ARRET
N°188
Organisme CPAM DE LA COTE D'OPALE
C/
[W]
CM
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 28 AVRIL 2022
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N° RG 19/04080 et N° RG : 19/04093
JUGEMENTS DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BOULOGNE SUR MER (Pôle Social) EN DATE DU 15 avril 2019 ( RG : 17/00182 et 17/00192)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE (RG 19/04080 et N° RG : 19/04093)
La CPAM DE LA COTE D'OPALE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
35 rue Descartes
62100 CALAIS
Représentée et plaidant par Mme Fozia MAVOUNGOU dûment mandatée
ET :
INTIMEE (RG 19/04080 et N° RG : 19/04093)
Madame [L] [W]
31 La Battelieule
88340 LE VAL D AJOL
Représentée et plaidant par Me Lucien DELEYE, avocat au barreau de BOULOGNE SUR MER substituant Me Alex DEWATTINE de la SELARL NEOS AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER
DEBATS :
A l'audience publique du 20 Janvier 2022 devant Mme Chantal MANTION, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme [S] [A]
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme [N] [O] en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Madame Jocelyne RUBANTEL, Président,
Mme Chantal MANTION, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 28 Avril 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Madame Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
Le 20 mai 2016, Mme [L] [W] a adressé à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Côte d'Opale une déclaration de maladie professionnelle documentée par un certificat médical initial établi le 20 avril 2016 par le Docteur [J] faisant état d'une ' tendinopathie coiffe rotateurs des deux épaules'.
Le 26 janvier 2017, après instruction et avis du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) de Tourcoing, la caisse primaire d'assurance maladie
a notifié à Mme [L] [W] un refus de prise en charge fondé sur l'avis défavorable du CRRMP concernant d'une part l'épaule droite et d'autre part l'épaule gauche.
Mme [L] [W] a contesté ces décisions devant la commission de recours amiable qui en sa séance du 30 mars 2017 a pris deux décision de rejet, l'une pour l'épaule droite et l'autre pour l'épaule gauche.
Par deux requêtes en date du 20 mai 2017, Mme [L] [W] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Boulogne sur Mer dont le contentieux a été transféré au Pôle social du tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer.
Par deux jugements en date du 8 juin 2018, le tribunal a désigné le CRRMP de Rouen Normandie.
Le 29 novembre 2018, le CRRMP de la Région Rouen Normandie a rejeté le lien direct entre la maladie et le travail habituel de la victime aux termes de deux avis défavorables à la prise en charge de la maladie professionnelle déclarée par Mme [L] [W], l'un pour l'épaule droite et le second pour l'épaule gauche.
Par deux jugements ( minutes n°19/00125 et n° 19/00126) en date du 15 avril 2019, le tribunal a :
- dit que Mme [L] [W] remplit les conditions relatives à la prise en charge de la maladie visée au tableau n°57A des maladies professionnelles;
- dit que la CPAM de la Côte d'Opale doit prendre en charge la maladie déclarée par Mme [L] [W] au titre des maladies professionnelles;
- ordonné à la CPAM de la Côte d'Opale de verser à Mme [L] [W] les prestations correspondantes à cette prise en charge;
- rejeté la demande de Mme [L] [W] au titre de l'article 700du code de procédure civile;
- condamné la CPAM de la Côte d'Opale aux dépens.
Chaque jugement lui ayant été signifié le 30 avril 2019, la CPAM de la Côte d'Opale a formé appel par deux déclarations reçues le 20 mai 2019 au greffe de la cour et enregistrées au répertoire général sous les numéros 19/04080 et 19/04093.
Les parties ont comparu à l'audience de la cour du 20 janvier 2022, lors de laquelle elles ont développé leurs conclusions écrites préalablement communiquées.
La CPAM de la Côte d'Opale demande à la cour dans le dossier RG n°19/04080 de:
- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer -Pôle social-
en date du 15 avril 2019,
- recevoir la CPAM de la Côte d'Opale en son appel et l'en déclarer bien fondée,
- dire que les avis des CRRMP de Tourcoing Nord Pas-de-Calais Picardie et de Rouen Normandie sont clairs, motivés et valides,
- entériner les avis des CRRMP de Tourcoing Nord Pas-de-Calais Picardie et de Rouen Normandie,
- confirmer le rejet de la prise encharge, au titre de la législation sur les risques professionnels, de la maladie ( tendinopathie de la coiffe des rotateurs épaule doite) déclarée le 20 avril 2016 par Mme [L] [W],
- débouter Mme [L] [W] de sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle,
- débouter Mme [L] [W] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et relative aux dépens,
- condamner Mme [L] [W] aux entiers dépens de l'instance,
- débouter Mme [L] [W] de l'ensemble de ses prétentions.
Mme [L] [W] demande à la cour dans le dossier RG n°19/04080 de:
- confirmer le jugement du 15 avril 2019 en ce qu'il a dit qu'elle remplit les conditions relatives à la prise en charge de la maladie visée au tableau n°57A des maladies professionnelles ( tendinopathie de l'épaule droite) et dit que la CPAM de la Côte d'Opale doit prendre en charge la maladie professionnelle et verser les prestations correspondantes,
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement susmentionné en ce qu'il a condamné la CPAM de la Côte d'Opale
aux dépens,
Statuant à nouveau sur les points dont l'infirmation est sollicitée,
- condamner la CPAM de la Côte d'Opale à payer à Mme [L] [W] la somme de 4428,88 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la CPAM de la Côte d'Opale aux dépens.
Par ailleurs, la CPAM de la Côte d'Opale demande à la cour dans le dossier N°19/04093 de:
- infirmer le jugement du tribunal de grande instance -Pôle social- de Boulogne-sur-Mer en date du 15 avril 2019,
- recevoir la CPAM de la Côte d'Opale en son appel et l'en déclarer bien fondée,
- dire que les avis des CRRMP de Tourcoing Nord-Pas-de-Calais Picardie et de Rouen Normandie sont clairs, motivés, et valides,
- entériner les avis des CRRMP de Tourcoing Nord Pas-de-Calais Picardie et de Rouen Normandie,
- confirmer le rejet de prise en charge au titre de la législation des risques professionnels de la maladie ( tendinopathie coiffe des rotateurs épaule gauche) déclarée le 20 avril 2016 par Mme [W],
- débouter Mme [W] de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle,
- débouter Mme [W] de la demande d'article 700 du code de procédure civile et relative aux dépens,
- condamner Mme [W] à supporter les anti frais et dépens de l'instance,
- débouter Mme [W] de l'ensemble de ses prétentions.
Comme dans le précédent dossier, Mme [L] [W] a conclu à la confirmation du jugement qui a admis la prise en charge de sa maladie relative à la tendinopathie de l'épaule gauche au titre de la législation sur les risques professionnels et demande à la cour d'infirmer le jugement uniquement sur les dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et condamner la CPAM de la Côte d'Opale à lui payer la somme de 4428,88 euros au titre des dépens exposés dans le cadre de la procédure RG N°1904093.
Conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
Motifs:
Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il y a lieu d'ordonner la jonction des procédures enregistrées au répertoire général sous les N°19/04080 et N°19/04093.
Aux termes de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale : ' Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau des maladies professionnelles et contractée conformément aux conditions mentionnées à ce tableau'.
Complétant l'article L.461-1, l'article L.461-2 du code de la sécurité sociale précise que pour pouvoir bénéficier de la législation sur la prévention et la réparation des maladies professionnelles, il faut être atteint dans un délai déterminé d'une affection visée par l'un des tableaux annexés au code de la sécurité sociale, après avoir été exposé à un risque professionnel prévu au même tableau dans le cadre d'une liste limitative.
L'article L.461-3 du code de la sécurité sociale prévoit enfin que si une ou plusieurs des conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans le tableau des maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Au soutien de son appel, la CPAM de la Côte d'Opale fait valoir que la maladie déclarée n'entre pas dans le cadre du tableau N°57 A des maladies professionnelles en ce qu'il n'est pas démontré que l'assurée effectue les travaux prévus au tableau à savoir :
- des travaux comportant des mouvements ou le maintien de l'épaule sans soutien en abduction avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins 3h30 par jour en cumulé,
- des travaux comportant des mouvements ou le maintien de l'épaule sans soutien en abduction avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé ou avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé.
