La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/05/2022 | FRANCE | N°21/04139

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 19 mai 2022, 21/04139


ARRET







[N]





C/



S.A.R.L. AMBULANCES DAGNICOURT



























































copie exécutoire

le 19 mai 2022

à

Me Thuillier

Me Vignon

MVN/MR/SF



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 19 MAI 2022



***********

**************************************************

N° RG 21/04139 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IGFQ



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 06 JUILLET 2021 (référence dossier N° RG 19/00145)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [F] [N]

[Adresse 3]

[Localité 2]



représenté et concluant par Me Stéphanie THUILLIER de la S...

ARRET

[N]

C/

S.A.R.L. AMBULANCES DAGNICOURT

copie exécutoire

le 19 mai 2022

à

Me Thuillier

Me Vignon

MVN/MR/SF

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 19 MAI 2022

*************************************************************

N° RG 21/04139 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IGFQ

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 06 JUILLET 2021 (référence dossier N° RG 19/00145)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [F] [N]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté et concluant par Me Stéphanie THUILLIER de la SCP FRISON ET ASSOCIÉS, avocat au barreau D'AMIENS

ET :

INTIMEE

S.A.R.L. AMBULANCES DAGNICOURT agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée et concluant par Me Philippe VIGNON de la SCP PHILIPPE VIGNON-MARC STALIN, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN

DEBATS :

A l'audience publique du 31 mars 2022, devant Mme Marie VANHAECKE-NORET, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Mme Marie VANHAECKE-NORET en son rapport,

- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Mme Marie VANHAECKE-NORET indique que l'arrêt sera prononcé le 19 mai 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Marie VANHAECKE-NORET en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Fabienne BIDEAULT, conseillère,

Mme Marie VANHAECKE-NORET, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 19 mai 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

Vu le jugement en date du 6 juillet 2021 par lequel le conseil de prud'hommes de Laon, statuant dans le litige opposant M. [F] [N] (le salarié) à son ancien employeur, la société Ambulances Dagnicourt (SARL), a dit le licenciement du salarié justifié pour faute grave, a débouté celui-ci de l'intégralité de ses demandes, a débouté la société de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile, a dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;

Vu l'appel interjeté le 5 août 2021 par voie électronique par M. [N] à l'encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 9 juillet précédent ;

Vu la constitution d'avocat de la société Ambulances Dagnicourt, intimée, effectuée par voie électronique le 30 août 2021;

Vu les conclusions notifiées par voie électronique le 22 octobre 2021 par lesquelles le salarié appelant, contestant la légitimité de son licenciement aux motifs que les manquements reprochés qu'il dénie sont démentis par son parcours professionnel et l'absence d'antécédents disciplinaires -hormis des incidents très anciens sans rapport avec les faits-, que ceux-ci ne sont pas à tout le moins constitutifs de faute grave de par leurs circonstances et eu égard à son parcours professionnel, que le motif de son licenciement n'est qu'un prétexte permettant à l'employeur de se séparer de lui à moindre coût, soutenant également que l'employeur a usé de procédés vexatoires dans la mise en oeuvre du licenciement, sollicite l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et prie la cour de dire que le licenciement ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse, de condamner la société à lui verser les sommes reprises au dispositif de ses conclusions à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif (23 630,49 euros), d'indemnité compensatrice de préavis (3 635,46 euros), d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis (363,54 euros), d'indemnité légale de licenciement (7 725,32 euros), de rappel de salaire dû pour la période de mise à pied conservatoire du 21 juin au 3 juillet 2019 (633,15 euros), de congés payés y afférents (63,31 euros), de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct causé par les procédés vexatoires entachant le licenciement, de dire que les sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances salariales et à compter de l'arrêt à intervenir pour les créances indemnitaires, de condamner la société Ambulances Dagnicourt à lui payer une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu les conclusions notifiées par voie électronique le 19 janvier 2022 aux termes desquelles la société intimée, réfutant les moyens et l'argumentation de la partie appelante, aux motifs notamment que les griefs tels qu'énoncés par la lettre de licenciement sont établis et justifient l'éviction immédiate du salarié, qu'aucune faute n'a été commise par l'employeur dans les circonstances entourant le licenciement et que le salarié n'établit pas un préjudice distinct de celui résultant du licenciement, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a dit le licenciement justifié pour faute grave et a débouté M. [N] de toutes ses demandes, prie la cour de dire le salarié mal fondé en son appel, de l'en débouter et le condamner au paiement d'une indemnité de 3000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 23 mars 2022 renvoyant l'affaire pour être plaidée à l'audience du 31 mars suivant ;

