ARRET
N° 364
CPAM CÔTE D'OPALE
C/
[S]
RD
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 02 JUIN 2022
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N° RG 20/02353 - N° Portalis DBV4-V-B7E-HXD2
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE (Pôle Social) EN DATE DU 27 février 2020
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
La CPAM CÔTE D'OPALE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
35 rue René Descartes
CS 90001
62108 CALAIS CEDEX
Représentée et plaidant par Mme [J] [P] dûment mandatée
ET :
INTIME
Monsieur [M] [S]
120 rue du Mont d'Ostrhove
62280 SAINT MARTIN BOULOGNE
Comparant en personne
DEBATS :
A l'audience publique du 13 Janvier 2022 devant Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 05 Avril 2022.
Le délibéré de la décision initialement prévu au 05 Avril 2022 a été prorogé au 02 Juin 2022.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Charlotte RODRIGUES
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Monsieur Renaud DELOFFRE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Elisabeth WABLE, Président,
Mme Graziella HAUDUIN, Président,
et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 02 Juin 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Elisabeth WABLE, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
Monsieur [M] [S] a été victime d'un accident du travail le 2 mars 2015 suivant certificat médical initial du même jour faisant état d'un " traumatisme poignet droit, attelle plâtrée -2 coudes- douleurs cervicales, traumatisme thoracique ".
La consolidation de son état de santé est intervenue le 30 août 2018.
le praticien conseil de la caisse primaire d'assurance maladie de la côte d'opale a évalué le taux d'incapacité subsistant à la date de la consolidation à 5 %, estimant que Monsieur [M] [S] présentait des séquelles " d'un traumatisme cervical avec douleur violente du cou irradiant au crâne et au membre supérieur droit, sans lésion osseuse ou disco ligamentaire initiale documentée, sans complication neurologique à l'examen clinique; caractérisées par une limitation fonctionnelle douloureuse légère des amplitudes du rachis cervical justifiant un traitement médical antalgique au long cours ".
La caisse primaire d'assurance maladie a, par décision du 31 octobre 2018, notifié à l'intéressé le taux de 5% ainsi retenu par son praticien-conseil.
Par courrier reçu le 10 novembre 2018, Monsieur [M] [S] a saisi le tribunal du contentieux de l'incapacité de Lille afin de contester cette décision et voir réviser ce taux d' incapacité.
Le dossier de la procédure a été transféré au tribunal judiciaire de Lille, conformément au décret n°2018-772 du 04 septembre 2018, qui désigne le tribunal de grande instance de Lille pour connaître des contentieux qui étaient traités par le tribunal du contentieux de l'incapacité de Lille lequel a été supprimé le 31 décembre 2018 et conformément au décret n° 2019-912 du 30 août 2019 instaurant le tribunal judiciaire.
A l'audience du Tribunal, Monsieur [M] [S] soutient sa demande et fait valoir qu'il travaille à temps plein en qualité de plâtrier. Il précise cependant qu'il ne peut plus travailler seul depuis son accident, qu'il ne peut plus porter de plaques et qu'il n'est plus en capacité de faire les travaux au plafond. Il ajoute qu'il ne peut plus faire aucun sport et que son accident est à l'origine d'un état dépressif
La représentante de la caisse primaire d'assurance maladie de la côte d'opale demande la confirmation de la décision initiale reposant sur le taux fixé par le médecin en fonction du guide barème. Elle précise que l'état dépressif de Monsieur [S] n'a pas été reconnu comme une séquelle indemnisable de son accident du travail.
Le Tribunal, après en avoir délibéré et s'estimant insuffisamment informé, décide en application de l'article R 142-16 du code de la sécurité sociale, de désigner le Docteur [T], médecin consultant présent à l'audience, avec pour mission :
d'examiner le demandeur ainsi que l'ensemble des document médicaux fournis,
de fournir tout élément d'appréciation de l'état médical du demandeur,
déterminer le taux d'incapacité permanente du demandeur à la date de consolidation.
