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16/10/2000 | FRANCE | N°99/04168

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 16 octobre 2000, 99/04168


COUR D'APPEL D'AMIENS CHAMBRE SOLENNELLE ARRET DU 16 OCTOBRE 2000 RG:

99/04168 COUR DE CASSATION DU 5 OCTOBRE 1999 COUR D'APPEL DE DOUAI DU 17 JUIN 1996 DECISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE DE L'ORDRE DES AVOCATS DE LILLE DU 4 DECEMBRE 1995 La Cour a demandé à Maître X... s'il désirait que l'affaire soit évoquée en audience publique ou en chambre du Conseil. Celui-ci a déclaré vouloir être entendu en Chambre du Conseil. PARTIES EN CAUSE :

APPELANT Y... X... INTIME Y... le PROCUREUR GENERAL près la Cour d'Appel d'Amiens

En présence de : Y... le Bâtonnier de l'ordr

e des avocats au barreau de Lille. DEBATS :

A l'audience solennelle tenue e...

COUR D'APPEL D'AMIENS CHAMBRE SOLENNELLE ARRET DU 16 OCTOBRE 2000 RG:

99/04168 COUR DE CASSATION DU 5 OCTOBRE 1999 COUR D'APPEL DE DOUAI DU 17 JUIN 1996 DECISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE DE L'ORDRE DES AVOCATS DE LILLE DU 4 DECEMBRE 1995 La Cour a demandé à Maître X... s'il désirait que l'affaire soit évoquée en audience publique ou en chambre du Conseil. Celui-ci a déclaré vouloir être entendu en Chambre du Conseil. PARTIES EN CAUSE :

APPELANT Y... X... INTIME Y... le PROCUREUR GENERAL près la Cour d'Appel d'Amiens

En présence de : Y... le Bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Lille. DEBATS :

A l'audience solennelle tenue en Chambre du Conseil par la Cour d'Appel d'Amiens, Première et quatrième Chambres Civiles du 18 septembre 2000 ont été entendus le Ministère Public en ses réquisitions, l'avocat de M. X..., en sa plaidoirie, le représentant du Bâtonnier en ses observations, Maître X... ayant eu la parole le dernier. COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE : Mme MERFELD, Président de Chambre, faisant fonctions de Premier Président, désignée par ordonnance du 12 Septembre 2000, M. CHAPUIS DE Z..., M. MAHIEUX, Présidents de Chambre, Mme BOISSELET, M. COURAL, Conseillers, qui ont renvoyé l'affaire à l'audience en Chambre du Conseil du 16 octobre 2000 pour prononcer l'arrêt et en ont délibéré conformément à la loi. Greffier présent lors des débats : Mme A...

DECISION : Par décision du 4 décembre 1995, le Conseil de discipline de l'Ordre des avocats du Barreau de LILLE a prononcé la radiation de

Maître X... pour avoir utilisé son compte CARPA en vue de la réalisation d'opérations financières étrangères à des prestations de nature juridique ou à des procédures judiciaires.

X... a relevé appel nullité et appel réformation de cette décision. L'arrêt confirmatif rendu le 17 juin 1996 par la Cour d'Appel de DOUAI a été cassé le 5 octobre 1999 par la Cour de Cassation qui a renvoyé l'affaire devant la Cour d'Appel d'Amiens.

Par arrêt du 28 Août 2000 la présente Cour a annulé la décision rendue le 4 Décembre 1995 par le Conseil de Discipline et a renvoyé l'affaire à une audience ultérieure pour débats sur le fond.

X... a déposé des conclusions demandant à la Cour d'une part d'interroger la Cour d'une part d'interroger la Cour de Justice des Communautés Européennes à l'effet de vérifier si le règlement intérieur du barreau de Lille et les statuts de la CARPA sont conformes au droit Communautaire, au traité de Maastrich et aux accords de Schengen et d'autre part de surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale actuellement en cours devant le juge d'instruction de CHALON-SUR-SAONE.

Subsidiairement X... a contesté les faits qui lui sont reprochés, soutenant notamment que c'est bien dans le cadre de son activité professionnelle d'avocat qu'il a placé les fonds sur le compte CARPA, que le Ministère Public n'apporte pas la preuve dont il a la charge et que les pièces qu'il invoque ne doivent pas être examinées isolément mais qu'il faut les replacer dans leur contexte.

Le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats a été entendu en ses

observations.

SUR CE :

1°) Sur le demande de question préjudicielle

Attendu que la référence à l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme n'a plus d'intérêt à ce stade de la procédure puisque par arrêt du 28 Août 2000 la Cour a annulé la décision du Conseil de Discipline ;

Attendu que de même il n'y a pas lieu à question préjudicielle pour rechercher si les poursuites ne se heurtent pas au droit communautaire puisque X... n'est pas poursuivi disciplinairement pour avoir utilisé son compte CARPA en vue de la réalisation d'opérations ne pouvant se rattacher à des actes juridiques ou judiciaires accomplis dans le cadre de sa profession d'avocat ;

Attendu que la Traité de Schengen relatif à la libre circulation des personnes étrangères à l'Union Européenne n'est pas applicable en l'espèce ;

Que X... doit donc être débouté de son exception de question préjudicielle qui ne présente aucun caractère sérieux ;

2°) Sur la demande de sursis à statuer

Attendu que X... écrit dans ses conclusions que la poursuite initiée prend appui sur des faits délictueux qu'il aurait commis, pour lesquelles il a été mis en examen par un juge d'instruction du

Tribunal de Grande instance de CHALON-SUR-SAONE et que la Cour doit ordonner la production aux débats du dossier pénal et en tout cas surseoir à statuer jusqu'à l'issue de cette procédure ;

Mais attendu que comme le reconnaît X... lui-même la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale et qu'en toute hypothèse il n'est pas poursuivi disciplinairement pour une infraction pénale ;

Attendu qu'il soutient également que les pièces de la procédure pénale seraient de nature à démontrer qu'il n'a pas commis de manquements à l'honneur et à la probité et que c'est bien dans le cadre de l'exercice de sa profession d'avocat et notamment de son activité de conseil qu'il a utilisé son compte CARPA ;

Mais attendu que X... ne précise pas quel serait la ou les pièces détenues par le juge d'instruction qui seraient de nature à éclairer la Cour ni de qui elles émanent ; qu'il ne semblent pas qu'il ait tenté directement ou par son conseil, d'en obtenir copie ; qu'il se contente de faire référence d'une manière générale à la procédure pénale pour obtenir un sursis à statuer ; que cette demande apparaît dilatoire et sera rejetée ;

3°) Au fond

Attendu que liminairement il convient de préciser que la Cour statue au vu des seules pièces du dossier disciplinaire remis par le Bâtonnier ainsi que de celles versées aux débats par X... et qu'il n'est pas pris en considération d'autres faits que ceux objets des poursuites disciplinaires ;

Attendu que le Ministère Public fonde les poursuites sur cinq faits qui seront examinés successivement, étant rappelé qu'il invoque notamment une violation par X... de l'article 229 du décret du 27 novembre 1991 qui dispose :

Sous réserve de justifier d'un mandat spécial dans les cas où il est exigé, l'avocat procède aux règlements pécuniaires liés à son activité professionnelle, en observant les règles fixées par le présent décret et par le règlement intérieur du Barreau. Les règlements pécuniaires ne peuvent être que l'accessoire des actes juridiques ou judiciaires accomplis dans le cadre de son exercice professionnel.

A) sur l'affaire ROSEMONT-Sté TEMPLETON

Attendu que le 1er août 1995 X... a reçu de Y... B..., Conseil en financement à FONTAINES (SAONE et LOIRE) quatre chèques d'un montant total de 209.273 Francs dans le but, selon la lettre de transmission de Y... B..., de créer des lignes de crédit pour nos clients ; que ces chèques ont été portés le 17 août 1995 au crédit du compte CARPA de X... ; que ce compte a été débité du même montant le 18 Septembre suivant au profit de la Société TEMPLETON BANC CORPORATION dont Y... B... était également le dirigeant ; que l'intervention du Bâtonnier a toutefois empêché la transmission du chèque à son destinataire ;

Attendu qu'à l'audience X... a expliqué que comme il ne savait pas quoi faire des fonds, il les a remis sur son compte CARPA plutôt qu'à la Caisse des Dépôts et Consignations et qu'il n'a pas perçu

d'honoraires ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article 229 du décret du 27 Novembre 1991 sus-visé que l'utilisation du compte CARPA pour la réalisation d'un objet qui n'est pas susceptible de se rattacher à un acte juridique ou judiciaire accompli par l'avocat dans le cadre de son activité professionnelle est interdite ;

Que le comportement de X... est d'autant plus répréhensible qu'il n'ignorait pas qu'il succédait auprès de Y... B... à un avocat du Barreau de CHALON-SUR-SAONE qui était sous le coup d'une interdiction provisoire d'exercer pour s'être prêté à des actes similaires ;

B)Sur l'affaire ALBATROS-GELOEN

Attendu qu'en Juin ou Juillet 1995 X... a reçu de Y... C..., gérant de la société ALBATROS, un chèque d'un montant de 1.273.500 Francs ; qu'il a placé la somme de 1.200.000 francs sur un compte qu'il avait ouvert au nom de Y... C... auprès de la Banque Internationale du LUXEMBOURG en faisant transiter les fonds par son compte CARPA ;

Qu'à l'occasion de cette opération X... a écrit le 7 Juin 1995 à Y... C... que la banque avait donné son accord sur le principe de l'ouverture d'un compte numéroté, avec possibilité à partir du GRAND DUCHE de gérer des valeurs de portefeuille au besoin sur le marché Français ; qu'il précisait que le passage des fonds par son compte CARPA présentait la double garantie de la solvabilité et du secret professionnel le plus absolu ; qu'il ajoutait qu'il n'était

pas nécessaire d'avoir recours à un "paravent supplémentaire" en montant une British Virgin Island ou une société de droit panaméen ; qu'il a évalué à 35000 francs le coût de son intervention comprenant notamment le "mouvement de fonds sur compte CARPA" ;

Attendu que X... soutient que sa prestation qui consistait à créer une société pour le compte de Y... C... est réelle et certaine ;

Mais attendu qu'il n'a pas été justifié d'aucune démarche en vue du montage d'une société alors que l'opération financière par l'intermédiaire du compte CARPA a été menée à son terme ; que X... produit aux débats de la documentation générique sur le droit Luxembourgeois des sociétés qui, ainsi ,que l'a fait observer Y... le Bâtonnier, ne peut constituer la justification d'une quelconque prestation intellectuelle à connotation judiciaire ou juridique dans cette affaire ;

Qu'il apparaît au contraire que X... s'est livré à une opération d'ingénierie pour laquelle il a offert, contre rémunération, le service de son compte CARPA protégé par le secret professionnel qu'il a ainsi détourné de sa finalité ;

C) Sur l'affaire Elie DESVIGNES

Attendu que X... ne conteste pas le transit par son compte CARPA, en janvier 1994, d'une somme de 100.000 francs appartenant à son père, en vue de son placement sur un compte ouvert à la Banque Internationale du Luxembourg ; qu'il ne conteste pas davantage que cette opération n'est ni la conséquence, ni l'accessoire d'un acte juridique ou judiciaire ;

Que l'explication qu'il a donnée à l'audience au sujet du besoin d'argent de la CARPA n'est pas sérieuse.

Qu'il s'est servi de son compte CARPA à des fins personnelles pour un membre de sa famille ;

D) Sur l'affaire D...

Attendu que chargé du divorce par consentement mutuel et de la liquidation de la communauté des époux D... qui avaient un passif commercial important, X... a reçu, sur son compte CARPA, en juillet 1994, la somme de 1.209.212 francs provenant de la vente de l'immeuble constituant un élément important de l'actif communautaire ; qu'il a transféré les fonds en août 1994 sur un compte ouvert au nom de la femme à la Banque Internationale du Luxembourg dans le cadre d'un contrat de gestion fiducie ;que X... insiste sur le fait qu'il était déjà le conseil des époux D... avant l'opération qui lui est reprochée ; que cependant le support juridique qu'il invoque ne peut justifier l'utilisation du compte CARPA pour un acte de gestion exclusivement financière ; qu'à l'audience X... a également déplacé le débat sur le plan pénal en expliquant les raisons pour lesquelles il estimait que l'infraction qui lui était reprochée à l'occasion de cette affaire n'était pas constituée ; que cette question ne présente cependant aucun intérêt dans le cadre de l'instance disciplinaire qui est fondée sur des faits distincts ;

Qu'il suffit de constater que là encore X... s'est servi de son compte CARPA pour une opération étrangère à l'exercice de sa profession ;

E) Sur l'incident lors du contrôle de comptabilité

Attendu que lors du contrôle de sa comptabilité effectué à la demande du Bâtonnier le 11 Octobre 1995 par Maître DESPIEGHELAERE, membre de la Conseil de l'Ordre, X... a tenté de faire disparaître la seconde page d'un courrier daté du 4 mai 1995 qu'il avait adressé à Y... B..., cette page faisant apparaître les conditions de sa future collaboration avec Y... B... pour un partenariat financier incompatible avec l'activité d'avocat ;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que X... a commis des manquements graves et renouvelés à l'honneur, la probité et la ,délicatesse en s'affranchissant notamment des règles régissant le fonctionnement du compte CARPA qu'il a utilisé pour des opérations purement financières, se faisant ensuite le garant de l'opacité des agissements de ses clients ; que ce comportement, animé par l'attrait du profit, n'est pas admissible de la part d'un auxiliaire de justice ;

Qu'en raison de son ancienneté et de son expérience professionnelle X... ne pouvait ignorer le caractère irrégulier de ses agissements qu'il a commis et réitérés délibérément ;

Qu'il convient dans ces conditions et en application de l'article 184 du décret du 27 novembre 1991, de prononcer sa radiation.

PAR CES MOTIFS :

La Cour :

Statuant contradictoirement,

Vu l'arrêt du 28 août 2000,

Rejette l'exception de question préjudicielle et le demande de sursis à statuer,

Prononce la radiation de X... du tableau des avocats du Barreau de LILLE.

Prononcé à l'audience tenue en Chambre du Conseil par les Première et Troisième Civiles Réunies de la Cour d'Appel d'Amiens, siégeant au Palais de Justice de ladite ville le 16 octobre 2000, où siégeaient :

M. DELZOIDE, Premier Président,

M. BONNET, Président de Chambre,

Mme E..., M. F..., Mme BOISSELET, Conseillers,

Assistés de Mme A..., Greffier, désignée en application de l'article 812-6 du Code de l'Organisation Judiciaire pour remplacer le Greffier en chef empêché.

Arrêt prononcé et signé par Madame Boisselet, magistrat qui en a délibéré.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Numéro d'arrêt : 99/04168
Date de la décision : 16/10/2000

Analyses

AVOCAT - Discipline - Manquement aux règles professionnelles - Manquement à la délicatesse et à la probité

Encourt la radiation l'avocat qui a commis des manquements graves et renouvelés à l'honneur, la probité et la délicatesse en s'affranchissant notamment des règles régissant le fonctionnement du compte CARPA qu'il a utilisé pour des opérations purement financières, se faisant ensuite la garant de l'opacité des agissements de ses clients, ce comportement animé par l'attrait du profit n'étant pas admissible de la part d'un auxiliaire de justice. De plus, en raison de son ancienneté et de son expérience professionnelle, il ne pouvait ignorer le caractère irrégulier de ses agissements qu'il a commis et réi- térés délibérément


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.amiens;arret;2000-10-16;99.04168 ?
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