ARRÊT
No
X...
Y...
C /
Consorts X...
DAM. / BG.
COUR D'APPEL D'AMIENS
1ère chambre- 1ère section
ARRÊT DU 26 JUIN 2008
RG : 06 / 04625
APPEL D'UN JUGEMENT DU TRIBUNAL D'INSTANCE D ‘ AMIENS du 06 novembre 2006
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTS
Madame Huguette, Jacqueline, Madeleine, X... épouse Y...
née le 30 Août 1944 à CACHY
...
80800 CACHY
Présente
Monsieur André Y...
ne le 6 mai 1940 à AIRE SUR LA LYS
...
80800 CACHY
Représentés par la SCP TETELIN MARGUET ET DE SURIREY, avoués à la Cour et plaidant par Me FRISON, avocat au barreau D'AMIENS
ET :
INTIMES
Monsieur Henri, Georges, Eugène X...
...
80140 FRETTECUISSE
Représenté par la SCP MILLON-PLATEAU, avoués à la Cour
Monsieur Jacques, Henri, Omer X...
...
80380 GENTELLES
Représenté par la SCP MILLON-PLATEAU, avoués à la Cour et plaidant par Me LEPRETRE, avocat au barreau d'AMIENS
Monsieur Michel, Jacques, Gilbert X...
...
80380 CACHY
Assigné à sa personne suivant exploit de la SCP MARQUE Huissiers de Justice Associés à AMIENS en date du 18 septembre 2007 à la requête des époux Y....
Non comparant.
Madame Jacqueline X... épouse D...
...
62270 BONNIERES
Représentée par la SCP MILLON-PLATEAU, avoués à la Cour et plaidant par Me LEPRETRE, avocat au barreau d'AMIENS
Madame Françoise X... épouse Z...
...
62147 FOUQUIERES LES BETHUNE
Assignée à l'étude suivant exploit de la SCP DUCATTEAU-DELECROIX-DUPONT Huissiers de Justice Associés à BETHUNE en date du 18 septembre 2007 à la requête des époux Y....
Non comparante.
DEBATS :
A l'audience publique du 22 Mai 2008, devant :
M. GRANDPIERRE, Président, entendu en son rapport,
Mme CORBEL et M. DAMULOT, Conseillers,
qui en ont délibéré conformément à la Loi, le Président a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Juin 2008.
GREFFIER : M. DROUVIN
PRONONCE PUBLIQUEMENT :
Le 26 Juin 2008 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; M. GRANDPIERRE, Président, a signé la minute avec M. DROUVIN, Greffier.
*
* *
DECISION :
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur Gilbert X... et Madame Désirée A..., son épouse, qui exerçaient tous deux la profession d'exploitants agricoles, sont décédés respectivement les 3 décembre 1979 et 20 mai 2003, en laissant pour leur succéder six enfants majeurs dont les noms sont rappelés en tête du présent.
Par exploit du 8 juin 2004, Monsieur Michel X... et Madame Huguette X..., épouse Y..., ont été assignés par leurs frères et soeurs devant le tribunal d'instance d'Amiens, en paiement de salaires différés.
Par jugement du 6 novembre 2006, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal a :
- écarté des débats les attestations établies les 22, 27 et 31 octobre 2005, respectivement par Messieurs Daniel B..., Fabrice C... et Thierry D..., et versés aux débats par les demandeurs ;
- dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer jusqu'à l'issue des plaintes pénales déposées par les époux Y... ;
- fixé les créances de salaires différés à 6 ans et 9 mois pour Henri X..., 3 ans 2 mois et 3 jours pour Madame Jacqueline X... épouse D..., et 3 ans, 6 mois et 6 jours pour Jacques X... ;
- dit qu'il appartiendrait au notaire chargé de la succession de calculer, sur ces bases, le montant des créances de salaires différées précitées ;
- condamné solidairement Monsieur André Y..., intervenu volontairement à l'instance, Madame Huguette X..., épouse Y..., et Monsieur Michel X... à payer aux demandeurs 350 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- condamné solidairement les défendeurs aux dépens.
Suivant déclaration reçue au greffe de la Cour le 1er décembre 2006, les époux Y... ont interjeté appel de ce jugement.