Vu les conclusions transmises le 22 octobre 2021 par l'appelant et le 19 janvier 2022 par l'intimée auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel ;

SUR CE, LA COUR

M. [F] [N], né en 1981, a été engagé par la société Ambulances Dagnicourt à compter du 1er mars 2004 en qualité de chauffeur ambulancier.

La convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport trouve à s'appliquer.

En dernier lieu, le salaire mensuel brut de base de M. [N] s'est élevé à 1 527,60 euros auquel s'ajoutaient diverses primes et indemnités.

Il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 28 juin 2019 par lettre du 21 juin précédent, mis à pied à titre conservatoire, puis licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 3 juillet 2019, motivée comme suit :

'Vous êtes salarié de l'entreprise «'AMBULANCES DAGNICOURT » et exercez les fonctions d' Auxiliaire Ambulancier depuis le 01/03/2004, en contrat de travail à durée indéterminée.

J'ai été informé, le 21 juin dernier, d'un défaut de professionnalisme, caractérisé par une succession de fautes lors du transport de Madame [I] [H], le 20 juin 2019.

Vous avez été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à votre licenciement, fixé au 28 juin 2019. Au cours de cet entretien, nous vous avons indiqué les raisons qui nous conduisaient à envisager un licenciement et avons recueilli vos explications.

1. CONCERNANT LE TRAJET ALLER

Tout d'abord, la patiente m'a indiqué que son transport avait été insatisfaisant, inadapté et désagréable, et ce, en raison de votre attitude.

Vous deviez effectuer la prise en charge de la patiente à son domicile. Pour ce faire, il vous fallait charger son fauteuil roulant dans le véhicule, conformément à la mission qui vous avez été confiée.

Vous avez alors cru bon d'exprimer votre mécontentement, ce qui a été fortement ressenti par la patiente.

Afin de ne pas aggraver le malaise palpable que cette dernière ressentait, elle a ensuite cherché à communiquer avec vous, pendant le trajet, mais sans succès. Vos interactions avec cette patiente se sont limitées à des soufflements et des « bruitages ».

En outre, vous vous êtes accordé une pause, sans l'accord de la Direction, pour fumer, alors que vous n'aviez aucune assurance d'arriver à l'heure pour le rendez-vous de la patiente.

Cette attitude à l'égard des patients transportés n'est pas acceptable, tant en ce qu'elle s'inscrit en totale contradiction avec les valeurs de notre entreprise et de notre profession. Vous vous devez de respecter la dignité des patients.

Tout patient requiert votre pleine et entière attention. Conformément à la déontologie de votre profession, vous devez vous conduire de manière polie, courtoise et aimable envers les personnes transportées et respecter la dignité des patients. Tel n'est pas le cas, notamment, lorsque vous écourtez une conversation avec la patiente, sans motif et que vous vous permettez d'exprimer votre mécontentement au motif que vous deviez monter dans le véhicule son fauteuil roulant.

Sachez que, votre comportement non professionnel et votre attitude contraire à vos obligations conventionnelles sont susceptibles de porter gravement préjudice à l'entreprise.

Aussi, en arrivant au centre hospitalier, vous avez accroché une bordure en béton avec la roue arrière droite du véhicule. La patiente a ressenti une secousse et vous a fait remarquer que vous aviez accroché le véhicule. En réponse vous lui avez indiqué « ce n'est qu'une voiture, c'est pour aller travailler et ce n'est pas la mienne ».

Cette attitude démontre que vous ne vous êtes à aucun moment soucié des conséquences de vos actions sur l'entreprise et dénote un total manque de respect et d'attention à l'égard du matériel mis à votre disposition.

