et de l'énergie tel que constaté par les premiers juges est insuffisant à caractériser son intérêt à agir en ce que le terme 'pharmacie' n'a pas la même signification selon le secteur concerné.
Le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie soutient qu'il représente l'intérêt collectif des salariés.
Sur ce ;
L'article L 2132-3 du code du travail dispose que les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
Il est admis que l'intervention d'un syndicat est recevable dès lors que le litige soulève une question de principe et qu'est en cause un préjudice au moins indirect porté à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente.
Comme justement apprécié par les premiers juges, le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie est rattaché à la fédération CFDT de la chimie et de l'énergie.
La Fédération Chimie Energie CFDT couvre toutes les entreprises des branches professionnelles du caoutchouc, de la chimie, des industries électriques et gazières, des instruments à écrire, de la navigation de plaisance, du papier-carton, du pétrole, de la pharmacie, de la plasturgie et du verre.
Les entreprises relevant du secteur d'activité de la répartition pharmaceutique relèvent du secteur d'activité de la fédération Chimie Energie CFDT.
Ainsi, il est constaté que le syndicat CFDT Chimie Energie a signé en 2021 l'accord relatif au dispositif de reconversion ou de promotion par l'alternance dans la répartition pharmaceutique. En outre, il résulte des pièces versées aux débats que le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie est présent et actif au sein de la société Giphar Groupe.
En conséquence, par confirmation du jugement entrepris il est jugé que le syndicat CFDT Chimie Energie représente effectivement les intérêts collectifs des salariés du secteur de la répartition pharmaceutique et qu'en conséquence son action est recevable.
Sur l'application des dispositions de la convention collective nationale de la répartition pharmaceutique du 7 janvier 1992
Le salarié et le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie soutiennent que l'employeur n'a pas fait une exacte application des dispositions de la convention collective nationale de la répartition pharmaceutique en ce qu'il n'a pas accordé aux salariés travaillant de façon ininterrompue dans un poste d'une durée supérieure à 6 heures une pause de 30 minutes.
Les intimés soutiennent que les salariés ne bénéficiaient que d'une pause de 15 minutes.
Ils affirment qu'en application du texte conventionnel, les salariés qui travaillent de façon ininterrompue dans un poste de travail d'une durée supérieure à 6 heures ont droit à une pause payée de 30 minutes, que cette demi-heure de repos peut être accordée avant que les 6 heures de travail se soient écoulées ou à la suite immédiate de ces 6 heures.
Les intimés affirment que l'employeur ne peut légitimement soutenir que les salariés qui bénéficient d'une pause avant que les 6 heures de travail ne soient écoulées n'effectuent pas un cycle de travail de 6 heures ininterrompues au sens du texte sus-visé.
Au soutien de leurs demandes, les intimés versent aux débats le courrier de l'inspecteur du travail en date du 11 mars 2019 adressé à la société Sogiphar, à la suite des visites de contrôle effectuées, qui mentionnent au titre des pauses: 'Les salariés ont le droit à une pause payée d'une demi-heure, par cycle de travail de 6 heures. Et ce au titre de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique du 6 avril 1956. La commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation dans son avis du 23 novembre 2017 indique dans son article premier que: 'A l'unanimité des organisations syndicales représentées, l'avis suivant est rendu sur le moment de la pause payée telle que prévue à l'article 22.8°e des clauses générales: Lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste en travail d'une durée supérieure à 6 heures, il leur sera attribué 1 demi-heure de repos payée. Cette demi-heure de repos peut être accordée avant que les 6 heures de travail se soient écoulées ou à la suite immédiate de ces 6 heures.' Vous veillerez à ce que ces stipulations soient respectées.'
Ils produisent en outre les plannings généraux des salariés aux fins de démontrer que ceux-ci en équipe du matin effectuent une durée de travail comprise entre 7 heures et 9 heures et, en équipe de l'après-midi, une durée de travail comprise entre 7 heures 15 et 9 heures.
Les intimés demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le salarié n'avait pas bénéficié du temps de pause conventionnellement prévu.
La société Giphar conclut à l'infirmation du jugement entrepris de ce chef.
Elle rappelle que pour interpréter une convention collective, le juge doit respecter la lettre du texte, se référer ensuite à la loi ayant le même objet.