Ils demandent à la juridiction de céans de dire les intimés mal fondés en leurs demandes de salaires différés, de déclarer les leurs recevables, et de les fixer à 44 865, 60 euros pour elle, et à 34 895, 47 euros pour lui.
Subsidiairement, ils sollicitent l'organisation, à frais partagés, d'une expertise, confiée à un expert agricole et foncier, afin d'établir les droits des parties.
Enfin, mais en tout état de cause, ils demandent que les intimés soient condamnés, outre aux dépens, à leur verser 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les appelants font valoir que les demandes de salaires différés de Messieurs Henri et Jacques X... ne sont justifiées par aucune attestation crédible ou conforme à l'article 202 du Code de procédure civile ; que de plus, les susnommés ne remplissent pas toutes les conditions posées par le Code rural ; que par contre, le Tribunal ne pouvait débouter André Y... de sa demande de salaire différé au motif qu'il n'est pas un descendant des défunts, alors que le droit au salaire différé est reconnu au conjoint du descendant qui participe également à l'exploitation ; qu'il a travaillé sur l'exploitation trois ans et demi, et son épouse, quatre ans et demi.
Madame Jacqueline X..., épouse D..., et Monsieur Jacques X... concluent pour leur part à la confirmation du jugement, et sollicitent une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Ils font valoir que la succession de leur père, qui avait la qualité de chef d'exploitation, n'ayant pas été liquidée, ils peuvent encore se prévaloir des articles L. 321-13 et suivants du Code rural pour demander que soit fixée à leur profit une créance de salaire différée calculée sur la valeur des deux tiers du montant horaire du Smic en vigueur au jour du partage ; que les attestations qu'ils versent aux débats sont régulières, probantes et non-contredites par les éléments versés aux débats par les appelants, qui pour leur part ne justifient pas du bien-fondé de leurs réclamations, si ce n'est par des attestations qui sont soit de complaisance, soit constitutives de faux témoignages.
Les autres intimés ont été assignés en application de l'article 908 du Code de procédure civile : Michel et Henri X..., par exploits délivrés respectivement les 18 et 25 septembre 2007, à personne ; et Madame Françoise X... épouse Z..., par exploit délivré également le 18 septembre de la même année, mais en l'étude de l'huissier. Aucun des trois n'a cependant constitué avoué.
DISCUSSION
Sur les créances de salaires différés alléguées par les époux Y...
L'article L. 321-13 du Code rural dispose que " les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers ". L'article L. 321-15 dudit code étend ce droit aux conjoints des descendants qui participent également à l'exploitation dans les conditions mentionnées à l'article L. 321-13.
Il incombe donc aux époux Y... de rapporter la preuve qu'au cours de l'exploitation en commun, ils n'ont pas été associés aux bénéfices ou aux pertes, et qu'ils n'ont reçu aucun salaire en argent en contrepartie de leur collaboration à l'exploitation.
Il ressort des attestations de Mesdames Adèle E..., Paulette F..., Simone G... et Jeanne-Marie H... et de Monsieur Serge I..., que du 1er avril 1967 au 1er mars 1970, les époux Y... ont travaillé sur l'exploitation des de cujus en qualité d'aides familiaux, sans rémunération durant cette période.
Les allégations de Jacqueline et d'Henri X... selon lesquelles il s'agirait de faux témoignages ne sont étayées par aucune preuve, et notamment pas par les relevés de la M. S. A., qui ne contredisent pas les témoignages précités.
De même, rien ne démontre que la sous-évaluation du matériel agricole, du cheptel et des impenses d'arrière-fumure constatée par Madame M..., expert judiciaire, soit la contrepartie du travail effectué durant cette période, d'autant que cette contrepartie doit se traduire, pour exclure tout droit au salaire différé, en argent ou bien par une association aux bénéfices et aux pertes.
Il convient donc de faire droit à la demande de salaires différés présentée par les appelants pour la période du 1er avril 1967 au 1er mars 1970, sauf à dire que le calcul en sera fait par le notaire, puisque le taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance à prendre en compte est, aux termes de l'article L. 321-13 du Code rural, celui en vigueur au jour du partage.
Ils seront par contre déboutés pour le surplus, aucune pièce ne démontrant que Madame Y... a travaillé une année de plus que son mari sur l'exploitation familiale, sans qu'il y ait lieu d'ordonner, avant dire droit, une expertise qui, portant sur des questions de fait sans caractère technique, n'aurait d'autre but que de suppléer une carence des appelants dans l'administration de la preuve.
Sur les créances de salaires différés alléguées par Henri, Jacques et Jacqueline X...
Les appelants sont mal fondés à objecter que Henri, Jacques et Jacqueline X... ne justifient pas avoir sollicité l'octroi d'un salaire différé lors du règlement de la succession, comme le veut l'article L. 321-17 du Code rural, alors que le titulaire d'une créance de salaire différé peut faire valoir ses droits tant qu'un partage définitif n'est pas intervenu.
Cette observation liminaire étant faite, il convient d'examiner le bien fondé des demandes présentées par chacun de ces trois intimés au regard de l'article L. 321-13 du Code rural.
1 / Sur la créance de salaire différé alléguée par Henri X... :
Le jugement dont Monsieur Henri X... demande la confirmation a retenu à son profit l'existence d'une créance de salaire différé pour la période du 10 août 1952 au 30 juin 1961, diminuée des deux années, un mois et vingt jours passés au service militaire.
Or si les trois attestations sur lesquelles il fonde sa demande démontrent qu'il a vécu chez ses parents durant cette période, elles ne mettent pas en évidence sa participation directe et effective à l'exploitation durant cette période, la simple référence de Monsieur J... à des " travaux effectués sur la ferme parentale " étant à cet égard insuffisante.
Monsieur Henri X... sera donc purement et simplement débouté de sa demande de salaire différé, et le jugement déféré, réformé en ce sens.
2 / Sur la créance de salaire différé alléguée par Jacqueline X... épouse D... :
Il est démontré par les attestations de Mesdames K..., L..., non contestées par les époux Y... en cause d'appel, que Madame Jacqueline X..., née le 19 décembre 1938, a travaillé sur l'exploitation agricole de ses parents de l'âge de quatorze ans jusqu'à son mariage, le 22 février 1960, et ce, à titre gratuit.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fixé au profit de Madame Jacqueline X... une créance de salaire différé pour la période comprise entre son dix-huitième anniversaire, conformément à l'article L. 321-13 du Code rural, et le 22 février 1960.
3 / Sur la créance de salaire différé alléguée par Jacques X... :
Il ne ressort nullement des attestations versées aux débats par Monsieur Jacques X... que celui-ci n'aurait perçu aucun salaire en argent, ni n'aurait été associé aux bénéfices ou aux pertes pendant la période au titre de laquelle il prétend à un salaire différé : il sera donc débouté de ses prétentions à ce titre, par réformation du jugement querellé.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
L'équité commande de laisser à chacune des parties la charge des dépens et des frais irrépétibles qu'elle a exposés en première instance comme en appel.
En conséquence, il n'y a pas lieu au profit d'accorder aux avoués le bénéfice du droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du Code de procédure civile, celui-ci ne trouvant à s'appliquer qu'en cas de condamnation aux dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, en dernier ressort, et par défaut,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a fixé au profit de Madame Jacqueline X... épouse D... une créance de salaire différé pour la période comprise entre son dix-huitième anniversaire, conformément à l'article L. 321-13 du Code rural, et le 22 février 1960, soit trois ans, deux mois et 3 jours ;
Y ajoutant,
Dit que cette créance sera liquidée par le notaire conformément à l'article L. 321-13, alinéa 2, du Code rural, et notamment, en fonction du taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance (S. M. I. C.) en vigueur au jour du partage ;
Infirme le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions contraires au présent arrêt et, statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à expertise ;
Dit que les époux Y... sont bien fondés en leurs demandes de salaires différés pour la période du 1er avril 1967 au 1er mars 1970 ;
Dit qu'elle sera liquidée par le notaire conformément à l'article L. 321-13, alinéa 2, du Code rural, et notamment, en fonction du taux du S. M. I. C. en vigueur au jour du partage ;
Déboute les époux Y... de leur demande au titre de la période antérieure au 1er avril 1967 ;
Déboute purement et simplement Messieurs Jacques et Henri X... de leurs demandes de salaires différés ;
Déboute toutes les parties de leurs demandes d'indemnités fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile ;
Dit que chacune d'elles conservera la charge des dépens qu'elle a exposés en première instance comme en appel ;
Rejette les demandes fondées sur l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT