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11/05/2022 | FRANCE | N°21/04970

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 11 mai 2022, 21/04970


ARRET







[F]





C/



S.A.R.L. AMBULANCES ROSIEROISES

































































copie exécutoire

le 11/05/2022

à

SELARL WACQUET

SELARL DORE

FB/IL/SF



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 11 MAI 2022





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N° RG 21/04970 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IHZS



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 27 SEPTEMBRE 2021 (référence dossier N° RG 19/00058)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



Madame [W] [F]

née le 19 Mai 1976 à YVRY SUR SEINE (94)

de nationalité Française

66 route...

ARRET

[F]

C/

S.A.R.L. AMBULANCES ROSIEROISES

copie exécutoire

le 11/05/2022

à

SELARL WACQUET

SELARL DORE

FB/IL/SF

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 11 MAI 2022

*************************************************************

N° RG 21/04970 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IHZS

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 27 SEPTEMBRE 2021 (référence dossier N° RG 19/00058)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [W] [F]

née le 19 Mai 1976 à YVRY SUR SEINE (94)

de nationalité Française

66 route d'Elbeuf

80000 AMIENS

représentée et concluant par Me Christophe WACQUET de la SELARL WACQUET ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Amélie ROHAUT, avocat au barreau D'AMIENS

ET :

INTIMEE

S.A.R.L. AMBULANCES ROSIEROISES

route de Méharicourt

80170 ROSIERES-EN-SANTERRE

représentée et concluant par Me Christophe DORE de la SELARL DORE-TANY-

BENITAH, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Edith DIAS FERNANDES, avocat au barreau D'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 23 mars 2022, devant Mme Fabienne BIDEAULT, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme Fabienne BIDEAULT indique que l'arrêt sera prononcé le 11 mai 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Fabienne BIDEAULT en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Fabienne BIDEAULT, conseillère,

Mme Marie VANHAECKE-NORET, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 11 mai 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

Vu le jugement en date du 27 septembre 2021 par lequel le conseil de prud'hommes d'Amiens, statuant dans le litige opposant Mme [W] [F] à son ancien employeur, la société Ambulances Rosieroises, a débouté la salariée de sa demande au titre du harcèlement moral, a dit le licenciement de Mme [F] justifié, a débouté la salariée de l'intégralité de ses demandes, a débouté l'employeur de sa demande d'indemnité de procédure et a condamné Mme [F] aux entiers dépens ;

Vu l'appel interjeté par voie électronique le 12 octobre 2021 par Mme [F] à l'encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 29 septembre précédent ;

Vu la constitution d'avocat de la société Ambulances Rosieroises, intimée, effectuée par voie électronique le 18 novembre 2021 ;

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 février 2022 par lesquelles la salariée appelante, soutenant avoir été victime de harcèlement moral de la part de son employeur, affirmant que son inaptitude a pour origine le harcèlement moral subi, de sorte que le licenciement prononcé est nul, sollicite l'infirmation du jugement entrepris et la condamnation de son ancien employeur à lui payer les sommes reprises au dispositif de ses écritures devant lui être allouées à titre d'indemnité compensatrice de préavis (3 644,46 euros) et congés payés afférents (364,44 euros), complément d'indemnité de licenciement (1 207,26 euros), dommages et intérêts pour licenciement nul (43 733,52 euros), dommages et intérêts pour préjudice moral spécial (10 000 euros), indemnité de procédure (4 500 euros) ;

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 mars 2022 aux termes desquelles la société intimée, réfutant les moyens et l'argumentation de la partie appelante, contestant tout harcèlement moral, soutenant que le licenciement prononcé n'est pas entaché de nullité et qu'il est fondé sur une cause réelle et sérieuse, affirmant que la salariée a été remplie de ses droits au titre de la rupture de son contrat de travail, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée, demande à titre infiniment subsidiaire que le montant des dommages et intérêts accordés soit réduit substantiellement, requiert en tout état de cause la condamnation de l'appelante au paiement d'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile (3 000 euros) ainsi qu'aux entiers dépens;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 17 mars 2022 renvoyant l'affaire pour être plaidée à l'audience du 23 mars 2022 ;

Vu les conclusions transmises le 23 février 2022 par l'appelante et le 4 mars 2022 par l'intimée auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel ;

SUR CE, LA COUR

La société Ambulances Rosieroises est spécialisée dans le secteur d'activité des ambulances, emploie plus de 11 salariés et applique la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.

Mme [F] a été embauchée par la société Ambulances Rosieroises en qualité de chauffeur d'ambulance aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée à effet au 30 octobre 1998, date à laquelle Mme [GF], mère de Mme [F] était gérante de la société.

En mars 2013, Mme [GF] a cédé la société à Mme [Z] et M. [I], salariés de l'entreprise.

Par courrier en date du 14 octobre 2017, l'employeur a rappelé à l'ordre la salariée en raison d'un manque d'implication dans ses fonctions.

A compter du 10 octobre 2017, Mme [F] a été placée en arrêt de travail.

A l'issue de la visite de reprise en date du 6 août 2018, le médecin du travail a rendu l'avis suivant : 'déclaration d'inaptitude. Etude de poste et étude des conditions de travail réalisées le 12/07/2018 ainsi qu'échange avec l'employeur. Capacités restantes : tout emploi dans un autre établissement y compris après formation si celle-ci s'avère nécessaire.'

Par courrier en date du 27 août 2018, l'employeur a notifié à la salariée une impossibilité de reclassement.

Mme [F] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 10 septembre 2018 par lettre du 28 août précédent, puis licenciée pour inaptitude physique par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 13 septembre 2018 motivée comme suit:

' Nous sommes au regret de vous informer de notre décision de vous licencier en raison de votre inaptitude à occuper votre emploi et de l'impossibilité de vous reclasser.

Vous exercez les fonctions de conducteur-ambulancier au sein de notre entreprise.

Vous êtes placé en arrêt de travail pour maladie non professionnelle depuis le 10/10/2017.

Le 6 août 2018, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude vous concernant.

Nous l'avons interrogé pour obtenir des informations complémentaires sur votre inaptitude.

Parallèlement à ces échanges, nous avons effectué des recherches de reclassement internes et externes.

Malheureusement, nos recherches de reclassement se sont révélés infructueuses.

En effet, en interne, nous ne disposons pas de poste disponible et/ou aménageable compatible avec vos compétences professionnelles et les préconisations du médecin du travail.

Aussi, nous avons élargi nos recherches en effectuant des recherches de reclassement externes, lesquelles n'ont pas abouti.

Au regard des conclusions du médecin du travail, aucun poste adapté correspondant à vos capacités restantes ne peut vous être proposé.

Compte tenu de l'absence de toute solution de reclassement, nous avons été contraints de poursuivre la procédure de licenciement.

Nous vous avons informé des raisons s'opposant à votre reclassement par courrier du 27 août 2018.

Puis, nous vous avons convoqué par courrier du 28 août 2018 à un entretien préalable fixé au 10 septembre 2018 et auquel vous vous êtes présentée.

Nous sommes au regret de vous licencier en raison de l'impossibilité de vous reclasser suite à votre inaptitude constatée par le médecin du travail.

La date de notification de la présente constitue la date de la rupture de votre contrat de travail.

En effet, votre état de santé ne vous permet pas de travailler pendant une durée couvrant celle de votre préavis. (...)'

Invoquant l'existence d'un harcèlement moral, contestant la licéité de son licenciement et estimant ne pas avoir été remplie de ses droits au titre de la rupture de son contrat de travail, Mme [F] a saisi le 14 février 2019 le conseil de prud'hommes d'Amiens, qui, statuant par jugement du 27 septembre 2021, dont appel, s'est prononcé comme indiqué précédemment.

Sur le licenciement

Mme [F] demande à la cour de prononcer la nullité de son licenciement au motif que son inaptitude a pour origine le harcèlement moral subi ainsi que les manquements de son employeur.

Sur ce ;

Le licenciement consécutif à une inaptitude physique du salarié qui trouve son origine dans des faits de harcèlement moral se trouve frappé de nullité.

Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée .

En l'espèce, Mme [F] soutient avoir été victime de harcèlement moral de la part de son employeur.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1154-1 du même code, applicable en matière de discrimination et de harcèlement, le salarié a la charge de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe ensuite à la partie défenderesse de prouver que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers et à tout harcèlement.

