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19/05/2022 | FRANCE | N°21/02889

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 19 mai 2022, 21/02889


ARRET







Société S.T.B





C/



[L]



























































copie exécutoire

le 19 mai 2022

à

Me Vautrin

Me Chalon

CB/MR/SF



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 19 MAI 2022



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N° RG 21/02889 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IDZZ



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 17 MAI 2021 (référence dossier N° RG 20/00248)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



Société S.T.B agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 3]...

ARRET

Société S.T.B

C/

[L]

copie exécutoire

le 19 mai 2022

à

Me Vautrin

Me Chalon

CB/MR/SF

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 19 MAI 2022

*************************************************************

N° RG 21/02889 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IDZZ

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 17 MAI 2021 (référence dossier N° RG 20/00248)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Société S.T.B agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée, concluant et plaidant par Me Gwenaelle VAUTRIN de la SELARL VAUTRIN AVOCATS, avocat au barreau de COMPIEGNE

ET :

INTIMEE

Madame [E] [L]

née le 20 Mars 1963 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Me Jehan BASILIEN de la SCP BASILIEN BODIN ASSOCIES, avocat au barreau D'AMIENS, avocat postulant

concluant par Me Gérald CHALON de la SCP SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

DEBATS :

A l'audience publique du 10 mars 2022, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Madame Corinne BOULOGNE en son rapport,

- Me Vautrin en ses conclusions et plaidoirie.

Madame Corinne BOULOGNE indique que l'arrêt sera prononcé le 19 mai 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Fabienne BIDEAULT, conseillère,

Mme Marie VANHAECKE-NORET, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 19 mai 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

EXPOSE DU LITIGE

Mme [L] a été embauchée le 3 novembre 2003 en contrat à durée indéterminée par la société STB, en qualité de secrétaire technique.

La convention collective applicable est celle des ETAM du bâtiment pour les entreprises employant plus de onze salariés.

La société emploie plus de dix salariés.

Mme [L] a déposé une plainte le 11 avril 2012 contre M. [C], gérant de la société, auprès des services de police pour des faits qualifiés : « d'agression sexuelle commis par surprise » sur la journée du 4 avril 2012.

Le 29 mai 2012, la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur, au motif de « faits répétitifs de violences morales et psychologiques ».

Par requête du 12 juillet 2012, Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Creil, d'une demande de requalification de sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 15 mai 2013, le tribunal correctionnel de Senlis reconnaissait la culpabilité de M. [C] pour les faits « d'agression sexuelle commis par surprise » sur la personne de Mme [L].

M. [C] a fait appel de la décision.

Le 2 septembre 2013, le conseil de prud'hommes décidait de surseoir à statuer dans l'attente de la décision pénale.

Par arrêt du 24 septembre 2014, la cour d'appel d'Amiens infirmait le jugement, considérant l'insuffisance des éléments de preuve caractéristiques de l'infraction « d'agression sexuelle commis par surprise » au regard des règles de preuve applicables à la matière pénale pour cette infraction particulière.

Le conseil de prud'hommes de Creil, par jugement du 17 mai 2021 a :

- déclaré recevable et non prescrite la nouvelle demande du 2 novembre 2020 de Mme [L] sur le travail dissimulé,

- dit et jugé Mme [L] victime de harcèlement sexuel et moral de la part de son employeur M. [C],

- dit et jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Mme [L] de la rupture du contrat de travail était un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société STB à verser à Mme [L] :

- 13 680 euros au titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 4 560 euros au titre d'indemnités de préavis

- 456 euros de congés payés y afférents

- 5 130 euros au titre d'indemnités légales de licenciement

- 4 560 euros au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct,

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [L] du surplus de ses demandes,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- ordonné le remboursement par la société STB aux organismes concernés des indemnités de chômage versée à Mme [L] du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence d'un mois dans les conditions prévues à l'article L1235-4 du code du travail et dit que le secrétariat greffe en application de l'article R1235-2 du code du travail adressait à la direction générale de Pôle Emploi une copie certifiée conforme du jugement en précisant si celui-ci a fait ou non l'objet d'un appel.

- condamné la société STB, prise en la personne de son représentant légal, aux entiers dépens.