2. CONCERNANT VOTRE ACCOMPAGNEMENT AU CENTRE HOSPITALIER

A l'arrivée à l'hôpital [5], vous avez pris 45 minutes de pause, sans donner la moindre information à la patiente quant à votre retour, sachant que seulement 20 minutes vous avez été envoyées par le service de régulation.

Je ne peux accepter que vous vous permettiez d'organiser vos horaires de travail comme bon vous semble et faisant fi des conséquences sur la patiente.

Lors de l'entretien préalable, vous avez indiqué avoir pris seulement votre pause de 20 minutes conformément aux directives communiquées par le service de régulation.

Suivant les 25 minutes suivantes, vous auriez rempli les documents administratifs relatifs à la prise en charge de la patiente. Or nous ne pouvons entendre que cette mission par nature de très courte durée vous ait pris autant de temps.

3. CONCERNANT LE TRAJET RETOUR

Au retour de la consultation, vous avez eu un accident de la circulation responsable. Compte tenu de la violence de l'impact, la patiente a eu le souffle coupé et a ressenti de vives douleurs au niveau du cou, de la poitrine et du genou gauche.

Vous êtes descendu du véhicule et avez cru que le véhicule n'était pas trop endommagé. Vous avez donc repris le trajet du retour. Quelques kilomètres plus loin, un voyant rouge s'est allumé et vous vous êtes arrêté à une station-service.

Alors que le véhicule fumait et que l'on sentait du brûlé, vous êtes parti à la station essence sans même proposer à la patiente de descendre.

Vous ne vous êtes à aucun moment assuré que la patiente, à mobilité réduite nous vous le rappelons, se sentait bien et n'avez pris en considération le stress que l'accident avait pu engendrer sur sa personne. Votre attitude est totalement inadmissible, tant en ce qu'elle constitue une atteinte morale injustifiable pour la patiente.

La patiente m'a confirmé par la suite souffrir de nombreux hématomes à la suite de cet accident. Dans l'hypothèse d'une dégradation de son état de santé, l'entreprise pourrait voir sa responsabilité engagée si la famille décidait de poursuivre des mesures judiciaires à notre encontre.

Je ne peux en aucun cas tolérer que vos manquements, en total contradiction avec vos obligations professionnelles, prennent le pas sur la qualité de transport et la sécurité des patients de notre entreprise.

La patiente a toujours été transportée par notre société et a été particulièrement choquée par cette prise en charge ubuesque et totalement inverse aux précédents transports effectués par vos collègues. En effet, vos collègues s'efforcent de construire un cadre propice au développement de relations sereines et de confiances, vos agissements anéantissent leur travail qui est fait quotidiennement, ce qui n'est pas tolérable.

Force est de constater votre incapacité à avoir un comportement professionnel lors des prises en charge de patient ; a fortiori considérant qu'il ne s'agit pas d'un fait isolé puisque j'ai déjà eu à vous recadrer pour des attitudes non professionnelles à l'égard de patients qui ont émis le souhait de ne plus être transportés par vous, au cours de ces derniers mois.

4. CONCERNANT LES VIOLATIONS DES DISPOSITIONS DU CODE DE LA ROUTE

Enfin, et si les faits précédemment énoncés n'étaient pas déjà suffisamment graves, lors du trajet aller pour vous rendre à la consultation et également sur le trajet du retour, vous avez délibérément et à plusieurs reprises enfreint le code de la route.

En effet, lors du trajet aller, vous n'avez pas hésité à lâcher une main du volant pour accéder à votre sac pour récupérer des fruits et les manger pendant que vous conduisiez.

Ce comportement est dangereux et ne peut être accepté puisqu'en vous restaurant vous n'étiez plus en mesure d'exécuter toutes man'uvres d'urgence.

II s'inscrit en totale contradiction avec l'article R.412-6 du Code de la route qui précise que tout conducteur doit « à tout moment adopter un comportement prudent et respectueux vis-à-vis des outres usagers. (...) Tout conducteur doit constamment se tenir en état et en position d'exécuter commodément et sans délai toutes les man'uvres qui lui incombent. ».

De plus, vous êtes l'image de l'entreprise en tant qu'interlocuteur privilégié des patients et lorsque vous conduisez un véhicule sanitaire vous représentez notre société à l'extérieur. Dès lors, vous devez toujours agir en personne responsable et exemplaire de notre société, ce qui n'a pas été le cas de votre conduite.

Pire encore, lors du trajet retour, vous avez continué à commettre des infractions au Code de la route.

Vous avez utilisé votre téléphone portable et avez pris des sens interdits. II est inutile de vous rappeler que l'usage du téléphone au volant, tout comme s'engager dans une voie en sens interdit, sont strictement interdits par le Code de la route.

Lors de l'entretien disciplinaire, vous avez reconnu avoir utilisé votre téléphone personnel, au motif que vous l'utilisiez pour le GPS. Ce motif ne peut être retenu et justifié. En effet, le véhicule dispose d'un GPS intégré et le téléphone professionnel dispose de l'application « WAZE ».

L'usage de votre téléphone portable a d'ailleurs entraîné un accident de la circulation qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques sur la sécurité physique de la patiente à bord. En effet, en étant captivé par votre téléphone personnel, vous n'avez vu la borne de signalisation réfléchissante indiquant la fin de voie et vous avez percuté de plein fouet le plot en béton.

Cet accident responsable a engendré des conséquences néfastes pour l'entreprise au niveau économique notamment en raison du paiement de la franchise et de l'augmentation des cotisations d'assurance au titre des travaux de réparation.

Alors que vous veniez d'avoir un accident responsable à cause de l'usage de votre téléphone personnel, vous n'avez pas hésité à continuer, tout au long du transport retour, à utiliser votre téléphone pour passer des appels personnels.

Votre conduite en total irrespect des règles de sécurité ne saurait être toléré davantage. Tout personnel amené à conduire un véhicule de la société doit être particulièrement vigilant et respecter scrupuleusement la réglementation routière.

Ces infractions au Code de la route constituent des fautes professionnelles graves qui sont totalement incompatibles avec la mission de notre entreprise et plus particulièrement de vos fonctions d' Auxiliaire Ambulancier.

II est en effet inenvisageable de maintenir dans notre société un salarié qui n'hésite pas à mettre en danger la vie des patients confiés, d'un autre membre du personnel ou des usagers de la route, en conduisant un véhicule de l'entreprise sans respecter les règles de sécurité.

Lors de l'entretien, vous avez d'ailleurs reconnu l'usage de votre téléphone personnel tout au long du trajet retour.

L'ensemble de ces faits constituent des fautes professionnelles graves. Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien ne m'ayant pas permis de modifier mon appréciation de la gravité de ces faits, je vous notifie par la présente votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnités.

La période de mise à pied à titre conservatoire, qui vous a été notifiée par courrier remis en main propre le 21/06/2019, dans l'attente de la prise d'une décision définitive vous concernant, ne vous sera en conséquence pas rémunérée.

Le licenciement prendra donc effet immédiatement à la date d'envoi de cette lettre, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

(...)'».

Contestant la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de la rupture de son contrat de travail, M. [N] a saisi le 20 septembre 2019 le conseil de prud'hommes de Laon, qui, statuant par jugement du 6 juillet 2021, dont appel, s'est prononcé comme indiqué précédemment.

