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27/06/2022 | FRANCE | N°19/06363

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 27 juin 2022, 19/06363


ARRET

N°489





[D]

[RA]





C/



Société AIR FRANCE

CPAM DE L'OISE







GH





COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 27 JUIN 2022



*************************************************************



N° RG 19/06363 - N° Portalis DBV4-V-B7D-HOV4



JUGEMENT DU POLE SOCIAL DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BEAUVAIS EN DATE DU 25 juillet 2019





PARTIES EN CAUSE :

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APPELANTES





Madame [W] [D] veuve [RA] agissant tant en son nom propre qu'en qualité d'ayant droit de son concubin, Monsieur [Y] [RA] né le 10/08/1955 à SAINT-PIERRE-d'AUBIGNY (73) et décédé le 12/04/2011 à COURTEUIL (60)

2 rue de la Nonette

6...

ARRET

N°489

[D]

[RA]

C/

Société AIR FRANCE

CPAM DE L'OISE

GH

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 27 JUIN 2022

*************************************************************

N° RG 19/06363 - N° Portalis DBV4-V-B7D-HOV4

JUGEMENT DU POLE SOCIAL DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BEAUVAIS EN DATE DU 25 juillet 2019

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTES

Madame [W] [D] veuve [RA] agissant tant en son nom propre qu'en qualité d'ayant droit de son concubin, Monsieur [Y] [RA] né le 10/08/1955 à SAINT-PIERRE-d'AUBIGNY (73) et décédé le 12/04/2011 à COURTEUIL (60)

2 rue de la Nonette

60300 COURTEUIL

Comparante,

Assistée et plaidant par Me Cédric DE ROMANET DE BEAUNE de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

Madame [T] [RA] agissant tant en son nom propre qu'en qualité d'ayant droit de son père, Monsieur [Y] [RA] né le 10/08/1955 à SAINT-PIERRE-d'AUBIGNY (73) et décédé le 12/04/2011 à COURTEUIL (60)

2 rue de la Nonette

60300 COURTEUIL

Représentée et plaidant par Me Cédric DE ROMANET DE BEAUNE de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMES

Société AIR FRANCE

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

A.T : Monsieur [Y] [RA] (décédé)

45 Rue de Paris

95747 TREMBLAY-EN-FRANCE

Représenté et plaidant par Me Corinne POTIER de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

CPAM DE L'OISE

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Affaires Juridiques

1 rue de Savoie BP 30326

60013 BEAUVAIS CEDEX

Représentée et plaidant par Mme [S] [N], dûment mandatée

DEBATS :

A l'audience publique du 14 Mars 2022 devant Mme Graziella HAUDUIN, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Juin 2022.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Marie-Estelle CHAPON

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Graziella HAUDUIN en a rendu compte à la Cour composée en outre de:

Mme Elisabeth WABLE, Président,

Mme Graziella HAUDUIN, Président,

et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 27 Juin 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Graziella HAUDUIN, Président a signé la minute avec Mme Audrey VANHUSE Greffier.

*

* *

DECISION

Vu le jugement en date du 25 juillet 2019 auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits, procédure et prétentions initiales des parties par lequel le pôle social du tribunal de grande instance de Beauvais, saisi par Mmes [W] [D] et [T] [RA] d'une action tendant à faire reconnaître la faute inexcusable de la société Air France, employeur de M. [Y] [RA] décédé le 12 avril 2011, et par la société d'un recours à l'encontre de la décision de la commission de recours amiable de la CPAM du 5 novembre 2014 rejetant sa contestation de la décision de prise en charge de l'accident du 12 avril 2011 au titre de la législation professionnelle, a :

- joint les deux instances,

- dit que l'accident survenu le 12 avril 2011 au préjudice de M. [Y] [RA] revêt un caractère professionnel au sens de la législation relative aux risques professionnels,

- débouté Mme [W] [D] et Mme [T] [RA] de leur demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société Air France dans l'accident de travail survenu le 12 avril 2011 au préjudice de M. [Y] [RA] et de leurs demandes subséquentes,

- déclaré inopposable à la société Air France la décision de la CPAM de l'Oise de prendre en charge le caractère professionnel de l'accident dont a été victime M. [RA],

- débouté Mme [W] [D] et Mme [T] [RA] de leur demande au titre de l'article 700 du CPC,

- dit que chaque partie conservera en outre la charge de ses dépens engagés postérieurement au 3 décembre 2018.