L'employeur soutient que la notion de 'travail ininterrompu' stipulée au sein de la convention collective s'entend de la durée de travail effectif accompli d'une seule traite par le salarié. Il affirme que ce n'est que si la convention collective fait référence à un 'horaire ininterrompu de six heures au moins' que cette notion renvoie au temps de présence du salarié et non à celle de la durée de travail effectif.
La société Giphar Groupe soutient qu'en l'espèce, la durée de travail effective du salarié est interrompue quotidiennement et à heure fixe par l'allocation d'une pause de 20 minutes, de sorte que le salarié ne peut se prévaloir des dispositions de l'article K 1.1.3 de la convention collective qui fait référence à une période de travail ininterrompue dans un poste d'une durée supérieure à six heures.
En outre, l'employeur affirme que contrairement aux allégations du salarié, il n'a jamais été interpellé par les salariés sur les conditions d'application de l'article K 1.1.3 de la convention collective, que le syndicat ne l'a saisi qu'à une seule reprise le 12 octobre 2018 et qu'une réponse circonstanciée lui a été adressée le 26 octobre 2018.
Il observe que contrairement aux allégations de l'inspecteur du travail, la société ne relève pas de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique du 6 avril 1956 mais de la convention collective de la répartition pharmaceutique du 7 janvier 1992.
Il précise qu'en application de l'accord collectif d'entreprise portant sur la réduction et l'aménagement du temps de travail en date du 1er décembre 2000, en vigueur au sein de la société depuis le 1er janvier 2001, les salariés bénéficient d'un temps de pause rémunéré d'un quart d'heure par jour et que, depuis 2014, ils se sont vu attribuer le bénéfice d'une pause d'une durée de 20 minutes consécutives rémunérées.
Sur ce ;
L'article L 3121-16 du code du travail dispose que dès que le temps de travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes consécutives.
L'article L 3121-7 du même code prévoit qu'une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut fixer un temps de pause supérieur.
Il n'est pas contesté par les parties que la convention collective nationale de la répartition pharmaceutique du 7 janvier 1992 est applicable en l'espèce.
L'article K 1.1.3 de la convention collective précise:
' On appelle travail par poste l'organisation dans laquelle un salarié effectue son travail journalier d'une seule traite.
Lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste, d'une durée supérieure à six heures, il leur sera attribué une demi-heure de repos payée.
Les salariés non inclus dans la catégorie ci-dessus, dont il est possible de contrôler la durée du travail et effectuant un travail quotidien d'un minimum de six heures, bénéficieront soit d'une coupure, soit d'un temps de pause de 20 minutes non payées.'
Le principe général est que les conventions collectives sont d'interprétation stricte mais le juge peut quand même être amené à interpréter les accords collectifs si le texte manque de clarté ou est ambigu.
Une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c'est à dire d'abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte.
En l'espèce, il doit être admis que la convention est ambiguë dans la mesure où la notion de 'travail ininterrompu d'une durée supérieure à six heures' pose la question de savoir si la pause de 30 minutes peut être prise à n'importe quel moment à l'intérieur de cette période ou si elle n'est obligatoire qu'au terme d'une durée de six heures consécutives de travail.
Cette ambiguïté rend par conséquent nécessaire l'interprétation de la convention sur ce point.
Il ressort des éléments du dossier que les salariés postés effectuent, en horaires du matin ou d'après-midi, une durée de travail quotidienne de plus de 6 heures.
Il ne résulte pas des dispositions de la convention collective que la pause de 30 minutes soit subordonnée à un travail effectif continu de 6 heures puisque le texte ne dit pas expressément que les 6 heures doivent être consécutives, c'est-à-dire, ne pas avoir été interrompues par une pause.
Subordonner l'application de ce texte à un temps de travail de six heures effectué en continu amoindrirait considérablement la portée du texte, et partant, la protection de la santé des salariés, puisque l'employeur pourrait déjouer la protection conventionnelle en prévoyant un temps de travail quotidien de six heures précises, comprenant un temps de pause inférieur aux trente minutes prévues, afin d'éluder la pause prévue par cette disposition.
En outre, il est rappelé qu'il a été jugé que la pause minimale de 20 minutes prévues par les dispositions légales devait être accordée par l'employeur à partir de 6 heures de travail quotidien, une interruption de quelques minutes au cours d'une période de 6 heures ne dispensant pas l'employeur d'accorder cette pause.
