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11/05/2022 | FRANCE | N°21/03687

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 11 mai 2022, 21/03687


ARRET







[Z]





C/



S.A.S. [C] [F] LA MAISON DES BAPTEMES































































copie exécutoire

le 11/05/2022

à

-SCP FRISON

-SELARL DELAHOUSSE

LDS/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 11 MAI 2

022



*************************************************************

N° RG 21/03687 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IFJT



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 23 JUIN 2021 (référence dossier N° RG 19/00001)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



Madame [P] [Z]

née le 18 Avril 1985 à AMIENS (80000)

9 Rue Jardin Pernez

80800 FRANVI...

ARRET

[Z]

C/

S.A.S. [C] [F] LA MAISON DES BAPTEMES

copie exécutoire

le 11/05/2022

à

-SCP FRISON

-SELARL DELAHOUSSE

LDS/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 11 MAI 2022

*************************************************************

N° RG 21/03687 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IFJT

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 23 JUIN 2021 (référence dossier N° RG 19/00001)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [P] [Z]

née le 18 Avril 1985 à AMIENS (80000)

9 Rue Jardin Pernez

80800 FRANVILLERS

représentée, concluant et plaidant par Me Christine HAMEL de la SCP FRISON ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AMIENS

ET :

INTIMEE

S.A.S. [C] [F] LA MAISON DES BAPTEMES

1 rue Delambre

80008 AMIENS CEDEX 1

représentée, concluant et plaidant par Me Franck DELAHOUSSE de la SELARL DELAHOUSSE ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 16 mars 2022, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Madame Laurence de SURIREY en son rapport,

- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Madame Laurence de SURIREY indique que l'arrêt sera prononcé le 11 mai 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Laurence de SURIREY en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Fabienne BIDEAULT, conseillère,

Mme Marie VANHAECKE-NORET, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 11 mai 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [Z], née le 18 avril 1985, a été embauchée par la SAS [C] [F] (la société ou l'employeur) dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, le 31 décembre 2006, en qualité de vendeuse.

Son contrat est régi par la convention collective nationale de la confiserie chocolaterie. La société emploie quinze salariés.

Mme [Z] a été placée en arrêt de travail à compter du 29 juillet 2017.

A l'issue de la visite de reprise et après une étude de poste et des conditions de travail et un échange avec l'employeur, le médecin du travail a, le 22 octobre 2018, rendu un avis d'inaptitude avec les observations suivantes : « Capacités restantes : laborantine, employée de bureau. Capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté : oui . ». Par une lettre du 30 octobre suivant, il précisait que l'inaptitude n'était pas liée à une maladie professionnelle.

Par courrier recommandé en date du 6 novembre 2018, la société [C] [F] a proposé à Mme [Z] un poste de reclassement au sein de la société Spécialités picardes.

Par courrier du 10 novembre 2018, la salariée a rejeté cette demande.

Elle a été convoquée le 15 novembre 2018, à un entretien préalable fixé le 23 novembre 2018. Par courrier du 27 novembre 2018, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Elle a saisi le conseil de prud'hommes d'Amiens, le 2 janvier 2019, afin de voir requalifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement en licenciement nul consécutivement aux faits de harcèlement moral qu'elle affirme avoir subi de la part de son employeur.

Le conseil, par jugement du 23 juin 2021, a :

- dit et jugé qu'il n'y avait pas d'élément permettant de présumer et de caractériser une situation de harcèlement moral ;

- débouté Mme [Z] de sa demande de dire nul son licenciement pour des faits de harcèlement moral, de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- dit et jugé que la SAS [F] avait respecté son obligation de reclassement ;

- dit et jugé que la cause réelle et sérieuse du licenciement de Mme [Z] était l'inaptitude et l'impossibilité de reclassement.

- débouté Mme [Z] de sa demande de requalification de son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement en licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que de ses demandes y afférentes ;

- débouté les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Par conclusions remises le 28 janvier 2022, Mme [Z], qui est régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Amiens le 23 juin 2021 ;

A titre principal,

- dire nul son licenciement intervenu le 28 novembre 2018 consécutivement aux faits de harcèlement moral avérés ;

- condamner la société [F] à lui payer :

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi pour harcèlement moral ;

- 23 760 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

A titre subsidiaire,

- dire son licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société [F] à lui payer à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 23 760 euros ;

En tout état de cause,

- condamner la société [F] prise en la personne de son représentant légal à lui payer :

- 3 960 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 396 euros au titre des congés payés sur préavis ;

-condamner la société [F] au paiement de la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- ordonner la remise sous astreinte non comminatoire de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir de l'ensemble des documents de fin de contrat et bulletins de paie conformes à ladite décision ;

- dire que l'ensemble des condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de la première saisine du bureau de conciliation du conseil de prud'hommes d'Amiens ;

- débouter la société [F] de toute demande formée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 16 mars 2022, la société [F] demande à la cour de  :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Amiens le 23 juin 2021 ;

- débouter Mme [Z] de l'intégralité de ses demandes ;

- juger Mme [Z] mal fondée en sa demande de dommages et intérêts fondée sur un prétendu harcèlement moral de son ancien employeur ;

- constater qu'en tout état de cause, le licenciement prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement ne saurait être jugé comme étant nul ;

- constater qu'elle a respecté son obligation de reclassement et qu'en conséquence le licenciement de Mme [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse ;

- condamner Mme [Z] au paiement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS :

À titre liminaire, la cour rappelle qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, elle n'examine les moyens au soutien des prétentions des parties que s'ils sont invoqués dans la discussion.

I- Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, la salariée expose que tant que la société a été gérée par M. [U] [F], la relation de travail s'est déroulée dans les meilleures conditions mais qu'à compter de 2016, son fils et successeur M. [I] [F], a décidé de rendre son quotidien insupportable, multipliant les critiques quant à ses tenues vestimentaires et ses coiffures ; que la situation s'est encore aggravée lorsqu'elle a fait une première demande de formation le 12 mai 2016, puis une seconde le 18 juillet 2017, ses demandes déclenchant les foudres de l'employeur qui ne tolérait pas qu'elle puisse former une telle demande la conduisant à s'absenter de son entreprise ; qu'elle a été contrainte de demander l'arbitrage de l'inspection du travail qui a constaté l'illicéité de son refus ; que l'employeur a engagé à son encontre une procédure disciplinaire totalement fantaisiste, basée sur de fausses attestations soutirées à deux collègues de travail et des plannings falsifiés, procédure qui n'a pas abouti en l'absence de faute de sa part et qui avait pour seul but d'exercer des pressions sur elle ; qu'il l'a menacée à plusieurs reprises notamment à l'occasion de deux messages téléphoniques dont un adressé à son mari, l'accusant avec violence de mettre l'entreprise en difficulté par un arrêt maladie de complaisance et que ce harcèlement a eu des répercussions graves sur son état de santé.

Elle accuse l'employeur de verser aux débats des attestations « extorquées » à certains salariés, inspirées par la crainte de subir le même sort qu'elle ou de perdre leur emploi, dans le but de dégrader son image alors qu'elle n'a pas été licenciée pour des faits fautifs mais pour inaptitude.

Elle ajoute qu'à la suite de ce harcèlement, elle a subi une dégradation de son état de santé physique et psychologique allant jusqu'à la déclaration d'inaptitude.

Sont versées à son dossier les pièces suivantes :

- une demande d'autorisation d'absence pour suivre une formation de secrétaire assistante dans le cadre d'un congé individuel de formation pour la période du 5 septembre 2016 au 27 avril 2017, datée du 12 mai 2016 et le refus de l'employeur manifesté par une lettre du 17 mai 2016 aux motifs que les délais légaux n'avaient pas été respectés et que son absence pour la période qui regroupe Noël et Pâques pourrait nuire à la bonne marche de la société,

- une seconde demande d'autorisation d'absence dans le cadre d'un congé individuel de formation pour suivre un stage de formation de secrétaire assistante pour la période du 30 octobre 2017 au 6 juillet 2018, datée du 24 juin 2017, une relance informant l'employeur de ce qu'elle souhaitait saisir l'inspection du travail pour arbitrage,

- la réponse de l'inspection du travail du 21 août 2017, informant les parties qu'il considérait que le refus de l'employeur était injustifié, aucun des motifs de refus prévus par la réglementation n'étant invoqué et aucun recours n'ayant été dûment notifié à la salariée dans le délai imparti,

- une lettre adressée par la salariée à l'employeur, le 25 août 2017, manifestant le fait que la fiche d'information entreprise nécessaire à la mise en place de son congé individuel de formation n'avait pas été correctement remplie et lui demandant d'y remédier,

- une lettre datée du 22 août 2017 adressée à M. [I] [F], par laquelle elle dénonce sur trois pages des conditions de travail déplorables et une situation de harcèlement moral,

- une lettre de l'employeur faisant suite à sa lettre du 22 août 2017 exprimant son ahurissement devant « ses mensonges et interventions dignes d'un roman » , l'accusant d'être calculatrice et d'avoir « réussi à se fâcher avec l'ensemble des autres collaborateurs qui sont prêts à témoigner de son « attitude intolérable »,

- une convocation à un entretien préalable au licenciement pour manquement grave au respect des normes et de l'hygiène professionnelle du 31 juillet 2017,

- une lettre du 18 août 2017, adressée par la salariée à l'employeur, relatant les conditions dans lesquelles elle a été reçue pour l'entretien préalable le 2 août 2017, empêchant la tenue de cet entretien, (présence d'un petit chien, refus catégorique de l'employeur de fermer la porte pour préserver la confidentialité des échanges à l'égard de la clientèle et des autres salariés et interpellation de sa conseillère « je ne vais pas en rester là. Au revoir ! »),

- Une attestation de la conseillère de la salariée confirmant les allégations contenues dans la lettre ci-dessus et relatant que lorsqu'elle a indiqué à l'employeur que dans de telles conditions elles étaient obligées de partir, celui-ci a ri et a ajouté « je la convoquerai autant de fois qu'il faut »,

- Une seconde convocation du 17 août 2017, à un entretien préalable au licenciement prévu le 26 septembre suivant et la réponse de la salariée s'étonnant de cette date lointaine et demandant des garanties quant à la confidentialité des échanges,

- une lettre adressée par la salariée à l'inspection du travail le 2 août 2017 dénonçant des faits de harcèlement moral de la part de M. [F],

- un procès-verbal de constat d'huissier de justice du 7 août 2017 retranscrivant :

- le message vocal suivant reçu par Mme [Z] sur son téléphone portable le 29 juillet 2017 : « [P], je n'admets pas votre attitude, ce exactement pourquoi vous vantez d'ailleurs, et on va d'ailleurs demander un contrôle de la sécurité sociale et je peux vous assurer que là-dessus ça ne va pas stagner. Je n'admets pas votre attitude comme ça, je vais même en faire part à votre mari. C'est inadmissible. »,

- Le message vocal suivant reçu par M. [Z] sur le téléphone fixe de son entreprise le 29 juillet 2017 : « Monsieur [Z], bonjour, Monsieur [F], je suis à l'étranger, je viens d'apprendre qu'[P] nous plante cette semaine, parce qu'elle n'avait absolument rien hier et je doute qu'il y ait eu un accident dans la nuit. Je trouve ça proprement scandaleux de faire face à cette période de l'année ou en plus on est en effectif réduit, j'ai des filles qui sont malades... et puis pour de vrai. Je ne vous cache pas que ça ne se terminera pas comme ça parce que là vraiment je suis horrifiée, je trouve ça absolument pas logique qu'on puisse agir de cette sorte quand on a autant d'ancienneté et quand on a aucune responsabilité (...incompréhensible) c'est une affaire comme celle-ci. C'est absolument révoltant pour toute mon équipe et je ne vous cache pas que je n'en resterai pas là parce que là je vais mettre un point d'honneur à régler ça très rapidement sauf à ce qu'elle rentre très rapidement dans les rangs et qu'elle revienne cet après-midi au magasin parce que là vraiment il y a un abus que je ne peux tolérer (...) »,

- et précisant que le ton employé était « vindicatif, menaçant et cassant »,

- les attestations de deux collaborateurs de M. [Z] affirmant avoir entendu les propos ci-dessus reproduits sur la messagerie du téléphone de l'entreprise le 29 juillet 2017, et de la gêne que cela a suscité,

- des attestations de Mmes [M] et [R], anciennes collègues de Mme [Z], louant ses qualités professionnelles et humaines,

- un échange de SMS entre deux personnes non identifiées, adressés à Mme [H] selon Mme [Z], évoquant une situation de harcèlement moral,

- des ordonnances délivrées par son médecin généraliste courant 2017 et 2018 et des avis d'arrêt de travail sur la même période,

- une lettre de son médecin traitant adressée à un confrère indiquant qu'elle nécessite un suivi psychologique à la suite de problèmes de travail avec un syndrome dépressif secondaire avec perte de poids, asthénie, mésestime de soi, anhédonie, insomnie,

- des lettres de sa psychiatre à la médecine du travail des 9 juillet, 8 octobre 2018 et 28 mai 2019, signalant le péril pour la santé de la salariée que représenterait une reprise du travail au sein de l'entreprise quel que soit le poste,

- l'avis d'inaptitude du 22 octobre 2018,

- une note de suivi du psychologue de la médecine du travail du 26 septembre 2017, relatant l'état de détresse psychologique de la salariée et indiquant qu'elle a besoin de repos et une autre du 9 octobre 2018, exposant la souffrance psychologique et physique de la salariée en rapport avec la relation de travail et l'impossibilité pour celle-ci de retourner dans l'entreprise sans risque dommageable pour sa santé,

- des documents concernant Mme [H] également licenciée pour inaptitude et invoquant un harcèlement moral dans l'entreprise,

- un échange de SMS au cours duquel une collègue de Mme [Z] fait état de son refus de témoigner par peur des représailles,

- une attestation de M. [B] affirmant que lorsqu'il était salarié de l'entreprise [F], il a subi quotidiennement des remarques désobligeantes, des propos dévalorisants et des demandes contradictoires de la part de M. [I] [F] qui l'ont conduit au burn out et l'ont profondément affecté,

C'est à juste titre que l'employeur fait valoir que la matérialité des faits consistant en des critiques sur ses tenues vestimentaires et sa coiffure de la part de M. [I] [F] avant l'été 2016 n'est pas établie à défaut de pièces justificatives.

En revanche, les autres faits présentés sont matériellement établis par la salariée, et, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il incombe donc à la société d'apporter ses propres éléments pour détruire cette présomption.

L'employeur soutient que la salariée ne produit aucune pièce concernant ses allégations à propos de la dégradation de ses conditions de travail à compter de l'été 2016 ; que c'est au contraire son propre comportement qui a fondamentalement changé à partir de cette date, celle-ci se plaisant à semer la zizanie entre ses collègues, les poussant à bout ; que le mal-être qu'elle lui impute pourrait trouver son origine dans son échec au concours de recrutement de secrétaire d'administration ; que son refus des formations était légitime au regard des nécessités de l'entreprise ; que furieuse de ces refus, la salariée a commis un grave manquement aux procédures d'emballage et au respect des normes d'hygiène pouvant attenter gravement au crédit et à la réputation de la société ce dont plusieurs collaboratrices témoignent ; qu'anticipant sa réaction, Mme [Z] a été placée quelque jours après ces manquements en arrêt de travail le 29 juillet 2017 et n'a jamais réintégré son emploi ; que par conséquent, d'une part, sa convocation à entretien préalable du 31 juillet 2017 n'est pas intervenue en rétorsion à sa relance écrite concernant sa demande de formation et, d'autre part, elle n'a pu subir comme elle l'affirme de multiples brimades à partir de cette date, n'ayant plus jamais rencontré M. [I] [F] et que les appels téléphoniques de ce dernier, du 29 juillet 2017, ne sont que l'expression de son légitime courroux face à ce qu'il considérait comme un arrêt de travail abusif. Il conteste avoir falsifié les agendas et le registre unique du personnel.

Il affirme que contrairement à ce que soutient la salariée, il existe une excellente ambiance de travail au sein de l'entreprise, y compris sous la direction de M. [I] [F], ainsi qu'en témoignent librement de nombreux collaborateurs.

La société établit que son refus de la première demande de formation en 2016 était justifié au moins sur le plan juridique, la salariée n'ayant pas respecté les délais prévus à l'article R. 6322-3 du code du travail.

S'agissant de la seconde demande de congé pour formation, il ressort de la lettre de l'inspecteur du travail du 21 août 2017 que :

- contrairement à ce qu'allègue l'employeur, il a bien réceptionné dans l'entreprise la demande initiale le 29 juin 2017 mais n'y a pas donné de suite ce qui a nécessité une relance de la part de la salariée le 18 juillet suivant,

- le refus opposé à cette demande de formation, à savoir l'absence de poste de secrétaire assistante dans l'entreprise, n'était pas licite dans la mesure où il ne s'agit pas d'un des motifs de refus prévus par la réglementation.

La raison du refus invoquée par l'employeur dans ses écritures, fondée sur le fait qu'il ne pouvait se priver de la salariée pendant ses plus fortes périodes d'activité, n'est pas non plus légitime dès lors que les nécessités de l'entreprise permettent de différer l'accès du salarié à sa formation mais non de s'y opposer.

Par ailleurs, il a retardé la constitution du dossier en ne remplissant pas correctement les mentions requises.

L'employeur ne peut utilement invoquer un légitime courroux pour excuser le ton vindicatif, menaçant et cassant qu'il a adopté dans les messages téléphoniques qu'il a déposés sur les répondeurs de Mme [Z] et de son mari, étant observé que ce dernier n'est pas salarié de l'entreprise et qu'il a été contacté sur le téléphone fixe de son lieu de travail ce qui revêt à caractère humiliant.

La bonne ambiance de travail attestée par plusieurs salariées retraitées de l'entreprise, amenées à collaborer encore à celle-ci pour les périodes de Noël et de Pâques, ne permet pas d'exclure un comportement harcelant à l'égard de Mme [Z] en particulier.

Il en va de même du comportement colérique, provocateur et insultant tant à l'égard de ses collègues que de la clientèle, imputé à Mme [Z] à compter de l'été 2016 ou même depuis toujours, par d'autres salariés dont les attestations sont versées aux débats par la société. Au demeurant, il est notable que l'employeur n'ait pas réagi à de tels écarts qui compromettaient à l'évidence le bon fonctionnement de l'entreprise, une salariée indiquant même qu'elle a failli partir et une autre qu'elle venait souvent travailler « la boule au ventre » à cause de Mme [Z]. Au surplus, cette situation n'a pas été constatée par les retraitées venant en renfort en période de surcroît d'activité.

L'employeur indique avoir renoncé à la procédure disciplinaire dans un souci d'apaisement bien qu'il se plaise à souligner la gravité des faits reprochés à la salariée.

Pourtant, alors que l'entretien préalable est une phase de conciliation, qui doit permettre qu'un vrai dialogue puisse s'instaurer et conduire à une solution du problème qui ne se traduise pas par le licenciement du salarié, M. [F] a adopté un comportement marqué par le mépris et une certaine violence verbale, qui a fait échec à la rencontre comme en atteste la conseillère de la salariée étrangère à l'entreprise.

Ainsi, à l'examen des pièces produites et moyens débattus, la cour retient que l'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par Mme [Z] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Ces faits ont altéré sur la santé de la salariée ainsi qu'il ressort des documents médicaux qu'elle produit.

Le harcèlement moral est donc établi. Le jugement sera infirmé de ce chef.

La somme de 4 000 euros est de nature à assurer la réparation intégrale du préjudice causé par le harcèlement moral subi par la salariée.

II- Sur le licenciement :

A titre principal, Mme [Z] demande que son licenciement soit déclaré nul comme faisant suite à une situation de harcèlement moral.

L'employeur, pour s'opposer à cette demande, fait valoir que la salariée avait l'intention de se réorienter professionnellement et de quitter l'entreprise ce qui devait aboutir inéluctablement à la rupture du contrat de travail et que la demande de nullité du licenciement présentée 16 mois après la suspension de son contrat de travail est tardive.

L'article L 1152-3 dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2, est nulle. Le licenciement pour inaptitude physique d'un salarié est donc nul si cette inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans des actes de harcèlement moral commis par l'employeur.

Il convient de rappeler que la cour n'est pas tenue par la qualification de l'inaptitude retenue par le médecin du travail.

En l'espèce, les pièces médicales versées aux débats établissent que Mme [Z] était traitée, au moins depuis le mois d'avril 2017, pour une dépression sévère qu'elle mettait en relation avec ses conditions de travail, que sa psychiatre se montre particulièrement inquiète à l'idée qu'elle puisse reprendre le travail faisant état d'un péril pour sa santé et que la psychologue du service de médecine du travail partage ce point de vue puisqu'elle fait état d'un « impossible retour » au travail.

Il en résulte que l'inaptitude de Mme [Z] est liée à un état dépressif résultant de la dégradation de ses conditions de travail et de ses relations avec l'employeur consécutive à un harcèlement moral nonobstant le fait que le médecin du travail ait considéré que l'inaptitude n'était pas d'origine professionnelle.

Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à 6 mois de salaire.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l'entreprise, la cour fixe à 18 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement nul en application du texte précité.

Il convient par ailleurs d'allouer à Mme [Z] les sommes précisées au dispositif au titre du préavis et des congés payés afférents, ces sommes justifiées dans leur principe n'étant pas critiquées dans leur quantum.

La société sera également condamnée à remettre à la salariée les documents de fin de contrat rectifiés en application du présent arrêt sans qu'il y ait lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte.

Au regard des effectifs de l'entreprise et de l'ancienneté de la salariée, par application de l'article L. 1234-4 du code du travail, l'employeur sera condamné à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de trois mois d'indemnités.

III- Sur les demandes accessoires :

La société, qui perd le procès, doit en supporter tous les dépens et sera condamnée à verser à l'appelante la somme indiquée au dispositif sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera déboutée de sa propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

infirme le jugement en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau et y ajoutant,

dit que Mme [Z] a été victime de harcèlement moral,

dit que le licenciement prononcé le 28 novembre 2018 est nul,

condamne la société [C] [F] à payer à Mme [Z] les sommes suivantes :

- dommages intérêts pour harcèlement moral : 4 000 euros,

- dommages et intérêts pour licenciement nul : 18 000 euros,

- indemnité compensatrice de préavis : 3 960 euros,

- congés payés sur préavis : 396 euros,

- indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros,

rappelle que les sommes de nature salariale produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les sommes de nature indemnitaire à compter du présent arrêt,

ordonne à la société de remettre à Mme [Z] les documents de fin de contrat et bulletins de paie conformes au présent arrêt,

ordonne à la société de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à la salariée à compter de son licenciement, dans la limite de trois mois d'indemnité,

rejette toute autre demande,

condamne la société [C] [F] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/03687
Date de la décision : 11/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-11;21.03687 ?
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