Vu l'appel interjeté le 31 juillet 2019 par Mmes [W] [D] et [T] [RA] de cette décision.

Vu le renvoi au 14 septembre 2021 accordé à l'audience du 9 novembre 2020 à la demande des parties.

Vu le renvoi au 14 mars 2022 accordé à l'audience du 14 septembre 2021 à la demande des parties.

Vu les conclusions visées par le greffe le 14 mars 2022 et soutenues oralement à l'audience, par lesquelles Mme [W] [D] et Mme [T] [RA] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement du pôle social du tribunal de grande instance de Beauvais en date du 25 juillet 2019 en ce qu'il a dit que l'accident survenu le 12 avril 2011 au préjudice de M. [Y] [RA] revêt un caractère professionnel au sens de la législation relative aux risques professionnels,

- l'infirmer pour le surplus et statuant de nouveau :

prononcer la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la société Air France, à l'origine de l'accident dont a été victime et est décédé M. [Y] [RA],

En conséquence,

ordonner la majoration à son taux maximum de la rente d'ayant droit versée à Mme [D],

ordonner la majoration à son taux maximum de la rente d'ayant droit versée à Mme [T] [RA],

fixer l'indemnisation des préjudices complémentaires selon les modalités suivantes :

Au titre de l'action successorale :

préjudice de souffrance morale : 200 000 euros

Au titre de la réparation du préjudice moral personnel :

subi par Mme [W] [D] 100 000 euros

subi par Mademoiselle [T] [RA] 50 000 euros

condamner en outre la société Air France à verser aux consorts [RA] la somme de 3 000 euros chacune, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les conclusions visées par le greffe le 14 mars 2022 et soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la société Air France demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les consorts [RA] de leur demande de faute inexcusable et jugé la décision de la CPAM de prise en charge du décès inopposable à la société,

Subsidiairement de réduire à de plus justes proportions les demandes d'indemnisations formulées par les consorts [RA] tant au titre de l'action successorale qu'au titre de leur préjudice moral et de dire que le calcul de la majoration de la rente du conjoint survivant s'effectuera selon les mêmes modalités de calcul que la rente accident du travail attribuée à Mme [D], c'est à dire en prenant en compte le salaire de référence sur douze mois, soit 70212,12 euros.

Vu les conclusions visées par le greffe le 14 mars 2022 et soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la CPAM de l'Oise demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur le bien-fondé de la demande en reconnaissance de faute inexcusable étant précisé qu'elle ne pourra intervenir qu'après constatation du caractère professionnel de l'accident,

En cas de reconnaissance de la faute inexcusable :

- donner acte à la CPAM de ce qu'elle s'en rapporte sur la demande de majoration de rente de ses ayants droit,

- réduire à de plus justes proportions l'indemnisation du préjudice moral de M. [RA] au titre de l'action successorale,

- réduire à de plus justes proportions l'indemnisation des préjudices moraux des ayants droit de M. [RA],

- dire que quelque soit la décision sur l'opposabilité à l'égard de l'employeur de la décision de prise en charge de l'accident survenu à M. [RA], la CPAM pourra exercer son action récursoire à l'encontre de la société Air France,

- dire que la CPAM de l'Oise pourra récupérer auprès de la société Air France les indemnités et majorations complémentaires allouées aux ayants droit de M. [RA] au titre de l'action successorale, les indemnités alloués aux ayants droit au titre de leur action personnelle et le capital représentatif des majorations de rente attribuées à Mme [D] et Mme [RA] jusqu'à ses 20 ans.

A l'audience du 14 mars 2022, la cour a soulevé d'office la question de la qualité à agir de Mme [D], concubine, au titre de l'action successorale et du bien-fondé de la demande formée au titre de la réparation du préjudice personnel de M. [RA] dans le cas d'un décès survenu concomitament à l'accident du travail et invité les parties à présenter leurs observations par note en délibéré.

Par note reçue à la cour le 25 mars 2022, les appelantes font valoir que Mme [T] [RA] est l'unique héritière de M. [Y] [RA] en l'absence de dispositions prises par ce dernier et bénéficie d'une rente d'ayant droit notifiée par la caisse le 29 juillet 2015, que si la perte de vie n'est pas en elle-même un préjudice indemnisable, il en va autrement de l'angoisse ressentie par une victime lorsqu'elle a eu conscience de sa fin proche, qui constitue un préjudice de mort imminente l'autolyse par pendaison de M. [RA] dans la maison familiale lui a fait subir un préjudice de mort imminente indemnisable si bien que la demande d'indemnisation de la souffrance morale formulée au titre de l'action successorale apparaît recevable.

Par note reçue le 11 avril 2014, la société Air France indique s'en rapporter à justice sur la qualité d'ayant droit des appelantes et s'agissant du préjudice moral de M. [RA], fait valoir que la demande tendant à réparer le préjudice moral antérieur à l'accident est irrecevable et que l'indemnisation d'un préjudice de mort imminente ne concerne pas les cas de suicide et doit être considérée au moins comme mal fondée.

La CPAM de l'Oise n'a pas fait parvenir à la cour de note en délibéré.

SUR CE, LA COUR :

M. [Y] [RA], salarié de la société Air France depuis le 31 août 1982, a été placé en arrêt de travail pour dépression à partir du mois d'octobre 2009. Il s'est donné la mort le 12 avril 2011 à son domicile.

L'accident du travail et le décès ont été pris en charge par la CPAM de l'Oise au titre de la législation professionnelle par décision du 16 juillet 2014.

Le 29 janvier 2016, Mme [D], sa concubine, et Mme [RA], sa fille, ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Beauvais d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la société Air France, dans la survenance de l'accident du travail et du décès.

Parallèlement, la société Air France a contesté l'opposabilité de la décision de prise en charge en saisissant la commission de recours amiable de la CPAM, puis le tribunal des affaires de sécurité sociale.

Le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais, devenu compétent, a statué par jugement dont appel comme indiqué ci-dessus.

Sur l'action successorale :

En l'absence de disposition testamentaire particulière de M. [Y] [RA], il convient de constater que seule Mme [T] [RA] a la qualité de successible et est donc recevable à agir pour obtenir la réparation du préjudice subi personnellement par son auteur.

Sur le caractère professionnel de l'accident et du décès :

Les premiers juges ont, après avoir rappelé la définition de l'accident du travail au sens de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, au terme d'une exacte appréciation des éléments de fait, de droit et de preuve du dossier, non utilement remise en cause en appel, retenu notamment que l'évolution positive de la carrière de M. [RA] au sein de la société Air France depuis 1982 jusqu'en 2007, la cessation à la fin de l'année 2007 de ses fonctions de chef de division B.747-400 qu'il exerçait depuis août 2005, sa perte de licence de vol en novembre 2010 suite à son inaptitude décidée par le médecin du travail, sa nomination en qualité d'instructeur-contrôleur pilote en mars 2008, la dégradation de son état de santé à partir du mois d'octobre 2009 ayant justifié d'un arrêt de travail pour état dépressif sévère et les hospitalisations, dont celle d'août-septembre 2010, permettaient de retenir que son décès survenu par autolyse le 12 avril 2011 est survenu par le fait ou à l'occasion du travail et revêt donc un caractère professionnel au sens de la législation sur les risques professionnels.

Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.

Sur l'opposabilité de la décision de prise en charge :

Il n'est soutenu en appel par la CPAM aucun moyen ni aucune argumentation de nature à remettre en cause la décision des premiers juges qui ont, après avoir rappelé les dispositions de l'article R.441-11 I alinéa 2 du code de la sécurité sociale dans sa version alors applicable, constaté que la caisse n'a pas justifié de l'envoi à la société Air France, employeur de M. [RA], du double de la déclaration d'accident du travail avant la décision de prise en charge et en ont justement déduit l'inopposabilité à son égard de cette décision.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

Sur la faute inexcusable :

Il ressort de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il appartient aux demandeurs à l'action en faute inexcusable de prouver l'existence de ces éléments.

Les appelantes soutiennent que le changement d'affectation par l'employeur sans explication qui est qualifiée de « démission forcée » de son poste de chef de division B.747-400 a exposé M. [RA] à un risque psychologique à l'origine de la dégradation de son état de santé et en conséquence de son décès.

Il est produit au débat une lettre datée du 20 décembre 2007, dont il n'est pas contesté qu'elle a été signée par M. [RA], remise en main propre le même jour, et rédigée comme suit :

« Je soussigné, [Y] [RA] demande pour raisons personnelles ma remise en ligne temporaire.

D'un commun accord avec la direction du PNT il est convenu que mon préavis débutera le 1er janvier 2008, les deux derniers mois n'étant pas effectués. »

De l'attestation fort longue et détaillée de Mme [L] [Z], salariée d'Air France alors notamment en charge du montage et de l'exécution des affrètements spécifiques et de l'amélioration du transport des passagers à partir de 2003 jusqu'à la fin de l'année 2008, il ressort les grandes compétences professionnelles et humaines de M. [RA] ainsi que sa joie de vivre et l'excellence de ses relations familiales, sa rencontre impromptue avec l'intéressé dans la cafétéria de Roissy mi 2008, sa constatation alors de ce qu'il était devenu, un homme brisé et en proie à un grand désarroi et ses explications sur ce qu'il vivait comme ayant été une déchéance de son poste de direction sans qu'il lui soit reproché de faute à sa connaissance et une véritable destitution sans qu'il ait démérité, Mme [Z] décrivant un homme s'interrogeant en boucle sur les raisons de son éviction et remettant en cause cette décision de ses supérieurs et précisant aussi que ce type de « destitution» est particulièrement rare à sa connaissance au sein d'Air France.

M. [B], pilote de ligne et commandant de bord, collègue de M. [RA] depuis 1997 et intégré dans la division dont celui-ci était responsable en 2001, décrit quant à lui également un professionnel compétent, aimant son travail et créant une ambiance de travail très agréable jusqu'au moment de son éviction de l'encadrement de la division 747-400, qualifiée d'épreuve, et des interrogations de M. [RA] sur les reproches qui lui étaient faits restées sans réponse et sur la dégradation de l'état de santé qui lui a succédé sur un fond d'injustice ressentie.

M. [M] [X], pilote de ligne connaissant M. [RA] depuis 1982, atteste quant à lui que quelques semaines après l'éviction de celui-ci de son poste de chef de division B747, il lui a fait part, ainsi qu'à d'autres amis, de son amertume suite à sa mise à l'écart, du sentiment d'injustice ressenti, de la manière dont elle s'était déroulée qui avait ajouté à un sentiment de trahison et de la perte de sa joie de vivre et de l'enthousiasme avec lesquels il exerçait jusqu'alors ses fonctions, M. [X] précisant qu'à son avis, cet événement a eu un impact considérable sur la vie de son ami et datant « sa longue descente vers la maladie » de ce moment.

M. [J] [RX], également commandant de bord à Air France et ami de M. [RA] depuis 1974, atteste de l'excellence, de la fierté et de l'enthousiasme à exercer ses fonctions de direction de la division 747-200, le fait qu'il a été contraint d'en démissionner, son incompréhension et son sentiment d'injustice, l'échec ressenti suite à cette éviction devenu obsessionnel malgré les quelques mois durant lesquels il est devenu instructeur, le « début [d'une] longue descente aux enfers » à partir de son arrêt de travail en octobre 2009, son apparente remontée fin 2010 à l'occasion de son travail au groupe « trajectoire» malgré un complexe vis-à-vis des plus jeunes en matière informatique et son projet de mariage en juin 2011 avec sa compagne. M. [RX] ajoute que sa maladie a été provoquée par son éviction, son ami étant devenu angoissé, hésitant et remettant toujours tout en question.

M. [H] [K], pilote de ligne connaissant M. [RA] depuis 1974 et aussi salarié d'Air France, atteste de l'évolution du comportement de celui-ci, de modèle de gentillesse et de bonne humeur, connu pour sa volubilité et sa facilité de parole, à, après son éviction du poste de chef de division en décembre 2007, à un individu plus triste, plus renfermé et progressivement dépressif, lui ayant confié que la façon dont il avait été évincé l'avait profondément touché et qu'il ne s'en était jamais remis.

M. [C] [A], pilote de ligne, commandant de bord, de la même promotion 1974 et ami, atteste que M. [RA] était épanoui et heureux dans on poste d'encadrement et qu'à la suite de son éviction brutale, son moral et son comportement ont été dégradés et son caractère altéré, éprouvant de l'amertume et du ressentiment qui le minait.

M. [R] [U], pilote de ligne et en relation amicale et professionnelle depuis 1974, atteste que le limogeage du poste de chef de la division 747-400 de M. [RA] à la fin de l'année 2007 a constitué pour ce dernier un événement traumatisant, qu'il n'arrivait plus à évacuer ce choc, ni à retrouver un sens à son métier.

M. [GJ] [WW], pilote de ligne et en relation amicale et professionnelle depuis 1974, atteste aussi du changement de comportement de M. [RA] en raison de son éjection scandaleuse de son poste « un vendredi soir dans un couloir sans explications sensées en décembre 2007 ».

M. [V] [O], pilote de ligne ayant connu M. [RA] en 1976 à l'Ecole nationale de l'Aviation civile et affecté depuis 2005 dans la division dirigée par lui, atteste de son dynamisme constant, de sa joie de vivre, de son optimisme, de son souci d'aider, de sa droiture, de son honnêteté et de son engagement pour les pilotes de sa division. Il ajoute avoir ressenti la démission forcée de M. [RA] comme injuste et incompréhensible et que ce dernier lui a confié à plusieurs reprises en souffrir profondément, verbalisé aussi alors qu'il était en arrêt de travail avoir perdu toute envie de se battre en ressassant les évènements l'ayant conduit à démissionner.

M. [ZU] [VZ], commandant de bord formé par M. [RA] notamment, atteste de son dévouement et de son implication dans la direction de la division comprenant une équipe de 500 pilotes et mécaniciens navigants, de son «remerciement » en décembre 2007 par la hiérarchie pour « des raisons encore inconnues à ce jour », des signes avant-coureurs de la dépression et de sa longue descente aux enfers durant plus de deux années.

Mme [I] [MF], secrétaire de M. [RA] qui dirigeait alors la division 747-200, puis 747-400, atteste de l'excellence de leurs relations professionnelles et aussi amicales, même après son départ à la retraite en septembre 2007, des raisons inconnues et injustifiées à ce jour pour lesquelles il a dû à la demande de sa hiérarchie quitter ses fonctions, de la description par l'intéressé de sa mise au placard et de sa dépression, de la suspension de sa licence de vol en raison de la dégradation de son état de santé, des fonctions confiées au sein d'un nouveau projet dénommé « trajectoire » qui était totalement étranger au management de pilotes qui lui sont devenues insupportables, ne comprenant pas pourquoi il avait été invité à y travailler et que cette mise à l'index pour des raisons sans doute « politiques » comme il le lui avait confié, sans avoir jamais failli ou reçu de reproche de la direction d'Air France avaient été la cause de son suicide.

Mme [G] [F], ancienne technicienne plannings jusqu'en décembre 2008, Mme [JH], ancienne agent de planning et instruction, et M. [UV] [CD], pilote de ligne de la même promotion 1974, attestent de sa joie de vivre et de son esprit positif jusqu'au retrait de ses fonctions dirigeantes qu'il n'a pas compris et qu'il n'a pas supporté. Mme [JH] précise quant à elle que M. [RA] lui a confié avoir été contraint par ses chefs à signer une lettre de démission.

Sa compagne, Mme [D], sa fille, Mme [T] [RA], appelantes, de très nombreux membres de la famille et de son entourage amical attestent dans des termes similaires du caractère de M. [RA] avant la fin de l'année 2007 et de la dégradation de son état de santé à la suite de cette « démission ».

Des éléments médicaux produits il ressort que son médecin généraliste depuis 2000 n'a jamais constaté chez lui avant 2009 de troubles anxieux ou dépressifs, qu'il a été hospitalisé à la clinique Jeanne d'Arc du 4 janvier au 19 février 2010 pour « depuis cet été, succession de crises d'angoisse, perte de confiance en soi, apparues subitement, un matin au réveil,(...), [l'élaboration] sur des facteurs déclenchants : l'accident de l'Airbus au mois de juin, le décès d'un bébé lors d'un vol. (...) »., qu'il a été de nouveau hospitalisé à l'hôpital Bichat du 10 août au 8 septembre 2010 pour symptomatologie dépressive (« anxiété,ruminations anxieuses, humeur dépressive, idées délirantes de culpabilité, idées d'auto dévalorisations, sentiments d'échec et de honte... »), puis à la clinique d'Epinay pour consolidation de soins jusqu'au 5 novembre 2010, avec évocation par le docteur [E], dans son compte rendu d'hospitalisation d'une « sorte de rumination concernant ce qui lui est arrivé et vis-à-vis de quoi il demeure toujours perplexe : il aurait été mis à l'écart par sa hiérarchie dans une situation de mésentente et de conflit, on lui a demandé de démissionner du poste de responsabilité qui était le sien, ce qu'il a fait. Il s'est trouvé par la suite, envahi par des peurs et des craintes, concernant des tests en anglais qu'il devait passer et dont il ne s'en sentait pas capable, ainsi qu'à l'occasion d'un vol qu'il n'a pu assurer, envahi par une peur panique un peu inexpliquée. » ('). Ce médecin mentionne une évolution plus favorable avec une reprise du travail progressive du travail avec un poste au sol évoquée lors d'un contact avec M. [FM], médecin du travail chez Air France.

Le 15 novembre 2010, M. [P], médecin du travail a émis un avis d'inaptitude temporaire au vol et une aptitude requise en mi-temps thérapeutique durant trois mois.

Il ressort de l'attestation datée du 30 août 2018 de M. [LI], directeur juridique et social d'Air France, qu'il a eu connaissance du départ de l'encadrement opérationnel de M. [RA] en 2008, en raison de divergences profondes avec sa hiérarchie portant notamment sur son souhait de voir réévaluer la rémunération des cadres pilotes jugée par lui insuffisante, ce qui avait été refusé, mais aussi dans sa moindre implication dans ses activités de chef pilote, laissant les cadres pilotes construire eux-mêmes leur planning et donc choisir la répartition entre leurs activités vol et sol, multipliant les heures de vol au détriment de ses fonctions d'encadrement, en sorte que sa hiérarchie a remis en doute sa motivation et son engagement en qualité de chef de division. Il fait état d'un entretien en février 2008 au cours duquel le directeur du personnel navigant technique a annoncé à M. [RA] qu'il souhaitait nommer un nouveau chef de division, l'intéressé demandant alors à ce que son départ soit présenté comme une démission. Il ajoute que quelque temps plus tard, il est tombé malade mais a bénéficié d'un accompagnement et d'un suivi au sein de la compagnie, tant sur le plan médical que sur le plan professionnel et qu'il a toujours été traité avec respect, dignité et empathie.

Cette attestation, outre qu'elle fait état d'informations dont pour grande part l'intéressé ne précise pas d'où il les tient, n'est corroborée par aucun élément probant sur les conditions de cet entretien de février 2008 et est contredite par les affirmations de M. [RA], relayées notamment par M. [WW] dans son attestation précitée, comme d'une éviction s'étant passée dans un couloir un vendredi en décembre 2007. Il convient au demeurant de constater que la lettre de démission est datée du 20 décembre 2007 et non de 2008.

Aucun élément n'est produit sur la prise en charge invoquée sur le plan professionnel et sur le plan médical, à l'exception toutefois à l'automne 2010 du contact entre MM. [E] et [FM], respectivement médecin de la maison de santé d'Epinay sur Seine et médecin du travail pour Air France et de l'envoi par le premier au second de son compte rendu évoqué ci-dessus.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'au terme des seules explications données par la société employeur, M. [RA], jusqu'alors professionnel dont la carrière était sans aucun reproche et avait au contraire connu une évolution plus que positive pour avoir été nommé depuis avril 2000 à un haut poste de responsabilité (chef de division B747, puis B744) s'est trouvé en opposition avec sa hiérarchie sur la fixation de la rémunération de salariés placés sous sa direction et sa manière de servir jugée insuffisante dans ses fonctions particulières d'administration par rapport à ses heures de vol. La signature de la lettre de démission précitée et donc brutale dans des conditions contradictoires s'agissant de sa date et l'absence d'engagement éventuel d'une procédure de sanction disciplinaire ne permettent pas de retenir que la volonté de M. [RA] d'abandonner des fonctions dans lesquelles il excellait selon les nombreux témoignages susvisés a été exprimée sans aucune contrainte. Le caractère courant de la fin d'exercice des fonctions de chef de division, affirmée par la société intimée, n'est aucunement démontré, Mme [Z], attestant sans être utilement contredite, qu'un tel fait est au contraire particulièrement rare au sein de l'entreprise, et ce nonobstant le caractère provisoire ou permanent de l'affectation d'un officier navigant à des fonctions de commandement et/ou de direction rappelé par le préambule du chapitre 3 de la convention d'entreprise du personnel navigant technique et de la possibilité pour la direction de l'entreprise d'y mettre fin à tout moment,

Il s'ensuit que, contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, l'employeur aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié en le privant brutalement des fonctions de chef de division, et n'a pris aucune mesure pouvant être jugée suffisante à le prémunir de cette situation. Sa faute inexcusable dans la survenance de l'accident du travail et du décès sera donc, par infirmation du jugement entrepris, retenue.

Sur les préjudices :

Pour ce qui concerne le préjudice personnel de M. [RA] dont l'indemnisation est poursuivie dans le cadre de l'action successorale dont seule Mme [T] [RA] est titulaire, il doit être rappelé qu'en application des articles L. 452-1, L. 452-3 et L. 452-4 du code de la sécurité sociale, les ayants droit d'un salarié victime d'un accident du travail agissant au titre de l'action successorale ne peuvent prétendre en cas de faute inexcusable de l'employeur à un indemnisation complémentaire que pour les préjudices subis à la suite de l'accident.

Les souffrances morales de M. [RA] dont la réparation est sollicitée ne pouvant qu'être antérieures à l'accident qui a entraîné le décès immédiat, la demande de leur indemnisation est irrecevable.

Mme [W] [D], compagne de très longue date de M. [RA], parent avec lui d'une fille, [T], avec qui il avait de surcroît un projet de mariage, et qui a enfin découvert le corps de son compagnon à leur domicile, est fondée à revendiquer la réparation de son préjudice à hauteur de la somme de 60 000 euros.

Mme [T] [RA], fille de la victime, bouleversée par la disparition de son père et les conditions de celle-ci, est fondée à revendiquer la réparation de son préjudice à hauteur de la somme de 30 000 euros.

Sur l'action récursoire :

La reconnaissance de la faute inexcusable de la société Air France justifie qu'il soit fait droit à l'action récursoire exercée à son encontre par la CPAM de l'Oise pour récupérer les sommes versées aux appelantes en réparation de leur préjudice et aussi le capital représentatif de la majoration de rente servie à Mme [D], concubine survivante, et à Mme [T] [RA], sa fille, jusqu'à ses 20 ans.

Il n'est soutenu aucun argument, ni produit d'éléments par la société Air France, de nature à remettre en cause le montant de la rente telle que calculée par l'organisme de sécurité sociale et notifié à Mme [D]

Sur les autres dispositions :

La société intimée, qui succombe au principal, sera condamnée à supporter les dépens de première instance nés postérieurement au 31 décembre 2018 et les dépens d'appel et à verser à Mmes [D] et [RA], chacune la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition ;

Confirme le jugement entrepris en ses dispositions relatives à la jonction des procédures, au caractère professionnel de l'accident du 12 avril 2011 dont a été victime M. [Y] [RA] et à l'inopposabilité à la société Air France de la décision de prise en charge de la CPAM de l'Oise au titre de législation professionnelle ;

L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau :

Dit que la société Air France a commis une faute inexcusable dans la survenance de l'accident de M. [Y] [RA] du 30 janvier 2015 pris en charge par la CPAM de l'Oise;

Ordonne la majoration de la rente allouée par la CPAM à Mme [W] [D] et Mme [T] [RA] à son taux maximum ;

Fixe à 60 000 euros l'indemnisation du préjudice moral subi par Mme [W] [D] ;

Fixe à 30 000 euros l'indemnisation du préjudice moral subi par Mme [T] [RA] ;

Dit que la CPAM de l'Oise en application des dispositions de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale fera l'avance des sommes dues à Mme [W] [D] et Mme [T] [RA] ;

Dit que la CPAM de l'Oise pourra exercer son action récursoire à l'encontre de la société Air France de toutes les sommes dont elle aura fait l'avance pour l'indemnisation des préjudices subis par Mme [W] [D] et Mme [T] [RA] ;

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne la société Air France aux dépens de première instance nés postérieurement au 31 décembre 2018 et les dépens d'appel et à verser à Mmes [D] et [RA], chacune la somme de 2 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 19/06363
Date de la décision : 27/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-27;19.06363 ?
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