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16/05/2022 | FRANCE | N°20/05066

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 16 mai 2022, 20/05066


ARRET

N° 286





MAURANTONIO





C/



Société EIFFAGE CONSTRUCTION NORD PAS DE CALAIS

CPAM DE L'ARTOIS







JR





COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 16 MAI 2022



*************************************************************



N° RG 20/05066 - N° Portalis DBV4-V-B7E-H4EL



JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'ARRAS (Pôle Social) EN DATE DU 10 août 2020





PARTIES

EN CAUSE :





APPELANT



Monsieur [F] [Z]

13 rue Condorcet

62680 MERICOURT





Représenté et plaidant par Me Antoine JACOBUS de la SELARL SYNERGIS, avocat au barreau d'ARRAS, vestiaire : 45







ET :





INTIMES





La Société EI...

ARRET

N° 286

MAURANTONIO

C/

Société EIFFAGE CONSTRUCTION NORD PAS DE CALAIS

CPAM DE L'ARTOIS

JR

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 16 MAI 2022

*************************************************************

N° RG 20/05066 - N° Portalis DBV4-V-B7E-H4EL

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'ARRAS (Pôle Social) EN DATE DU 10 août 2020

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [F] [Z]

13 rue Condorcet

62680 MERICOURT

Représenté et plaidant par Me Antoine JACOBUS de la SELARL SYNERGIS, avocat au barreau d'ARRAS, vestiaire : 45

ET :

INTIMES

La Société EIFFAGE CONSTRUCTION NORD PAS DE CALAIS, venant aux droits de la société EIFFAGE CONSTRUCTION ARTOIS HAINAUT, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

2A rue de l'Espoir

59030 LILLE CEDEX

Représentée et plaidant par Me Thomas HUMBERT de la SELAFA B.R.L. Avocats, avocat au barreau de PARIS

La CPAM DE L'ARTOIS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

11 boulevard du Président Allende

CS 90014

62014 ARRAS CEDEX

Représentée et plaidant par Mme [V] [B] dûment mandatée

DEBATS :

A l'audience publique du 08 Novembre 2021 devant Madame Jocelyne RUBANTEL, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 04 Janvier 2022.

Le délibéré de la décision initialement prévu au 04 janvier 2022 a été prorogé au 16 mai 2022.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Marie-Estelle CHAPON

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Jocelyne RUBANTEL en a rendu compte à la Cour composée en outre de:

Madame Jocelyne RUBANTEL, Président,

Mme Chantal MANTION, Président,

et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 16 Mai 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Madame Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.

*

* *

DECISION

Le 23 juillet 2015, la société Eiffage Construction Artois Hainaut, aux droits de laquelle vient la société Eiffage Construction Nord Pas-de-Calais, (ci-après la société Eiffage) a établi une déclaration d'accident du travail au profit de son salarié, M. [Z], coffreur brancheur, survenu le 18 mars 2015 et décrit comme suit : « le salarié nous informe qu'il ressent des maux de tête, beaucoup de crachats, des maux de gorge, des répercussions sur les muscles, sentiment de fatigue depuis qu'il se trouve sur le chantier », lequel est décrit comme étant le site Valnor à Labeuvrière.

Le certificat médical initial faisait état d'irritations des voies respiratoires supérieures et naso-sinusienne par exposition à produits volatils.

La caisse primaire a ensuite pris en charge des lésions nouvelles, myasthénie, troubles de la vision, et enfin syndrome dépressif.

La consolidation a été acquise le 18 octobre 2017 et un taux d'incapacité permanente de 10 % a été fixé au profit du salarié, confirmé par le tribunal de grande instance de Lille par jugement du 3 septembre 2019.

Saisi le 14 décembre 2017 par M. [Z] d'une demande de reconnaissance de maladie professionnelle, le tribunal judiciaire d'Arras, par jugement prononcé le 10 août 2020 a :

- débouté M. [Z] de ses demandes,

- débouté la société Eiffage Construction Nord Pas-de-Calais de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [Z] aux dépens.

