DÉCISION
N°
COUR D'APPEL D'AMIENS
JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT
STATUANT EN MATIÈRE DE RÉPARATION
DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 15 JUIN 2022
A l'audience publique du 27 Avril 2022 tenue par Madame Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 13 décembre 2021 et saisie en application des articles 149-1 et suivants du code de procédure pénale,
Assistée de Madame Agnès PILVOIX, Greffier,
Dans la cause enregistrée sous le N° RG 21/03318 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IERU du rôle général.
Après communication du dossier et avis de la date d'audience au Ministère public.
ENTRE :
Monsieur [J] [E]
né le [Date naissance 1] 1990 à [Localité 6]
Chez Mme [I] [E]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Ayant pour conseil, Me Philippe OHAYON, avocat au barreau de PARIS
ET :
Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Ministère du budget, direction. des affaires juridiques Sous Direction du droit privé
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représenté, concluant et plaidant par Me DELVAL de la selarl DORE-TANY-BENITAH, avocat au barreau d'Amiens.
EN PRÉSENCE DE :
M. RUOCCO, Avocat général près la Cour d'Appel d'AMIENS.
Après avoir entendu :
- le Conseil de l'Agent Judiciaire de l'Etat en ses conclusions, plaidoirie et observations,
- Monsieur l'avocat général en ses conclusions et observations,
L'affaire a été mise en délibéré conformément à la Loi et renvoyée à l'audience publique du 15 Juin 2022.
A l'audience publique du 15 Juin 2022, Madame la Présidente a rendu la décision suivante :
Par courrier recommandé avec accusé réception enregistrée au greffe de la cour d'appel d'Amiens le 5 juillet 2021, M.[E] a sollicité de la première présidente de la cour d'Appel d'Amiens une indemnisation de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, de 3100 euros au titre de son préjudice matériel correspondant aux frais engagés dans le cadre de la détention provisoire subie pendant 18 mois outre 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'agent judiciaire de l'État, par conclusions enregistrées au greffe le 27 septembre 2021 conclut à l'irrecevabilité de la demande en l'absence de certificat de non appel.
Subsidiairement, il fait valoir que la détention provisoire de M.[E] dans cette procédure s'est déroulée du 5 décembre 2017 au 28 avril 2018 soit durant 4 mois et 22 jours, M.[E] ayant été détenu pour d'autres causes sur les restes de la période sur laquelle il fonde sa requête.
Il propose d'accorder à M.[E] la somme de 9000 euros en réparation de son préjudice moral. Il conclut au rejet de la demande au titre des frais de défense faute de justification de la somme réclamée et au débouté de la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et subsidiairement à sa réduction à la somme de 500 euros.
Madame la procureure générale conclut 1e 10 novembre 2021 à l'irrecevabilité de la requête et subsidiairement propose d'indemniser M.[E] dans les termes proposés par l'agent judiciaire sde l'Etat.
SUR CE:
L'article 149 du code de procédure pénale dispose : Sans préjudice de l'application des dispositions des articles L141-2 et L141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Toutefois, aucune réparation n'est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l'article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne, lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, ou lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites. A la demande de l'intéressé, le préjudice est évalué par expertise contradictoire réalisée dans les conditions des articles 156 et suivants.
Lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander réparation, ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3 (premier alinéa
En application de l'article R 26 du même code, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R 27, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présenté dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit, ainsi que les dispositions de l'article 149 du code précité.
Il résulte de ces articles qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.
Cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, en lien de causalité direct et certain avec la privation de liberté.
Sur la recevabilité :
M.[E] a été mis en examen :
- le 28 mai 2016 dans une information judiciaire ouverte au tribunal judiciaire de Lille et placé en détention provisoire. Cette détention provisoire a été prolongée le 16 mai 2017 pour 6 mois puis le 18 octobre 2017 pour 6 mois.
- le 26 octobre 2016, d'une information ouverte du chef de vols en bande organisée, détention de produits stupéfiants et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime et placé en détention provisoire. Le mandat de dépôt a été prolongé le 18 octobre 2017 pour 6 mois, puis le 11 avril 2018 pour 6 mois. Il a été placé sous contôle judiciaire par arrêt de la la cour d'appel d'Amiens le 27 avril 2018.
- le 17 novembre 2017 dans la cadre d'une autre procédure criminelle avec mandat de dépôt et mise en liberté le 5 décembre 2017.
Le tribunal correctionnel d'Amiens l'a relaxé des faits pour lesquels il était mis en examen le 26 octobre 2016 par jugement contradictoire du 4 janvier 2021.
Il résulte de sa fiche pénale, que M.[E] a été détenu dans cette procédure du 5 décembre 2017 ( date de sa mise en liberté dans la seconde procédure criminelle) au 27 avril 2018 (date de son placement sous contôle judiciaire par arrêt de la la cour d'appel d'Amiens) : soit 4 mois et 22 jours.
Sa requête enregistrée au greffe de la cour d'appel d'Amiens le 5 juillet 2021 est donc recevable.
Sur les préjudices :
* Le préjudice moral :
Le préjudice moral au sens de l'article 149 du code de procédure pénale résulte du choc carcéral ressenti, au regard des éléments relatifs à sa personnalité et à son mode de vie, par une personne injustement privée de liberté, ce choc carcéral correspondant à l'émotion violente et inattendue provoquée par la perturbation physique et psychique éprouvée par une personne écrouée dans un établissement pénitentiaire.
Ce préjudice peut en outre être aggravé, notamment par une séparation familiale et des conditions d'incarcération particulièrement difficiles en raison de la fragilité de l'intéressé et peut être minoré lorsqu'il avait déjà connu la prison auparavant.
M.[E] sollicite 35 000 euros en faisant valoir qu'il a été détenu 18 mois dans des conditions particulièrement difficiles à la maison d'arrêt de [Localité 5], conditions dénoncées par le contrôleur des lieux de privation de liberté, qu'il a vécu difficilement la séparation d'avec sa famille et notamment de sa mère, son seul parent depuis le décès de son père. Il reste marqué par sa détention et est en proie à de nombreux troubles du sommeil.
Il sollicite en outre 15 000 euros en indemnisation du préjudice moral subi par le choc de la peine encourue alors qu'il se savait innocent.
L'agent judiciaire de l'État, rappelle que M.[E] a été détenu dans cette procédure pendant 4 mois et 22 jours et non pendant 18 mois. Il reconnaît le préjudice moral subi et propose une indemnisation de 9000 euros.
Il convient de retenir notamment pour caractériser le préjudice moral de M.[E] qui ne justifie pas de la situation familiale ou psychologique qu'il invoque :
- qu'il était déjà incarcéré lorsque le mandat de dépôt a été délivré à son encontre,
- qu'il avait déjà été condamné,
- que les mauvaises conditions de sa détention au sein de la maison d'arrêt de [Localité 5] ne sont pas contestées.
- que la gravité de la peine encourue dans cette procédure était en tout état de cause bien moindre que celle des procédures criminelles dans lesquelles il avait été détenu et n'est pas en lien direct avec la détention provisoire.
En considération de ces éléments, il convient de fixer son préjudice moral à la somme de 9000 euros.
Sur les frais de défense :
M.[E] sollicite la somme de 3100 euros en réparation de son préjudice matériel correspondant aux frais qu'il a dû exposer pour ses frais de défense
L'agent judiciaire de l'Etat s'oppose à cette demande, relevant qu'aucun document produit ne permet de s'assurer que les frais dont le paiement est sollicité sont directement et exclusivement liés à la détention subie : il ne verse aux débats aucune facture acquittée ni aucune convention d'honoraires.
Il est de jurisprudence constante que les frais de défense indemnisables par la commission sont ceux directement et exclusivement liés à la détention subie.
En l'espèce, aucune pièce versée aux débats n'établit que la somme sollicitée a effectivement été réglée dans le cadre du contentieux de la liberté. Il convient donc de débouter M.[E] de sa demande de ce chef.
Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
L'équité justifie l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de la somme de 1000 euros.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement par décision susceptible de recours devant la commission nationale de réparation des détentions,
Déclare la requête de M.[E] recevable,
Alloue à M.[E] les sommes de :
- 9 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Le déboute du surplus de ses demandes,
Rappelle que la présente décision est assortie, de plein droit de l'exécution provisoire,
Laisse les dépens à la charge du Trésor public.
FAIT ET PRONONCE à l'audience publique tenue par Madame Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 13 décembre 2021, siégeant au Palais de Justice de ladite ville, le 15 Juin 2022.
Assistée de Madame Agnès PILVOIX, Greffier,
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE.