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27/04/2022 | FRANCE | N°21/00778

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 27 avril 2022, 21/00778


ARRET







[N]





C/



S.A.S. ENTREPRISE [R]



























































copie exécutoire

le 27/4/2022

à

Me GILLET-HAUQUIER

SELAS FIDAL

LDS/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 27 AVRIL 2022



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N° RG 21/00778 - N° Portalis DBV4-V-B7F-H7ZP



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 28 JANVIER 2021 (référence dossier N° RG 19/00074)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [E] [N]

né le 26 Septembre 1971 à GRAY (70100)

de nationalité Française

23 rue du calvaire

02...

ARRET

[N]

C/

S.A.S. ENTREPRISE [R]

copie exécutoire

le 27/4/2022

à

Me GILLET-HAUQUIER

SELAS FIDAL

LDS/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 27 AVRIL 2022

*************************************************************

N° RG 21/00778 - N° Portalis DBV4-V-B7F-H7ZP

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 28 JANVIER 2021 (référence dossier N° RG 19/00074)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [E] [N]

né le 26 Septembre 1971 à GRAY (70100)

de nationalité Française

23 rue du calvaire

02270 FROIDMONT-COHARTILLE

concluant par Me Marie-Annick GILLET-HAUQUIER, avocat au barreau de LAON

ET :

INTIMEE

S.A.S. ENTREPRISE [R]

rue du Lieutenant Colonel Lesu

02720 MARCY

représentée par Me CAMIER de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant

concluant par Me Floriane PETITJEAN de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de BESANCON

DEBATS :

A l'audience publique du 02 mars 2022, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Madame [W] [Z] indique que l'arrêt sera prononcé le 27 avril 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame [W] [Z] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Fabienne BIDEAULT, conseillère,

Mme Marie VANHAECKE-NORET, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 27 avril 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [N], né le 26 septembre 1971, a été embauché par la SAS [R] (la société ou l'employeur) à compter du 26 septembre 2011 par contrat à durée indéterminée, en qualité de chauffeur d'engins.

Son contrat est régi par la convention collective du bâtiment et des travaux publics.

La société emploie 17 salariés.

Le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre remise en mains propres le 26 juillet 2018, rédigée en ces termes : « Je me vois contraint de vous notifier par la présente la prise d'acte de mon contrat de travail compte tenu d'une situation que je subis dans votre entreprise depuis plus d'un an et qui m'est à présent devenue insupportable.

Permettez-moi, tout d'abord, de vous rappeler que dans le courant du mois de septembre 2019, je vous ai fait part de ce que l'un de mes collègues proférait à mon encontre des propos racistes inadmissibles.

Dans la mesure où mes différentes doléances verbales que je vous ai soumises à ce sujet sont restées sans suite, j'ai été contraint de dénoncer cette situation auprès de vous par un courrier recommandé en date du 16 septembre 2017.

Ce n'est qu'après avoir reçu cette lettre que vous m'avez proposé un entretien dans votre bureau le 29 septembre suivant. Monsieur [P] n'était même pas présent à cet entretien.

Cette entrevue n'a eu aucune suite concrète.

Vous avez ensuite décidé au cours des mois qui ont suivi de me placer en situation d'intempéries ou demandé de rester à mon domicile sans autre explication.

Bien que vous m'ayez réglé ce qui m'était dû au cours de cette période, cette situation était inadmissible et anormale.

Vous avez de surcroît toujours refusé de me régler mes congés fractionnés dans le respect de la loi.

Dans le courant du mois d'avril dernier, vous m'avez muté jusqu'au 10 juin comme man'uvre sur un chantier alors que je suis conducteur d'engins.

Dans l'intervalle, vous m'avez imposé 4 jours de congé du 7 au 12 mai 2018.

J'ai ensuite été placé en arrêt maladie pendant 30 jours jusqu'au 11 juillet 2018.

À mon retour, vous m'avez demandé d'arracher les mauvaises herbes dans un champ de betteraves avec des salariés d'un CAT dans le cadre de votre activité de ferme agricole.

Vous m'avez ensuite demandé de rester chez moi le vendredi 13 juillet et sans me fournir aucune explication.

J'observe que non seulement vous ne m'avez pas fait bénéficier lors de mon retour du 12 juillet d'une visite de reprise auprès de la médecine du travail mais que, de surcroît, les autres initiatives que vous avez ainsi prises à mon sujet au cours de l'année écoulée ont gravement porté atteintte à mon état de santé.

Ne pouvant plus supporter de telles conditions de travail, j'ai donc décidé de prendre l'initiative de cette prise d'acte en considérant que celle-ci vous est exclusivement imputable.

Elle prendra effet dès réception de la présente (') ».

M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Laon, le 9 mai 2019, notamment d'une demande de requalification de sa prise d'acte de rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de demandes au titre de l'exécution du contrat de travail.

Le conseil de prud'hommes, par jugement du 28 janvier 2021, a :

- jugé infondée l'accusation de harcèlement de M. [N] contre son collègue M. [P] ainsi que l'accusation de négligence de ce chef portée contre la SAS [R] ;

- rejeté la demande de M. [N] quant à la requalification de sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

- dit et jugé que ladite prise d'acte avait donc les effets d'une démission ;

- débouté M. [N] de ses demandes pécuniaires y relatives ;

- dit et jugé bien fondées les demandes de M. [N] concernant le non-paiement des congés fractionnés ainsi que pour le manque de diligence relatif à l'obligation de formation ;

- condamné la SAS [R] à payer à M. [N] :

' 348,84 euros au titre des congés fractionnés,

' 807 euros au titre de l'obligation de formation du salarié,

- condamné la SAS [R] à régler à M. [N] 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- renvoyé pour le surplus à l'audience de jugement de départage du 17 mars 2021 ;

- condamné la société [R] aux dépens de l'instance.

Par jugement rendu en formation de départage le 17 mars 2021, le conseil de prud'hommes a sursis à statuer sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral présentée par le salarié.

Par conclusions remises le 23 février 2022, M. [N], qui est régulièrement appelant de ce jugement, demande à la cour de :

- le dire et le juger bien fondé en ses entières demandes ;

- débouter la société SAS [R] de ses demandes ;

- condamner la SAS [R] au paiement des sommes suivantes :

. à titre principal, 31 395,78 euros brut au titre du licenciement nul,

. à titre subsidiaire, 12 209,47 euros brut au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En toute hypothèse,

condamner la société [R] au paiement des sommes suivantes :

. 3 052,36 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement

. 3 488 42 euros au titre de l'indemnité de préavis et 348,84 euros d'indemnité de congés payés sur préavis

. 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SAS [R] aux dépens.

Par conclusions remises le 31 janvier 2022, la SAS [R], demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

. requalifié la prise d'acte de rupture de M. [N] en démission,

. débouté ce dernier de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. [N] la somme de 807 euros au titre de l'absence de formation,

Statuant à nouveau,

- débouter M. [N] de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'obligation de formation,

En tout état de cause,

- débouter M. [N] de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral,

- condamner M.[N] aux entiers dépens,

- le condamner à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS :

I- Sur la recevabilité de la demande au titre du licenciement nul :

La société fait valoir que la demande du salarié tendant à voir requalifier sa prise d'acte en licenciement nul et en paiement d'une indemnité en découlant constitue une demande nouvelle comme telle irrecevable en appel.

Le salarié ne présente pas d'observation sur ce point.

Par application de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses, faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Les articles 565 et 566 du même code précisent que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges même si leur fondement juridique est différent et que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises aux premiers juges que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

La cour rappelle que l'article 8 du décret n° 1016-660 du 20 mai 2016 a abrogé à compter du 1er août 2016 l'article R. 1452-6 du code du travail qui consacrait la règle de l'unicité de l'instance sur le fondement duquel, l'article 564 du code de procédure civile n'était pas applicable en matière d'appel prud'homal en sorte qu'il était possible de présenter en appel, des demandes nouvelles et que, par suite, à compter du 1er août 2016, les demandes nouvelles en cause d'appel, y compris en matière prud'homale, doivent être d'office irrecevables par application de l'article 564 du code de procédure civile sauf si elles sont formulées pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Toutefois, cette règle ne fait pas obstacle à ce que les parties invoquent des moyens nouveaux au soutien d'une même demande.

En l'espèce, la demande tendant à voir requalifier une prise d'acte en licenciement nul ne constitue ni l'accessoire, ni la conséquence ni le complément nécessaire de la demande présentée en première instance tendant à voir requalifier la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle ne tend pas non plus aux mêmes fins.

Il en résulte que c'est à juste titre que l'employeur conclut à l'irrecevabilité de la demande.

II- Sur la demande de requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail et cesse son travail à raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission. Le contrat de travail étant dans un cas comme dans l'autre rompu, le licenciement ultérieurement prononcé par l'employeur se trouve privé d'effet.

A l'inverse de la lettre de licenciement, la lettre par laquelle le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail et cesse son travail, à raison de manquements de son employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles, ne fixe pas les termes du litige et ne lie pas les parties et le juge. A l'appui de sa prise d'acte, le salarié peut par conséquent se prévaloir d'autres faits au cours du débat probatoire.

Au soutien de sa demande de requalification de sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié invoque un harcèlement moral, le non-respect de l'obligation de fournir un travail à son salarié, des manquements à l'obligation de sécurité de la part de l'employeur, l'absence de formation et d'évolution et une discrimination à raison de ses origines.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, le salarié affirme qu'il a fait l'objet de propos à caractère raciste de la part de son collègue de travail M. [P], qu'il en a avisé en vain le délégué du personnel, puis M. [R] qui, après l'avoir reçu en entretien, n'a pris aucune mesure pour faire cesser le harcèlement dont il était victime, qu'il a alors alerté les institutions syndicales, l'inspection du travail et le défenseur des droits également sans effet. Il soutient que cette situation a eu des conséquences importantes sur son état de santé.

Il verse aux débats :

. une lettre recommandée adressée à son employeur le 16 septembre 2017 aux termes de laquelle il se plaint de propos racistes, de dénigrements, de menaces exprimées par [H] [P], du refus du délégué du personnel d'intervenir,

. la réponse de M. [C] [R] du 25 septembre 2017, lui indiquant que compte tenu de la gravité des faits, il entendait recueillir rapidement ses déclarations afin de mener son enquête et précisant qu'à titre de mesure préventive, il avait demandé à M. [P] d'éviter tout contact avec lui,

. une attestation de M. [A] [R] frère de M. [C] [R], selon laquelle il a été témoin de propos racistes et humiliants tenus par ce dernier,

. une capture d'écran de téléphone sur laquelle figure un SMS émanant d'une personne inconnue ainsi rédigée « Bon week-end [E] sache que ça me fait plaisir de t'aider tu as assez morflé »,

. un avertissement du 25 juillet 2018 pour des retards,

. un échange de courriels avec la CFDT du 10 mai 2018 aux termes duquel il demande conseil à propos de la situation de discrimination qu'il vit,

. un échange de courriels du 30 juillet 2018 avec l'inspection du travail aux termes duquel Mme [M] indique faire suite à sa visite du 17 juillet 2018 dont l'objectif était d'évoquer les difficultés que rencontre son mari dans l'entreprise [R] et demande conseil pour l'obtention des documents de fin de contrat à la suite de la prise d'acte,

. une ordonnance de son médecin traitant du 10 avril 2018 et une autre de son psychiatre du 21 juin 2016,

. une lettre d'un psychologue affirmant qu'il l'a reçu en consultation à partir du 9 avril 2018, qu'il a constaté une véritable usure psychologique avec de nombreux symptômes dépressifs dus à un véritable harcèlement au travail avec de très nombreuses connotations racistes, que M. [N] lui a raconté qu'il en avait témoigné à ses supérieurs qui n'avaient malheureusement rien fait et que rien dans son discours ne lui laisse songer à une affabulation ou ne fait apparaître d'incohérences.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

L'employeur conteste la matérialité des faits.

Il fait valoir que les courriers rédigés par le salarié ne sont pas probants en vertu du principe selon lequel nul ne peut se faire de preuve à soi-même, qu'il a mené des investigations à la suite de la plainte de M. [N] qui n'ont pas permis d'établir la réalité de sa dénonciation de sorte qu'il n'a pris aucune sanction à l'encontre de M. [P], que le salarié n'a en réalité alerté avant la rupture du contrat de travail, ni l'inspection du travail ni la médecine du travail alors qu'il faisait l'objet d'un suivi médical renforcé, que le défenseur des droits, également saisi postérieurement à la rupture, n'a donné aucune suite au signalement, que l'attestation de son frère, avec lequel il est en conflit et qui a quitté l'entreprise en 2015, est entachée de subjectivité et dépourvue de valeur probante, que la capture d'écran ne permet d'établir ni l'authenticité du message, ni l'identité de son auteur, que les pièces médicales ne permettent pas d'établir que M. [N] souffrait de difficultés en lien avec ses conditions de travail et qu'à cet égard, l'attestation du psychologue qui fait état de faits qu'il n'a pas constaté, est contraire au code de déontologie des psychologues.

La cour constate que les pièces produites par l'employeur combattent utilement la présomption de harcèlement moral.

En effet, sa lettre de dénonciation du 16 septembre 2017 et son message à la CFDT sont dépourvus de valeur probante en vertu du principe selon lequel nul ne peut se faire de preuve à soi-même.

De même, le SMS dont l'auteur est inconnu et qui est retiré de son contexte est dénué de valeur probante.

L'attestation de M. [A] [R] incrimine non pas M. [P], mais M. [C] [R] comme étant l'auteur des propos racistes ce que M. [N] n'a jamais soutenu.

De même, le psychologue, qui n'est pas intervenu dans l'entreprise et n'a donc pu que recueillir les propos du salarié, n'est pas en mesure d'attester de la réalité de ceux-ci.

L'avertissement est postérieur à la prise d'acte.

Enfin, s'il résulte du message de Mme [M], du 30 juillet 2018, que cette dernière a rendu visite à l'inspection du travail pour évoquer les difficultés que rencontrait M. [N] dans l'entreprise, aucune suite n'apparaît avoir été donnée à cette démarche.

Par ailleurs, il ne peut être reproché à l'employeur une absence de prise en compte des plaintes du salarié alors qu'il a très rapidement répondu à sa lettre et a mené des investigations qui n'ont pas permis d'incriminer M. [P] et donc de prendre des sanctions à son encontre.

Les demandes au titre du harcèlement moral seront donc rejetées.

Ce grief ne peut être retenu au soutien de la demande de requalification de la prise d'acte en licenciement.

Sur le non-respect de l'obligation de fournir un travail à son salarié :

M. [N] soutient qu'il a été régulièrement écarté de l'entreprise par son employeur qui ne lui a pas fourni de travail, qu'ainsi il a été placé en congé d'intempéries durant des mois sur l'année 2018 contrairement à ses collègues qui ne l'ont été que quelques semaines, ce alors que l'entreprise recherchait des intérimaires pour son poste, ce qui a eu pour conséquence une baisse de revenus importante.

La société répond que le salarié étant conducteur d'engins Dumper était affecté à des travaux en carrière qui sont plus que les autres soumis à des périodes d'intempéries, que le salarié refusait systématiquement durant ces périodes d'exécuter d'autres travaux que la conduite d'engins et qu'elle n'avait donc d'autre choix que de le placer en congés intempéries. Elle ajoute qu'un autre salarié a également connu le même régime en 2018.

Le tableau versé aux débats par le salarié montre qu'il a été placé en intempéries de manière continue du 8 décembre au 23 décembre 2017 puis du 15 janvier au 19 février 2018 puis du 27 février au 26 mars 2018, que les chantiers concernés n'étaient pas des travaux en carrière mais de construction d'une maison de retraite, d'éoliennes ou de logements. De plus, le salarié démontre qu'il ne refusait pas systématiquement d'exécuter d'autres travaux que la conduite de Dumper puisqu'il a accepté un poste de man'uvre le 23 avril et un autre le 12 juillet 2018 ainsi qu'il résulte des rapports journaliers figurant à son dossier.

Ces pièces contredisent les explications de l'employeur quant aux motifs de la durée de placement du salarié en congé pour intempéries.

Le fait qu'un autre salarié ait également été mis en intempéries dans les mêmes proportions au cours de la période du 1er janvier au 30 avril 2018 est inopérant dans la mesure où à défaut de connaître le poste de cette personne, la comparaison ne peut être utilement faite.

Du fait de cette longue période d'inactivité, le salarié affirme qu'il a subi une perte de salaire de 2640,78 euros ce que la société ne conteste pas.

Ce manquement est établi.

Sur les manquements à l'obligation de sécurité de l'employeur :

Le salarié fait valoir qu'il était affecté à la conduite du véhicule Bumper qui est le plus pénible alors que ses diplômes lui permettaient d'en conduire d'autres, qu'il a été contraint le 26 juillet 2018 de travailler sur le seul engin qui n'était pas équipé de climatisation alors que les conditions climatiques mettaient sa vie en danger, que la société ne justifie pas du moindre document unique de prévention des risques professionnels démontrant ainsi qu'elle ne prend pas en compte la prévention de la pénibilité.

La société verse aux débats le descriptif technique d'un véhicule tombereau articulé HM-300-3 ainsi que sa facture d'achat en 2016, dont M. [N] ne rapporte pas la preuve qu'il ne corresponde pas à un Dumper. Ce véhicule est décrit comme présentant un confort élevé pour l'opérateur comme équipé notamment de suspensions hydropneumatiques assurant un déplacement fluide avec un tangage réduit, une atténuation des secousses, un faible niveau de bruit et un siège entièrement réglable à suspension pneumatique amortissant les vibrations et réduisant la fatigue due aux longues périodes de travail. Au titre des équipements standards figure la climatisation.

Le salarié a signalé le 25 juillet, dans son rapport journalier, que la climatisation était en panne et il justifie que la température était très élevée ce jour-là. Toutefois, rien ne permet de penser que le signalement a été effectué par le salarié au début de sa journée de travail et que l'employeur n'y a pas donné suite. De plus, ce fait apparaît isolé.

La société ne produit pas de document unique d'évaluation des risques et ne s'explique pas à ce sujet. Toutefois, à défaut de mettre en lien ce défaut avec des conséquences avérées sur sa santé alors qu'il a systématiquement été déclaré apte sans restriction particulière lors des visites médicales périodiques de 2016 et 2018, ce grief ne peut être invoqué au soutien de la prise d'acte.

Sur l'absence de formation et d'évolution professionnelle :

M. [N] affirme que la société a manqué à son obligation de formation à son égard ce qui lui a fait perdre la validation de ses CACES, compromettant ses recherches d'emploi, qu'il n'a pu accéder à une formation de chef de chantier en 2015 en raison du refus de l'employeur de la financer et qu'en 6 ans et 10 mois de travail il n'a bénéficié d'aucune formation.

La société conteste tout manquement à ce titre.

En application de l'article L. 6321-1 du code du travail, pris dans sa version applicable à la cause, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.

Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

Il en résulte que l'employeur doit non seulement veiller au maintien des capacités du salarié à occuper un emploi mais doit également le former afin qu'il soit en mesure de trouver un nouvel emploi à l'issue de son contrat de travail.

Il pèse de ce fait sur lui une obligation de formation dont il ne peut s'exonérer au motif que le salarié n'a effectué aucune demande de formation.

En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats, notamment des échanges de courriers entre le salarié et l'employeur et de courriels entre le salarié et des entreprises de travail temporaire, que :

- le 23 juin 2015, M. [N] a souhaité faire valoir son droit à congé individuel de formation pour suivre une formation chef de chantier ' travaux publics ' routes et canalisations, pour une durée totale de neuf mois, que le 6 juillet suivant l'employeur a indiqué répondre favorablement à cette demande lui précisant toutefois que cette autorisation d'absence était subordonnée à une décision de prise en charge par l'OPACIF, que la commission paritaire d'agrément a refusé de financer la formation estimant qu'elle s'inscrivait davantage dans le cadre du plan de formation de l'entreprise, que M. [N] a alors demandé à l'employeur d'attester qu'il ne prendrait pas en charge le coût de sa formation et fait valoir que celle-ci était tout à fait intégrable au plan de formation de l'entreprise pour laquelle elle pourrait être un atout, que M. [R] lui a alors délivré une attestation selon laquelle cette formation ne figurait pas au plan de formation de l'entreprise et ne serait pas pris en charge par celle-ci,

- le 2 mai 2018, le salarié a demandé à bénéficier de son droit à congé individuel de formation afin de suivre la formation cycle long ' diagnostic immobilier mais que, malgré un accord de l'employeur, il a préféré renoncer à cette formation ne souhaitant pas quitter le domaine des travaux publics,

- le 18 juillet 2018, la société a répondu défavorablement à la demande d'absence du salarié pour effectuer une formation tests et conduite engins CACES catégorie 2-3-4-8, son absence du 17 septembre au 28 septembre 2018 pouvant nuire à la bonne marche de la société et lui a proposé de la reporter à la période du 1er décembre au 31 janvier 2019, que les CACES n'ont pas été renouvelés ce qui lui interdisait de travailler en intérim en qualité d'intérimaire

La société ne rapporte pas la preuve de ce que pendant la période d'embauche qui a duré prés de sept ans elle a assuré une quelconque formation au salarié, dont la volonté d'évoluer était patente, et il est prouvé qu'à l'inverse, elle ne s'est pas préoccupée du renouvellement de ses CACES, se bornant à le faire travailler avec des autorisations de conduite ce qui a été source de préjudice en diminuant l'attractivité de M. [N] sur le marché de l'emploi.

Ce manquement est par conséquent établi.

Sur la discrimination :

Selon les dispositions de l'article L 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte au sens de l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, pour quelque motif que ce soit, et notamment en raison de son origine.

Selon l'article L 1134-1 du même code, lorsqu'un litige survient en ce domaine, il incombe au salarié de présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et il incombe alors à la partie défenderesse, au vu de ces éléments de prouver que sa décision est justifiée par des considérations objectives étrangères à toute discrimination.

M. [N] indique, en l'espèce, « craindre fortement » que les manquement dont il a fait l'objet trouvent leur source dans son origine maghrébine, dans le prolongement du harcèlement dont il a été victime.

Il fait valoir que l'employeur ne justifie pas de la raison pour laquelle il l'a privé de travail alors qu'il recrutait, ne lui a pas payé ses congés fractionnés et n'a pas assuré sa formation.

Si le harcèlement a été écarté, il est matériellement établi que la société a placé M. [N] abusivement en congé intempérie et a manqué à son obligation de formation. Le salarié présente donc des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination.

Il incombe par conséquent à la société, au vu de ces éléments de prouver que ses décisions étaient justifiées par des considérations objectives étrangères à toute discrimination ce qu'elle ne fait pas, se bornant à invoquer l'absence de preuve et d'intervention du défenseur des droits.

La discrimination est dès lors établie.

****

Il résulte de ce qui précède que la société a commis à l'encontre de M. [N] des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, qui justifient donc la requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du 26 juillet 2018. Le jugement sera infirmé de ce chef.

III- Sur les conséquences de la requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Le licenciement étant injustifié, le salarié peut prétendre, non seulement aux indemnités de rupture mais également à des dommages et intérêts à raison de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.

Il convient d'allouer à M. [N] les sommes indiquées au dispositif au titre du préavis et des congés payés afférents et de l'indemnité de licenciement, ces sommes justifiées dans leur principe n'étant pas critiquées dans leur quantum.

Justifiant d'une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, M. [N] peut prétendre à l'indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017.

M. [N] est en droit de réclamer une indemnisation d'un montant compris entre 3 et 7 mois de salaire.

En considération de la situation particulière du salarié et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour fixer la réparation qui lui est due à la somme mentionnée au dispositif.

M. [N] ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne Pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations.

M. [N] sollicite également une indemnité pour préjudice moral, toutefois la cour n'est pas saisie de cette demande à propos de laquelle le conseil de prud'hommes a sursis à statuer et ne se trouve pas dans les conditions prévues à l'article 568 du code de procédure civile.

En effet, l'article 568 du code de procédure civile, qui déroge au principe du double degré de juridiction, doit est interprété strictement. Il réserve la faculté d'évocation des points non jugés par le premier juge à deux situations : lorsque le premier juge a ordonné une mesure d'instruction ou lorsqu'il a mis fin à l'instance en statuant sur une exception de procédure. Or, un jugement qui sursoit à statuer n'ordonne pas une mesure d'instruction ni ne met fin à l'instance en statuant sur une exception de procédure.

S'agissant de l'indemnité réclamée et accordée par le conseil de prud'hommes au titre des frais engagés pour la poursuite de sa formation dans la Creuse après la rupture de son contrat de travail, le salarié ne présente aucun moyen en cause d'appel de sorte que le jugement sera infirmé de ce chef critiqué par l'intimée.

IV- Sur les autres demandes :

La société, qui perd le procès, doit en supporter les dépens et sera condamnée à payer à M. [N] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera déboutée de sa propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société [R] à payer à M. [N] la somme de 384,84 euros au titre des congés fractionnés, 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il l'a condamnée au paiement des dépens de première instance,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande au titre du licenciement nul,

Dit que la prise d'acte de M. [N] s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du 26 juillet 2018,

Condamne la société [R] à payer à M. [N] les sommes suivantes :

- 3 052,36 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 3 488,42 euros au titre de l'indemnité de préavis et 348,84 euros au titre des congés payés y afférents,

- 12 200 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 000 euros au titre du préjudice moral,

Ordonne à la société [R] de rembourser à l'organisme concerné des indemnités de chômage versées à M. [N] dans la limite de trois mois d'indemnité,

Constate que la cour n'est pas saisie de la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral,

Rejette toute autre demande,

Condamne la société [R] à payer à M. [N] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en cause d'appel,

Condamne la société [R] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/00778
Date de la décision : 27/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-27;21.00778 ?
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