X... Y...
C /
COMMUNE DE ROZET ST ALBIN
COUR D'APPEL D'AMIENS
1re chambre- 1re section
ARRET DU 05 JUIN 2008
RG : 06 / 04097
APPEL D'UN JUGEMENT DU TRIBUNAL D'INSTANCE DE CHATEAU- THIERRY du 19 septembre 2006
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTS
Monsieur Erick X... né le 19 Avril 1962 à GOURNAY SUR MARNE (93460) de nationalité Française... 02210 ROZET ST ALBIN
Madame Cécile Y... épouse X... née le 26 Février 1968 à PERREUX de nationalité Française... 02210 ROZET ST ALBIN
Représentés par Me Jacques CAUSSAIN, avoué à la Cour et plaidant par Me LEFEVRE, avocat au barreau de SOISSONS
ET :
INTIMEE
COMMUNE DE ROZET ST ALBIN Hôtel de Ville 02210 ROZET ST ALBIN
Représentée par la SCP TETELIN MARGUET ET DE SURIREY, avoués à la Cour et plaidant par Me TETARD substituant Me LEFEVRE- FRANQUET, avocats au barreau de SOISSONS
DEBATS :
A l'audience publique du 03 Avril 2008, devant :
M. GRANDPIERRE, Président, entendu en son rapport, Mme CORBEL et M. DAMULOT, Conseillers,
qui en ont délibéré conformément à la Loi, le Président a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 05 Juin 2008.
GREFFIER : M. DELANNOY
PRONONCE PUBLIQUEMENT :
Le 05 Juin 2008 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; M. GRANDPIERRE, Président, a signé la minute avec M. DROUVIN, Greffier.
DECISION :
Vu les conclusions déposées pour M. Erick X... et Mme Cécile Y..., son épouse, le 3 décembre 2007 ;
Vu les conclusions déposées pour la commune de Rozet- Saint- Albin le 23 octobre 2007 ;
Attendu que les époux X... ont acquis suivant acte reçu le 26 septembre 1997 par Me Jean- Yves D..., notaire associé à Meaux (Seine- et- Marne) un immeuble sis à Rozet- Saint- Albin (Aisne), cadastré section B no 257 lieudit ...258, 260 à 263 lieudit ...et section ZD no 17, propriété qui est située d'un côté de la rue ... ;
Attendu que les époux X... ayant obturé un fossé se trouvant à l'entrée de leur propriété par la pose d'une plaque métallique courant de l'année 2000, la commune de Rozet- Saint- Albin a saisi le tribunal d'instance de Château Thierry par assignation du 15 mai 2002 d'une demande contre les époux X... en rétablissement de la servitude d'écoulement des eaux sur le fondement de l'article 640 du code civil ;
Attendu que M. F... a été commis expert par jugement avant-dire droit du 14 octobre 2003 avec pour mission de dire si, avant son obstruction par une plaque en septembre 2002 ou à une date à préciser par les époux X..., le fossé situé sur leur parcelle était assujetti à recevoir les eaux d'écoulement naturellement de fonds plus élevés que celui des susnommés, dans l'affirmative, de déterminer la surface et la nature de ces fonds ainsi que l'identité de leurs propriétaires, de donner tous renseignements utiles permettant d'apprécier si à la date à laquelle les époux X... ont procédé à l'obstruction litigieuses et quelles qu'en soient les causes techniques qu'il conviendra néanmoins de préciser, la commune de Rozet Saint Albin était en situation de fait de pouvoir se prévaloir par prescription trentenaire acquisitive d'une servitude d'écoulement des eaux sur le fonds des époux X... par le truchement du fossé situé sur leur parcelle, d'indiquer si depuis cette obstruction, il a été fait par la commune de Rozet Saint Albin quoi que ce soit qui, en l'absence d'obstruction, aggraverait l'éventuelle servitude d'écoulement due par le fonds des époux X... et, dans l'affirmative, de fournir toutes indications permettant d'évaluer l'indemnité qui pourrait alors être due de ce chef ;
Qu'après dépôt d'un rapport d'expertise, le tribunal d'instance de Château Thierry, par jugement rendu contradictoirement le 19 septembre 2006 :
· Homologue le rapport d'expertise de M. F... ; · Condamne les époux X... à rétablir la servitude dont leur fonds est grevé au profit du fonds constitué par le chemin et la rue ... et donc à enlever la plaque métallique obstruant le fossé situé sur leur propriété, dans les huit jours de la signification du jugement et passé ce délai, sous astreinte de 80 euros par jour de retard ; · Condamne les époux X... à payer à la commune de Rozet- Saint- Albin la somme de 1 800 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée ; · Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires des parties ; · Ordonne l'exécution provisoire ; · Condamne les époux X... aux dépens comprenant les frais d'expertise ; · Condamne les époux X... à payer à la commune de Rozet- Saint- Albin la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que les époux X... concluent à l'infirmation de ce jugement ; qu'ils demandent de constater l'aggravation de la servitude d'écoulement des eaux de ruissellement grevant leur fonds du fait de travaux réalisés par la commune de Rozet Saint Albin en matière de voirie et de remembrement, en conséquence, de rejeter les demandes de la commune de Rozet Saint Albin en application de l'article 640 alinéa 3 du code civil, de la condamner sur le fondement de l'article 641 alinéa 2 du code civil au paiement d'une indemnité préalable de 15 000 euros et à exécuter les ouvrages préconisés par la Direction départementale de l'équipement ainsi qu'à la prise en charge du coût de leur entretien régulier ; que subsidiairement, ils demandent la désignation d'un expert en hydrologie, aux frais de la commune de Rozet- Saint- Albin, avec pour mission d'étudier les mesures préalables au rétablissement de la servitude pour éviter les coulées de boue résultant de l'aggravation de la servitude et destinées à éviter l'écoulement d'eaux polluées, de décrire et chiffrer lesdites mesures ; que plus subsidiairement, ils demandent d'ordonner à la commune de Rozet- Saint- Albin, préalablement au rétablissement de la servitude, de faire cesser tout écoulement d'eau polluée et notamment de faire procéder à la suppression de la canalisation réalisée par M. Antoine G... et de faire exécuter à ses frais les préconisations de la Direction départementale de l'équipement en procédant à la mise en oeuvre d'un bassin de retenue et de pose d'une canalisation de diamètre 600 dans l'emprise de la rue ... ; qu'ils demandent de leur donner acte de ce qu'ils rétabliront l'écoulement de la dérivation des eaux de ruissellement sur leur propriété après mise en place dans l'ouvrage d'un système limitant le débit dès justification par la mairie de l'exécution des travaux préalables indiqués ci- avant ; qu'en toute hypothèse, ils sollicitent la condamnation de la commune de Rozet- Saint- Albin à leur restituer la somme de 3 000 euros payée en vertu de l'exécution provisoire du jugement entrepris et à leur verser une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que la commune de Rozet- Saint- Albin conclut à la confirmation du jugement entrepris, à la condamnation des époux X... au paiement de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et d'une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que l'article 640 dispose que « les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés, à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l'homme y ait contribué. Le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement. Le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur » ;
Attendu que l'expert confirme que l'écoulement des eaux pluviales sur le fonds des époux provient de la nature des lieux ; qu'il fait remarquer que la ligne de thalweg (ligne de concentration des eaux) figurant sur la carte de l'Institut géographique national, parallèle au chemin ..., se situe à l'intérieur de la propriété des époux X..., laquelle est ainsi naturellement destinée à recevoir les eaux de ruissellement du bassin versant ; qu'il explique qu'au fil du temps, l'évolution de l'occupation des sols a concentré une grande partie des eaux de ce bassin sur le chemin puis la rue ... pour aboutir au fossé traversant la propriété des époux X... ; qu'il est donc établi, contrairement à ce que les époux X... qui prétendent que le cours normal des eaux pluviales s'effectue le long de la rue et qu'il n'existe qu'une simple dérivation des eaux de la rue au travers de leur propriété, que leur fonds est normalement assujetti à recevoir toutes les eaux d'écoulement des fonds supérieurs ;