Sur la légitimité du licenciement

Pour contester son licenciement, M. [N] fait valoir en substance qu'il n'est pas justifié de recadrage antérieur sur son comportement au travail contrairement à ce que soutenu, qu'il a perçu chaque mois une prime de bon conducteur et que son dossier disciplinaire est vierge sous réserve d'un précédent ancien. Il réfute l'attitude qui lui est prêtée par l'employeur vis-à-vis de Mme [H], souligne que le véhicule qui lui avait été attribué pour effectuer le transport de cette dernière n'était pas adapté. Il expose qu'il a utilisé son téléphone portable personnel uniquement parce que ce dernier était muni d'une application lui permettant d'éviter les embouteillages alors que le GPS dont était doté le véhicule ne donnait pas l'état du trafic en temps réel. Il ne nie pas l'accident matériel de la circulation mais conteste avoir eu alors en main son téléphone comme il dénie en avoir fait usage tout au long du trajet. Il conteste la violation des règles de sécurité tout comme la mise en danger de Mme [H] et explique avoir, après l'accident, proposé à plusieurs reprises à cette dernière de faire appel au S.A.M.U. ce qu'elle a refusé. Il indique que n'ayant constaté dans un premier temps aucun dégât, il a repris la route, qu'il a informé le régulateur de la situation, que l'employeur ne s'étant pas décidé à le faire dépanner alors que le radiateur fuyait, il a été contraint de poursuivre son chemin jusqu'à [Localité 6] où il a finalement préféré stopper le véhicule dans la mesure où le témoin lumineux du tableau de bord clignotait. Il rapporte que l'employeur s'est alors finalement décidé à lui envoyer une dépanneuse, qu'il a alors informé la patiente qu'il ne pourrait la raccompagner jusqu'à son domicile, cette dernière étant finalement prise en charge par sa fille.

Il fait valoir que l'employeur allègue sans l'établir que la patiente aurait présenté suite à l'accident de multiples hématomes.

Il conclut que dans ces conditions, aucun manquement ne peut lui être imputé à faute.

Il souligne aussi qu'eu égard aux circonstances des faits, à son ancienneté, à l'absence d'antécédents disciplinaires pour des faits de même nature, l'usage du téléphone portable reproché ne saurait être constitutif d'une faute grave.

Il soutient que l'employeur a trouvé dans l'incident du 20 juin 2019 un prétexte pour le licencier. Il expose qu'il avait peu de temps auparavant sollicité une rupture conventionnelle en raison des difficultés rencontrées avec son employeur lequel avait refusé d'accéder à cette demande mais lui avait suggéré d'abandonner son poste afin de le licencier pour ce motif ce qu'il avait refusé.

La société répond que le salarié a adopté une conduite professionnelle totalement désinvolte à compter du moment où elle a refusé le principe d'une rupture conventionnelle ce qui était légitimement son droit, que c'est dans ce contexte qu'il s'est rendu auteur de faits gravement fautifs lors du transport de Mme [H] le 20 juin 2019, que ces faits tels que rappelés par la lettre de licenciement sont matériellement établis et justifiaient son éviction immédiate s'agissant de violations multiples du code de la route ayant conduit à un accident de la circulation occasionnant des blessures chez la patiente transportée et d'un comportement totalement contraire à ses obligations professionnelles à l'égard de cette dernière de nature à nuire à l'image de l'entreprise. Elle oppose que le véhicule était adapté, doté d'un GPS équipé d'une application efficiente s'agissant des informations sur le trafic routier, que contrairement à ce que soutenu les dégâts sur le véhicule ne pouvaient qu'être visibles ce qui aurait dû conduire le salarié à le stopper et non à poursuivre sa route. Elle fait aussi valoir que le versement des primes ne justifie pas la multiplication des fautes ni ne dément que ces dernières ont été commises et que les difficultés antérieures du salarié, non imputables à l'entreprise, n'excusent pas son comportement.

Sur ce,

La faute grave s'entend d'une faute d'une particulière gravité ayant pour conséquence d'interdire le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis ; les faits invoqués comme constitutifs de faute grave doivent par conséquent être sanctionnés dans un bref délai.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l'employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s'ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise.

En l'espèce, la lettre de licenciement articule deux séries de grief :

- le salarié a adopté une conduite automobile non respectueuse du code de la route et des règles de sécurité,

- le salarié a adopté vis-à-vis de la patiente transportée un comportement et une attitude non conformes à ses obligations professionnelles.

L'employeur produit aux débats le témoignage de Mme [I] [H] sur le déroulement des faits, donné au moyen d'une attestation établie dès le 23 juin 2019, qui, décrivant notamment les circonstances de l'accident, relate que M. [N] 'étant concentré sur son portable, il n'a pas fait attention que la deuxième voie se rétrécissait en une seule voie et n'a donc pas ralenti et a percuté de plein fouet le plot en béton surmonté d'une borne de signalisation réfléchissante indiquant la fin de cette voie' ce dont il résulte suffisamment que l'accident est imputable à une faute du salarié qui au lieu de regarder la route consultait son téléphone portable personnel en conduisant, peu importe qu'il ne l'ait pas eu en main, se plaçant ainsi dans l'impossibilité de maîtriser sa conduite et mettant directement en danger Mme [H].