Elle se prévaut des avis conformes du CRRMP de Tourcoing Nord Pas-de-Calais Picardie et du CRRMP Rouen Normandie qui n'ont pas retenu le lien entre la pathologie déclarée par Mme [L] [W] et l'exercice de sa profession s'agissant tant de la pathologie de l'épaule droite que de la pathologie de l'épaule gauche, objets d'un unique certificat médical initial en date du 20 avril 2016.
Pour sa part, Mme [L] [W] rappelle qu'elle a exercé la profession de conducteur de bus pendant 20 ans à Boulogne sur Mer en milieu urbain et que la pathologie déclarée est justifiée par le certificat médical initial établi le 20 avril 2016 par le Docteur [J] faisant état d'une ' tendinopathie coiffe rotateurs des deux épaules' trés présente chez les conducteurs de bus.
L'avis du CRRMP de Tourcoing Nord Pas-de Calais Picardie a été demandé par la CPAM de la Côte d'Opale à l'issue de deux enquêtes administratives diligentées s'agissant de la pathologie déclarée par Mme [L] [W] ( tendinopathie coiffe rotateurs des deux épaules) dont il résulte que l'assurée:
- soulève et referme le capot du véhicule pour vérifier le niveau d'huile qui est en hauteur mais qu'elle effectue cette activité pendant moins de deux heures par jour
- conduit les bras sur le volant. De ce fait, les mouvements des épaules ne s'effectuent pas sans soutien puisqu'elle pose les mains sur le volant
- procède au nettoyage manuel et intérieur du véhicule mais ces mouvements ne sollicitent pas un décollement des bras du corps sur un angle supérieur à 60°
C'est donc à bon droit que la caisse a sollicité l'avis du CRRMP de Tourcoing Nord Pas-de Calais Picardie, dont l'avis l'a conduite à refuser la prise en charge, son avis s'imposant à la caisse en ce que le CRRMP a dit s'agissant d'une part de la tendinopathie de la coiffe des rotateurs épaule droite non rompue, non calcifiante objectivée par IRM et constatée le 13 décembre 2015 et d'autre part de la tendinopathie de l'épaule gauche non rompue , non calcifiante objectivée par IRM et constatée le 23 décembre 2015 dans deux avis distincts mais rédigés dans des termes identiques que : ' Le dossier nous est présenté pour un travail hors liste limitative des travaux. Après avoir étudié les pièces du dossier, le CRRMP constate qu'il n'existe pas d'hyper sollicitation des épaules au sens du tableau 57, ni en angle d'inconfort, ni en charge'.
Ainsi, comme le fait justement observer Mme [L] [W], cet avis n'est pas motivé s'agissant des éléments pris en compte pour considérer qu'il n'existe pas de lien entre l'exercice de la profession et la maladie professionnelle déclarée.
En effet, en reprenant comme seuls motifs de sa décision, ceux tenant au fait que les travaux réalisés par Mme [L] [W] sont hors tableau, ce pour quoi son avis a été sollicité, le CRRMP n'a pas caractérisé les éléments lui permettant de dire qu'il n'existe pas de lien entre la maladie professionnelle déclarée et l'exercice de la profession.
S'agissant du CRRMP région Rouen Normandie, les deux avis défavorables à la prise en charge de la maladie professionnelle de Mme [L] [W] sont motivés de manière indentique s'agissant tant de la pathologie de l'épaule droite que de l'épaule gauche, à savoir que : ' Après avoir entendu le service de prévention de la Carsat et pris connaissance des éléments du dossier, le CRRMP constate que l'activité professionnelle de conducteur de bus exercée par Mme [W] depuis 1977 ne l'expose pas à des travaux comportant des mouvement de maintien de l'épaule ( droite/ gauche) sans soutien en abduction avec un angle supérieur ou égal à 60°, ni d'autremouvements d'hyopersollicitations de l'épaule, suffisamment caractérisés pour expliquer la pathologie présentée'.