Ce jugement a été notifié le 20 mai 2021 à la société STB qui en a relevé appel le 1er juin 2021.

Mme [L] a constitué avocat le 30 novembre 2021.

Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 25 janvier 2022, la société STB prie la cour de :

- réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Creil du 17 mai 2021 en ce qu'il a :

- déclaré recevable et non prescrite la nouvelle demande du 2 novembre 2020 de Mme [L] sur le travail dissimulé ;

- jugé Mme [L] avait été victime de harcèlement sexuel et moral de la part de son Employeur ;

- requalifié la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse avec pour conséquences pécuniaires les condamnations suivantes :

-13 680 euros au titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 4 560 euros au titre d'indemnités de préavis,

- 456 euros de congés payés y afférents,

- 5 130 euros au titre d'indemnités légales de licenciement,

- 4 560 euros au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct,

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné le remboursement des allocations chômage dans la limite d'un mois.

- dire et juger prescrite la demande de Mme [L] du 2 mars 2020 au titre du travail dissimulé et confirmer le jugement du conseil des prud'hommes de Creil à ce titre ;

A titre principal,

- dire que Mme [L] ne peut arguer l'existence d'un harcèlement moral et sexuel ;

A titre subsidiaire,

- dire qu'aucun harcèlement moral et sexuel ne peut être invoqué à l'appui de la demande de prise d'acte de la rupture du 29 mai 2012 ;

Dans tous les cas,

- réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Creil du 17 mai 2021 ;

- dire et juger que la rupture du contrat de travail du 29 mai 2019, en l'absence de faits graves imputables à la société STB, doit s'analyser en une démission ;

- dire et juger qu'aucune condamnation ne peut être prononcée au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral distinct ;

- condamner Mme [L] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [L] aux entiers dépens d'instance, y compris les éventuels frais d'exécution.

Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 30 novembre 2021, Mme [L] prie la cour de :

- confirmer le jugement sur la recevabilité de la demande nouvelle devant la juridiction prud'homale,

- confirmer le jugement relativement à la responsabilité de l'employeur sur le harcèlement sexuel et moral et sur le caractère bien-fondé de la prise d'acte,

- infirmer le jugement sur le débouté relatif à la condamnation au titre du travail dissimulé,

- infirmer le jugement sur le quantum des sommes octroyées au titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral et sexuel et au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau,

- juger qu'elle a été victime d'une situation de harcèlement sexuel et moral de la part de son employeur, M. [C],

- juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail fondée sur ce manquement particulièrement grave, s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner l'employeur à lui verser les sommes de :

- 27 360 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 4 560 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 456 euros au titre des congés payés y afférents,

- 5 130 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 10 000 euros à titre d'indemnité pour préjudice moral distinct ;

- condamner la même société à lui verser a somme de 13 680 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- condamner l'employeur à lui verser une somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mars 2022 et l'affaire a été fixée pour plaider le 10 mars 2022.

MOTIFS

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur le harcèlement sexuel et moral

Mme [L] expose que fin 2011 le gérant de la société a commencé à lui faire des avances et s'est montré de plus en plus insistant, que le 4 avril 2012 au retour d'un rendez-vous professionnel il a tenté de l'embrasser tout en lui touchant la poitrine ; qu'elle a été placée en arrêt maladie le lendemain et a dénoncé ces agissements à l'inspection du travail le 12 avril 2012, rapportant qu'après lui avoir laissé espérer une rupture conventionnelle, le gérant s'y est finalement opposé, la contraignant à prendre acte de la rupture du contrat de travail le 29 mai 2012.

Elle indique que le tribunal correctionnel de Senlis a reconnu la culpabilité du gérant pour des faits d'agression sexuelle commise par surprise, que la chambre des appels correctionnels a infirmé le jugement mais qu'il ne s'agissait que de ce seul fait du 4 avril 2012, que l'autorité de la chose jugée ne concerne pas les autres comportements antérieurs ; qu'en outre l'arrêt a jugé qu'il existait une insuffisance de preuve sans considérer les faits invoqués comme mensongers.

Elle fait valoir que le harcèlement sexuel se définit par le but poursuivi par son auteur, qu'elle verse aux débats des éléments matériels laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral, SMS, des écrits sur les avantages dont elle disposerait si elle acceptait les avances, les cadeaux offerts et évoque l'existence de faits similaires qui se sont déroulés avec l'ancienne secrétaire du gérant ayant abouti à une médiation pénale avec interdiction de rencontrer cette salariée.

La salariée conteste la version de l'employeur qui prétend qu'elle souhaitait obtenir une rupture conventionnelle pour aider financièrement son compagnon qui lançait sa propre affaire, que sa présence sur le stand de son mari lors d'un salon alors qu'elle était en arrêt maladie est hors débats.

Elle soutient avoir travaillé de manière dissimulée pour la société au bon Fournil alors qu'elle était salariée de la société STB, qu'elle avait reçu plusieurs chèques en paiement de cette deuxième activité et affirme qu'il ne s'agit pas de prêts qui lui auraient été consentis, que l'employeur ne peut prétendre ne pas avoir su envoyer des SMS alors qu'il l'avait fait avec son ancienne secrétaire, que les vols invoqués n'existent pas.

La société STB réplique que Mme [L] souhaitait obtenir dès le 31 octobre 2011 une rupture conventionnelle avec le paiement d'une somme de 25 000 euros alors qu'elle n'aurait dû percevoir qu'un peu plus de 5000 euros selon la convention collective, que le 4 avril 2012 la secrétaire comptable évoquait avec elle des différences d'encaissement entre les sommes indiquées sur les relevés bancaires et celles déclarées à la comptable, qu'elle a eu un comportement inhabituel.

Il fait valoir que la chambre des appels correctionnels l'a relaxé du fait d'agression sexuelle, cette relaxe s'entendant non du seul fait du 4 avril 2012 mais de l'ensemble des faits invoqués, que cet arrêt aujourd'hui définitif a acquis l'autorité de la chose jugée au pénal excluant toute demande civile à ce titre ; que le parquet a poursuivi pour agression sexuelle en abandonnant le harcèlement sexuel et moral et que l'inspection du travail a aussi abandonné cette qualification.

Subsidiairement, l'employeur rapporte que le téléphone ayant émis les SMS était à disposition de tous car étant à usage professionnel il restait à disposition, que les écrits invoqués par la salariée ne sont pas probants et que les cadeaux remis l'ont été à l'occasion d'anniversaires comme pour d'autres salariés.

Sur ce

Aux termes de l'article L.1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

Le délit prévu au 1° de l'article L. 1153-1 du code du travail suppose :

- des comportements ou propos à connotation sexuelle,

- des comportements imposés à la victime,

- des comportements répétés,

- des comportements qui portent atteinte à la dignité du salarié en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

De plus, selon l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code dans sa version applicable à l'espèce prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Dès lors qu'ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l'existence d'une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l'ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.

En vertu du principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur l'action portée devant la juridiction civile, le juge civil ne peut méconnaître la décision du juge répressif qui a décidé que la matérialité des faits de harcèlement sexuel et la culpabilité de celui auquel ils étaient imputés n'étaient pas établies.

La cour observe que l'arrêt de la chambre correctionnelle a prononcé la relaxe sur un fait d'agression sexuelle le 4 avril 2012 alors que le harcèlement sexuel invoqué se serait déroulé sur une période comprise entre 2011 et le 4 avril 2012.

Par ailleurs le juge répressif n'a pas prononcé la relaxe en considération de l'absence de matérialité de l'acte poursuivi mais a jugé qu'il ne peut être établi par la seule déclaration de la plaignante d'un fait fermement contesté et corroboré par aucun témoignage direct ni aucun élément objectif.

Dès lors l'autorité de la chose jugée de l'arrêt pénal ne porte que sur un fait d'agression sexuelle le 4 avril 2012 et non sur un harcèlement sexuel sur une période d'un peu plus d'un an avant la prise d'acte par la salariée.

A l'appui de sa demande, Mme [L] produit un courrier qu'elle a adressé le 12 avril 2012 à l'inspection du travail faisant état du harcèlement sexuel qu'elle affirme subir de son employeur, les arrêts de travail à compter du 5 avril 2012 pour dépression réactionnelle, les pièces d'une plainte auprès des services de la gendarmerie de [Localité 5] qui comprennent des transcriptions de SMS et des notes écrites dont l'une intitulée « package » listant des biens ou avantages professionnels, comme suit :

« une boulangerie, une gérance de la boulangerie, une maison équipée en totalité, un travail au choix, un salaire à double, un téléphone illimité, une voiture tous frais payés, une mutuelle payée et une liberté totale dans le travail. »

Le second document du 9 mars 2012 « rue Bergeron » reprend :

1 voir pour une poubelle

2 demande de prix de rideaux

3 voir déménagement de deux pièces, prix

4 voir femme de ménage

5 dépose de l'ensemble des dossiers person

6 le mardi 20 mars achat voiture [R]

7 attente de [R] sur place.

Il est versé en outre le précédent pénal relatif à des harcèlements téléphoniques malveillants commis par l'employeur mais aussi à caractère sexuel dont avait été victime son ancienne secrétaire et l'attestation de Mme [D] sur les confidences qu'elle avait reçues de la salariée.

Au vu des pièces versées par la salariée, la cour considère qu'elle présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société STB produit quant à elle l'audition par la gendarmerie de la secrétaire de la société STB affirmant qu'elle a appris à l'employeur à envoyer des messages en mars 2012, le projet de rupture conventionnelle avortée, ses courriers de dénégation de toute forme de harcèlement sexuel, le relevé du RCS de la société du compagnon de la salariée immatriculée en décembre 2011.

La cour observe que deux documents écrits ont été produits auprès des services de la gendarmerie. Le premier intitulé « package » liste des avantages que l'on peut considérer comme une proposition d'emploi agrémentée de multiples avantages en nature et en salaires. L'employeur a répondu aux gendarmes qu'il s'agissait d'un document strictement personnel qui le concernait.

Le second document est daté du 9 mars 2012 intitulé « rue Bergeron », l'employeur soutient qu'il s'agit de documents relatifs à des demandes de prix et de renseignements que Mme [L] devait faire pour la société.

Il n'est pas contesté par l'employeur que ces écrits sont de sa main.

La cour relève d'une part que le document « package » ne trouve pas d'explication cohérente sauf à être, comme l'affirme la salariée une proposition particulièrement avantageuse matériellement de l'employeur pour qu'elle consente à entretenir une relation intime avec lui.

D'autre part, sur le second document il est clairement mentionné le nom de [R] achat de voiture et attente de [R] sans qu'il soit donné d'explication sur la nécessité d'acheter un véhicule à usage professionnel pour une salariée ni de l'attendre à une adresse dont on ignore le nom de l'occupant. Les explications de M. [P] sur le fait qu'il s'agissait de demandes de prix et de renseignements que Mme [L] devait faire pour la société n'apparaissent pas crédibles.

Si le fait de faire des cadeaux aux collaborateurs à l'occasion d'anniversaire peut être considéré comme une pratique destinée à entretenir de bonnes relations professionnelles, le montant des bijoux offerts à la salariée dépasse notablement les usages en la matière, l'employeur reconnaissant avoir offert une montre de 100 euros et de boucles d'oreilles en or de 200 euros.

Par ailleurs Mme [D] a été entendue par les gendarmes en relatant les plaintes de Mme [L] sur le comportement de son employeur qui était tombé amoureux d'elle, qu'elle était « embêtée » et ne savait pas comment se dépêtrer de cette situation.

Le mari de la salariée a aussi relaté les plaintes de son épouse sur les avances de l'employeur.

La cour relève que la salariée a été placée en arrêt de travail pour dépression réactionnelle après le 5 avril 2012, n'a pas repris et ce jusqu'à la prise d'acte du 29 mai 2012, après avoir saisi l'inspection du travail.

Enfin, en 2004, M. [P] avait déjà été mis en cause par son ancienne secrétaire pour appels téléphoniques malveillants et à caractère sexuel, celle-ci s'étant plainte en outre de « mains baladeuses ». Par la suite une médiation était intervenue avec interdiction pour celui-ci d'entrer en contact avec elle.

Lors de son audition devant les gendarmes en 2012 M. [P] avait nié ces faits mais les avait pourtant reconnus devant les gendarmes en 2005.

Ce comportement harceleur s'était donc déjà produit auparavant.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, l'employeur ne prouve pas que les faits qui lui sont imputés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Plus largement, l'employeur ne produit pas d'éléments permettant de contredire ceux versés par la salariée dès lors que s'il n'est pas établi que l'employeur avait envoyé des SMS explicites à la salariée, les autres éléments produits par celle-ci établissent le harcèlement sexuel dont elle fait état.

Enfin le fait que le conjoint de la salariée ait débuté une activité commerciale en décembre 2011 n'est pas suffisant à exclure qu'elle ait elle-même fait l'objet d'un harcèlement sexuel et moral.

En conséquence, la cour juge que le harcèlement moral et sexuel est établi et a eu pour effet de compromettre l'avenir professionnel de Mme [L] et d'altérer sa santé mentale tel que cela ressort des arrêts de travail concomitants aux faits invoqués.

Mme [L] est bien fondée en sa demande de dommages et intérêts et le jugement entrepris est confirmé de ce chef.

Sur le travail dissimulé

Mme [L] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser une somme en réparation du travail dissimulé car elle a travaillé pour la société « au bon fournil » appartenant à M. [P] dans le cadre d'un prêt de main d''uvre illicite puisqu'il n'y a pas eu de convention de mise à disposition ni d'avenant à son contrat de travail ; qu'elle était payée par chèques dont l'employeur prétend faussement qu'ils auraient constitués des prêts.

Elle soutient que l'employeur indique en page 2 de ses conclusions qu'elle intervenait pour cette autre société pour laquelle elle disposait d'une procuration bancaire.

La société STB s'oppose à cette demande répliquant que faute de prouver la réalité du travail dissimulé cette demande doit être rejetée ; que la fille de la salariée travaillait à la boulangerie et que Mme [L] s'y rendait pour récupérer la caisse et la rencontrer.

Sur ce

Il résulte de l'article L.8223-1 du code du travail que le salarié dont le travail a été dissimulé par l'employeur a droit en cas de rupture de la relation de travail à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Selon l'article L.8221-5 du même code, le travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié est notamment caractérisé par le fait pour l'employeur de mentionner intentionnellement sur les bulletins de paie, un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, ou encore par le fait pour l'employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

Aux termes de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatif au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire. Cette indemnité forfaitaire est cumulable avec des dommages et intérêts du fait du préjudice résultant de la dissimulation de l'emploi.

En l'espèce, les conclusions de l'employeur en page 2 indique que « Mme [L] était amenée également (en sus de son emploi chez STB) à se déplacer physiquement au sein d'une autre société gérée par M. [P], la boulangerie « au bon fournil » située également à [Adresse 6] et pour laquelle elle disposait d'une procuration bancaire et de certaines prérogatives.

La société STB est gérée par M. [P], comme la Sarl au bon fournil.

La salariée produit en pièce 25 le courrier de licenciement qui a été adressé le 9 janvier 2012 par la Sarl au bon fournil à une salariée. Le courrier est signé par Mme [L] «pour la direction». Celle-ci était donc nécessairement habilitée pour le faire en exécution des directives de son employeur.

L'employeur ne s'explique pas sur cet acte juridique qui engage la société.

Il est constant que la société STB a effectué divers versements au profit de la salariée en sus du versement des salaires.

S'il est possible pour l'employeur de faire des avances sur salaires ou des prêts aux salariés, ceux ci se matérialisent par des écrits reprenant le montant de la somme prêtée et les modalités de remboursement. Or en l'espèce si l'employeur soutient que ces sommes versées correspondaient à des prêts, aucune reconnaissance de dette ou écrit ne vient justifier qu'il s'agissait de prêts. Les paiements ont nécessairement une cause.

L'explication de la salariée sur la nature de ces versements, à savoir qu'il s'agissait de rémunérations pour le travail non déclaré à la boulangerie apparaît cohérente et en lien avec la pièce 25 établissant qu'elle effectuait un travail dans cette seconde société gérée par M. [P],

Il est donc établi par ces éléments que Mme [L] avait travaillé pour la seconde société de l'employeur.

Il est constant qu'aucun contrat de travail n'a été régularisé entre Mme [L] et la Sarl au bon fournil. En faisant travailler la salariée dans une autre société lui appartenant, la société STB a agi de façon délibérée dans le but d'éviter de payer les charges afférentes à ce travail.

Le fait pour la société STB de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales constitue un travail dissimulé.

Par infirmation du jugement, la cour dit que la société STB a délibérément dissimulé l'emploi de la salariée.

Il convient en conséquence de la condamner à verser à Mme [L] une somme de 13 680 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur la prise d'acte

Mme [L] sollicite la confirmation du jugement sur la prise d'acte aux torts exclusifs de l'employeur fondée sur le harcèlement sexuel et moral dont elle a été victime.

La société STB s'y oppose faute de preuve du harcèlement invoqué.

Sur ce

Il résulte de la combinaison des articles L 1231-1, L 1237-2 et L 1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

Il appartient au salarié d'établir les manquements invoqués et leur gravité ayant empêché la poursuite de contrat.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnées dans cet écrit.

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail et cesse son travail à raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Le manquement justifiant de la prise d'acte doit être suffisamment grave pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, il résulte de la lettre de rupture de la salariée et des moyens invoqués qu'elle reproche à l'employeur des faits répétitifs de violences morales et psychologiques.

La cour ayant jugé précédemment que l'employeur avait commis un harcèlement sexuel et moral envers la salariée, ce manquement est suffisamment grave pour fonder la prise d'acte aux torts exclusifs de la société STB.

Toutefois, par application de l'article L. 1152-3 disposant 'toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des article L. 1152, toute disposition ou acte contraire est nul'.

La cour dit le licenciement de Mme [L] nul et, en conséquence, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande tirée de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

Le jugement entrepris est infirmé en ce qu'il a jugé licenciement sans cause réelle et sérieuse alors qu'il s'agit d'un licenciement nul.

La cour dit que la prise d'acte produira les effets d'un licenciement nul.

Sur les conséquences de la prise d'acte

Mme [L] sollicite une somme de 27 360 euros en réparation de son préjudice soit douze mois de salaire à titre de dommages et intérêts.

S'agissant d'un licenciement nul la cour n'est pas tenue au barème d'indemnisation de l'article L 1235-3 du code du travail dans sa version applicable antérieure au 22 septembre 2017.

Mm [L] était âgée de 54 ans au moment de la prise d'acte, elle avait 9 ans d'ancienneté au sein de la société STB ; au regard de sa situation personnelle, de sa capacité à trouver un nouvel emploi, eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et aux éléments produits à la procédure, la cour fixe le montant de son indemnisation à la somme de 23 360 euros calculés sur la base d'un salaire mensuels de 2280 euros (moyenne des trois derniers mois).

Le licenciement étant nul, la salariée est bien fondée à solliciter des sommes à titre d'indemnité de licenciement et d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents.

Non spécifiquement contestées dans leur quantum, par confirmation du jugement, il sera fait droit aux demandes de Mme [L] au titre de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents justement évaluées.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens et la condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 sont confirmés.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge Mme [L] les frais qu'elle a exposé pour la présente procédure. La société STB est condamnée à lui verser une somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Succombant la société STB est condamnée aux dépens de la procédure d'appel et déboutée de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort

- confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Creil le 17 mai 2021 sauf :

- en ce qu'il a dit le licenciement de Mme [E] [L] sans cause réelle et sérieuse

- sur le quantum des dommages et intérêts alloués à Mme [E] [L] en réparation du licenciement,

- en ce qu'il a débouté Mme [E] [L] de sa demande au titre du travail dissimulé,

Infirme de ce chef et statuant à nouveau des chefs infirmés

- Dit que la prise d'acte aux torts exclusifs de l'employeur produit les effets d'un licenciement nul ,

Condamne la STB à payer à Mme [E] [L] la somme de 23 360 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

Condamne la STB à payer à Mme [E] [L] la somme de 13 680 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

Y ajoutant

- Condamne la STB à payer à Mme [E] [L] la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

- Déboute la société STB de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la société STB aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/02889
Date de la décision : 19/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-19;21.02889 ?
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