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15/06/2022 | FRANCE | N°21/03959

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Cidp, 15 juin 2022, 21/03959


DÉCISION































COUR D'APPEL D'AMIENS



JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT

STATUANT EN MATIÈRE DE RÉPARATION

DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 15 JUIN 2022





A l'audience publique du 27 Avril 2022 tenue par Madame Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 13 décembre 2021 et saisie en applica

tion des articles 149-1 et suivants du code de procédure pénale,



Assistée de Madame Agnès PILVOIX, Greffier,



Dans la cause enregistrée sous le N° RG 21/03959 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IF2A du rôle général.
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DÉCISION

COUR D'APPEL D'AMIENS

JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT

STATUANT EN MATIÈRE DE RÉPARATION

DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 15 JUIN 2022

A l'audience publique du 27 Avril 2022 tenue par Madame Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 13 décembre 2021 et saisie en application des articles 149-1 et suivants du code de procédure pénale,

Assistée de Madame Agnès PILVOIX, Greffier,

Dans la cause enregistrée sous le N° RG 21/03959 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IF2A du rôle général.

Après communication du dossier et avis de la date d'audience au Ministère public.

ENTRE :

Monsieur [H] [R]

né le [Date naissance 2] 1994 à [Localité 5]

Chez Maître Justine DEVRED

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté, concluant et plaidant par Maître BOUQUET, substituant Me Justine DEVRED, avocat au barreau de SENLIS

ET :

Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Ministère du budget, direction. des affaires juridiques Sous Direction du droit privé

Bureau 2A, TELEDOC 353

[Adresse 3]

Représenté, concluant et plaidant par Me DELVAL de la SELARL DORE TANY BENITAH , avocat au barreau d'Amiens.

EN PRÉSENCE DE :

M. RUOCCO, Avocat général près la Cour d'Appel d'AMIENS.

Après avoir entendu :

- le Conseil du demandeur en ses requête, plaidoirie et observations,

- le Conseil de l'Agent Judiciaire de l'Etat en ses conclusions, plaidoirie et observations,

- Monsieur l'avocat général en ses conclusions et observations,

- le Conseil du demandeur, ayant eu la parole le dernier.

L'affaire a été mise en délibéré conformément à la Loi et renvoyée à l'audience publique du 15 Juin 2022.

A l'audience publique du 15 Juin 2022, Madame la Présidente a rendu la décision suivante :

Par courrier recommandé avec accusé réception enregistrée au greffe de la cour d'appel d'Amiens le 27 juillet 2021, M.[R] a sollicité de la première présidente de la cour d'Appel d'Amiens une indemnisation de 20 000 euros au titre de son préjudice moral, de 9160 euros au titre de son préjudice matériel et de 5000 euros au titre des frais de défense pénale engagée pour la procédure pénale à raison de la détention provisoire subie du 7 avril 2016 au 21 juin 2016, soit 75 jours outre 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'agent judiciaire de l'État, par conclusions enregistrées au greffe le 27 septembre 2021 conclut à l'irrecevabilité de la demande comme formée au delà du délai de 6 mois suivant la décision définitive de relaxe, prononcée par le tribunal correctionnel le 4 janvier 2021.

Subsidiairement, il propose d'accorder à M.[R] la somme de 4000 euros en réparation de son préjudice moral, la somme de 570,80 euros au titre du préjudice matériel, correspondant à 20 % du SMIC pour sa période de détention. Il conclut au rejet de la demande au titre des frais de défense faute de distinction des frais exclusivement consacrés à la détention subie. Il conclut au débouté de la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et subsidiairement à sa réduction à la somme de 1000 euros.

Madame la procureure générale conclut le 24 novembre 2021 à l'irrecevabilité de la requête et subsidiairement propose d'indemniser M.[R] dans les termes proposés par l'agent judiciaire sde l'Etat.

SUR CE:

L'article 149 du code de procédure pénale dispose : Sans préjudice de l'application des dispositions des articles L141-2 et L141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Toutefois, aucune réparation n'est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l'article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne, lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, ou lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites. A la demande de l'intéressé, le préjudice est évalué par expertise contradictoire réalisée dans les conditions des articles 156 et suivants.

Lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander réparation, ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3 (premier alinéa)

En application de l'article R 26 du même code, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R 27, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présenté dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit, ainsi que les dispositions de l'article 149 du code précité.

Il résulte de ces articles qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.

Cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, en lien de causalité direct et certain avec la privation de liberté.

Sur la recevabilité :

M.[R] a été mis en examen dans le cadre d'une information ouverte du chef de vols en bande organisée, détention de produits stupéfiants et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime et placé en détention provisoire à la maison d'arrêt d'[Localité 4] le 7 avril 2016. Il a été placé sous contrôle judiciaire par ordonnance du 21 juin 2016.

Le tribunal correctionnel d'Amiens l'a relaxé des faits reprochés par jugement contradictoire du 4 janvier 2021.

Cependant ce jugement ne vise pas les dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale et n'avise pas l'intéressé de son droit de demander dans un délai de 6 mois l'indemnisation du préjudice moral et matériel résultant de la détention provisoire dont il a fait l'objet.

Le délai de 6 mois n'a donc pas commencé à courir et sa requête enregistrée au greffe de la cour d'appel d'Amiens le 27 juillet 2021 est donc recevable.

Sur les préjudices :

* Le préjudice moral :

Le préjudice moral au sens de l'article 149 du code de procédure pénale résulte du choc carcéral ressenti, au regard des éléments relatifs à sa personnalité et à son mode de vie, par une personne injustement privée de liberté, ce choc carcéral correspondant à l'émotion violente et inattendue provoquée par la perturbation physique et psychique éprouvée par une personne écrouée dans un établissement pénitentiaire.

Ce préjudice peut en outre être aggravé, notamment par une séparation familiale et des conditions d'incarcération particulièrement difficiles en raison de la fragilité de l'intéressé et peut être minoré lorsqu'il avait déjà connu la prison auparavant.

M.[R] sollicite 20 000 euros. Il fait valoir qu'il n'a jamais été condamné en dehors d'une amende pour défaut d'assurance, qu'il n'avait jamais connu la détention, que sa détention s'est déroulée au centre de détention de [Localité 7] qui connait une surpopulation pénale et qu'il s'est retrouvé privé de sa famille avec laquelle il vivait au moment de son incarcération. Il ajoute que compte tenu de la durée de la procédure (5 années), il n'a pu construire sa vie de manière pérenne.

L'agent judiciaire de l'État, reconnaît le préjudice moral subi et ce notamment parce que M.[R] n'avait jamais été incarcéré. Il propose une indemnisation de 4000 euros.

Il convient de retenir notamment pour caractériser le préjudice moral de M.[R] :

- qu'il n'avait jamais été incarcéré

-que les mauvaises conditions de sa détention au sein du centre de détention de [Localité 7] ne sont pas contestées.

En considération de ces éléments, il convient de fixer son préjudice moral à la somme de 4500 euros.

Sur le préjudice économique :

En application des textes précités, la personne dont la requête est recevable a droit à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé la détention provisoire.

Il appartient à celui qui en sollicite l'indemnisation d'établir l'importance de son préjudice.

M.[R] expose que lors de son incarcération il venait de terminer son parcours professionnel et avait obtenu un CAP Boulangerie. Il avait travaillé plusieurs années dans ce domaine et dans d'autres. Il recherchait activement un emploi et à sa sortie n'a pu en trouver un avant le mois de novembre 2016 en dépit de ses recherches actives. Son incarcération a brisé son élan et lui a donné une mauvaise réputation. Il sollicite une indemnisation entre le 5 avril 2016 et le 8 novembre 2016 sur la base du SMIC soit 7 mois à 1230 euros. Il demande en outre à être indemnisé de la perte de chance de commencer à travailler dans des emplois plus importants à hauteur de 1000 euros soit 9610 euros au total.

L'agent judiciaire de l'État s'oppose à l'indemnisation sollicitée. Il soutient que :

- M.[R] ne peut solliciter que l'indemnisation de la perte de chance de percevoir des revenus laquelle n'ouvre droit qu'à une indemnisation proportionnelle à la probabilité de réalisation de la chance perdue,

- il ne communique aucun élément permettant de constater la certitude de la perte qu'il invoque.

- ainsi compte tenu de la durée de détention de 75 jours, la perte de chance subie doit être évaluée à 20 % des salaires moyens allégués : soit 570,80 euros.

En l'espèce, M.[R] ne justifie par aucune pièce de sa situation lors de l'incarcération, ni de sa formation ou de ses emplois avant celle-ci.

En l'absence de ces éléments et compte tenu de la durée de la détention provisoire et du temps normalement nécessaire pour un jeune homme de 22 ans titulaire d'un CAP Boulangerie pour trouver un emploi dans ce domaine d'activité peut être évaluée à 2 mois.

Mais M.[R] ne justifie par aucune pièce avoir recherché en vain un emploi à l'issue de l'incarcération.

Il convient donc de lui accorder comme proposé par l'agent judiciaire de l'Etat, une somme corrspondant à 20 % du SMIC mais pour la période de sa détention augmentée de 2 mois (60 jours) soit 20 % de la somme de 38,05 *135 jours: 1027,35 euros.

Les frais de défense :

M.[R] sollicite la somme de 5000 euros en réparation de son préjudice matériel correspondant aux frais qu'il a dû exposer pour ses frais de défense pour : l'assistance à garde à vue, l'assistance à [6], les visites en détention, l'étude du dossier, l'assistance à interrogatoire et confrontation, la demande de mise en liberté et l'assistance à l'audience de jugement.

L'agent judiciaire de l'Etat s'oppose à cette demande, relevant qu'aucun document produit ne permet de s'assurer que les frais dont le paiement est sollicité sont directement et exclusivement liés à la détention subie.

Il est de jurisprudence constante que les frais de défense indemnisables par la commission sont ceux directement et exclusivement liés à la détention subie.

En l'espèce, aucune pièce versée aux débats n'établit que la somme sollicitée a effectivement été réglée dans le cadre du contentieux de la liberté. Au contraire il doit être relevé que la requête vise sans distinction les actes de défense au fond et les actes liés au contentieux de la détention, il convient donc de débouter M.[R] de sa demande de ce chef.

Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

L'équité justifie l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de la somme de 1500 euros.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement par décision susceptible de recours devant la commission nationale de réparation des détentions,

Déclare la requête de M.[R] recevable,

Alloue à M.[R] les sommes de :

- 4 500 euros en réparation de son préjudice moral,

- 1 027,35 euros en réparation de son préjudice matériel,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Le déboute du surplus de ses demandes,

Rappelle que la présente décision est assortie, de plein droit de l'exécution provisoire,

Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

FAIT ET PRONONCE à l'audience publique tenue par Madame Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 13 décembre 2021, siégeant au Palais de Justice de ladite ville, le 15 Juin 2022.

Assistée de Madame Agnès PILVOIX, Greffier,

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Cidp
Numéro d'arrêt : 21/03959
Date de la décision : 15/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-15;21.03959 ?
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