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28/04/2022 | FRANCE | N°21/02248

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 28 avril 2022, 21/02248


ARRET







[P]





C/



S.A.S. SUPPLAY

S.A.R.L. GENARD PERE ET FILS



























































copie exécutoire

le 28/04/2022

à

SCP ACG

SCP VIEL

SELARL CLAVEL

VHN/IL/MR



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 28 A

VRIL 2022



*************************************************************

N° RG 21/02248 - N° Portalis DBV4-V-B7F-ICSK



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 15 JUIN 2016 (référence dossier N° RG F15/00343)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [C] [P]

[Adresse 5]

Appart 109

[Localité 3]



représenté, concluan...

ARRET

[P]

C/

S.A.S. SUPPLAY

S.A.R.L. GENARD PERE ET FILS

copie exécutoire

le 28/04/2022

à

SCP ACG

SCP VIEL

SELARL CLAVEL

VHN/IL/MR

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 28 AVRIL 2022

*************************************************************

N° RG 21/02248 - N° Portalis DBV4-V-B7F-ICSK

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 15 JUIN 2016 (référence dossier N° RG F15/00343)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [C] [P]

[Adresse 5]

Appart 109

[Localité 3]

représenté, concluant et plaidant par Me Gérald CHALON de la SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

ET :

INTIMEES

S.A.S. SUPPLAY

[Adresse 6]

[Localité 2]

représentée, concluant et plaidant par Me Marie-laure VIEL de la SCP MARIE-LAURE VIEL, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN substituée par Me Manon MAGNIER, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN

S.A.R.L. GENARD PERE ET FILS

[Adresse 4]

[Adresse 8]

[Localité 1]

représentée, concluant et plaidant par Me Stéphanie CLAVEL de la SELARL CLAVEL-DELACOURT, avocat au barreau de SOISSONS

DEBATS :

A l'audience publique du 03 mars 2022, devant Mme Marie VANHAECKE-NORET, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Mme Marie VANHAECKE-NORET en son rapport,

- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Mme Marie VANHAECKE-NORET indique que l'arrêt sera prononcé le 28 avril 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Marie VANHAECKE-NORET en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Fabienne BIDEAULT, conseillère,

Mme Marie VANHAECKE-NORET, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 28 avril 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

Vu le jugement en date du 15 juin 2016 par lequel le conseil de prud'hommes de Soissons, statuant dans le litige opposant M. [C] [P] à la société Génard père et fils (SARL) et à la société Supplay (SAS), a accueilli la fin de non-recevoir, déclaré prescrites les demandes relatives au contrat du 13 octobre 2012 formées par le salarié, débouté M. [P] de l'intégralité de ses demandes, débouté la société Génard père et fils et la société Supplay de leur demande reconventionnelle respective, laissé les dépens éventuels à la charge de M. [P];

Vu l'appel interjeté le 15 juillet 2016 par M. [C] [P] à l'encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 17 juin précédent ;

Vu l'arrêt de radiation rendu par la cour de céans le 7 mai 2019 pour défaut de respect par les parties du calendrier de procédure fixé ;

Vu l'arrêt du 16 décembre 2021 qui a ordonné la réouverture des débats afin que les parties se communiquent mutuellement leurs écritures et pièces selon les modalités précisées au dispositif de cette décision et a renvoyé l'affaire à l'audience du 3 mars 2022 ;

Vu les conclusions soutenues et reprises oralement à l'audience des débats du 3 mars 2022 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel ;

Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 17 février 2022, régulièrement communiquées et reprises oralement, par lesquelles M. [C] [P] opposant l'absence de péremption de l'instance d'appel, opposant également que ses demandes de rappel de salaire et son action en requalification des contrats d'intérim ne sont pas prescrites, faisant valoir sur le fond qu'il n'a pas été rempli de ses droits au titre du travail de nuit, du travail du dimanche et du travail les jours fériés, que les deux contrats d'intérim doivent être requalifiés en contrat de travail de droit commun dès lors que le recours à un contrat de travail saisonnier n'était pas permis à la société Génard père et fils, sollicite l'infirmation du jugement entrepris, prie la cour au titre du premier contrat d'intérim du 13 octobre 2012, de condamner la société Génard père et fils à lui payer les sommes reprises au dispositif de ses écritures à titre de rappel de majorations pour heures de nuit, à titre de rappel de majorations pour jours fériés, à titre de dommages et intérêts pour travail illégal du dimanche, de condamner solidairement la société Supplay et la société Génard père et fils à lui payer les sommes reprises au dispositif de ses conclusions devant lui être allouées à titre d'indemnité de requalification, de dommages et intérêts pour procédure irrégulière, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, prie la cour au titre du second contrat du 24 septembre 2013, de condamner la société Génard père et fils à lui payer les sommes reprises au dispositif de ses écritures à titre de rappel de majorations pour heures de nuit, de rappel de majorations pour jours fériés, de dommages et intérêts pour travail illégal le dimanche, de condamner solidairement la société Supplay et la société Génard père et fils à lui verser les sommes précisées au dispositif de ses écritures à titre d'indemnité de requalification, de dommages et intérêts pour procédure irrégulière, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, requiert en tout état de cause la condamnation solidaire de la société Supplay et de la société Génard père et fils à lui verser une indemnité de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner les mêmes aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions adressées au greffe le 25 février 2022, régulièrement communiquées par lesquelles la société Génard père et fils, intimée, invoquant in limine litis la péremption de l'instance à défaut de diligence de l'appelant, exposant subsidiairement que le salarié a été rempli de ses droits au titre des heures de nuit, de dimanche et de jours fériés, que la demande de requalification du premier contrat de mission temporaire et les demandes subséquentes sont prescrites, que s'agissant du second contrat de mission temporaire, le motif du recours est régulier puisqu'il s'agissait de pourvoir un emploi saisonnier, prie la cour de constater la péremption d'instance et débouter M. [P] de l'intégralité de ses demandes, subsidiairement de dire M. [P] irrecevable en ses demandes, le dire mal fondé, l'en débouter, de confirmer en conséquence le jugement entrepris excepté du chef de l'article 700 du code de procédure civile, statuant à nouveau de condamner M. [P] au paiement d'une indemnité de 2000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, y ajoutant de condamner M. [P] à lui payer une indemnité de 3000 euros sur le même fondement pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Vu les dernières conclusions du 24 février 2022 par lesquelles la société Supplay, soulevant in limine litis la péremption de l'instance, faisant valoir que les demandes du salarié sont prescrites, exposant à titre subsidiaire sur le fond que sa responsabilité, en tant qu'entreprise de travail temporaire, ne peut être engagée dans le cadre d'un litige sur le motif du recours au contrat de mission, que seule l'entreprise utilisatrice peut être condamnée au paiement de l'indemnité de requalification, que le salarié ne peut cumuler une indemnité pour procédure irrégulière avec une indemnité sanctionnant l'absence de cause réelle et sérieuse, que le salarié ne justifie pas de son préjudice, sollicite pour sa part in limine litis que la cour constate la péremption de l'instance et le débouté de l'intégralité des demandes du salarié, subsidiairement la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré M. [P] prescrit en ses demandes, prie la cour de débouter M. [P] de l'intégralité de ses demandes dirigées contre elle, le condamner à une indemnité de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

SUR CE, LA COUR

M. [C] [P], né en 1965, a été mis à disposition de la société Génard père et fils par la société de travail temporaire Supplay dans le cadre d'un premier contrat de mission temporaire en date du 13 octobre 2012 qui a pris fin le 10 janvier 2013.

Il a été mis à disposition de la même entreprise suivant un second contrat de mission en date du 24 septembre 2013 qui a pris fin le 12 janvier 2014.

M. [P] a été employé dans ces conditions pour occuper un poste de conducteur de chargeur.

Estimant que la relation de travail doit être requalifiée en contrat de travail de droit commun avec toutes conséquences de droit et considérant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de l'exécution du contrat, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Soissons qui par jugement du 15 juin 2016, dont appel, s'est prononcé comme indiqué précédemment.

Sur la péremption de l'instance

La société Génard père et fils expose au soutien de la péremption que M. [P] a déposé auprès de la cour des conclusions aux fins de réinscription le 10 mai 2021 soit plus de deux ans après l'arrêt de radiation du 7 mai 2019 qui lui a été dûment notifié, ce délai courant à compter de la date de la lettre de notification.

La société Supplay fait valoir en substance les mêmes moyens précisant que pour sa part les conclusions de l'appelant lui ont été communiquées le 11 mai 2021.

M. [P] oppose qu'il appartient à la cour de vérifier que l'arrêt de radiation du 7 mai 2019 a bien été notifié aux parties, qu'il a adressé ses pièces et conclusions à la cour et parallèlement aux parties adverses dans le délai de deux ans.

Sur ce,

Selon l'article 386 du code de procédure civile, l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.

En vertu de l'article R.1452-8 du code du travail dans sa version antérieure au décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 applicable à la présente instance introduite avant l'entrée en vigueur du dit décret, en matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.

Pour que la péremption soit acquise dans les conditions de ce texte, il est donc nécessaire qu'il y ait au préalable des diligences ordonnées, que celles-ci soient imposées à l'une des parties ou à toutes, et qu'elles n'aient pas été exécutées dans un délai de deux ans.

L'arrêt de radiation du 7 mai 2019 prévoit en son dispositif que la procédure sera rétablie à la demande de l'une ou de l'autre des parties accompagnée d'un extrait kBis récent de la société, des pièces et conclusions 'sous réserve de l'accomplissement des diligences suivantes :

- communication des pièces entre les parties dans le délai de deux mois à compter du présent arrêt,

- communication dans le même délai par les parties de leurs éventuelles conclusions'.

Conformément aux dispositions de l'article 381 du code de procédure civile, cette décision de radiation a été notifiée aux parties par lettre simple le 11 juin 2019.

Contrairement à ce que soutenu par les intimés, le délai de péremption ne court pas à compter de la date de l'arrêt de radiation ou de sa notification mais à compter de la date impartie pour réaliser les diligences mises à la charge des parties.

Ainsi en l'espèce, le délai de deux ans courait à compter de l'expiration du délai de deux mois que la décision de radiation impartissait aux parties pour la réalisation de diligences soit le 7 juillet 2019.

L'appelant justifie avoir communiqué ses conclusions et pièces à chacun des intimés respectivement les 10 et 11 mai 2021 et déposé ses conclusions à la cour le 10 mai 2021 aux fins de réinscription de l'affaire au rôle, soit dans le délai de deux ans de l'article 386 du code de procédure civile.

Au surplus l'arrêt de radiation précité ne met aucune diligence à la charge des parties ; en effet la fixation d'un délai pour que les parties échangent leurs pièces et se communiquent leurs "éventuelles" conclusions ne constituent pas des diligences à mener à l'égard de la juridiction au sens de l'article R. 1452-8 du code du travail. Il n'a donc en tout état de cause pas fait courir le délai de péremption.

En conséquence, l'instance d'appel n'est pas périmée.

Sur les demandes formées contre la société Génard père et fils portant sur l'exécution des contrats

Exposant que le délai de prescription est de trois ans en matière de rappel de salaire et accessoires de salaire, M. [P] fait valoir qu'au regard de la date de la demande, de celles des contrats et fins de contrats, ce délai n'était pas révolu et que la prescription n'est donc pas acquise.

Sur le fond, il soutient qu'à sa connaissance il n'a jamais été fait état d'un accord relatif aux compensations financières déterminées au niveau de l'entreprise pour les heures de travail effectuées de nuit, qu'il a effectué plusieurs nuits dans le cadre de l'exécution du premier et du second contrat, qu'il peut dès lors prétendre à un paiement majoré de ces heures.

Il expose que la société ne bénéficie pas d'une autorisation pour le travail exceptionnel le dimanche, que ni la convention collective des travaux publics ni celle du transport n'autorise le travail du dimanche, que la politique de l'entreprise qui l'a contraint à travailler plusieurs dimanches est donc illégale et attentatoire à ses droits.

Il expose que les salariés de la société bénéficient de l'article 5.1 de la convention collective, que bien qu'en intérim il ne devait pas être traité différemment et que l'ensemble des jours fériés travaillés doivent être payés avec une majoration.

Il indique que l'organisation du travail au sein de la société était en '3x8" 7 jours sur 7 durant la campagne sucrière pour les conducteurs de chargeurs.

La société Génard père et fils fait valoir que les heures de nuit accomplies ont fait l'objet d'une rémunération majorée conforme à la réglementation en vigueur, que les heures de travail durant les jours fériés et les dimanches ont été rémunérées avec majoration dans le respect des dispositions de la convention collective nationale des ouvriers des travaux publics qui autorise contrairement à ce que soutenu le travail le dimanche.

Sur la prescription

La cour rappelle que dans sa rédaction antérieure à la loi du 14 juin 2013, applicable aux instances introduites avant le 17 juin 2013, y compris en appel et en cassation, l'article L3245-1 du code du travail dispose que la prescription des actions en paiement des salaires est de cinq ans à compter du jour où celui qui l'exerce à connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La prescription de l'action en paiement de salaires a été ramenée de 5 à 3 ans par la loi du 14 juin 2013, qui précise dans ses dispositions transitoires que cette disposition s'applique aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée totale prévue par la loi ancienne.

La prescription est interrompue par la saisine du conseil de prud'hommes et la radiation de l'affaire du rôle, simple mesure de suspension du procès en cours, demeure sans effet sur la poursuite de cette interruption.

En l'espèce, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Soissons le 26 septembre 2014, cet effet interruptif a persisté quand bien même plusieurs radiations de l'affaire ont été prononcées par la juridiction. Sa demande porte sur des salaires qui lui seraient dus en vertu du contrat de mission s'étant exécuté du 17 octobre 2012 jusqu'au 10 janvier 2013 et en vertu du second contrat s'étant exécuté du 24 septembre 2013 jusqu'au 12 janvier 2014. En application des dispositions transitoires, M. [P] ayant saisi le conseil dans le délai de la nouvelle prescription et ses demandes portant sur une période qui n'excède pas la durée totale prévue par la loi ancienne (5 ans), il y a lieu de dire que la demande n'est pas prescrite.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a déclaré prescrite la demande de rappel de salaires relative au contrat conclu le 13 octobre 2012.

Sur le fond

Au vu des moyens débattus, la cour constate qu'il n'est pas contesté que la société Génard père et fils applique la convention collective nationale des ouvriers des travaux publics du 15 décembre 1992.

sur les heures de nuit

L'accord collectif national du 12 juillet 2006 relatif au travail de nuit des ouvriers, ETAM et des cadres des entreprises du bâtiment et des travaux publics, dont la société Génard père et fils ne conteste pas qu'il lui soit applicable définit le travail de nuit en son article 2 de la manière suivante :

'Est considéré comme travailleur de nuit, pour l'application du présent accord, le salarié accomplissant, au moins 2 fois par semaine dans son horaire habituel, au moins 3 heures de travail effectif quotidien entre 21 heures et 6 heures, ou effectuant, au cours d'une période quelconque de 12 mois consécutifs, au moins 270 heures de travail effectif entre 21 heures et 6 heures'.

L'article 5 de cet accord relatif aux contreparties liées au travail de nuit prévoit notamment que : 'Les heures de travail accomplies entre 21 heures et 6 heures font l'objet d'une compensation financière déterminée au niveau de l'entreprise, après consultation des représentants du personnel, s'il en existe. Cette compensation spécifique ne se cumule pas avec les majorations pour heures supplémentaires ou dues au titre du 1er Mai ou avec les éventuelles majorations accordées par les entreprises en application des articles 4.2.3 et 4.2.5 des conventions collectives des ETAM du bâtiment et des ETAM des travaux publics du 12 juillet 2006".

M. [P] soutient avoir effectué 269 heures de nuit lors du premier contrat et 251 heures lors du second contrat. Il retient une majoration de 20 % du taux horaire.

Il demande à la cour de lui allouer les sommes de 538 euros et 502 euros au titre de chacun des contrats.

La société Génard père et fils soutient que le salarié n'a effectué que 17 heures de nuit, rémunérées avec majoration sous le vocable 'primes de nuit' au cours du premier contrat et aucune lors du second.

La cour rappelle qu'aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié'; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, M. [P] invoque la note de service applicable aux conducteurs de chargeur pour la campagne 2013/2014 selon laquelle le travail était 'posté' en 3x8 heures tous les jours de la semaine. Il produit aussi deux tableaux faisant figurer, pour chacun des contrats, les heures de début et de fin de service pour chaque jour travaillé ainsi que les jours non travaillés signalés par la lettre 'R' ; il ressort de ces documents que M. [P] travaillait selon le roulement suivant : une semaine de 21 heures à 5 heures, la semaine suivante de 5 heures à 13 heures puis de 13 à 21 heures.

Le salarié produit ainsi des éléments suffisamment précis sur les horaires qu'il prétend avoir accomplis et dont il ressort qu'il relevait du champ d'application des dispositions conventionnelles ci-dessus rappelées applicables aux travailleurs de nuit ; ces éléments permettent à la société utilisatrice de répondre utilement.

Cette dernière verse aux débats les relevés d'heures de M. [P] qu'elle a renseignés au fur et à mesure sur la base desquels la société Supplay a établi les bulletins de paie qui sont également produits.

La cour constate à l'examen de ces pièces que M. [P] a perçu des primes pour travail de nuit ou a été rémunéré pour les heures supplémentaires qu'il a effectuées et ce conformément à l'article 5 de l'accord collectif selon lequel la compensation financière pour travail de nuit ne se cumule pas avec les majorations pour heures supplémentaires.

Il s'en déduit qu'il a été rempli de ses droits.

sur le travail du dimanche

M. [P] indique avoir travaillé 12 dimanches au cours de l'exécution de chacun des deux contrats de mission.

Le principe du repos dominical connaît des exceptions ou dérogations.

A cet égard l'article L.3132-14 du code du travail dans sa version applicable au litige énonce qu'une convention collective peut prévoir la possibilité d'organiser le travail de façon continue pour des raisons économiques et d'attribuer le travail hebdomadaire par roulement.

Ce n'est qu'en l'absence de convention collective ou d'accord collectif ou d'entreprise que la dérogation doit être accordée par l'inspection du travail.

En l'espèce, l'article 3.10 de la convention collective nationale des ouvriers des travaux publics prévoit la possibilité d'aménager l'horaire collectif de travail au niveau de l'entreprise, de l'agence, de l'établissement, du chantier ou de l'atelier, par unité homogène de production pour faire face notamment à des situations particulières ou exceptionnelles, aux fluctuations du volume d'activité de l'entreprise. La convention collective autorise ainsi en ses articles 3.20 et suivants des aménagements dérogeant au principe de la semaine de travail de 5 jours consécutifs et du repos dominical et permet notamment l'organisation du travail en équipes successives (article 3. 21).

Il résulte des éléments du dossier que les missions de M. [P] ont correspondu à la période de la campagne betteravière ou sucrière, situation particulière au sens des dispositions sus visées durant laquelle la société qui assurait des prestations de transports de la matière première agricole pour une sucrerie a organisé le travail en '3x8".

Contrairement à ce que soutenu par le salarié, le travail du dimanche n'est pas illégal puisqu'autorisé par la convention collective. La cour retient en outre au vu des propres éléments de M. [P] que ce dernier a bénéficié après trois jours consécutifs de travail d'un repos hebdomadaire de 24 heures ; dans ces circonstances l'atteinte au respect de la vie privée et familiale n'est pas caractérisée.

La société énonce enfin et justifie, sans être sérieusement contestée, que M. [P] a perçu mensuellement des bonifications à titre de rémunération des dimanches travaillés.

En conséquence, le salarié doit être débouté de sa demande.

Sur les jours fériés

M. [P] soutient avoir travaillé les 11 novembre 2012, 1er et 11 novembre 2013 sans la majoration à laquelle il a droit conformément à l'article 5.1 de la convention collective.

Ses tableaux, précédemment évoqués, confirment factuellement qu'il a travaillé les jours dits.

L'article 5.1 de la convention collective dispose :

' 5.1.1. Les jours fériés désignés à l'article L. 222-1 du code du travail sont payés dans les conditions prévues par la loi pour le 1er Mai.

5.1.2. Les dispositions ci-dessus s'appliquent même lorsque les jours fériés visés à l'alinéa 5.1.1 tombent pendant une période de chômage-intempéries ou pendant le congé payé.

5.1.3. Sous réserve des dispositions légales particulières à la journée du 1er Mai et de celles de l'alinéa précédent, aucun paiement n'est dû aux ouvriers qui :

- ne peuvent justifier avoir accompli, dans une ou plusieurs entreprises de travaux publics, 200 heures de travail au minimum au cours des 2 mois qui précèdent le jour férié visé, dans les conditions prévues pour l'application de l'article L. 731-4 du code du travail ;

- n'ont pas accompli à la fois le dernier jour du travail précédant le jour férié et le premier jour du travail qui lui fait suite, sauf autorisation d'absence préalablement accordée ; toutefois, il n'est pas tenu compte d'une absence pour maladie se terminant la dernière journée de travail précédant le jour férié, ou d'une absence pour maladie commençant la première journée de travail suivant ledit jour férié.

5.1.4. Le chômage des jours fériés ne peut donner lieu à récupération au sens de l'article D. 212-1 du code du travail.'

Il s'évince de ces dispositions que les jours fériés travaillés doivent être payés ou indemnisés ainsi que la loi le prévoit pour le 1er mai si le salarié justifie notamment avoir travaillé au moins 200 heures au cours des 2 mois qui précèdent le jour férié visé.

Force est de constater que M. [P] ne justifiait pas de ce volume d'heures travaillées.

Au surplus, la société justifie que le salarié a perçu des bonifications en novembre 2012 et novembre 2013.

La demande doit être rejetée.

Sur la demande de requalification des contrats de mission

Opposant que son action n'est pas prescrite, M. [P] fait valoir au soutien de sa demande qu'il a été recruté pour un contrat dit saisonnier alors que la société Génard père et fils, société utilisatrice n'a aucune activité saisonnière, que l'activité doit s'apprécier par rapport à l'objet social de la société, qu'en l'occurrence la société Génard père et fils n'est pas une société de travaux agricoles ni une société agricole.

La société Génard père et fils et la société Supplay soutiennent que l'action portant sur le premier contrat de mission est prescrite. Elles font valoir que le contrat a pris fin le 10 janvier 2013, que l'affaire devant le conseil de prud'hommes a fait l'objet de deux radiations et n'a été réinscrite que le 23 décembre 2015 soit après l'expiration du délai de prescription de deux ans.

Sur le fond la société Génard père et fils expose que le recours au travail temporaire et à l'embauche de travailleurs intérimaires est légalement permis pour pourvoir des emplois à caractère temporaire au nombre desquels figurent les travaux saisonniers, qu'au cas particulier M. [P] a été recruté pour exécuter ce type de travaux quand bien même elle n'avait pas d'activité agricole.

La société Supplay fait valoir pour sa part qu'en tant qu'entreprise de travail temporaire, elle n'est pas responsable de la justification du motif du recours, celle-ci relevant de la seule responsabilité de la société utilisatrice, et qu'elle a satisfait aux obligations qui lui incombent.

Sur la prescription

L'action en requalification d'un contrat de mission temporaire en contrat de travail de droit commun s'analyse en une action portant sur l'exécution du contrat de travail.

L'article L.1471-1 du code du travail dans sa version en vigueur lors de la saisine du conseil de prud'hommes issue de la loi n° n°2013-504 du 14 juin 2013 dispose que toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La loi du 14 juin 2013 a prévu que ces dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013 sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

La prescription précédemment applicable aux actions portant sur l'exécution du contrat de travail était de cinq ans.

La cour rappelle que la saisine du conseil de prud'hommes interrompt la prescription et que la décision de radiation ne met pas un terme à cet effet interruptif.

M. [P] entend faire valoir les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminé en contestant la régularité du motif du recours au travail temporaire.

Le délai de prescription prévu par les dispositions ci-dessus rappelées ne court qu'à compter du terme du contrat de mission litigieux et, en cas de contrats successifs, à compter du terme de la dernière mission.

Le premier contrat s'est terminé le 10 janvier 2013 et le second le 12 janvier 2014.

M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Soissons le 26 septembre 2014 soit dans le délai de la nouvelle prescription de sa demande de requalification du premier contrat de mission dont le terme était antérieur de moins de cinq ans (loi ancienne). Il sera observé s'agissant du second contrat qu'il a saisi le conseil moins de deux ans après le terme de ce dernier.

L'action n'est pas prescrite et les intimées doivent être déboutées de leur fin de non-recevoir.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.

Sur le fond

M. [P] fait valoir que la société Génard père et fils ne pouvait recourir à un contrat de travail saisonnier.

L'article L.1251-6 prévoit qu'il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée 'mission' et seulement dans les cas qu'il énumère au nombre desquels figure les emplois à caractère saisonnier (article L.1251-6 3°).

En application de l'article L.1251-40 du code du travail, lorsque l'entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance de ces dispositions, le salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.

Le caractère saisonnier d'un emploi concerne des tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs.

En l'espèce, aux termes des deux contrats de mission versés aux débats, M. [P] a été mis à disposition de la société Génard père et fils expressément pour un emploi de caractère saisonnier durant la campagne sucrière, chacun des contrats précisant une durée minimale d'emploi. Il a été employé comme conducteur de chargeuse, ce qui résulte des mentions tant des contrats que des bulletins de paie.

Des pièces versées aux débats, il ressort que chaque année de fin septembre à mi-janvier, la société Génard père et fils est appelée à assurer le transport et la livraison de betteraves pour le compte de la société Tereos qui exploite la sucrerie de [Localité 7] (02), que dans ce cadre elle édicte spécifiquement des consignes que doivent respecter les conducteurs de chargeurs sous forme de note de service ; elle produit ainsi cette note signée par M. [P] pour la campagne sucrière 2014/2014, élément dont il résulte que celui-ci était affecté à l'accomplissement de tâches en rapport direct avec la saison. Il apparaît que chacune des missions a coïncidé avec chacune des campagnes 2012/2013, 2013/2014.

Il résulte de ces éléments que l'emploi de conducteur de chargeuse pour lequel M. [P] a été mis à disposition de la société Génard père et fils par la société Supplay avait un caractère saisonnier, peu importe que l'activité de la société utilisatrice ne soit pas strictement agricole.

En conséquence, le salarié doit être débouté de sa demande de requalification tant du premier que du second contrat de mission ainsi que de ses demandes indemnitaires en lien avec la rupture de ces contrats.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les dispositions de première instance seront confirmées.

Succombant intégralement en son appel, il convient de condamner M. [C] [P] à verser à chacune des sociétés intimées une somme que l'équité commande de fixer à 200 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Partie perdante, M. [C] [P] sera condamné aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort

Dit que la péremption de l'instance n'est pas acquise ;

Infirme le jugement rendu le 15 juin 2016 par le conseil de prud'hommes de Soissons en que qu'il a dit prescrites les demandes de M. [C] [P] relatives au contrat de mission du 13 octobre 2021,

Le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant

Dit les demandes de M. [C] [P] non prescrites ;

Dit M. [C] [P] recevable mais mal fondé en ses demandes ;

Déboute M. [C] [P] de l'intégralité de ses demandes ;

Condamne M. [C] [P] à payer à la société Génard père et fils la somme de 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

Condamne M. [C] [P] à payer à la société Supplay la somme de 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne M. [C] [P] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/02248
Date de la décision : 28/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-28;21.02248 ?
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