La cour constate que M. [N] ne s'explique pas sur les causes de cet accident et que ses éléments ne démentent pas factuellement la relation précise des faits par la patiente dont le genou, sous l'impact du choc, est venu heurter le tableau de bord ce qu'il reconnaît dans ses écritures ni l'expertise versée par la société qui atteste de la nature et de l'ampleur des dégâts subis par le véhicule.

Il ressort du compte-rendu de l'entretien préalable établi par M. [B] qui a assisté M. [N] à cette occasion, que celui-ci a concédé avoir aussi au cours du trajet à l'aller lâché le volant d'une main pour accéder à son sac placé à l'arrière et récupérer ainsi des fruits qu'il a mangés en conduisant, attitude imprudente dont témoigne Mme [H]. La cour constate que M. [N] ne conteste pas le contenu de ce compte-rendu et que son auteur atteste par ailleurs en sa faveur en procédure.

En outre, Mme [H], loin de confirmer les assertions du salarié selon lesquelles l'employeur aurait refusé dans un premier temps de faire dépanner le véhicule, rapporte que M. [N] a pris l'initiative de reprendre la route et poursuivre son chemin alors qu'un témoin lumineux s'était allumé et en dépit d'une forte odeur de brûlé ne contactant son employeur pour solliciter un dépannage qu'une fois le véhicule définitivement immobilisé à [Localité 6]. Mme [H] expose aussi qu'au cours de ce trajet, M. [N] s'est arrêté pour laisser 'refroidir' le véhicule et a rejoint une station service la laissant seule à l'intérieur. Si elle confirme uniquement que M. [N] s'est enquis de son état juste après l'accident, la teneur de son témoignage met en évidence qu'il a agi sans considération de sa personne et du stress qu'elle pouvait ressentir, s'abstenant par exemple de lui proposer de descendre du véhicule à la station service alors que ce dernier sentait le brûlé et avait chauffé ce qui ne pouvait que générer de l'inquiétude chez une patiente dont la mobilité réduite entravait sa capacité à quitter la voiture en cas de problème. La cour constate que M. [N] ne conteste pas sérieusement la teneur du témoignage, particulièrement circonstancié, de Mme [H].

La cour observe aussi que l'employeur justifie que, contrairement à ce que soutenu par M. [N], le véhicule était adapté, seul un VSL ou un taxi conventionné étant prescrit par le médecin de la patiente pour le transport du 20 juin 2019 et le véhicule en question ayant été déclaré conforme par l'ARS. Au vu des éléments de l'employeur, il apparaît également que ce véhicule était équipé d'un smart phone avec GPS installé sur un support (kit 'mains libres') de sorte que l'utilisation par le salarié de son téléphone personnel, source de distraction, n'est pas justifiée.

Au résultat de l'ensemble de ces éléments, l'employeur établit la matérialité des manquements aux obligations professionnelles tels qu'énoncés dans la lettre de licenciement, le règlement intérieur rappelant en ses dispositions particulières aux personnels de transport sanitaire l'obligation de se conformer strictement au code de la route et étant observé que l'attention portée aux patients transportés et la nécessité de garantir leur sécurité sont inhérentes aux fonctions qu'occupait le salarié.

Le cumul des manquements commis par le salarié au cours du transport justifie le licenciement, c'est donc de manière inopérante que le salarié soutient que le motif du licenciement n'est qu'un prétexte ; c'est également en vain qu'il invoque des difficultés antérieures avec son employeur lesquelles, étrangères aux faits, ne sont pas de nature à les excuser ou les légitimer.

Cependant, eu égard notamment à l'ancienneté de M. [N], à l'absence de sanction disciplinaire antérieure non prescrite pour des faits de même nature, à l'absence de preuve de recadrage antérieur sur sa conduite ou la prise en charge des patients ce dont il s'évince que contrairement à ce laisse entendre l'employeur les faits de 20 juin 2019 ne relèvent pas d'un comportement habituel envers les patients, il n'apparaît pas que ceux-ci aient revêtu un caractère de gravité suffisant pour rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.

En conséquence, il convient de dire le licenciement justifié non pour faute grave mais pour cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.

Le salarié peut par conséquent prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, augmentée des congés payés afférents, ainsi qu'à une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement.

En l'absence de faute grave, la retenue de salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire n'est pas justifiée ; M. [N] peut donc également prétendre à un rappel à ce titre.

Ses droits au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité compensatrice de congés payés, non spécifiquement contestés dans leur quantum, seront fixés à hauteur des sommes précisées au dispositif de la décision.

M. [N] sollicite le paiement de l'indemnité légale de licenciement.

Eu égard à son ancienneté de 15 ans et 3 mois, sur la base d'un salaire mensuel moyen de 1 817,73 euros (moyenne des trois derniers mois), l'indemnité de licenciement à laquelle il a droit s'élève à 7 725,32 euros.

Eu égard aux montants figurant sur les bulletins de paie de juin et juillet 2019, la retenue opérée au titre de la mise à pied conservatoire du 21 juin au 3 juillet 2019 ressort à 633,15 euros. A défaut de faute grave, il convient de condamner la société à titre de rappel de salaire à hauteur de cette somme augmentée des congés payés y afférents.

L'ensemble des condamnations, portant sur des sommes de nature salariale, seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes.

La demande de dommages et intérêts pour licenciement illégitime doit en revanche être rejetée.

Sur la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la mise en oeuvre de procédés vexatoires dans le cadre du licenciement

M. [N] rappelant que même justifié par une cause réelle et sérieuse le licenciement ne doit pas être vexatoire ni brutal, fait valoir que son comportement n'a pas été fautif, qu'il avait fait la démonstration de ses compétences professionnelles, qu'il a commis une erreur de conduite qui n'a eu que des conséquences matérielles, que l'employeur a vu dans cet incident l'opportunité de se séparer de lui et qu'en substance le licenciement est particulièrement sévère en comparaison du traitement réservé à certains de ses collègues.

Toutefois, ces moyens tendent à la contestation de la légitimité du licenciement et le salarié ne caractérise pas l'existence de circonstances brutales ou vexatoires procédant d'un abus de droit de l'employeur dans la mise en oeuvre du licenciement.

La demande doit être rejetée.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les dispositions de première instance ayant débouté M. [N] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront infirmées.

Succombant partiellement en cause d'appel, la société Ambulances Dagnicourt sera condamnée à verser à M. [N] une somme que l'équité commande de fixer à 1 000 euros pour les frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.

Les dispositions de première instance sur les dépens seront infirmées.

Partie perdante, la société Ambulances Dagnicourt sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort

Infirme le jugement rendu le 6 juillet 2021 par le conseil de prud'hommes de Laon en ce qu'il a dit le licenciement justifié pour faute grave, a débouté M. [F] [N] de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés sur préavis, d'indemnité de licenciement et de rappel de salaires, de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en ses dispositions sur les dépens ;

Le confirme en ce qu'il a débouté M. [F] [N] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement illégitime et de sa demande de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice distinct, en ce qu'il a débouté la société Ambulances Dagnicourt de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant

Dit que le licenciement de M. [F] [N] prononcé par la société Ambulances Dagnicourt est justifié non pour faute grave mais pour cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Ambulances Dagnicourt à payer à M. [F] [N] les sommes suivantes :

- 3 635,46 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 363,54 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- 7 725,32 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 633,15 euros à titre de rappel de salaire dû pendant la mise à pied conservatoire du 21 juin au 3 juillet 2019,

- 63,31 euros au titre des congés payés y afférents ;

Dit que ces sommes sont assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes ;

Condamne la société Ambulances Dagnicourt à payer à M. [F] [N] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent arrêt ;

Condamne la société Ambulances Dagnicourt aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/04139
Date de la décision : 19/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-19;21.04139 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award