Le médecin consultant, saisi oralement de sa mission, a entrepris de l'exécuter aussitôt dans une salle séparée, jouxtant la salle d'audience et affectée spécialement à la consultation médicale.
Au retour de cette consultation, ce praticien en rend compte comme suit en présence des parties revenues en salle d'audience :
" Monsieur [S] a été victime le 2 mars 2015 d'un polytraumatisme. Il a fait une chute dans les escaliers; ont été noté un traumatisme du poignet droit, des douleurs cervicales et thoraciques, un traumatisme crânien, un traumatisme des coudes. La lésion principale a été finalement le traumatisme cervical qui s'est manifesté par des douleurs intenses, une raideur et des irradiations aussi bien vers le crâne que vers le membre supérieur droit. Le traitement a été fait d'infiltrations et de différentes explorations qui n'ont pas montré de lésion particulière en dehors d'un étalement discal C6C7 et d'une anomalie radiologique intra médullaire qualifiée de syringomyélie, puis un peu plus tard par le Professeur [N] d'hématomyélie pouvant être traumatique mais de circonstances incertaines. Le médecin conseil dans ses conclusions, après un examen clinique complet, a bien fait la part des choses en éliminant comme conséquence de l'accident du travail le problème discal C6C7 connu antérieurement et l'anomalie faciale qui sera plus tard opérée. Il maintenait par contre dans l'imputabilité, donc dans les conséquences indemnisables, le syndrome cervical douloureux et les irradiations dans le membre supérieur droit dont les origines n'ont jamais été bien déterminées sauf peut-être par le Professeur [N] qui évoquait un étirement du plexus-cervical. Toujours est-il qu'à la date de la consolidation Monsieur [S] prenait encore 4 à 5 comprimés de Daffalgan codéiné, 20 gouttes de laroxyl le soir et traitait également une réaction dépressive par paroxétine et bille qui n'a jamais été prise en compte comme conséquence de l'accident du travail. Le barème, pour des douleurs cervicales post traumatiques qualifiées de discrètes, propose un taux de 5% à 15%. Or Monsieur [S] a été indemnisé au taux de 5% ce qui reviendrait à dire que les douleurs discrètes sont très discrètes alors que le sujet prend 4 à 5 daffalgan codéiné, du laroxyl et un traitement antidépresseur. Pour ma part, j'estime que le taux devrait être au minimum de 10 % compte tenu de ses explications ".
Par jugement en date du 27 février 2020, le Tribunal a décidé ce qui suit :
Statuant contradictoirement, publiquement et en premier ressort,
DÉCLARE recevable et bien fondé le recours de Monsieur [M] [S] ;
FIXE le taux d'incapacité permanente partielle de Monsieur [M] [S] à la date de consolidation, soit le 30 août 2018, à 10 %.
CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie de la côte d'opale aux dépens de la présente instance ;
RAPPELLE que les frais résultant de l'expertise sont pris en charge par la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés ;
DIT qu'en application de l'article R 142-10-7 du code de la sécurité sociale le jugement sera notifié à chacune des parties ;
RAPPELLE que cette décision est susceptible d'appel dans les conditions fixées par les articles 528 et suivants du code de procédure civile et des décrets du 4 septembre 2018 et 29 octobre 2018.
Le jugement est motivé comme suit :
En l'espèce, le tribunal considère que le rapport du médecin consultant est complet et dépourvu d'ambiguïté et qu'il se réfère de façon précise au barème indicatif d'invalidité AT/MP annexé au code de la sécurité sociale. Il résulte de ce rapport que les douleurs dont souffrent Monsieur [S] ont été sous-évaluées par le médecin conseil qui a attribué le taux minimum préconisé par le barème. Or il ressort de l'examen du médecin consultant que les douleurs dont Monsieur [S] souffre sont avérées et justifient l'augmentation du taux attribué.
L'état dépressif dont Monsieur [S] déclare souffrir ne peut néanmoins être pris en compte pour fixer son taux d'incapacité dans la mesure où le lien entre sa dépression et son accident du travail n'a pas été reconnu. Il lui appartiendra, s'il le souhaite, de se rapprocher de la caisse pour que cette séquelle soit rattachée à son accident du travail.
Par conséquent, il convient d'entériner le rapport du médecin consultant et de fixer le taux d'incapacité de Monsieur [M] [S], à la date de consolidation, à 10 %.
Dans ces conditions, il est médicalement et juridiquement établi que la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de retenir un taux de 5 % est erronée ce dont il résulte qu'il doit être fait droit à la demande de Monsieur [M] [S] et qu'un taux de 10 %, conforme au taux préconisé par le médecin présent à l'audience, doit être fixé.
Notifié à la caisse le 2 mars 2020, ce jugement a fait l'objet d'un appel de cette dernière par courrier non signé et dont l'auteur n'est pas identifié expédié au greffe de la Cour le 15 juin 2020.
Par conclusions visées par le greffe le 15 juillet 2021 et soutenues oralement par sa représentante, la caisse demande à la Cour :
D'INFIMER le jugement du Tribunal Judiciaire - Pôle Social - de LILLE en date du 27 février 2020,
DE RECEVOIR la CPAM COTE D'OPALE en son appel, l'en déclarer bien fondée, et y faire droit,
En conséquence,
DE CONFIRMER le taux fixé à 5% pour les séquelles imputables à l'accident du travail de Monsieur [S] [M] du 02/03/2015, consolidé le 30/08/2018.
Elle fait valoir que le médecin conseil a retenu, pour fixer le taux à 5% :
- des séquelles d'un traumatisme avec douleur violente du cou irradiant au crâne et au membre supérieur droit, sans lésion osseuse ou disco ligamentaire initiale documentée, sans complication neurologique à l'examen clinique, caractérisées par une limitation fonctionnelle douloureuse légère des amplitudes du rachis cervical justifiant un traitement médical antalgique au long cours.
Le médecin consultant du Tribunal a, quant à lui, proposé un taux plus élevé (10%) pour, notamment, un état dépressif associé consécutif au fait accidentel.
Cependant il convient de souligner que, dans le cadre de la législation sur les accidents de travail, on tient compte, pour évaluer les séquelles :
* des lésions médicales initiales précisées sur le CMI (Certificat Médical Initial),
* des éventuelles lésions nouvelles mentionnées sur les certificats de prolongations ayant fait l'objet d'une interrogation et d'un accord de prise en charge au titre du risque professionnel par le Service Médical
* du CMF (Certificat Médical Final), descriptif des séquelles à la consolidation.
Ainsi, en l'espèce, l'état dépressif associé que présente Monsieur [S] n'a jamais été évoqué sur l'un des certificats médicaux de prolongations établis au cours de l'indemnisation de cet accident du travail du 02/03/2015.
La Caisse n'a, en conséquence, jamais interrogé I'ELSM sur cette " lésion nouvelle "pour une éventuelle imputabilité de celle-ci au titre de l'accident du 02/03/2015, comme elle a pu le faire pour les lésions : Névralgie cervico brachiale et névralgie cervico scapulaire (Pièces n°3/2 et 3/6).
Les séquelles de cet état dépressif ne peuvent donc pas être indemnisées au titre de l'accident du travail du 02/03/2015, puisqu'il n'a pas été établi que cet état était imputable à l'accident, qui nous occupe.
Monsieur [M] [S] a indiqué qu'il n'est pas d'accord avec le fait que son état dépressif n'ait pas été pris en compte, qu'il aurait dû fournir un certificat de prolongation et il indique solliciter 100 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ce à quoi la caisse s'est opposée.
MOTIFS DE L'ARRET.
Attendu qu'aux termes de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, " le taux d'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle compte tenu du barème indicatif d'invalidité " ;
Attendu que le paragraphe 3.1 du barème indicatif, traitant des atteintes du rachis cervical, prévoit :
Persistance de douleurs et gêne fonctionnelle qu'il y ait ou non séquelles de fracture d'une pièce vertébrale:
* Discrètes5 à 15
* Importantes15 à 30
* Très importantes séquelles anatomiques et fonctionnelles40 à 50.
Attendu qu'il résulte de l'article R. 143-2 du code de la sécurité sociale applicable à l'époque de la décision litigieuse que dans les rapports entre la caisse et l'assuré en l'absence de décision expresse ou implicite (par homologation de l'avis de son praticien-conseil ) émanant de la caisse primaire ou d'une décision judiciaire reconnaissant l'imputabilité à la maladie professionnelle d'une lésion nouvelle, il ne peut être tenu compte de la séquelle alléguée dans l'évaluation du taux d'incapacité permanente ( en ce sens qu'en l'absence de prise en charge au titre de la législation professionnelle il ne peut être tenu compte des conséquences de la pathologie dans l'évaluation des séquelles 2e Civ., 23 janvier 2020, pourvoi n° 18-24.718 Civ 2e., 8 novembre 2018, pourvoi n° 17-27.103 - 2e Civ., 8 novembre 2012, n° 11-24.429 / En sens contraire 2e , 19 janvier 2017, n° 16-11.053 ; 2e Civ., 21 décembre 2017, pourvoi n° 16-27.226 et 2e Civ., 14 mars 2019, pourvoi n° 17-31.163 dont il résulte que saisie de la contestation du taux d'incapacité permanente partielle retenu après consolidation, il appartient à la Cour Nationale de se prononcer sur l'ensemble des éléments concourant à la fixation de celui-ci ).
Attendu qu'en l'espèce, il n'existe aucune décision expresse de la caisse se prononçant sur un état dépressif associé et il n'existe non plus aucune décision de la caisse retenant implicitement cette lésion par adoption de l'évaluation de son médecin-conseil puisque ce dernier n'a retenu au titre des séquelles qu'un syndrome cervical douloureux et des irradiations dans le membre supérieur droit et n'a pas tenu compte de cet état dépressif dans son évaluation, l'intéressé n'ayant d'ailleurs pas adressé de certificat de prolongation le mentionnant.
Qu'il n'existe pas non plus de décision judiciaire reconnaissant l'imputabilité à l'accident de cette nouvelle lésion invoquée par l'intéressé.
Qu'il s'ensuit que cet état dépressif ne peut être pris en compte dans l'évaluation des séquelles.
Attendu cependant que contrairement à ce que soutient la caisse et comme l'a à juste titre retenu le Tribunal, le médecin-consultant n'a pas pris en compte la dépression de Monsieur [S] dans les séquelles de son accident mais uniquement les douleurs en insistant sur le fait qu'elles ne pouvaient être considérées comme très discrètes compte tenu de ce que l'intéressé prenait 4 à 5 daffalgan codéiné, du laroxyl et un traitement antidépresseur, retenant ainsi la prise de ces médicaments comme un marqueur de l'intensité des douleurs et non pour caractériser un état dépressif et en tenir compte dans son évaluation.
Attendu qu'il résulte des constatations du médecin-consultant désigné par le Tribunal que compte tenu de ce que la victime est atteinte, d'un syndrome cervical douloureux et d'irradiations dans le membre supérieur droit et qu'elle subit des douleurs ne pouvant être qualifiées de discrètes le taux litigieux doit être fixé à 10 %.
Que cette évaluation prend en compte le barème indicatif d'invalidité, avec lequel elle est cohérente, et qu'elle est étayée et motivée.
Que la Cour entend dans ces conditions la faire sienne et confirmer par voie de conséquence le jugement déféré.
Que la Caisse succombant en ses prétentions, il convient de confirmer les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et, y ajoutant, de condamner la caisse aux dépens d'appel et à la somme de 100 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Que conforme aux prévisions de l'article L.142-11, le jugement sera également confirmé en ses dispositions rappelant que les frais de l'expertise doivent être mis à la charge de la caisse nationale d'assurance maladie.
PAR CES MOTIFS.
La Cour, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de la côte d'opale à la somme de 100 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens d'appel.
Le Greffier,Le Président,