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19/06/2008 | FRANCE | N°06/04196

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Ct0073, 19 juin 2008, 06/04196


ARRET
No

M. X...

C /

Me Y...

M. M. / JA

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ECONOMIQUE

ARRET DU 19 JUIN 2008

RG : 06 / 04196

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE D'AMIENS EN DATE DU 20 octobre 2006

APRES COMMUNICATION DU DOSSIER ET AVIS DE LA DATE D'AUDIENCE AU MINISTERE PUBLIC.

EN PRESENCE DU SUBSTITUT DE M. LE PROCUREUR GENERAL.

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur Jean-Jacques X...
né le 2 juin 1945 à PARIS 14ème
de nationalité française
Retraité
...
92800 PUTEA

UX

Comparant concluant par la SCP LEMAL ET GUYOT, avoués à la Cour
et plaidant par Me FRANCOIS collaborateur de Me DE KERVONOAEL, avocats au barreau de ...

ARRET
No

M. X...

C /

Me Y...

M. M. / JA

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ECONOMIQUE

ARRET DU 19 JUIN 2008

RG : 06 / 04196

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE D'AMIENS EN DATE DU 20 octobre 2006

APRES COMMUNICATION DU DOSSIER ET AVIS DE LA DATE D'AUDIENCE AU MINISTERE PUBLIC.

EN PRESENCE DU SUBSTITUT DE M. LE PROCUREUR GENERAL.

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur Jean-Jacques X...
né le 2 juin 1945 à PARIS 14ème
de nationalité française
Retraité
...
92800 PUTEAUX

Comparant concluant par la SCP LEMAL ET GUYOT, avoués à la Cour
et plaidant par Me FRANCOIS collaborateur de Me DE KERVONOAEL, avocats au barreau de PARIS.

ET :

INTIME

Maître Vincent Y... ".
...
80000 AMIENS
" ès-qualités de liquidateur judiciaire de la STE PICARDIE PLASTURGIE fonction à lui conférée par jugement du Tribunal de Commerce d'AMIENS en date du 9 juin 2006 ".

Comparant concluant par la SCP MILLON ET PLATEAU, avoués à la Cour et plaidant par Me FABRE, avocat au barreau de PARIS.

DEBATS :

A l'audience publique du 20 mars 2008 devant :

M. Brieuc de MORDANT de MASSIAC, Président de Chambre,
M. BOUGON et Mme BELLADINA, Conseillers,

qui en ont délibéré conformément à la loi, le Président a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 19 juin 2008.

GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme DEBEVE

PRONONCE PUBLIQUEMENT :

Le 19 JUIN 2008 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Nouveau code de procédure civile ; M. Brieuc de MORDANT de MASSIAC, Président a signé la minute avec Mme DEBEVE, Greffier.

PROCEDURE DEVANT LA COUR

Par acte en date du 3 novembre 2007, Jean Jacques X... a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce d'Amiens du 20 octobre 2006 qui l'a condamné à payer 500. 000 euros à Maître Vincent Y... ès qualités de liquidateur judiciaire de la société PICARDIE PLASTURGIE, à titre de comblement de passif, et a prononcé sa mise en faillite personnelle pour une durée de 15 ans.

L'affaire a été fixée au 25 janvier 2007 pour plaidoirie (Ord. 910 CPC du 15 novembre 2006), puis renvoyée, à la demande des parties, aux audiences des 22 mars, 24 avril, 20 septembre, 25 octobre, 22 novembre, 13 décembre 2007, 21 février 2008, et enfin 20 mars 2008.

Jean Jacques X... a conclu (conclusions des 21 novembre 2007, 19 février 2008, 20 mars 2008).

Maître Vincent Y... ès qualités de liquidateur judiciaire de la société PICARDIE PLASTURGIE, intimé, a conclu (conclusions des 13 décembre 2007, 24 avril 2008).
Le ministère public a conclu (le 18 mars 2008).

Les parties et leurs conseils ont été régulièrement avisés de la date d'audience, dans les formes et délais prévus par la loi.

Le jour dit, la cause et les parties ont été appelées en audience publique.

Après avoir entendu les avoués et avocats des parties en leurs demandes fins et conclusions, ainsi que le ministère public, la cour a mis l'affaire en délibéré et indiqué aux parties que l'arrêt serait rendu et mis à disposition au greffe le 19 juin 2008.

Après en avoir délibéré conformément à la loi, la cour a rendu la présente décision à la date indiquée.

DECISION

Faits, procédures, demandes en appel

Au regard du déclin de ce secteur d'activité et des difficultés financières qu'elle rencontrait (pertes successives de 2, 4 et de 3 millions d'euros en 2003 et 2004), la société DELSEY, fabriquant de bagages, a décidé de se séparer de l'établissement secondaire qu'elle exploitait sur le site de Montdidier, consacré à la fabrication de bagages rigides, et dans lequel elle employait 256 salariés.

A cet effet, la société DELSEY a organisé, en 2005, la reprise, par un groupe de sociétés, de l'activité du site de Montdidier.

En effet, un ensemble de sociétés ont été constituées en mars et avril 2005 : une holding de droit chypriote (ROSERAIE HOLDING LTD), une holding de droit luxembourgeois (KERENTECH SA), une société industrielle de droit luxembourgeois (PICARDIE PARTNER SA), deux sociétés industrielles de droit français (PICARDIE PLASTURGIE SA et PICARDIE PARTNER FRANCE) et une société civile immobilière (SCI PICARIMMO).

Il convient de noter, ici, que les sociétés ROSERAIE HOLDING LTD, KERENTECH SA, PICARDIE PARTNER SA étaient administrées par des sociétés « off shore » (du Bélize ou des Iles Vierges, notamment) ou par des sociétés luxembourgeoises « ad hoc » représentées par des secrétaires (« employées privées ») permettant l'anonymat le plus total, mais qu'elles comportaient également trois personnes physiques parfaitement identifiées les nommés Jean Jacques X... et Egon Z..., également gérants des sociétés PICARDIE PLASTURGIE et PICARIMMO, et Olivier A... également gérant de la société PICARDIE PARTNER.

Parallèlement, toute une série de conventions ont été signées, en mars, avril et mai 2005, entre ces différentes personnes et sociétés : un accord global entre la société DELSEY et les consorts X... et Z... (3 mars 2005) sur le principe de la reprise contre le versement d'une subvention ; un accord global entre les consorts X... et Z... et le nommé A... (3 mars 2005) sur la rétro-cession d'une des deux branches d'activité et le partage à parts égales de la subvention ; un accord global entre la société DELSEY et la société ROSERAIE HOLDING représentée par X... décrivant les grands principes de la reprise (29 avril 2005) ; des accords particuliers entre la société DELSEY et les différentes filiales de la société ROSERAIE HOLDING (contrat de cession de branches avec PICARDIE PLASTURGIE le 29 avril 2005, contrat d'approvisionnement en bagages avec PICARDIE PLASTURGIE le 29 avril 2005) ou entre ces différentes filiales elles-mêmes (convention de sous-location entre PICARIMMO et PICARDIE PLASTURGIE le 29 avril 2005, convention de rétro-cession de branche entre PICARDIE PLASTURGIE et PICARDIE PARTNER le 30 mai 2005).

L'accord global prévoyait l'acquisition des actifs du site de Montdidier, par la société ROSERAIE HOLDING ou une de ses filiales, pour le prix symbolique de 1 euro, alors que la société DELSEY s'engageait concomitamment à verser à la holding une aide financière de 2, 2 millions d'euros, à ne pas s'approvisionner en produits concurrents dans l'espace européen, à acheter à cette société ou à ses filiales un minimum de produits finis (mais à un prix prédéfini).

Aux termes des différentes conventions particulières, la société PICARDIE PLASTURGIE a repris les activités de fabrication de bagages rigides et de bagages souples de DELSEY et les 256 salariés en lieu et place de la holding ; a signé avec DELSEY une convention de fabrication de bagages comportant, à son détriment, un ensemble de clauses léonines lui imposant un travail à perte ; a loué, par le truchement de la SCI PICARIMMO, les locaux construits sur le site et dont la propriété est restée à la société DELSEY ; a rétrocédé l'activité de fabrication de bagages souples et 46 salariés à la société PICARDIE PARTNER.

Cela étant, la société PICARDIE PLASTURGIE n'a pas résisté à ce montage, d'une part parce que la subvention de 2, 2 millions d'euros a été totalement absorbée en amont, au niveau de la holding, par des personnes dont l'anonymat n'a pas été percé, et d'autre part parce que, jouant des clauses léonines de la convention de fabrication, la société DELSEY a cessé très rapidement de régler ses factures à PICARDIE PLASTURGIE, de sorte que la société PICARDIE PLASTURGIE a été amenée à déposer son bilan en novembre 2005, après sept mois d'exercice.

Elle a été mise en redressement judiciaire le 2 décembre 2005 puis en liquidation judiciaire le 9 juin 2006.

Les opérations de vérification de la situation active et passive de la société ont fait apparaître une insuffisance d'actif de 2. 282. 678 euros, hors plan social (lequel devrait avoisiner 10 à 13. 000. 000 euros).

C'est dans ce contexte que Maître B..., l'administrateur judiciaire, et Me Y..., le représentant des créanciers (devenu ultérieurement liquidateur judiciaire), ont assigné, par acte du 29 mars 2006, la société DELSEY et, par acte du 3 avril 2006, Jean Jacques X..., le dirigeant de la société PICARDIE PLASTURGIE, devant le tribunal de commerce d'Amiens, aux fins de les voir condamnés à combler le passif.

A l'appui de leur demande (reprise par la suite par Maître Vincent Y..., seul), ils ont fait valoir que la constitution d'une nébuleuse de sociétés « ad hoc » et la passation de multiples conventions « léonines », en vue de la reprise du site de Montdidier, n'avaient été qu'un montage pour permettre à la société DELSEY d'échapper au licenciement de 256 ouvriers ainsi qu'au financement d'un plan social coûteux et que le versement au Luxembourg, sur des comptes anonymes, de la somme de 2. 200. 000 euros correspondait à la rémunération du service rendu.

Ils en voulaient pour preuve que l'activité « fabrication de bagages rigides » avait toujours été déficitaire jusque là, pour DELSEY, en raison de l'évolution du marché mondial ; que la société PICARDIE PLASTURGIE avait repris cette activité « telle que », avec les mêmes moules, les mêmes ingrédients, les mêmes ouvriers et le même processus de fabrication ; que la société PICARDIE PLASTURGIE n'avait procédé à aucune modification qui aurait pu réduire le coût de fabrication du produit ou permis de faire des économies sur les frais généraux de production et n'avait même pas pris la peine de réunir les fonds propres qui lui auraient été nécessaires pour tenir quelques mois ; que, sous le couvert d'un partenariat d'apparence, l'activité de la société PICARDIE PLASTURGIE avait été parfaitement verrouillée par la signature, avec DELSEY, de conventions « en trompe l'œ il » qui ne liaient absolument pas DELSEY et ne laissaient aucune perspective d'avenir à PICARDIE PLASTURGIE ; que la prétendue « aide à la reprise » de 2. 200. 000 euros avait été versée au Luxembourg sur un compte anonyme et n'avait jamais été réinvestie dans le fonctionnement de PICARDIE PLASTURGIE.

La société DELSEY a immédiatement transigé le 9 juin 2006 et a obtenu, contre le versement d'une somme de 600. 000 euros, l'abandon des poursuites initiées contre elle. La transaction a été homologuée, par le tribunal de commerce, le 25 juillet 2006.

De son côté, Jean Jacques X... a contesté les faits qui lui étaient reprochés.

Il a soutenu qu'il n'avait pas prêté la main à un « montage » destiné à permettre à DELSEY d'éluder un plan social et qu'il n'avait pas reçu, en contrepartie, de rémunération pour « service rendu » ; que l'opération de reprise avait procédé, de sa part, d'une réelle volonté de sauvegarder le site de Montdidier, mais que DELSEY avait toutefois obéré le fonctionnement de l'entreprise en refusant de régler ses premières commandes ; qu'il avait donc été contraint, dans un premier temps, d'assigner cette société en paiement de la somme de 1. 010. 567 euros, puis, dans un second temps, de déposer le bilan de PICARDIE PLASTUGIE ; qu'il était assez paradoxal, du reste, de lui reprocher de s'être rendu « complice » de la société DELSEY, puisque, dans le cadre de la transaction passée avec cette dernière, les parties poursuivantes avaient accepté de « considérer que le dépôt de bilan de PICARDIE PLASTURGIE ne reposait pas sur un comportement frauduleux de DELSEY » et puisqu'en l'absence de fraude établie, il ne pouvait y avoir de complicité de fraude ; qu'il était injuste de le poursuivre alors que DELSEY avait bénéficié d'une transaction ; qu'il n'avait commis aucune « faute de gestion », au sens que l'article L 624-3 du Code de commerce donne à ce texte, permettant au liquidateur de demander sa condamnation à combler le passif de la société PICARDIE PLASTURGIE et qu'en toutes hypothèses, le seul passif à prendre en considération, dans le cadre d'une procédure de comblement de passif, était exclusivement le passif existant au jour du jugement d'ouverture et non le passif ultérieur, de sorte qu'on ne saurait lui réclamer le paiement d'une somme correspondant à la gestion sociale postérieure à l'ouverture ; qu'il n'avait commis aucune des « fautes » limitativement énumérées aux articles L 624-5 qui permettent de prononcer contre lui, sur le fondement des articles L 625-4 et L 625-5 du Code de commerce, une mesure de faillite personnelle.

Par jugement en date du 20 octobre 2006, le tribunal a fait droit à la demande de Maître Vincent Y..., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société PICARDIE PLASTURGIE, et a condamné Jean Jacques X..., au titre du comblement de passif, à verser 500. 000 euros à Maître Y... et a prononcé, en outre, la mise en faillite personnelle de l'intéressé pour une durée de 15 ans.

Pour prononcer ainsi le tribunal a retenu que le fait de poursuivre à l'identique une activité jusque-là déficitaire sans prendre les mesures économiques et sociales nécessaires à la survie de l'entreprise (et notamment de mettre en place un plan de licenciement) et de s'abstenir de réunir les fonds propres indispensables au fonctionnement de l'entreprise (et notamment de récupérer l'aide à la reprise de 2. 200. 000 euros versée par DELSEY) constituaient indiscutablement des « fautes de gestion » au sens de l'article L 624-3 et que le fait de reprendre les contrats de travail de 256 salariés dans le cadre d'une activité gravement déficitaire, pour le compte de la société DELSEY, sans contrepartie pour la société PICARDIE PLASTURGIE, constituait un engagement trop important pour celle-ci, au moment de sa conclusion, eu égard à sa situation, au sens des articles L 625-4 et L 625-5.

Jean Jacques X... a interjeté appel de la décision le 3 novembre 2006.

Devant la cour de céans,

- Jean Jacques X..., ancien dirigeant de la société PICARDIE PLASTURGIE, demande à la cour, à titre de principal, de prononcer l'annulation de l'assignation et par voie de conséquence celle du jugement, et, à titre subsidiaire, d'infirmer le jugement et de rejeter les demandes de Me Y....

Au soutien de sa demande d'annulation, Jean Jacques X... soutient que, pour avoir été délivré au visa de textes abrogés, l'acte d'assignation est nul. Il soutient en effet que les articles L 624-3, L 624-5 et L 625-5, visés dans l'assignation, ont été abrogés par la loi du 26 juillet 2005 entrée en vigueur le 1er janvier 2006.

Au soutien de sa demande subsidiaire, il expose qu'il n'a commis aucune faute de gestion ni aucun fait répréhensible ; que l'opération de reprise avait procédé, de sa part, d'une réelle volonté de sauvegarder le site de Montdidier, mais qu'il avait été grugé par la société DELSEY, qui ne l'avait pas mis en mesure d'exploiter correctement l'entreprise, et par le nommé A..., ancien directeur de cette société, qui avait détourné la quasi-totalité de l'aide à la reprise versée au Luxembourg ; qu'il avait donc été contraint, dans un premier temps, d'assigner la société DELSEY en paiement, puis, dans un second temps, de déposer le bilan de PICARDIE PLASTUGIE ; qu'il était injuste de le poursuivre alors que la société DELSEY avait bénéficié d'une transaction et que, dans le cadre de la transaction passée avec cette dernière, les parties poursuivantes avaient considéré que le dépôt de bilan de PICARDIE PLASTURGIE n'avait pas été frauduleux ; qu'il n'avait commis ni « faute de gestion » ni « fait répréhensible », au sens que les articles L 624-3, L 624-5, L 625-4 et L 625-5 anciens donnent à ces mots, permettant au liquidateur de demander sa condamnation à combler le passif de la société PICARDIE PLASTURGIE ou sa condamnation à une mesure de faillite personnelle.

- Maître Vincent Y..., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société PICARDIE PLASTURGIE, demande à la cour la confirmation du jugement entrepris.