Cet avis du CRRMP Rouen Normandie, comme le précédent, se contente de reprendre les constatations qui ont justifié sa saisine et n'est donc pas suffisamment motivé.
Or, Mme [L] [W] verse aux débats plusieurs témoignages (pièces 9, 11,12,13,14, 15) dont il ressort que la société employeur recourait à des prêts de véhicules de la ville de Boulogne sur Mer vétustes avec des défectuosités de la direction assistée et une impossibilité de régler correctement le siège conducteur, alors que la conduite en milieu urbain nécessitait de plus en plus de manoeuvres du volant notamment en raison de la multiplication des carrefours giratoires, plusieurs conducteurs ayant souffert de pathologies liées à des postures maintenues pendant plusieurs heures dans des situations d'inconfort et de stress liées au transport de personnes en milieu urbain.
Ces éléments justifient d'écarter les avis insuffisamment motivés des CRRMP et de retenir que Mme [L] [W] démontre le lien entre la pathologie déclarée ( tendinopathie coiffe rotateurs des deux épaules) et le travail habituel de la victime depuis prés de vingt ans au jour de la déclaration d'accident.
Ainsi, il y a lieu compte tenu de ce qui précède de débouter la caisse primaire d'assurance maladie des fins de ses appels et de confirmer d'une part le jugement du 15 avril 2019 (minute n°10/00126) entrepris en ce qu'il a dit que la maladie professionnelle déclarée par Mme [L] [W] ( tendinopathie de la coiffe des rotateurs épaule droite) doit être prise en charge par la caisse au titre de la législation sur les risques professionnels et ordonné à la CPAM de la Côte d'Opale de verser à Mme [L] [W] les prestations correspondantes à cette prise en charge et d'autre par le jugement du 15 avril 2019 (minute n°19/00125) en ce qu'il a dit que la maladie professionnelle déclarée par Mme [L] [W] (tendinopathie de la coiffe des rotateurs épaule gauche) doit être prise en charge par la caisse au titre de la législation sur les risques professionnels et ordonné à la CPAM de la Côte d'Opale de verser à Mme [L] [W] les prestations correspondantes à cette prise en charge
Il paraît inéquitable de laisser à la charge de Mme [L] [W] les frais qu'elle a dû exposer tant en première instance qu'en appel qui seront mis à la charg de la CPAM de la Côte d'Opale à hauteur de la somme de 1800 euros.
La CPAM de la Côte d'Opale qui succombe sera condamnée aux entiers dépens postérieurs au 31 décembre 2018.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement par décision rendue contradictoirement en dernier ressort,
Ordonne la jonction des procédures enregistrées au répertoire général sous les N°19/04080 et N°19/04093,
Déboute la CPAM de la Côte d'Opale des fins de ses appels,
Confirme le jugement entrepris ( minute n° 19/00126) en ce qu'il que la maladie professionnelle déclarée par Mme [L] [W] ( tendinopathie de l'épaule droite) doit être prise en charge par la caisse au titre de la législation sur les risques professionnels et ordonné à la CPAM de la Côte d'Opale de verser à Mme [L] [W] les prestations correspondantes à cette prise en charge,
Confirme le jugement entrepris ( minute n° 19/00125) en ce qu'il que la maladie professionnelle déclarée par Mme [L] [W] ( tendinopathie de l'épaule gauche) doit être prise en charge par la caisse au titre de la législation sur les risques professionnels et ordonné à la CPAM de la Côte d'Opale de verser à Mme [L] [W] les prestations correspondantes à cette prise en charge,
Y ajoutant,
Condamne la CPAM de la Côte d'Opale à payer à Mme [L] [W] la somme de 1800 euros au titre des frais qu'elle a exposés tant en première instance qu'en appel,
Condamne la CPAM de la Côte d'Opale aux dépens postérieurs au 31 décembre 2018.
Le Greffier,Le Président,