ARRET
N° 216
Etablissement NATIONAL DES INVALIDES DE LA MARINE (ENIM)
C/
Syndicat PROFESSIONNEL DES PILOTES DE DUNKERQUE
GH
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 05 MAI 2022
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N° RG 20/01360 - N° Portalis DBV4-V-B7E-HVP4
JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE - POLE SOCIAL - DE LILLE EN DATE DU 17 décembre 2019
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Etablissement NATIONAL DES INVALIDES DE LA MARINE (ENIM) agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
4 RUE ERIC TABARLY
17183 PERIGNY CEDEX
Représentée et plaidant par Me Charles WEIL, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIMEE
Syndicat PROFESSIONNEL DES PILOTES DE DUNKERQUE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Avenue des Bancs de Flandres
59140 DUNKERQUE
Représentée et plaidant par Me Ghislaine STREBELLE-BECCAERT, avocat au barreau de LILLE
DEBATS :
A l'audience publique du 31 Janvier 2022 devant Mme Graziella HAUDUIN, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 05 Mai 2022.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. Pierre DELATTRE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Graziella HAUDUIN en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Elisabeth WABLE, Président,
Mme Graziella HAUDUIN, Président,
et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 05 Mai 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Graziella HAUDUIN, Président a signé la minute avec Mme Blanche THARAUD, Greffier.
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DECISION
Vu le jugement en date du 17 décembre 2019 auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits, procédure et prétentions initiales des parties par lequel le pôle social du tribunal de grande instance de Lille, statuant sur le recours du syndicat des pilotes maritimes de Dunkerque, employeur de M. [D] [W], marin, à l'encontre de la décision de l'Établissement national des invalides de la marine (ENIM),organisme de sécurité sociale, de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la rechute du 13 novembre 2017 de la maladie professionnelle déclarée le 5 janvier 2007 et prise en charge le 23 mai 2007 au titre du tableau n°66 (rhinites et asthmes professionnels), a :
- dit que la preuve du respect des conditions du tableau n°66 de la pathologie du 5 janvier 2017 de M. [W] n'est pas rapportée par l'ENIM,
- dit en conséquence la décision de l'ENIM du 23 mai 2007 de prise en charge de la pathologie du 5 janvier 2017 de M. [W] au titre de la législation sur les risques professionnels et la décision de prise en charge du 24 novembre 2017 de la rechute du 13 novembre 2017, inopposables au syndicat,
- condamné l'ENIM aux dépens,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le greffe du tribunal a envoyé le 29 janvier 2020 la notification du jugement aux parties.
Vu l'appel interjeté le 27 février 2020 par l'ENIM devant la cour d'appel de Douai de cette décision.
Vu l'appel interjeté le 3 mars 2020 par l'ENIM devant la cour d'appel d'Amiens de cette décision.
Vu le renvoi au 31 janvier 2022 accordé à l'audience du 17 juin 2021 à la demande des parties.
Vu les conclusions visées par le greffe le 31 janvier 2022 et soutenues oralement à l'audience, par lesquelles l'ENIM demande à la cour de :
- dire l'ENIM recevable et bien fondé en son appel,
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- dire prescrite l'action du syndicat professionnel des pilotes de Dunkerque à l'encontre de la décision du 23 mai 2007 reconnaissant le caractère professionnel de la maladie du 5 janvier 2007,
Subsidiairement, dire l'action du syndicat à l'encontre de la décision du 24 novembre 2017 de prise en charge de la rechute du 13 novembre 2017 mal fondée,
- dire en conséquence que les décisions des 23 mai 2007 et 24 novembre 2017 opposables au syndicat,
- débouter le syndicat de toute demande contraire,
Très subsidiairement d'ordonner une expertise médicale sur pièces par un médecin spécialisé ORL ou allergologue,
- condamner le syndicat au versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le syndicat aux éventuels dépens de première instance et d'appel.
Vu les conclusions visées par le greffe le 31 janvier 2022 et soutenues oralement à l'audience, par lesquelles le syndicat professionnel des pilotes de Dunkerque demande à la cour de :
A titre principal de juger irrecevable l'appel de l'ENIM,
A titre subsidiaire de :
- constater que l'ENIM ne démontre pas que la décision de prise en charge de la maladie professionnelle en 2007 a été notifiée par l'ENIM au syndicat et qu'elle peut donc être contestée à l'occasion du présent contentieux, y compris dans le cadre de la prescription quinquennale, non atteinte en l'espèce,
Par conséquent :
- de confirmer la décision de première instance ayant dit et jugé que l'ENIM ne démontre pas le respect des conditions cumulatives du tableau n°66 permettant de bénéficier d'une prise en charge au titre de la législation professionnelle,
' de dire et juger que le caractère professionnel de la pathologie de M. [W] n'est pas établi à l'égard du syndicat des pilotes maritimes de Dunkerque,
' de confirmer que la décision de prise en charge en date du 23 mai 2007 est injustifiée et par conséquent inopposable au syndicat,
Par conséquent, de confirmer que la décision de prise en charge de la rechute en date du 24 novembre 2017 est inopposable au syndicat,
A titre infiniment subsidiaire :
- de dire et juger que les nouvelles lésions ne sont pas en lien avec la maladie professionnelle de 2007,
- de désigner un médecin expert afin de statuer sur l'existence ou non d'une rechute,
A titre très infiniment subsidiaire :
- de désigner un médecin expert afin de statuer sur la date de consolidation de la rechute,
En tout état de cause :
- de condamner l'ENIM à la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
SUR CE, LA COUR :
Sur la recevabilité de l'appel de l'ENIM :
Il convient de constater que l'avis de réception de la notification par l'ENIM ne porte aucune date, mais que cependant, il n'a pu recevoir la notification du jugement avant le 30 janvier 2020 en considération d'un envoi par le greffe de la décision le 29 janvier précédent.
L'ENIM a interjeté appel devant la cour d'appel de Douai le 27 février 2020, puis devant la présente cour le 3 mars 2020.
Il résulte des articles 2241 et 2243 du code civil que la déclaration d'appel formée devant une cour d'appel incompétente interrompt la délai d'appel.
Ainsi, l'appel formé le 27 février 2020 par l'ENIM devant la cour d'appel de Douai dans un délai nécessairement inférieur à un mois, dont il n'est plus contesté qu'elle était territorialement incompétente pour connaître du recours contre la décision du pôle social du tribunal de grande instance de Lille en application du décret n°2018-772 du 4 septembre 2018, a interrompu le délai d'appel.
A la date du 3 mars 2020, la cour d'appel de Douai n'était pas dessaisie, son incompétence et son dessaisissement n'ayant été consacrés de manière définitive que par l'effet de l'arrêt du 29 janvier 2021 statuant sur le déféré formé à l'encontre de l'ordonnance d'irrecevabilité de l'appel du conseiller de la mise en état du 4 mars 2020.
Enfin, si un certificat de non-appel a été établi par le greffe de la cour d'appel d'Amiens le 3 mars 2020, il l'a été le même jour que l'appel formé devant cette cour, sans que les éléments du dossier permettent de connaître la chronologie de ces deux actes, étant rappelé au surplus qu'il ne ressort pas des dispositions de l'article 505 du code de procédure civile que le greffe a pour mission de vérifier si le délai d'appel est expiré et si la décision est devenue exécutoire.
Il s'ensuit que l'appel interjeté le 3 mars 2020 devant la cour d'appel d'Amiens par l'ENIM sera déclaré recevable.
Sur la contestation de l'opposabilité de la prise en charge de la maladie professionnelle :
L'article 2444 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Dans sa version applicable au litige, soit dans celle antérieure au décret n°2009-938 du 29 juillet 2009, en vigueur au 1er janvier 2010, l'article R 441-14 du code de la sécurité sociale dispose que « La décision motivée de la caisse est notifiée à la victime ou à ses ayants droit sous pli recommandé avec demande d'avis de réception. En cas de refus, le double de la notification est envoyé pour information à l'employeur. Si le caractère professionnel de l'accident, de la maladie, ou de la rechute n'est pas reconnu par la caisse, celle-ci indique à la victime dans la notification les voies de recours et les délais de recevabilité de sa contestation. [...] »
Ainsi, ce texte prévoit donc une simple information par la caisse de l'employeur de sa décision de prise en charge et non une notification avec indication de voies de recours et de délais de contestation.
En l'absence de texte spécifique, l'action en opposabilité de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de l'organisme social de reconnaître le caractère professionnel de la maladie est au nombre des actions visées par l'article 2444 précité.
En l'espèce, il ressort des courriers échangés entre l'ENIM, organisme de sécurité sociale ayant instruit la demande de prise en charge de la maladie dont est atteint M. [W], et le syndicat employeur que ce dernier a été informé le 27 novembre 2007 de la demande de prise en charge par M. [W] d'une maladie professionnelle et de la reconnaissance de cette maladie le 5 janvier 2007, ce que l'employeur confirme dans son courrier du 3 décembre 2007 adressé à l'ENIM, même s'il s'interroge sur la normalité de la procédure, notamment par son information presque 10 mois après la reconnaissance.
Il s'en déduit que, comme le soutient à bon droit l'ENIM, le syndicat, qui n'a pas agi dans les cinq années de cette information puisqu'il a introduit son recours le 14 février 2018 en saisissant le tribunal de grande instance de Lille à l'occasion de la rechute, doit être considéré comme prescrit dans son action de contestation de l'opposabilité à son égard de la décision de prise en charge de la maladie du 5 janvier 2007 et de son bien-fondé.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a statué sur la contestation par l'employeur de l'opposabilité à son égard de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle.
Sur la contestation de la prise en charge de la rechute :
L'irrecevabilité précédente n'a cependant pas pour effet de rendre irrecevable la demande d'inopposabilité de la prise en charge de la rechute formée par le syndicat.
La rechute est constituée par un fait pathologique nouveau qui apparaît postérieurement à la date de guérison apparente, suppose donc une aggravation et doit enfin résulter d'une évolution en dehors de toute influence des conditions du travail effectué.
La contestation de l'employeur de l'existence d'une rechute porte tout d'abord sur l'absence de réunion, selon lui, des conditions du tableau n°66 des maladies professionnelles. Or, cette critique revient à contester l'existence même de la maladie professionnelle alors qu'il n'est plus recevable à le faire en raison de la prescription de son action.
L'argument de l'employeur sur la cessation d'exposition au risque en raison de l'affectation du salarié à la conduite exclusive de pilotines et depuis mais 2007 l'absence de travail en atelier et à des travaux d'entretien et de réparation doit aussi être considéré dans la présente espèce comme inopérant.
Il appartient cependant à la caisse d'établir que la rechute déclarée est la conséquence exclusive de la maladie professionnelle initiale.
Il ressort des éléments versés au débat, notamment l'avis du médecin conseil de l'organisme, que la maladie professionnelle prise en charge en 2007 est une rhinite et un asthme allergique imputés à une exposition au colophanel a été déclarée consolidée le 20 janvier 2008 avec un taux d'IPP de 5% avec cependant la poursuite de soins d'entretien post consolidation malgré le changement de poste et que l'aggravation de sa pathologie a justifié tant une déclaration de rechute qu'une chirurgie de l'ethmoïde nécessitant une hospitalisation les 13 et 14 novembre 2017, que le certificat médical initial établi par Mme [T], médecin du service pathologies professionnelles et environnement du CHU de Lille, le 5 janvier 2007 mentionnant un diagnostic de rhinite et symptomatologie pulmonaire évocatrice d'une hyperréactivité bronchique et d'une asthme débutant à la colophane révèle l'exposition professionnelle à de nombreux produits irritants et sensibilisants dont la colophane, présente dans une peinture et qu'enfin la fiche de liaison médico-administrative du 5 mars 2018 et l'avis du médecin-conseil, Mme [X], du 24 mai 2018, fait le lien entre la chirurgie de l'ethmoïde (opération touchant les sinus) évoquée lors de la rechute et mentionnée sur les certificats d'arrêts de travail avec la pathologie prise en charge en 2007, soit une rhinite, qui touche également les sinus.
L'ensemble de ces éléments, non utilement contredits, permet de retenir l'existence d'un lien exclusif entre la pathologie initiale et la rechute et donc du caractère professionnel de celle-ci, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une mesure d'expertise.
Il y a lieu en conséquence, par infirmation du jugement déféré, de faire droit à la demande de l'ENIM de voir déclarer opposable au syndicat employeur la prise en charge de la rechute du 24 novembre 2017 au titre de la législation professionnelle.
Le syndicat professionnel des pilotes de Dunkerque, qui succombe, sera condamné à supporter la charge des dépens de première instance nés postérieurement au 31 décembre 2018 et d'appel, débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné sur ce fondement à verser à l'ENIM la somme de 2 500 euros.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare l'appel interjeté par l'ENIM le 3 mars 2020 recevable ;
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Dit l'action du syndicat professionnel des pilotes de Dunkerque en contestation de l'opposabilité et du bien fondé de la décision de prise en charge du 23 mai 2007 au titre de la législation professionnelle de la maladie déclarée par M. [D] [W] prescrite et le syndicat en conséquence irrecevable à agir ;
Dit la prise en charge au titre de la législation professionnelle de la rechute déclarée le 13 novembre 2017 opposable au syndicat professionnel des pilotes de Dunkerque ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne le syndicat professionnel des pilotes de Dunkerque aux dépens de première instance nés postérieurement au 31 décembre 2018 et d'appel et à verser à l'ENIM la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Le Greffier,Le Président,