La cour constate que la convention collective de l'industrie pharmaceutique du 6 avril 1956 prévoit en son article 22 8 e des dispositions relatives au temps de pause en tous points similaires à celles prévues par la convention collective de la répartition pharmaceutique applicable en l'espèce.
Saisie d'une demande d'interprétation de cet article, la commission permanente de négociation et d'interprétation de la convention collective de l'industrie pharmaceutique a rendu le 23 novembre 2017 l'avis suivant: ' Cette demi-heure de repos peut être accordée avant que les 6 heures de travail se soient écoulées ou à la suite immédiate de ces 6 heures.'
Les dispositions relatives au temps minimal de repos constituent des règles de droit social d'une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale nécessaire pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé.
En exigeant que le salarié commence par travailler six heures apparemment de manière consécutive puisque la pause ne peut être comprise dans cette période, l'employeur rajoute une condition qui n'est pas imposée par la convention collective, celle-ci ne mentionnant pas le moment où la pause doit être prise mais fixant une durée de travail maximale dans laquelle le salarié doit bénéficier d'un repos.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il doit être en conséquence jugé, par confirmation du jugement entrepris, que lorsque le salarié travaille de façon ininterrompue dans un poste d'une durée de travail supérieure à 6 heures, il doit lui être attribué une pause rémunérée d'une demi-heure qui peut intervenir soit avant que les 6 heures de travail effectif se soient écoulées soit à la suite immédiate de ces 6 heures.
La cour constate que le salarié n'a pas bénéficié du temps de pause conventionnellement prévu.
Sur le rappel de salaire
Le salarié soutient qu'il n'a été rémunéré au titre de son temps de pause qu'à hauteur de 15 minutes par jour. Il verse aux débats ses bulletins de paie dont il ressort une rémunération quotidienne de 15 minutes par jour au titre du temps de pause, rémunération identifiée sur le bulletin de paie sur la ligne 'indemnité de pause'.
Il forme en conséquence une demande de rappel de salaire à hauteur de 15 minutes par jour supplémentaires pour la période comprise entre octobre 2016 et décembre 2019.
Il sollicite à ce titre l'infirmation du jugement entrepris qui a limité ce rappel de salaire à une durée équivalente à 10 minutes par jour.
L'employeur soutient avoir rémunéré le salarié de ses temps de pause à hauteur de 20 minutes par jour. Il précise que 15 minutes étaient rémunérées au titre de 'l'indemnité de pause' versée mensuellement et qui apparaît sur les bulletins de salaire et 5 minutes étaient payées dans le cadre du salaire de base dans la mesure où l'amplitude de présence du salarié n'a pas été augmentée lors du passage de 15 minutes de pause à 20 minutes en 2014.
La société Giphar demande en conséquence à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le salarié avait été rempli de ses droits à hauteur de 20 minutes de pause quotidienne et de l'infirmer quant au quantum alloué au regard du salaire de référence.
Sur ce ;
Il a été précédemment jugé que le salarié pouvait prétendre à un temps de pause quotidien de 30 minutes au regard de sa durée de travail quotidienne.
Il n'est pas contesté que le salarié a été rempli de ses droits à hauteur de 15 minutes de temps de pause par jour.
L'employeur soutient que les 5 minutes supplémentaires de temps de pause étaient effectivement rémunérées, cette rémunération étant comprise dans le salaire de base en ce que l'amplitude de présence du salarié n'a pas été augmentée lors du passage de 15 minutes de pause à 20 minutes en 2014.
Il ressort des éléments produits par l'employeur et plus spécifiquement des procès verbaux de réunion du comité d'entreprise du 24 avril 2014 et du 1er mars 2016 qu'un temps de pause quotidien a été accordé aux salariés sans que leur temps de présence sur le site soit augmenté d'une durée de 5 minutes supplémentaires, ce dont il se déduit que la rémunération du salarié au titre de ce temps de pause supplémentaire était inclus dans son salaire de base.
En conséquence, le jugement entrepris qui a limité le rappel de salaire dû au salarié à une somme équivalente à 10 minutes par jour est confirmé de ce chef.
Au regard des pièces versées aux débats, du montant du salaire horaire du salarié pour chaque année concernée, il sera accordé à M. [R] un rappel de salaire à hauteur de 982,86 euros.
Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts pour non respect des dispositions conventionnelles
Le salarié sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'employeur à lui verser des dommages et intérêts au titre du préjudice moral et son infirmation quant au quantum alloué demandant à la cour de condamner la société Giphar Groupe à lui verser la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Il expose qu'en dépit de multiples interpellations tant par les salariés que par le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie et par l'inspection du travail, l'employeur a persisté dans ses errements. Il précise que la prescription triennale l'empêche de solliciter une régularisation sur une période plus importante alors que la société Giphar Groupe a toujours refusé de se conformer aux dispositions conventionnelles.
L'intimé expose avoir ainsi été privé quotidiennement de 10 minutes de pause alors même que ces pauses sont nécessaires à son repos et son équilibre physique et psychique.
La société Giphar Groupe conclut au débouté de la demande et, par voie de conséquence, à l'infirmation du jugement entrepris de ce chef.
Elle indique qu'aucune pièce ne vient justifier d'une éventuelle demande de régularisation d'une prétendue difficulté relative aux temps de pause avant le mois d'octobre 2018. Seul un courrier a en effet été adressé par le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie le 12 octobre 2018.
L'employeur conteste toute obstruction fautive telle qu'alléguée par le salarié.
Sur ce ;
Il a été précédemment jugé que l'employeur n'avait pas respecté les dispositions conventionnelles.
Si le salarié ne justifie pas avoir sollicité personnellement son employeur tel qu'allégué sur le non respect des temps de pause, il est établi d'une part que le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie a écrit en ce sens à la société le 12 octobre 2018 et d'autre part que l'inspecteur du travail a rappelé à l'employeur ses obligations le 11 mars 2019.
Ce non respect des temps de pause a causé un préjudice au salarié en termes de fatigue, que l'instauration des temps de pause vise à prévenir.
Ce préjudice a été justement réparé par les premiers juges qui ont condamné l'employeur au paiement de la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts.
Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts du syndicat CFDT Chimie Energie Picardie
Le syndicat sollicite à titre principal l'infirmation du jugement déféré qui lui a alloué la somme de 50 euros au titre du préjudice subi, demandant que la société Giphar Groupe soit condamnée à lui verser la somme de 500 euros.
A titre subsidiaire, il requiert la confirmation du jugement entrepris.
Aux termes de l'article L.2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice ; ils peuvent, devant toutes les juridictions y compris civiles, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
En l'espèce, la cour considère que la violation des dispositions conventionnelles prévoyant la rémunération de l'intégralité des temps de pause est de nature à porter atteinte à l'intérêt collectif de la profession et cause un préjudice au syndicat intimé.
La société Giphar doit être condamnée à réparer ce préjudice par le versement de dommages et intérêts à hauteur de la somme mentionnée au présent dispositif.
Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.
Sur la remise d'un bulletin de paie rectifié
Il sera ordonné à l'employeur de remettre au salarié un bulletin de paie rectifié.
Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il serait inéquitable de laisser à la charge du salarié et du syndicat les frais non compris dans les dépens qu'ils ont pu exposer.
Il convient en l'espèce de condamner l'employeur, appelant succombant dans la présente instance, à verser la somme de 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à M. [R] et la somme de 30 euros au syndicat pour la procédure d'appel et de confirmer les condamnations à ce titre pour les frais irrépétibles de première instance.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais irrépétibles exposés par lui.
Il y a également lieu de condamner la société appelante aux dépens d'appel et de confirmer sa condamnation aux dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, en dernier ressort ;
Déclare recevable l'appel interjeté par la société Giphar Groupe ;
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Beauvais du 26 janvier 2021 sauf en ses dispositions relatives au montant du rappel de salaire accordé ainsi qu'au montant des dommages et intérêts accordés au syndicat ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant:
Condamne la société Giphar Groupe à verser à M. [N] [R] la somme de 982,86 euros brut à titre de rappel de salaire au titre des temps de pause pour la période comprise entre octobre 2016 et décembre 2019 ;
Condamne la société Giphar Groupe à verser au syndicat CFDT Chimie Energie Picardie la somme de 100 euros à titre de dommages et intérêts ;
Condamne la société Giphar Groupe à verser à M. [N] [R] la somme de 400 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
Condamne la société Giphar Groupe à verser au syndicat CFDT Chimie Energie Picardie la somme de 30 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société Giphar Groupe aux entiers dépens d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.