Il résulte du premier de ces textes que les faits susceptibles de laisser présumer une situation de harcèlement moral au travail sont caractérisés, lorsqu'ils émanent de l'employeur, par des décisions, actes ou agissements répétés, révélateurs d'un abus d'autorité, ayant pour objet ou pour effet d'emporter une dégradation des conditions de travail du salarié dans des conditions susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Une situation de harcèlement moral se déduit ainsi essentiellement de la constatation d'une dégradation préjudiciable au salarié de ses conditions de travail consécutive à des agissements répétés de l'employeur révélateurs d'un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs d'autorité, de direction, de contrôle et de sanction.

Dès lors qu'ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l'existence d'une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l'ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.

Mme [F] soutient avoir été démise de ses fonctions administratives en 2017, avoir été affectée à des tâches ne relevant pas de ses attributions telles que des activités de nettoyage, avoir été victime de brimades, d'humiliations, d'insultes de la part de Mme [Z] et avoir subi le management inacceptable de cette dernière.

La salariée indique avoir alerté la Direccte, constate que 14 salariés ont quitté l'entreprise depuis la reprise de la société par Mme [Z] en 2013.

La salariée indique qu'en raison du harcèlement moral subi son état de santé s'est dégradé.

Au soutien de ses allégations, Mme [F] produit notamment:

- le courrier adressé à l'Asmis le 2 novembre 2017 faisant état de la dégradation des conditions de travail des salariés de l'entreprise en lien avec le comportement de Mme [Z] et de son associé M. [I],

- le mail adressé à la Direccte le 9 novembre 2017 relatant à la fois les échanges précédents avec la Direccte le 11 octobre 2017 et résumant les difficultés rencontrées avec Mme [Z] et M. [I],

- l'attestation de Mme [GF], ancienne gérante, mère de Mme [F] qui précise qu'au cours de sa gestion de l'entreprise, Mme [Z], salariée, a reproché avec des cris hystériques à Mme [F] d'avoir mis une photographie personnelle en fond d'écran, attestant qu'au cours de la période comprise entre le 1er mars 2013 et le 14 mai 2018, alors qu'elle résidait dans des locaux proches de ceux occupés par la société, elle a constaté que Mme [F] était occupée à des tâches ne relevant pas de sa qualification professionnelle de type nettoyage des véhicules, des garages,

- l'attestation de M. [L], salarié de la société du 1er mars 2013 au 31 mai 2016, qui indique 'avoir vécu un supplice' depuis la reprise de la société par Mme [Z], avoir été victime d'insultes de la part de celle-ci de type 'bons à rien, fainéants, vous n'avez qu'à prendre la porte', 'voleurs, menteurs' suite à la disparition d'une somme de 50 euros, précisant avoir perdu le goût d'aller travailler, d'avoir travailler 'la boule au ventre' et affirmant que depuis la reprise de la société par Mme [Z], 14 salariés ont quitté la société ;

- le courrier de Mme [B] en date du 17 octobre 2017 qui indique avoir subi des pressions morales de la part de Mme [Z] qui l'ont conduite à la démission, qui indique que cette dernière critiquait sans cesse les salariés, qu'elle se 'faisait hurler dessus', précisant qu'elle rentrait chaque soir à son domicile en pleurant et qu'elle avait perdu confiance en elle ;

- le courrier de Mme [P] en date du 27 octobre 2017salariée de l'entreprise jusqu'en septembre 2017, qui relate que Mme [Z] traitait ses salariés d'incompétents, de fainéants, de voleurs, qu'elle leur imposait de mettre des pauses sur les carnets de route alors que celles-ci étaient inexistantes, qu'elle lui faisait effectuer des transports taxi alors qu'elle n'avait pas de carte professionnelle, qu'elle accusait Mme [F] de profiter du décès de son père pour se mettre en arrêt maladie, qu'elle a assisté lors des passages au bureau de Mme [F] à des scènes d'humiliations, qu'elle a constaté que Mme [F] avait subi une telle tension de stress et de rabaissement qu'elle n'arrivait plus à venir travailler ;

- l'attestation de M. [T], salarié depuis janvier 2016, qui témoigne du comportement brutal de Mme [Z] vis à vis des salariés, qui affirme que 7 à 8 salariés ont quitté l'entreprise depuis son arrivée en raison de l'attitude de Mme [Z], qui atteste avoir entendu Mme [Z] affirmer que Mme [F] jouait de la mort de son père pour rester en arrêt et qui indique que la direction s'amusait à faire nettoyer les véhicules des journées entières à Mme [F] afin de la pousser à bout ;

- l'attestation de Mme [SB], salariée de septembre 2016 à février 2018, qui décrit une ambiance néfaste de travail, le fait que Mme [Z] indique sans cesse qu'elle est la patronne, qu'elle ne tolère pas les échanges entre collègues, qu'elle change régulièrement de bouc émissaire, qu'elle 'engueulait régulièrement Mme [F]', ou l'ignorait délibérément quand elle était dans la pièce, qu'elle l'assignait au lavage des véhicules, décrivant Mme [Z] comme une femme aimant rabaisser les autres, affirmant que lors de la réception de l'arrêt de travail de Mme [F], Mme [Z] a fait un grand sourire et a dit 'tant mieux' ;

- l'attestation de Mme [E], salariée de 2015 à 2018,précisant que l'état de santé de Mme [F] s'est considérablement dégradé depuis le début de l'année 2017, qu'à compter de mars 2017, les anciennes fonctions administratives assumées par Mme [F] ( responsable de facturation) avaient été attribuées à une nouvelle secrétaire, que Mme [F] était affectée 'plus que de raison' au nettoyage des véhicules de la société allant jusqu'à nettoyer des véhicules qui ne lui étaient pas confiés, qu'elle était accusée par Mme [Z] d'incapable, de fainéante ;

- le courrier de Mme [LK] affirmant avoir subi au cours de sa relation contractuelle quotidiennement des pressions, des remarques désobligeantes et des propos dévalorisants de la part de Mme [Z] et M. [I] ;

- l'attestation de Mme [UD], salariée de septembre 2006 à mars 2018, qui évoque les cris et hurlements de Mme [Z], les insultes 'rats,', 'bons à rien', 'fainéants', affirme avoir toujours entendu Mme [Z] et M. [I] se plaindre du contrat de Mme [F] qui ne leur convenait pas, avoir constaté que Mme [F] avait été démise de sa fonction de secrétaire, qu'elle ne faisait que certains transports et beaucoup de nettoyages de véhicules, qu'elle l'a souvent vue en pleurs à cause des humiliations dues aux propos blessants, affirmant que Mme [Z] dénigrait Mme [F] en disant qu'elle profitait de la mort de son père pour être en arrêt maladie, Mme [UD] affirmant en outre avoir prévenu la médecine du travail à de nombreuses reprises et avoir été licenciée pour inaptitude à cause de cela ;

- l'attestation de M. [TC], salarié, indiquant avoir été victime avec Mme [F] et l'ensemble des salariés d'insultes (voleurs, rats)) de la part de Mme [Z], cette dernière qualifiant régulièrement Mme [F] d'incapable, affirmant avoir entendu Mme [Z] et M. [I] discuter du fait que le contrat de travail de Mme [F] ne leur convenait pas et qu'ils voulaient s'en débarrasser ;

- un certificat médical établi le 26 octobre 2017 par le docteur [K], attestant de ce que Mme [F] est suivie depuis le début de l'année 2017 pour syndrome dépressif récidivant ayant nécessité plusieurs arrêts de travail ainsi qu'un traitement anti dépresseur,

- le certificat établi par le docteur [D], psychiatre, le 22 mai 2018 attestant avoir reçu à plusieurs reprises Mme [F] qui présentait une dépression d'épuisement avec un vécu de harcèlement professionnel.

Ces éléments établissent ainsi suffisamment des faits répétés qui, pris et appréciés dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral en présence de laquelle l'employeur se doit d'établir que les comportements et faits qui lui sont reprochés étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

En réponse, l'employeur conteste la valeur probante des témoignages produits par la salariée indiquant notamment que certains anciens salariés font état de faits qui ne concernent pas Mme [F] et que certains travaillaient en dehors des locaux de la société, de sorte qu'ils n'ont pas été témoins des faits qu'ils dénoncent.

Il précise que Mme [F] a été absente pour cause de maladie du 20 janvier au 4 mars 2017 puis du 21 avril au 26 juin 2017 et enfin à compter du 10 octobre 2017 sans discontinuer, qu'elle a été absente pour cause de congés payés du 10 au 15 avril 2017 et du 3 au 23 juillet 2017, de sorte qu'elle a très peu travaillé au sein de l'entreprise au cours de l'année 2017.

Il conteste avoir insulté, exercé la moindre brimade à l'encontre des salariés y compris Mme [F]. Il soutient que les salariés actuels attestent de la bonne ambiance existant au sein de l'entreprise. Il considère que les salariés ayant attesté en faveur de Mme [F] éprouvent une rancune inopportune à son encontre précisant que plusieurs d'entre eux ont démissionné de leur poste sans lui imputer un quelconque manquement.

Il indique que Mme [F] avait le projet de racheter l'entreprise.

Il conteste avoir modifié le contrat de travail de la salariée affirmant que cette dernière a refusé de collaborer avec Mme [U], assistante administrative, engagée le 30 janvier 2017, rappelant que le contrat de travail de la salariée ne comportait pas de fonctions administratives.

Il soutient enfin que l'entretien du véhicule utilisé par l'ambulancier incombe à ce dernier et affirme qu'il résulte des feuilles d'enregistrement quotidiens et hebdomadaires des véhicules que Mme [F] n'a procédé au nettoyage du véhicule professionnel mis à sa disposition qu'à une seule reprise sur une période de six mois.

Au soutien de ses allégations, la société Ambulances Rosieroises produit notamment:

- les attestations établies par MM [C], [X], Mmes [TC], [Y], [V] faisant état de la bonne ambiance existant au sein de l'entreprise

- l'attestation de M. [I] qui conteste les allégations de Mme [F], qui indique que cette dernière a toujours accompli un travail irréprochable à l'égard des patients et de certains de ses collègues mais qu'elle s'est comportée de manière désinvolte concernant ses 'missions hors route' et dans ses relations avec Mme [Z] envers laquelle elle était provocante, précisant que lorsque Mme [Z] lui demandait des explications elle se mettait à pleurer et indiquait n'avoir aucun problème ;

- l'attestation de M. [G], salarié de septembre 2017 à décembre 2018 indiquant ne jamais avoir été témoin de paroles ou comportement hostiles envers Mme [F],

- les attestations de Mme [R], salariée et M. [A], consultant RH présent dans les locaux de la société qui indiquent ne jamais avoir été témoins de comportements inapropriés de la part de Mme [Z] ;

- les attestations de MM [G], [FE], [J], [HG], [N], [S], [O], Mmes [R], [U], [ON], [H], [M], [Y] qui indiquent ne jamais avoir constaté de situation de harcèlement moral au sein de l'entreprise et font état des capacités de dialogue de Mme [Z] ;

- l'attestation établie par Mme [ON] qui indique que Mme [F] a tenté de l'intimider en public en lui disant qu'elle avait menti en justice ;

- l'attestation de Mme [U], assistante administrative au sein de la société qui indique que Mme [F] se comportait de manière agressive envers elle, qu'elle claquait constamment les portes et soufflait à chaque tâche confiée ;

- l'attestation de M. [G] qui indique que Mme [F] multipliait les mouvements d'humeur et faisait preuve de mauvais esprit.

Les pièces et attestations produites par l'employeur sont cependant insuffisantes à contester utilement les pièces versées aux débats par Mme [F] faisant état de la dégradation de ses conditions de travail depuis 2017.

Il résulte des éléments produits qu'à compter de 2017 les relations de travail de Mme [F] se sont dégradées en ce que les tâches administratives qu'elle assumait antérieurement lui ont été retirées, qu'elle a été astreinte à effectuer d'importantes opérations de nettoyage, qu'elle a été victime de propos déplacés de la part de son employeur.

Il apparaît que certains salariés dont les témoignages sont produits par l'employeur dont MM [C], [X], Mmes [TC], [Y], [V] ont été embauchés postérieurement au départ de Mme [F] et qu'ils ne mentionnent pas l'avoir côtoyée au sein de la société.

M. [G] n'a travaillé au sein de l'entreprise avec Mme [F] qu'au cours d'un seul mois.

Les témoignages produits par l'employeur décrivent pour la plupart l'ambiance régnant au sein de l'entreprise, sans témoigner de la nature des relations existant entre Mme [F] et son employeur.

Si le contrat de travail de Mme [F] ne comportait pas expressément au titre de ses attributions la réalisation de tâches administratives, l'employeur n'explique pas les raisons pour lesquelles il a laissé la salariée les assumer de mars 2013 à janvier 2017 pour les confier à compter de cette date à une nouvelle employée.

Il n'est pas utilement contesté que Mme [F] a été assignée 'plus que de raison' à l'entretien des véhicules.

Le fait que l'employeur verse aux débats des témoignages attestant de la bonne ambiance au sein de l'entreprise depuis le départ de Mme [F] ne prive pas les témoignages produits par la salariée de valeur probante.

Au regard de ces éléments, il y a lieu de considérer que la présomption de harcèlement n'est pas utilement renversée par la société Ambulances Rosieroises qui ne verse aux débats aucun élément propre à établir que les faits et agissement qui lui sont imputés seraient étrangers à toute forme de harcèlement et procéderaient d'un exercice normal de ses prérogatives.

Ces faits ont altéré la santé de la salariée ainsi qu'il ressort des documents médicaux qu'elle produit.

Par infirmation du jugement entrepris, il est désormais jugé que Mme [F] a été victime de harcèlement moral.

Au vu des éléments versés aux débats par les parties, la cour considère qu'il existe un lien direct entre la dégradation de l'état de santé de l'appelante et l'inaptitude constatée par le médecin du travail.

En effet, les pièces médicales versées aux débats établissent que Mme [F] était traitée depuis le début de l'année 2017, pour un syndrome dépressif qu'elle mettait en relation avec ses conditions de travail, que son psychiatre se montre particulièrement inquiet à l'idée qu'elle puisse reprendre le travail précisant que l'évocation d'une reprise de son activité actuelle déclenche une anxiété anticipatoire et des idées noires, que l'état psychique de Mme [F] ne permettra pas une reprise de cette activité.

Il en résulte que l'inaptitude de la salariée est liée à un état dépressif résultant de la dégradation de ses conditions de travail et de ses relations avec l'employeur consécutive à un harcèlement moral.

En conséquence, par infirmation du jugement, il y a lieu de dire nul le licenciement prononcé.

La salariée victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à 6 mois de salaire.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l'entreprise, la cour fixe à 32 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement nul en application du texte précité.

Il convient par ailleurs d'allouer à Mme [F] les sommes précisées au dispositif au titre du préavis et des congés payés afférents, ainsi qu'au titre du complément d'indemnité de licenciement ces sommes justifiées dans leur principe n'étant pas critiquées dans leur quantum.

Au regard des effectifs de l'entreprise et de l'ancienneté de la salariée, par application de l'article L. 1234-4 du code du travail, l'employeur sera condamné à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de trois mois d'indemnités.

Sur la demande au titre du préjudice moral spécial

Mme [F] sollicite la condamnation de son ancien employeur au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice spécial qu'elle a subi en raison des conditions brutales de la rupture de son contrat de travail, de la souffrance qu'elle a dû endurer. Elle précise en outre que sa famille a dû quitter la maison familiale jouxtant l'entreprise, ce qui a constitué un préjudice supplémentaire.

L'employeur conclut au débouté de la demande. Il soutient que le licenciement n'est pas entaché de nullité et repose sur une cause réelle et sérieuse et que la salariée est défaillante dans l'administration de la preuve de l'existence du préjudice moral spécifique subi.

Sur ce ;

Il a été précédemment jugé que Mme [F] avait été victime de harcèlement moral au cours de la relation contractuelle et que son état de santé s'est dégradé en lien avec le harcèlement moral subi.

Mme [F] établit l'existence d'un préjudice qui doit être réparé par l'octroi de dommages et intérêts à hauteur de la somme mentionnée au présent dispositif.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelante les frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer. Il convient en l'espèce de condamner l'employeur, succombant dans la présente instance, à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais irrépétibles exposés par lui.

Il y a également lieu de condamner la société Ambulances Rosieroises aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort ;

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes d'Amiens du 27 septembre 2021 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant:

Dit que Mme [W] [F] a été victime de harcèlement moral ;

Dit le licenciement de Mme [W] [F] nul ;

Condamne la société Ambulances Rosieroises à verser à Mme [W] [F] les sommes suivantes:

- 3 644,46 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 364,44 euros au titre des congés payés afférents,

- 1 207,26 euros au titre du complément de l'indemnité de licenciement,

- 32 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral spécifique ;

Condamne la société Ambulances Rosieroises à verser à l'organisme concerné le montant des indemnités chômage versées à Mme [W] [F] depuis son licenciement dans la limite de 3 mois de prestations ;

Condamne la société Ambulances Rosieroises à verser à Mme [W] [F] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société Ambulances Rosieroises aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/04970
Date de la décision : 11/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-11;21.04970 ?
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