Attendu que l'expert a constaté que la propriété des époux X... est traversée par un fossé qui prend son origine à l'endroit d'une ouverture pratiquée dans le mur d'enceinte à côté de laquelle un ouvrage en maçonnerie, destiné à canaliser les eaux de la rue ... vers le fossé se trouvant sur le fonds des époux X..., a été réalisé dans l'accotement de rue ... ; qu'il indique que cet ouvrage est plus que trentenaire, ce qui n'est pas contesté par les époux X... ;
Que cet ouvrage destiné à laisser l'eau se déverser sur le fonds des époux X... par un fossé à ciel ouvert constitue un signe apparent de servitude ; que l'écoulement des eaux de ruissellement présente un caractère continu ; que la commune de Rozet Saint Albin est dès lors bien fondée à invoquer la prescription acquisitive de servitude conformément à l'article 690 du Code civil qui dispose que « les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans » ; que c'est donc à juste titre que le premier juge a retenu que la commune de Rozet Saint Albin peut se prévaloir de la servitude d'écoulement des eaux tant en vertu de l'article 640 du code civil que de l'article 690 du même code ;
Attendu que la servitude d'écoulement des eaux s'exerce lors même que cet écoulement causerait des dommages ; que la circonstance qu'une coulée de boue s'est produite en juillet 1995 à la suite d'une inondation classée catastrophe naturelle, qui par ailleurs ne démontre pas à elle seule l'existence d'une aggravation de la servitude, ne peut être valablement opposée par les époux X... à la demande de rétablissement de la servitude ; qu'ils ne sont donc pas fondés à subordonner le rétablissement de la servitude dont leur fonds est assujetti, à l'exécution des travaux préconisés par la Direction départementale de l'équipement dans le cadre de la prévention des risques d'inondation ; que ce débat n'a un intérêt dans le présent litige que si les époux X... démontrent, comme ils le soutiennent, que la servitude s'est aggravée par la pose d'un revêtement de la rue et par le remembrement, ce qui justifierait selon eux l'application de l'article 641 aliéna 2 aux termes duquel si l'usage de ces eaux ou la direction qui leur est donnée aggrave la servitude naturelle d'écoulement établie par l'article 640, une indemnité est due au propriétaire du fonds inférieur ;
Attendu qu'il résulte de l'article 640 précité que l'aggravation de la servitude, si elle est démontrée, fait obstacle au maintien de la servitude ;
Attendu que s'il est exigé que la main de l'homme ne contribue pas à l'écoulement, il n'est pas interdit pour autant au propriétaire dont le terrain transmet les eaux à l'héritage inférieur, d'exploiter normalement son bien ni de l'aménager ; que tel est le cas du revêtement goudronné de rue ... dès lors qu'une telle modification qui peut avoir pour seul effet l'augmentation du volume des eaux ne constitue pas à elle seule une aggravation préjudiciable de la servitude ;
Attendu que les époux X... ne précisent pas en quoi le remembrement aurait eu une incidence sur les eaux qu'ils reçoivent alors que la commune de Rozet- Saint- Albin indique que le remembrement dans la partie concernée n'a principalement consisté qu'en des échanges de parcelles et en la disparition d'un chemin transformé en terres de culture, cette modification ayant pour effet de remplacer une zone de collecte d'eau (le chemin) en une zone d'absorption de l'eau, les cultures ; qu'à cet égard, l'expert ne donne aucune précision sauf que le bassin versant comprend des bois et des champs ; qu'en outre, la commune de Rozet- Saint- Albin conteste les allégations dénuées de justification de la partie adverse selon lesquelles les terres agricoles situées en partie haute auraient été drainées ;
Attendu que le fonds inférieur est tenu de recevoir les eaux et ce qu'elles charrient naturellement, descendant du fonds dominant, sous condition qu'il ne soit déversé ni eaux ménagères ni eaux souillées ; que les époux X... invoquent une dénaturation de la servitude en ce qu'une canalisation d'eaux polluées provenant d'un voisin déboucherait en haut de la rue ... ; que l'expert a constaté la présence d'une petite canalisation qui, compte tenu de son diamètre et par suite de la faible quantité d'eaux susceptible d'en sortir, ne peut constituer selon lui une aggravation de la servitude, mais n'a pas analysé les eaux qui s'en écoulent ; que les époux X... exposent avoir fait procéder à une analyse d'un échantillon de ces eaux par le laboratoire départemental d'analyses, de recherche et d'hydrologie qui a conclu à la présence de critères de pollution organique (cycle N) relativement élevés pour des eaux de pluie et à la présence anormale d'herbicides en concentration très élevée ;
Attendu que la commune de Rozet- Saint- Albin considère que cette analyse ne lui est pas opposable dès lors que le prélèvement n'a pas été opéré contradictoirement, que l'échantillon a été pris le long du chemin, ce qui ne permet pas d'exclure un acte de malveillance de n'importe quel individu qui aurait pu préalablement contaminer les eaux, au fond du fossé, et donc probablement avec une eau stagnante et que l'échantillon n'a été transmis que plusieurs jours après sa prise ; qu'elle se prévaut au contraire du constat fait le 15 octobre 2003 par le contrôleur de secteur de la subdivision de la Direction départementale de l'équipement de l'Aisne qui n'a révélé aucun indice de pollution après avoir observé que la canalisation pluviale litigieuse n'évacuait aucun écoulement au moment et que le peu d'eau stagnante retenue dans le fossé à sa sortie était claire ; qu'elle s'oppose à la demande de nouvelle expertise qu'elle juge dilatoire, d'autant plus qu'il est demandé qu'elle soit faite à ses frais avancés ;
Attendu que de première part, les critiques émises avec raison par la commune de Rozet- Saint- Albin sur les conditions du prélèvement par la partie adverse même s'il a été opéré en présence d'un huissier, de deuxième part, que les résultats de l'analyse ne se prononcent pas sur la nature des eaux mais seulement sur la présence d'herbicide, laquelle compte tenu des méthodes culturales modernes n'exclut pas qu'il s'agisse d'eaux de ruissellement, de troisième part, que la circonstance que la quantité d'eaux provenant de la canalisation en cause est minime par rapport aux eaux provenant d'en amont et enfin, que le constat opéré par la DDE ne met en évidence aucun écoulement d'eau souillée, conduisent à considérer qu'il n'est pas démontré que les eaux qui s'écoulent sur le terrain des époux X... seraient des eaux polluées en dehors des normes sanitaires admises en la matière ; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'expertise demandée par les époux X... aux frais avancés de la partie adverse ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que les époux X... sont mal fondés à invoquer une prétendue aggravation de la servitude pour justifier l'obstacle posé au bon écoulement des eaux de ruissellement à travers leur fonds ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il leur ordonne de procéder au rétablissement de la servitude ;
Attendu qu'en revanche, il n'est pas démontré que les époux X... aient fait preuve d'une résistance abusive en s'opposant à la demande de la commune de Rozet- Saint- Albin ; que le jugement sera infirmé de ce chef ; qu'il n'est pas davantage établi que leur appel présenterait un caractère abusif ; que la commune sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts présentée à ce titre ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la commune de Rozet- Saint- Albin la charge des frais hors dépens qu'elle a été contrainte d'exposer en cause d'appel ; qu'il convient de lui allouer à ce titre la somme de 1 500 euros ;
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Rejette la demande d'expertise ;
Confirme le jugement rendu le 19 septembre 2006 par le tribunal d'instance de Château- Thierry sauf en ses dispositions qui ont condamné les époux X... à payer à la commune de Rozet- Saint- Albin la somme de 1 800 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Statuant à nouveau de ce chef,
Déboute la commune de Rozet- Saint- Albin ;
Ajoutant au jugement entrepris,
Déboute la commune de Rozet- Saint- Albin de sa demande en dommages et intérêts pour appel abusif ;
Condamne les époux X... à payer à la commune de Rozet- Saint- Albin la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne les époux X... aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.