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23/05/2022 | FRANCE | N°20/00162

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 23 mai 2022, 20/00162


ARRET

N°321





FIVA





C/



Société EDF



CAISSE NATIONALE DES INDUSTRIES ELECTRIQUES ET GAZIERES

CPAM DES FLANDRES





CM





COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 23 MAI 2022



*************************************************************



N° RG 20/00162 - N° Portalis DBV4-V-B7E-HTNH



JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE - POLE SOCIAL - DE DOUAI EN DATE DU 12 janvier 202

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PARTIES EN CAUSE :





APPELANT





FIVA agissant poursuites et diligences de son représentant légal pour ce domicilié en cette qualité audit siège

Tour Altaïs

1 Place Aimé Césaire - CS 70010

93102 MONTREUIL CEDEX...

ARRET

N°321

FIVA

C/

Société EDF

CAISSE NATIONALE DES INDUSTRIES ELECTRIQUES ET GAZIERES

CPAM DES FLANDRES

CM

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 23 MAI 2022

*************************************************************

N° RG 20/00162 - N° Portalis DBV4-V-B7E-HTNH

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE - POLE SOCIAL - DE DOUAI EN DATE DU 12 janvier 2020

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

FIVA agissant poursuites et diligences de son représentant légal pour ce domicilié en cette qualité audit siège

Tour Altaïs

1 Place Aimé Césaire - CS 70010

93102 MONTREUIL CEDEX

Représenté et plaidant par Me Morgane DELANNOY substituant Me Mario CALIFANO de l'ASSOCIATION CALIFANO-BAREGE-BERTIN, avocat au barreau de LILLE, vestiaire : 0172

ET :

INTIMEE

Société EDF agissant poursuites et diligences de son représentant légal pour ce domicilié en cette qualité audit siège

MP [X] [P]

22/30 avenue de Wagram

75008 PARIS

Représentée et plaidant par Me Marie TOISON substituant Me Sophie BRASSART de l'ASSOCIATION Toison - Associés, avocat au barreau de PARIS

PARTIE INTERVENANTE S

CAISSE NATIONALE DES INDUSTRIES ELECTRIQUES ET GAZIERES

20 rue des Français Libres

BP 60415

44204 NANTES CEDEX 2

Non représentée

Avis de renvoi envoyé par lettre simple le 27 mai 2021

CPAM DES FLANDRES agissant poursuites et diligences de son représentant légal pour ce domicilié en cette qualité audit siège

2 rue de la Batellerie

CS 94523

59386 DUNKERQUE CEDEX 1

Représentée et plaidant par Mme [S] [Z] dûment mandatée

DEBATS :

A l'audience publique du 20 Janvier 2022 devant Mme Chantal MANTION, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Blanche THARAUD

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Chantal MANTION en a rendu compte à la Cour composée en outre de:

Madame Jocelyne RUBANTEL, Président,

Mme Chantal MANTION, Président,

et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 28 avril 2022, le délibéré a été prorogé au 23 mai 2022.

Le 23 Mai 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Madame Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Blanche THARAUD, Greffier.

*

* *

DECISION

A la suite de la prise en charge du décès de [X] [P] survenu le 12 décembre 2011 et de l'indemnisation des ayants droits, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) en qualité de subrogé, a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Douai d'une action tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la société EDF.

Le tribunal de grande instance de Douai étant devenu compétent, par jugement du 20 décembre 2019 rendu au contradictoire de la société EDF, de la CPAM des Flandres et de la Caisse Nationale des industries électriques et gazières (CNIEG) , le tribunal a:

- déclaré le FIVA, subrogé dans les droitd des consorts [P], recevable en son action,

- rejeté la demande du FIVA, subrogé dans les droits des consorts [P], de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur,

- débouté en conséquence le FIVA de ses demandes,

- condamné le FIVA à payer la somme de 1000 euros à la société EDF au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné le FIVA aux entiers dépens.

Le FIVA a formé appel par déclaration reçue le 9 janvier 2020 au greffe de la cour, intimant la société EDF.

Par assignation en date du 7 mai 2020, la société EDF a mis en cause la CNIEG aux fins de la voir condamnée à faire l'avance des sommes indemnitaires auprès du FIVA, dans l'hypothèse d'une reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Le FIVA et la société EDF ont comparu et pris des conclusions développées oralement à l'audience de la cour du 20 janvier 2022.

Le FIVA demande à la cour de:

- réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau,

- juger recevable la demande du FIVA subrogé dans les droits des ayants droit M. [P],

- juger que la maladie professionnelle de M. [P] est la conséquence de la faute inexcusable de la société EDF,

- fixer à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de la victime, en application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale et juger que cette majoration lui sera versée directement par l'organisme de sécurité sociale,

- fixer l'indemnisation des préjudices personnels de M. [P] à la somme de 120 900 euros se décomposant comme suit:

Souffrances morales 73 500 euros

Souffrances physiques23 700 euros

Préjudice d'agrément23 700 euros

- fixer l'indemnisation des préjudices moraux des ayants droit à la somme totale de 59 800 euros se décomposant comme suit:

Mme [L] [P] (veuve)32 600 euros

M. [T] [P] (enfant au foyer)15 200 euros

Mme [I] [P] ( enfant) 8 700 euros

M. [G] [A] ( petit enfant) 3 300 euros

- juger que la CNIEG devra verser ces sommes au FIVA, soit au total 180 700 euros,

- condamner la société EDF à payer au Fiva la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société EDF demande à la cour de:

- constater qu'elle a pris toutes les mesures nécessaires en conformité avec ses obligations et qu'aucune faute inexcusable ne lui est imputable,

- confirmer le jugement du (Pôle social) du tribunal de Douai en date du 20 décembre 2019,

- débouter le FIVA de l'intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire,

- juger qu'EDF en sa qualité d'employeur de M. [P] n'a pas commis de faute inexcusable au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale dans la mesure où elle n'a pas exposé fautivement son salarié et n'avait pas conscience du danger,

- débouter le FIVA de l'intégralité de ses demandes,

A titre trés subsidiaire,

- juger que le lien de causalité entre la pathologie de M. [P] et une éventuelle faute d'EDF n'est pas établi,

- débouter le FIVA de l'intégralité de ses demandes,

A titre infiniment subsidiaire,

- juger que le FIVA n'établit pas l'importance des préjudices qu'il invoque et en conséquence, ramener les demandes d'indemnisation à de plus justes proportions,

- juger que les dépenses liées à la maladie de M. [P] seront imputées sur le compte spécial de la Carsat par application de l'article D.242-6, 3ème alinéa du code de la sécurité sociale,

- juger que les indemnités et majorations consécutives à la reconnaissance de la faute inexcusable seront, le cas échéant, supportées par la CNIEG qui pourra en récupérer le montant auprès des employeurs dont la faute inexcusable est établie au prorata du temps d'exposition aux risques liés à l'amiante,

En tout état de cause,

- condamner la CNIEG à faire l'avance des sommes indemnitaires auprès de l'appelant dans l'hypothèse d'une reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur,

- condamner le FIVA au paiement de la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La caisse primaire d'assurance maladie des Flandres qui est intervenue volontairement demande à la cour de:

Sur la demande d'inscription au compte spécial:

- dire et juger qu'il s'agit d'une prétention nouvelle en cause d'appel,

- en conséquence, déclarer la demande irrecevable,

Sur la demande de faute inexcusable,

- direr et juger que la faute inexcusable ne peut être retenue que si le caractère professionnel de la maladie est confirmé,

- sous cette réserve, donner acte à la

caisse primaire d'assurance maladie des Flandres de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur les mérites de la demande de reconnaissance de la faute inexcusable,

En cas de reconnaissance de la faute inexcusable,

- donner acte à la caisse primaire d'assurance maladie des Flandres de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur les demandes indemnitaires,

- constater qu'aucune demande relative au versement de la majoration de la rente ou des préjudices n'est formulée à l'encontre de la caisse primaire d'assurance maladie des Flandres,

En tout état de cause,

- dire et juger que la caisse primaire d'assurance maladie des Flandres n'est pas tenue au versement, ni même à l'avance des indemnisations susceptibles d'être accordées en réparation des préjudices de M. [P] et de ses ayants droit, ainsi que la majoration de la rente du conjoint survivant, ces versements incombant à la CNIEG,

- débouter la société EDF, le FIVA et la CNIEG de toute demande qui serait fomulée à l'encontre de la caisse primaire d'assurance maladie des Flandres,

La CNIEG, régulièrement assignée, n'a pas comparu mais a adressé un courrier à la cour indiquant qu'elle s'en rapporte à la décision à intervenir.

Conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.

Motifs:

1°) Sur l'exposition à l'amiante au sein de EDF:

M. [P], né le 23 octobre 1950, a été embauché par EDF en 1989 et employé en qualité de technicien de maintenance jusqu'en 2011 sur le site de la centrale nucléaire de Gravelines (59 820).

M. [P] étant décédé le 12 décembre 2011, sa veuve a établi une déclaration de maladie professionnelle documentée par un certificat médical initial en date du 23 novembre 2012 faisant état d'une " néoplasie pulmonaire gauche avec pleurésie et inflitrat brocho-alvéolaire gauche".

La caisse primaire d'assurance maladie de Dunkerque a instruit la demande de prise en charge des conséquences de la maladie déclarée au titre du tableau 30 bis des maladies professionnelles, l'enquête ayant permis d'établir que M. [P] a pu subir une exposition d'ambiance aux poussières d'amiante, aussi bien en tant que mineur de fond, profession qu'il a exercée de février 1965 à avril 1989, qu'en qualité d'électricien au sein de la centrale de Gravelines à compter du 1989 jusqu'à la date de son décès.

La caisse, retenant que la condition relative à la liste limitative des travaux n'était pas établie, a sollicité l'avis du CRRMP du Nord Pas-de-Calais Picardie qui après avoir entendu le service de prévention de la Carsat et lu les éléments obtenus du médecin du travail, a constaté l'exposition à l'amiante de M. [P], que ce soit lors de son activité dans les mines que dans la maintenance en centrale nucléaire, l'utilisation de joints amiante étant certaine pendant la période considérée.

Ainsi, le CRRMP du Nord Pas-de-Calais Picardie a admis l'existence d'un lien direct entre l'affection présentée et l'exposition professionnelle.

L'avis du CRRMP s'imposant à la caisse en application de l'article L.461-1, 5ème alinéa du code de la sécurité sociale, elle a notifié le 4 juillet 2013 une décision de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée au titre de la législation sur les risques professionnels.

Par jugement avant dire droit en date du 20 décembre 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Douai a saisi le CRRMP de la région Rouen Normandie qui a également retenu un lien direct entre la maladie professionnelle de M. [P] (cancer broncho-pulonaire primitif) et son travail habituel ( technicien de maintenance électrique à partir de 1989).

Néanmoins, la société intimée entend contester le lien entre la pathologie de M. [P] et une exposition à l'amiante au sein d'EDF se fondant sur les valeurs limites d'exposition telles que fixées par le décret n°77-949 du 17 août 1977 soit 2 fibres/cm3 sur 8 heures de travail portées à 0,1 cm3 en 1987 par le décret n°87-232 du 27 mars 1987 et sur les conclusions d'un rapport de l'Inserm confirmé par un rapport de l'AFSSET d'août 2009 qui ont tenté d'évaluer le risque de développer une pathologie au regard de l'exposition à l'amiante.

Le FIVA réplique qu'il ressort notamment du rapport du Docteur [W], médecin-chef du service général de médecine du travail chargé d'identifier les problémes posés par l'utilisation de l'amiante notamment à EDF -GDF que l'amiante était présente au niveau des canalisations en fibro-ciment, des protections de câbles électriques, des plaques de revêtement d'isolation ou d'insonorisation des chaudières ou conduites de vapeur, des corps de turbines, des gaines de ventilations et filtres à air contenant du textile amiante, des cordons d'amiante, des joints et garnitures d'étanchéité (joints amiante-téflon).

M. [P] ayant été embauché en 1989 au service machines tournantes du centre de production nucléaire de Gravelines, la société EDF a elle même admis dans un document établi par sa direction du personnel du 27 juin 2000 intitulé " surveillance post-professionnelle, pensionnés susceptibles d'avoir été exposés au risque amiante" que le site de Gravelines fait partie des installations industrielles dans lesquelles la présence de flocage et de calorifugeage en amiante a été vérifiée ou a été fortement probable et que le métier d'ouvrier professionnel électricien fait partie de la liste des fonctions et/ou spécialités susceptibles d'avoir mis les travailleurs en situation d'inhalation de poussières d'amiante.

Par ailleurs, les témoignages produits par le FIVA confirment ceux recueillis dans le cadre de l'enquête diligentée par la caisse primaire d'assurance maladie et font état de l'exposition à l'amiante des agents de maintenance lors des essais de fonctionnement dans les locaux sur les diesels de secours dotés de calorifugeages amiantés sur les échapements, des travaux sur locaux électriques et circuits de ventilation munis de manchettes et joints en amiante, des travaux communs sur la robinetterie et sur les groupes motopompes imposant la dépose de joints amiante.

Dans ces conditions il est établi que M. [P] a été exposé à l'amiante au sein de la société EDF, qui conteste néanmoins l'existence d'une faute inexcusable dont la preuve incombe au FIVA, subrogé dans les droits des consorts [P].

2°) Sur la faute inexcusable de EDF:

L'article L.452- 1 du code de la sécurité sociale dispose que: " lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants."

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, en ce qui concerne les accidents du travail.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La conscience du danger lié à l'exposition aux poussières d'amiante au sein de la société EDF résulte de l'existence d'une règlementation relative à la prévention des risques concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs et notamment du décret du 20 novembre 1904 imposant l'évacuation des poussières de quelque nature qu'elles soient, un décret du 13 décembre 1948 prescrivant le recours à des mesures de protections individuelles ( masques) subsidiairement aux équipement de protections collectifs.

Dans le même temps, l'inscription de la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières renfermant de l'amiante dans le tableau n°25 des maladies professionnelles a été prévue par une ordonnance n°45-1724 du 2 août 1945, le tableau n°30 des maladies professionnelles consacré à l'asbestose professionnelle ayant été créé par un décret n°50-1082 du 31 août 1950, la liste des travaux visés au tableau 30 étant indicative depuis un décret n°55-1212 du 13 septembre 1955.

Ainsi, la société EDF ne peut prétendre qu'elle ignorait l'existence du risque lié à l'exposition à l'amiante y compris dans ses centrales thermiques telle que la centrale de Gravelines ayant d'ailleurs commandé plusieurs études sur ce sujet.

Pour autant, la société EDF soutient qu'elle n'a pas commis une faute inexcusable à l'origine de la pathologie de M. [P] en ce qu'elle n'a pas exposé son salarié à des concentrations en fibres d'amiante supérieures aux limites imposées par le code du travail de 2 fibres par cm3, seuil abaissé à 0,1 fibre par cm3 sur 8 heures de travail consécutives suivant décret de 1996.

La société EDF verse aux débats le rapport CARTO AMIANTE portant sur une période postérieure à 2011 et le rapport APAVE du 29 janvier 1997 faisant suite à une intervention du 16 décembre 1996 dans le centrale de Fessenheim.

S'agissant de la centrale de Gravelines, la société EDF démontre que des mesures ont été prises notamment la création d'un local destiné à la découpe des joints à base d'amiante en 1993 avec mise en place d'un système d'évacuation des poussières qui n'a pas totalement permis d'écarter le risque d'exposition à l'amiante, un recensement des risques "amiante" menée à la suite de la parution des décrets n°96-97 et n°96-98 ayant révélé la présence d'amiante dans les bâtiments industriels de la centrale de Gravelines s'agissant des manchettes souples de raccord des gaines de ventilation et claplets coupe-feu des magasins de transit, dont le remplacement a été programmé.

Or, M. [P] chargé de la maintenance est intervenu sur des installations industrielles contenant de l'amiante dès son embauche en 1989, les mesures prises notamment la création d'un local de découpe des joints Eternit étant postérieure et n'étant pas de nature à protéger l'intéressé lors des interventions sur les installations situées dans les bâtiments industriels comportant des matériaux isolants à base d'amiante.

Cette exposition n'est pas sérieusement contestée, non plus que l'insuffisance des mesures de protection mises en place, s'agissant particulièrement des salariés chargés d'intervenir sur les circuits à haute température lors du renouvellement des garnitures en amiante des presses étoupes, vannes ou robinets, enlevés manuellement, certaines tresses usagées se désagrégeant lors de leur extraction, mais également lors du remplacement des freins amiantés (ferrodo) dans le cadre de la maintenance des ponts sur rails ( témoignage de M. [Y]) ou s'agissant de travaux sur chambre de coupure de type contacteurs CF5 et fusibles ( témoignage de M.[R]).

Par ailleurs, la société EDF ne produit pas les résultats des mesures d'empoussièrement qu'elle aurait prises à l'exclusion d'un 1er rapport de l' APAVE suite à un contrôle en date du 21 février 1996 relatif à la détermination du taux de fibres d'amiante dans l'atelier réservé à la découpe de joints Eternit et un seond rapport relatif à un contrôle effectué le 23 septembre 1997 au sein du local " joints" concernant les postes de MM [K] et [M] et un poste fixe, cette unique pièce n'étant pas de nature à démontrer que les mesures ont été prises particulièrement en direction des agents de maintenance dont il n'est pas démontré qu'ils disposaient de protections individuelles ou collectives suffisantes pour les préserver de l'inhalation à des poussières d'amiante à des niveaux critiques eu égard au type et à la fréquence des interventions sur installations et matériaux contenant de l'amiante sur le site industriel en dehors du seul local réservé à la découpe des joints amiante.

Enfin, il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié, mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

Ainsi, le fait que M. [P] ait pu être exposé dans un autre emploi à l'inhalation de poussières d'amiante n'a pas d'incidence sur la responsabilité de la société EDF, le FIVA subrogé dans les droits des consorts [P] étant fondé à s'adresser au dernier employeur pour obtenir l'indemnisation complémentaire prévue par l'article L.452- 1 du code de la sécurité sociale.

Dans ses écritures, la société EDF invoque la tabagisme de M. [P] (40 paquets/an) sans démontrer que l'exposition à l'amiante de son salarié dans le poste qu'il occupait au sein de la centrale de Gravelines n'aurait joué aucun rôle dans l'apparition de la pathologie ayant entraîné le décès de M. [P].

En conséquence, la faute inexcusable de la société EDF au sens de l'article L.452- 1 du code de la sécurité sociale doit être retenue, le jugement ayant lieu d'être réformé en ce sens.

3°) Les conséquences de la faute inexcusable:

Il y a lieu en application de l'article L452-2 du code de la sécurité sociale d'ordonner la majoration de la rente du conjoint survivant qui sera portée au maximum et de dire qu'elle sera versée directement par la CNIEG à Mme [L] [P].

En vertu de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, en cas de faute inexcusable de l'employeur, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à ce dernier la réparation de son préjudice d'agrément si elle justifie de la pratique d'une activité spécifique sportive ou de loisir antérieure à la maladie, de ses souffrances physiques et morales non déjà réparées au titre du déficit fonctionnel permanent, de son préjudice esthétique, ainsi que du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités professionnelles; elle peut également être indemnisée d'autres chefs de préjudice à la condition qu'ils ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

M. [P] est décédé le 12 décembre 2011 des suites d'un cancer bronchopulmonaire non opérable diagnostiqué le 24 novembre 2011, date de la réalisation d'une fibroscopie bronchique, le début des symptômes remontant au mois d'octobre 2011 marqué par une toux, hémoptysie et dyspnée ayant abouti à la découverte d'une énorme lésion lobaire inférieure gauche de 12 centimètres associée à un épanchement pleural gauche responsable par compression d'un 'dème du membre inférieur bilatéral et de douleurs thoraciques inférieures gauches estimées à EVA 7 et un état physique lobal évalué à OMS 2 ( pièce n°5 du Fiva).

Les examens complémentaires ont mis en évidence des adénopathies médiastinales et des nodules hépatiques, M. [P] ayant été hospitalisé le 19 décembre 2011 à la suite d'une chute à domicile ayant été retrouvé par sa famille au sol dans les toilettes où il était resté plusieurs heures.

L'examen clinique réalisé aux urgences retrouvait un patient confus avec ralentissement idéomoteur, des stigmates de déshydratation, des 'dèmes des membres inférieurs bilatéraux avec une diminution du murmure vésiculaire à gauche.

Dans un deuxième temps, M. [P] a été transféré dans le service de surveillance continue pour prise en charge d'une décompensation diabétique, insuffisance rénale, troubles de la vigilance associée à une parésie du membre inférieur gauche, le tout évoluant dans un contexte sceptique.

L'évolution dans le service a été marquée par la survenue d'une détresse respiratoire aigue suite à la mise en décubitus latéral droit du patient. Quelques jours plus tard, M. [P] a présenté une chute brutale de la saturation malgré l'augmentation de l'oxygénothérapie, puis un arrêt cardiorespiratoire, le décès ayant été constaté le 12 décembre 2011.

Il résulte de ce qui précède que malgré la rapidité de l'évolution de la maladie, M. [P] a subi le choc de l'annonce du diagnostic de la pathologie d'évolution défavorable et que les souffrances physiques ont été intenses, ce qui justifie l'indemnisation du préjudice moral à hauteur de la somme de 73 500 euros et des souffrances endurées à hauteur de la somme de 23700 euros, le préjudice d'agrément ayant lieu d'êre ramené à la somme de 3700 euros s'agissant de l'indemnisation du préjudice résultant de la privation des activités habituelles de loisir de la victime pendant quelques semaines avant son décès, soit au total la somme de 100 900 euros.

En outre, les ayants droit de M. [P] peuvent prétendre en application de l'article L452-3 alinéa 2 à la réparation de leur préjudice moral lequel a été justement indemnisé par le Fiva qui a tenu compte du lien de parenté et de la proximité des relations entretenues avec M. [P] en évaluant leur préjudice comme suit:

préjudice moral de Mme [L] [P] (veuve)32 600 euros

préjudice moral de M. [T] [P] (enfant au foyer)15 200 euros

préjudice moral de Mme [I] [P] ( enfant) 8 700 euros

préjudice moral de M. [G] [A] ( petit enfant) 3 300 euros

TOTAL59 800 euros

En conséquence, le Fiva est bien fondé à obtenir le paiement de la part de la CNIEG de la somme globale de 160 700 euros.

4°) Sur la demande d'inscription au compte spécial :

La société EDF demande à la cour de dire que les dépenses liées à la maladie de M. [P] seront imputées sur le compte spécial prévu à l'article D242-6-5,3° alinéa 3 du code de la sécurité sociale, l'arrêté du 16 octobre 1995 précisant que l'application du texte suppose que l'assuré a été exposé au risque successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie.

La cour ne saurait déclarer cette demande irrecevable au motif qu'elle est formée pour la première fois en appel, comme le suggère la caisse primaire d'assurance maladie, la demande d'inscription au compte spécial devant être envisagée comme la conséquence, au sens de l'article 566 du code de procédure civile, de la reconnaissance de la faute inexcusable d'EDF.

Toutefois, la société EDF ne justifie pas de la recevabilité de sa demande alors que la cour ignore si elle a ou non reçu la notification du taux de cotisations qui lui est applicable à raison de la maladie professionnelle et du décès de M. [P], ce fait excluant la compétence de la cour statuant en matière de contentieux général de la sécurité sociale, et que par ailleurs, elle n'a pas appelé en la cause la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail, seule compétente en matière de tarification.

En conséquence, il y a lieu d'ordonner la réouverture des débats sur ce point.

5°) Sur les frais et dépens:

Il est inéquitable de laisser à la charge du Fiva les sommes qu'il a dû exposer non comprises dans les dépens. Il y a donc lieu de condamner la société EDF dont la faute inexcusable a été reconnue à lui payer la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin, la société EDF qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs,

La cour, statuant par décision réputée contradictoire en dernier ressort par mise à disposition au greffe de la cour,

Réforme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Dit que la maladie professionnelle ayant entraîné le déès de M. [P] est la conséquence de la faute inexcusable de la société EDF,

Fixe à son maximum la majoration de la rente servie à Mme [L] [P] en application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale,

Fixe les sommes dues au Fiva subrogé dans les droits des consorts [P] à la somme de 160 700 euros,

Dit que la CNIEG devra faire l'avance de ces sommes auprès du Fiva, subrogé dans les droits des consorts [P],

Ordonne la réouverture des débats à l'audience du 10 janvier 2023 à 13h30 afin que la société EDF justifie de la recevabilité de sa demande tendant à voir inscrite la maladie professionnelle et le décès de M. [P] au compte spécial visé l'article D242-6-5,3° alinéa 3 du code de la sécurité sociale,

Dit que la notification du présent jugement vaut convocation à comparaître à l'audience sur réouverture des débats,

Condamne la société EDF à payer au Fiva la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société EDF aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 20/00162
Date de la décision : 23/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-23;20.00162 ?
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