Par courrier recommandé réceptionné le 8 octobre 2020, M. [Z] a relevé appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 11 septembre 2020.

Aux termes de ses conclusions déposées le 30 août 2021, M. [Z] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu en première instance par le pôle social du tribunal judiciaire d'Arras,

- dire et juger que l'accident du travail subi résulte de la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, la société Eiffage Construction,

En conséquence,

- ordonner la majoration au taux maximum de la rente perçue par M. [Z],

- ordonner une expertise médicale afin de déterminer l'étendue des préjudices subis ainsi que leur degré de gravité et notamment

*les souffrances endurées,

* le déficit fonctionnel temporaire,

*l'assistance par tierce personne avant consolidation,

* la perte de chance de promotion professionnelle,

* les préjudices esthétiques,

* le préjudice d'agrément,

* les éventuelles dépenses d'aménagement de logement ou de véhicule,

* l'éventuel préjudice sexuel,

* le préjudice permanent exceptionnel,

- allouer à M. [Z] une somme de 5 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle,

- dire et juger que cette indemnité provisionnelle serait versée par la caisse primaire d'assurance maladie,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

- condamner la société Eiffage au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, M. [Z] expose en substance, qu'il travaillait sur le chantier de travaux d'implantation et de terrassement de l'usine d'incinération Valnor, voisine de l'usine Croda, classée site Seveso.

Le 18 mars 2015, comme plusieurs collègues qui travaillaient avec lui, il a été intoxiqué par des émanations de produits toxiques, provoquant des céphalées, des nausées, des vomissements, une grande fatigue et une irritation des voies aériennes supérieures.

Il garde de lourdes séquelles ayant conduit à son invalidité puis son licenciement.

Le chantier a été arrêté le jour même.

Il fait valoir que l'employeur connaissait parfaitement la nature du site sur lequel s'effectuait le chantier puisqu'il jouxtait une usine classée Seveso et par conséquent sur un secteur extrêmement pollué.

Or, aucune mesure de prévention préalable au démarrage du chantier n'a été mise en 'uvre, les salariés n'ayant reçu aucune information particulière.

Le médecin du travail a estimé regrettable que les prélèvements d'air, d'eau, de sol n'aient été réalisées qu'à distance de l'événement, et il a conclu que de manière quasi certaine il était possible de faire un lien entre l'exposition professionnelle et les symptômes ressentis par les salariés, seul l'agent auquel les salariés ont été exposés n'a pu être identifié.

La société Eiffage Construction Nord Pas-de-Calais aux termes de ses conclusions déposées le 25 juin 2021 demande à la cour de :

A titre principal

- constater que M. [Z] ne démontre pas l'existence de la faute inexcusable qu'il invoque,

- constater que les causes du sinistre déclaré par M. [Z] sont indéterminées,

- constater que la société Eiffage Nord Pas-de-Calais en sa qualité d'employeur n'a pas commis de faute inexcusable,

En conséquence,

- confirmer le jugement rendu le 10 août 2020 par le tribunal judiciaire d'Arras en ce qu'il a débouté M. [Z] de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire

- débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires celles-ci n'étant ni fondées ni démontrées,

A défaut

- surseoir à statuer sur la liquidation des préjudices subis par M. [Z],

- ordonner une expertise médicale afin d'évaluer les préjudices indemnisables de M. [Z], sur une échelle de 0 à 7 tels que listés à l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale,

- enjoindre à l'expert d'identifier précisément les séquelles exclusivement en lien avec l'accident du 18 mars 2015,

- débouter M. [Z] de sa demande de provision,

- dire et juger qu'il appartiendra à la caisse primaire d'assurance maladie de faire l'avance des sommes allouées à M. [Z] en réparation de l'intégralité de ses préjudices,

- dire et juger que seul le taux d'incapacité de 0 % est opposable à la société Eiffage Construction Nord Pas-de-Calais, de sorte que la caisse primaire d'assurance maladie ne pourra pas exercer son action récursoire au titre de la majoration de rente,

En tout état de cause,

- condamner M. [Z] à verser à la société Eiffage Construction Nord Pas-de-Calais la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, la société Eiffage expose en substance que l'appelant n'apporte aucun élément démontrant qu'elle avait ou aurait dû avoir conscience d'un danger, alors que tous les éléments qu'il produit sont très largement postérieurs à l'accidentt le salarié admet que l'agent auquel les salariés auraient été exposés n'a pas été identifié, et de fait, les circonstances de l'accident n'ont pu être déterminées.

Le seul événement auquel fait référence le médecin du travail dans son courrier du 20 mars 2015 date du 19 mars 2015 date à laquelle il a été constaté des symptômes similaires chez plusieurs salariés, soit après l'accident.

Le chargé d'affaires de la société a noté que les maux de tête avaient commencé début février, lors de la phase de découpage de l'enrobé, ils avaient concerné deux salariés, et la semaine précédente M. [Z], et les autres personnes travaillant sur le site ne présentaient aucun symptôme.

De plus, deux des salariés avaient présenté des symptômes légers, et n'avaient pas consulté leur médecin.

La société Eiffage soutient ainsi que la survenue de maux de tête pour trois ou quatre salariés sur un chantier d'envergure, à des dates distinctes, sans persistance ni systématicité, ne pouvait conduire l'employeur à avoir conscience d'un quelconque danger.

Dès lors que la cause de l'accident n'est pas déterminée, la faute inexcusable ne peut être retenue.

Le médecin du travail avait d'ailleurs écrit dans un courrier du 17 avril 2015 qu'il n'y avait pas de véritable explication au phénomène constaté. Les analyses effectuées par suite de sondages de sol, de prélèvements de sol, d'eaux souterraines ont montré que les teneurs en toxiques étaient toutes inférieures à la valeur limite rendant les produits détectables. Une cause possible a été retenue, soit une exposition au formaldéhyde contenu dans le bois des planches de coffrage et dans l'armoire du bureau de chef de chantier, mais sans qu'elle soit affirmée avec certitude.

L'exposition aux agents chimiques dans la zone chantier n'a pas permis de mettre en évidence une exposition à de tels agents.

Elle ajoute que les tâches confiées à M. [Z] le jour de l'accident étaient habituelles et relevaient de ses fonctions, et il était apte à son poste, la médecine du travail n'ayant jamais alerté sur d'éventuelles difficultés particulières.

La caisse primaire d'assurance maladie, aux termes de ses explications orales, indique qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour sur la reconnaissance de la faute inexcusable, et que dans l'hypothèse où la faute inexcusable serait retenue, elle demande à bénéficier de son action récursoire.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et des moyens qui les fondent.

Motifs :

L'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat, notamment en matière d'accident du travail. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures de nature à l'en préserver.

En l'espèce, M. [Z] a été victime d'un accident du travail alors qu'il travaillait sur le chantier de terrassement pour les fondations d'une usine d'incinération de l'entreprise Valnor.

Il a ressenti des maux de tête, des nausées, de la fatigue et toussait de manière importante.

Six autres salariés ont présenté des symptômes similaires qui ont toutefois disparu assez rapidement, sans leur laisser de séquelles.

Le médecin du travail alerté par le directeur des travaux a reçu les salariés concernés, et les analyses réalisées en vue d'identifier l'agent toxique se sont avérées vaines.

Le docteur [E] concluait ainsi le 17 avril 2015 : « ...toutefois si on peut de manière quasi certaine faire un lien entre l'exposition professionnelle et les symptômes, même si ce qui a été mesuré dans l'air, le sol et l'eau reste normal. La cohérence et la concordance des symptômes ressentis par l'ensemble des salariés exposés (ceux d'Eiffage construction Artois Hainaut, ceux d'Eiffage Thermie présents sur le site ainsi que ceux de l'entreprise sous-traitant le ferraillage) prouvent un lien de cause à effet entre ces symptômes et l'exposition à quelque chose qui n'a pu être identifié ».

La société Eiffage a diligenté des investigations confiées à la société Entime, ayant pour objet de déterminer la qualité du sol et des eaux souterraines au droit du chantier pour évaluer la qualité du milieu afin d'identifier un agent chimique pouvant être à l'origine des symptômes constatés, déterminer la qualité de l'air inhalé par les opérateurs du chantier et dans le bureau du chef de chantier, évaluer la qualité de l'eau de ville desservant les sanitaires et les points d'eau de la base vie.

La conclusion de l'enquête est que toutes les teneurs mesurées dans le sol et les eaux souterraines n'ont permis de mettre en évidence aucune trace de toxiques, l'analyse des agents chimiques contenus dans les terres excavées ont montré des teneurs de toxiques inférieures à 10 % de la valeur, ce qui signifie que le risque pour la santé est faible, voire inexistant.

Les ouvriers n'utilisaient aucun produit chimique dangereux.

Une piste a été évoquée, soit une exposition au formaldéhyde contenu dans le bois de coffrage des bois des planches de coffrage, après analyse d'une armoire située dans le bureau du chef de chantier, faite avec le même matériau, mais elle n'était toutefois pas validée de manière certaine. En effet, était évoqué une exposition à des émanations d'agents chimiques provenant de l'extérieur du site, là encore, sans que cette hypothèse soit confirmée.

L'appelant produit des photographies qu'il décrit comme représentant le sol du chantier et qui montrent la présence d'hydrocarbures. Toutefois, les analyses de sol sont venues infirmer l'hypothèse d'un agent contaminant provenant du sol.

Il produit également un article de presse publié le 14 mars 2017, expliquant que la Calonnette, affluent de la Clarence, situé à proximité du chantier, est polluée aux métaux lourds ce qui nécessite des opérations lourdes de dépollution.

Si ce fait est établi, pour autant, faute de connaître l'origine du toxique ayant provoqué l'accident, il ne peut être fait aucun lien entre cette information et les faits.

Il résulte de ces éléments que M. [Z] a été victime d'un accident du travail, par le fait d'une intoxication dont l'origine reste inconnue, que cette intoxication a également atteint d'autres personnes qui travaillaient au même endroit, avec des conséquences moindres, mais que les analyses et recherches entreprises n'ont pas permis de déterminer la nature de l'agent toxique.

Dès lors que la cause de l'intoxication subie reste indéterminée, aucune faute inexcusable ne peut être reprochée à l'employeur.

En effet, la reconnaissance de la faute inexcusable suppose qu'il soit démontré que l'employeur connaissait ou aurait dû avoir conscience d'un danger et qu'il s'est abstenu de prendre les mesures de nature à préserver les salariés. Tel n'est pas le cas en l'espèce du fait de l'indétermination de la cause de l'accident dont a été victime M. [Z].

Le jugement doit par conséquent être confirmé en toutes ses dispositions.

Dépens

Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, M. [Z] est condamné aux dépens de l'instance.

Demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Au regard des circonstances de la cause, alors que M. [Z] a subi de graves lésions au service de son employeur, l'équité ne commande pas de faire droit à la demande que formule la société Eiffage sur le fondement du texte précité.

Elle est donc déboutée de la demande qu'elle formule de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire, en dernier ressort,

Déboute M. [Z] de l'ensemble de ses demandes,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le pôle social d'Arras le 10 août 2020,

Condamne M. [Z] aux dépens de l'instance,

Déboute la société Eiffage Construction Nord Pas-de-Calais de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 20/05066
Date de la décision : 16/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-16;20.05066 ?
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