Il expose que la nullité invoquée par Jean Jacques X... n'est pas recevable puisqu'elle a été couverte, en première instance, par des conclusions et une défense au fond et que cette nullité est, au demeurant, mal fondée puisque c'est à bon droit que l'assignation a visé les articles L 624-3, L 624-5, L 625-4 et L 625-5 « anciens » seuls applicables à une procédure collective ouverte avant le 1er janvier 2006.

Il soutient également qu'indépendamment de la question de « la participation de l'intéressé, contre rémunération, à la fraude commise par la société DELSEY pour échapper à un plan social », Jean Jacques X... a commis, intrinsèquement, des fautes manifestes justifiant les sanctions qui lui ont été infligées en première instance.

Sur ce point, il fait observer que, jusqu'à sa cession à la société PICARDIE PLASTURGIE, l'activité de fabrication de bagages rigides avait toujours été déficitaire jusque là, pour DELSEY, en raison de l'évolution du marché mondial ; que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la reprise de la dite activité par la société PICARDIE PLASTURGIE ne pouvait, sauf à entreprendre dans l'urgence des mesures de restructuration drastiques, qu'être déficitaire ; que la société PICARDIE PLASTURGIE avait repris cette activité « telle que », avec les mêmes moules, les mêmes ingrédients, les mêmes ouvriers et le même processus de fabrication ; que la société PICARDIE PLASTURGIE n'avait procédé à aucune modification qui aurait pu réduire le coût de fabrication du produit ou permis de faire des économies sur les frais généraux de production et n'avait même pas pris la peine de réunir les fonds propres qui lui auraient été nécessaires pour tenir quelques mois ; que, sous le couvert d'un partenariat d'apparence, l'activité de la société PICARDIE PLASTURGIE avait été parfaitement verrouillée par la signature, avec DELSEY, de conventions « en trompe l'œ il » qui ne liaient absolument pas DELSEY et ne laissaient aucune perspective d'avenir à PICARDIE PLASTURGIE ; que la prétendue « aide à la reprise » de 2. 200. 000 euros avait été versée au Luxembourg sur un compte anonyme et n'avait jamais été réinvestie dans le fonctionnement de PICARDIE PLASTURGIE, sans que Jean Jacques X... ait jamais cherché à la récupérer pour sa société.

- Le ministère public demande la confirmation du jugement entrepris.

En cet état,

Sur la recevabilité de l'appel

Jean Jacques X... ayant formé son recours dans les délais et forme prévus par la loi et la recevabilité de l'acte n'étant pas contestée, la cour recevra l'intéressé en son appel.

Sur le bien fondé de l'appel

Jean Jacques X... est appelant du jugement qui l'a condamné à payer 500. 000 euros, à titre de comblement de passif, et a prononcé sa mise en faillite personnelle pour une durée de 15 ans.

Il soutient que, pour viser et se fonder sur des textes abrogés, l'assignation et le jugement sont nuls et qu'au surplus, rien ne justifie, au fond, sa condamnation à un comblement de passif et à une mesure de faillite personnelle.

- Sur l'exception soulevée

La cour observe qu'en ce qu'il invoque « l'abrogation » des textes qui y sont visés et qui lui servent de fondement, le grief fait à l'assignation ne tient pas à la forme de celle-ci, mais au fond de celle-ci.

Ainsi, même soulevée pour la première fois en cause d'appel, cette exception est donc recevable.

Cela étant, elle est mal fondée.

En effet, au visa des articles L 624-3, L 624-5, L 625-4 et L 625-5 « anciens » du Code de commerce, Maître B... et Me Y..., par acte du 3 avril 2006, puis Me Y... seul, par voie de conclusions subséquentes, ont fait grief à Jean Jacques X..., ès qualités de dirigeant de la société PICARDIE PLASTURGIE, d'avoir commis certaines fautes ayant contribué à l'insuffisance d'actif de 2. 282. 678 euros constatée au jour de l'ouverture de la procédure collective le 2 décembre 2005 et ont, en conséquence, demandé la condamnation de l'intéressé à combler tout ou partie du passif et le prononcé d'une mesure de faillite personnelle et, faisant droit à la requête dans les termes de l'assignation et des conclusions, le tribunal de commerce a condamné Jean Jacques X... à payer 500. 000 euros au titre du comblement de passif et à supporter 15 ans de faillite personnelle.

Le visa dans l'assignation des articles L 624-3, L 624-5, L 625-4 et L 625-5 « anciens » du Code de commerce et la condamnation de Jean Jacques X... sur le fondement de ces textes est, contrairement à ce qui est allégué par l'appelant, tout à fait justifié.

Il résulte, en effet, de l'article 191. 5o de la loi du 26 juillet 2005 qu'à l'exception de celles de l'article L 651-2, les dispositions nouvelles du chapitre 1er du titre V du livre VI du code de commerce, relatives à la responsabilité pour insuffisance d'actif, sont applicables aux procédures en cours au 1er janvier 2006 et il s'ensuit que l'article L 624-3 « ancien » du Code de commerce demeure applicable pour condamner les dirigeants au paiement de l'insuffisance d'actif d'une personne morale de droit privé soumise à une procédure collective ouverte antérieurement au 1er janvier 2006.

Pareillement, il résulte des articles 190 et 191 de la loi précitée qu'à l'exception de celles des articles L 653-7 et L 653-11 (sur la durée de la mesure qui ne peut excéder 15 ans), les dispositions nouvelles du chapitre III du titre V du livre VI, relatives à la faillite personnelle, ne sont pas applicables aux procédures en cours au 1er janvier 2006 et il s'ensuit que les articles L 625-4 et L 625-5 « anciens » peuvent encore servir de fondement au prononcé d'une mesure de faillite personnelle contre le dirigeant d'une personne morale soumise à une procédure collective en cours au 1er janvier 2006.

Le fondement juridique des deux mesures prononcées étant correct et la durée de la faillite personnelle n'excédant pas 15 ans, l'exception invoquée sera rejetée.

- Sur les fautes commises

Jean Jacques X... soutient qu'il n'a commis aucune faute de gestion ni aucun fait répréhensible ; que l'opération de reprise a procédé, de sa part, d'une réelle volonté de sauvegarder le site de Montdidier, mais qu'il a été grugé par la société DELSEY, qui ne l'a pas mis en mesure d'exploiter correctement l'entreprise, et par le nommé A..., ancien directeur de cette société, qui a détourné la quasi-totalité de l'aide à la reprise versée au Luxembourg ; qu'il a donc été contraint, dans un premier temps, d'assigner la société DELSEY en paiement, puis, dans un second temps, de déposer le bilan de PICARDIE PLASTUGIE ; qu'il est injuste de le poursuivre alors que la société DELSEY a bénéficié d'une transaction et que, dans le cadre de la transaction passée avec cette dernière, les parties poursuivantes ont considéré que le dépôt de bilan de PICARDIE PLASTURGIE n'avait pas été frauduleux ; qu'il n'a commis ni « faute de gestion » ni « fait répréhensible », au sens que les articles L 624-3, L 624-5, L 625-4 et L 625-5 anciens donnent à ces mots, permettant au liquidateur de demander sa condamnation à combler le passif de la société PICARDIE PLASTURGIE ou sa condamnation à une mesure de faillite personnelle.

La cour ne saurait suivre une telle argumentation, tant le contraste est grand entre l'énergie déployée pour constituer la nébuleuse de sociétés et l'asthénie des mesures mises en œ uvres pour la restructuration de l'entreprise, entre l'importance des engagements pris et l'absence totale de viabilité de la société repreneuse, entre l'importance du montant des fonds versés au Luxembourg et le ridicule du reliquat revenu à la société repreneuse.

- Sur le contraste existant entre l'énergie déployée pour constituer une nébuleuse de sociétés et l'asthénie des mesures mises en œ uvres pour la restructuration de l'entreprise

Jean-Jacques X..., Egon Z... et Olivier A... ont déployé une énergie folle pour constituer le cadre de la reprise.

Entre le 3 mars et le 30 mai 2005, soit dans un laps de temps de trois mois, les intéressés ont constitué, à tout le moins, six sociétés dont la moitié dans des paradis fiscaux avec des administrateurs résidant au Bélize ou dans les Iles vierges : la société ROSERAIE HOLDING LTD de droit chypriote, la société KERENTECH SA de droit luxembourgeois, la société PICARDIE PARTNER SA de droit luxembourgeois, les sociétés PICARDIE PLASTURGIE SA, PICARDIE PARTNER FRANCE et PICARIMMO de droit français.

Ils ont souscrit, dans le même laps de temps, huit conventions : un accord global entre la société DELSEY et les consorts X... et Z... le 3 mars 2005, un accord global entre les consorts X... et Z... et le nommé A... le 3 mars 2005, un accord global entre la société DELSEY et la société ROSERAIE HOLDING le 29 avril 2005, un contrat de cession de branches entre la société DELSEY et PICARDIE PLASTURGIE le 29 avril 2005, un contrat d'approvisionnement en bagages entre la société DELSEY et PICARDIE PLASTURGIE le 29 avril 2005, une convention de location entre la société DELSEY et PICARIMMO et une contrat de sous-location entre PICARIMMO et PICARDIE PLASTURGIE le 29 avril 2005, une convention de rétro-cession de branche entre PICARDIE PLASTURGIE et PICARDIE PARTNER le 30 mai 2005.

Dans le même temps, les intéressés et, au premier chef, Jean-Jacques X... se sont contentés de minimaliser leurs apports financiers personnels au sein de l'entreprise (les associés de la société se sont bornés à libérer le quart du capital social-lui-même fixé au minimum légal-, sans effectuer le moindre apport en compte courant et sans rechercher le moindre investisseur extérieur) et se bornés à poursuivre « à l'identique » l'activité déficitaire qu'avait menée jusque-là la société DELSEY, sans prendre les mesures économiques et sociales nécessaires à la survie de l'entreprise (et notamment de mettre en place un plan de licenciement).

Au premier « grain », un prétendu litige avec la société DELSEY, Jean Jacques X... a déposé son bilan.

Il est donc manifeste que la création de « sociétés écrans » assurant l'anonymat des opérations a eu beaucoup plus d'importance, aux yeux des repreneurs, que la reprise elle-même.

- Sur le contraste existant entre l'importance des engagements pris et l'absence totale de viabilité de la société repreneuse

Aux termes de l'accord global passé entre la société DELPEY et la société ROSERAIE HOLDING, cette dernière s'engageait à reprendre le site de Montdidier et ses 256 salariés, pour le prix symbolique de 1 euro, alors que la société DELSEY s'engageait concomitamment à verser à la holding une aide financière de 2, 2 millions d'euros, à ne pas s'approvisionner en produits concurrents dans l'espace européen, à acheter à cette société ou à ses filiales un minimum de produits finis (mais à un prix prédéfini).

Toutefois dans la pratique, aux termes des différentes conventions particulières qui ont été passées, les choses se sont passées différemment : 1o) la société PICARDIE PLASTURGIE a repris, en lieu et place de la société ROSERAIE HOLDING, les activités de fabrication de bagages rigides et de bagages souples de DELSEY et les 256 salariés, mais sans se voir rétrocéder l'aide financière de 2, 2 millions d'euros ; 2o) elle a signé avec DELSEY une convention de fabrication de bagages comportant, à son détriment, un ensemble de clauses léonines (relatives aux prix de vente à pratiquer à l'égard du marché, comme aux circuits de vente qu'elle pouvait ou non emprunter) qui lui interdisait de trouver un quelconque seuil de rentabilité ; 3o) elle a dû louer, par le truchement de la SCI PICARIMMO, les locaux construits sur le site et dont la société DELSEY avait gardé la propriété ; elle a du rétrocéder à Olivier A... l'activité de fabrication de bagages souples (la seule qui paraissait rentable) et 46 salariés à la société PICARDIE PARTNER France.

Ainsi, en l'absence de fonds propres et de mesures de restructuration économiques et sociales et eu égard à l'importance des engagements qu'elle avait pris à l'égard des sociétés DELSEY et PICARDIE PARTNER France, la société PICARDIE PLASTURGIE se trouvait déjà, à l'aube de ses jours, dans une situation irrémédiablement compromise.

- Sur le contraste existant entre l'importance du montant des fonds versés au Luxembourg et le ridicule du reliquat revenu à la société repreneuse

Aux termes des accords préliminaires passés le 3 mars 2005, entre la société DELPEY et X... (ès qualités de fondateur et associé de la futur holding ROSERAIE) et, le même jour, entre X... et A... (ès qualités de fondateur et associé de la futur société PICARDIE PARTNER), la société DELPEY devait verser 2, 2 millions d'euros à X... et ce dernier devait en rétrocéder la moitié à A....

Aux termes de l'accord global passé le 29 avril 2005, entre la société DELPEY et la société ROSERAIE HOLDING, la société DELSEY a remis à X..., ès qualités de représentant de la holding, un chèque de 1. 554. 160 euros représentant le montant de l'aide financière de 2, 2 millions prévue, diminuée de la valeur du stock de valises évalué à 645. 840 euros et cédé à PICARDIE PLASTURGIE.

Aux termes d'une convention du 23 mai 2005, Olivier A... a cédé, à Jean Jacques X..., les parts qu'il détenait dans la société ROSERAIE HOLDING et a fait approuver par ce dernier la distribution des 1. 554. 160 euros reçus le 29 avril 2005 de la société DELSEY, étant observé que cette distribution faisait apparaître qu'il ne restait plus en caisse qu'un solde de 63. 501 euros, le reste ayant été absorbé antérieurement, entre le 29 avril et le 23 mai, par des sociétés d'avocat et des sociétés écrans.

Jean Jacques X... a approuvé cette distribution et en a donné « quitus » à Olivier A..., alors que le reliquat de 63. 000 euros ne permettait manifestement pas d'aider financièrement la société PICARDIE PLASTURGIE.

Il se déduit du « quitus » donné 1o) que l'emploi de la somme avait été conforme à leur convention du 3 mars et 2o) que la finalité réelle de la somme versée par DELPEY n'était pas l'aide financière de la société PICARDIE PLASTURGIE mais la rétribution des deux protagonistes.

- Conséquences à en tirer

La cour tire, de ces constatations et observations, la conclusion que la constitution d'une nébuleuse de sociétés et la passation de multiples conventions toutes aussi nébuleuses, en vue de la reprise du site de Montdidier, n'ont été qu'un montage pour permettre à la société DELSEY d'échapper au licenciement de 256 ouvriers ainsi qu'au financement d'un plan social coûteux et que le versement au Luxembourg, sur des comptes anonymes, de la somme de 2. 200. 000 euros a correspondu à la rémunération du service rendu.

La cour observe encore, avec les premiers juges, qu'indépendamment de cette question, les agissements de Jean Jacques X... sont, de toute manière, intrinsèquement constitutifs de « faute de gestion » au sens de l'article L 624-3 ancien du Code de commerce et constitutifs de « faits répréhensibles » au sens de l'article L 625-5 ancien du dit code, justifiant le prononcé d'un comblement de passif et le prononcé d'une mesure de faillite personnelle.

En effet, le fait de poursuivre à l'identique une activité jusque-là déficitaire sans prendre les mesures économiques et sociales nécessaires à la survie de l'entreprise et notamment sans mettre en place un plan de licenciement, ainsi que le fait de s'abstenir de réunir les fonds propres indispensables au démarrage et au fonctionnement de l'entreprise ont constitué indiscutablement des « fautes de gestion » au sens de l'article L 624-3 précité.

De la même manière, le fait de reprendre les contrats de travail de 256 salariés dans le cadre d'une activité gravement déficitaire, pour le compte de la société DELSEY, sans contrepartie pour la société PICARDIE PLASTURGIE, a constitué, au moment de sa conclusion, un « engagement trop important » pour celle-ci eu égard à sa situation, au sens que l'article L 625-5 donne à ces dispositions.

La cour confirmera donc le jugement entrepris et déboutera Jean Jacques X... de ses demandes.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La partie perdante devant, aux termes de l'article 696 CPC, être condamnée aux dépens, la cour condamnera Jean Jacques X..., qui succombe, à supporter les dépens de première instance et d'appel.

La partie perdante devant, en outre, aux termes de l'article 700 du même code, être condamnée à payer à l'autre partie, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, une somme arbitrée par le juge, tenant compte de l'équité et de la situation économique de la partie condamnée, la cour condamnera Jean Jacques X... à payer à Me Vincent Y... une somme de 1. 500 euros, tous frais de première instance et d'appel confondus.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit Jean Jacques X... en son appel ;

Mais le déclarant mal fondé,

Rejette les exceptions soulevées et confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Condamne Jean Jacques X... aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SCP MILLON ET PLATEAU, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Condamne Jean Jacques X... à payer à Maître Vincent Y..., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société PICARDIE PLASTURGIE, la somme de 1. 500 euros, tous frais de première instance et d'appel confondus, au titre de l'article 700 CPC,

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Ct0073
Numéro d'arrêt : 06/04196
Date de la décision : 19/06/2008

Références :

Décision attaquée : Tribunal de commerce d'Amiens, 20 octobre 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.amiens;arret;2008-06-19;06.04196 ?
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