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05/07/2024 | FRANCE | N°22/03409

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-6, 05 juillet 2024, 22/03409


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6



ARRÊT AU FOND

DU 05 JUILLET 2024



N°2024/ 240













Rôle N° RG 22/03409 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BI7ZP







[J] [R]





C/



Association ADAPÉI VAR MÉDITERRANÉE





































Copie exécutoire délivrée

le :05/07/2024

à :



Me Dani

elle DEOUS, avocat au barreau de TOULON



représentée par Me Anne-Sylvie VIVES, avocat au barreau de TOULON





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Toulon en date du 01 Février 2022 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 21/00260.







APPELANTE



Madame [J] [...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 05 JUILLET 2024

N°2024/ 240

Rôle N° RG 22/03409 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BI7ZP

[J] [R]

C/

Association ADAPÉI VAR MÉDITERRANÉE

Copie exécutoire délivrée

le :05/07/2024

à :

Me Danielle DEOUS, avocat au barreau de TOULON

représentée par Me Anne-Sylvie VIVES, avocat au barreau de TOULON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Toulon en date du 01 Février 2022 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 21/00260.

APPELANTE

Madame [J] [R], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Danielle DEOUS, avocat au barreau de TOULON

INTIMEE

Association ADAPÉI VAR MÉDITERRANÉE devenue Association UMANE , demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Anne-Sylvie VIVES, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre chargé du rapport, et Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre

Madame Estelle de REVEL, Conseiller

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Juillet 2024..

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Juillet 2024.

Signé par Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

1. Selon contrat à durée déterminée du 15 octobre 2018 de six mois à temps complet, Mme [R] a été embauchée en qualité de coordinatrice de foyer de vie [5] à [Localité 6] et du foyer d'accueil médicalisé, par l'association ADAPEI Var Méditerranée, devenue l'association Umane.

2. Le 16 avril 2019, elle a de nouveau été recrutée en contrat à durée déterminée par l'association Umane.

3. Le 13 mai 2019, la relation contractuelle s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée pour un poste d'animatrice de 1ère catégorie.

4. Le 1er février 2020, Mme [R] a été placée en arrêt de travail jusqu'au 9 février 2020, lequel a été prolongé jusqu'au 14 février 2020.

5. Le 9 novembre 2020, Mme [R] a de nouveau été placée en arrêt maladie et ne reprendra pas le travail.

6. Le 22 avril 2021, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulon d'une demande en requalification de ses contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en rappel de salaire sur heures supplémentaires.

7. Le 9 décembre 2021, Mme [R] a été déclarée inapte à son poste et à tout poste dans l'entreprise.

8. Le 7 janvier 2022, Mme [R] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 21 janvier 2022.

9. Le 25 janvier 2022, l'association Umane a licencié Mme [R] pour inaptitude non-professionnelle et impossibilité de reclassement.

10. Par jugement du 1er février 2022, le conseil de prud'hommes de Toulon a :

- débouté Mme [R] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail,

- débouté Mme [R] de sa demande de requalification en contrat à durée indéterminée d'un contrat à durée déterminée,

- débouté Mme [R] de sa demande d'indemnité pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, d'un montant de 15 000 euros,

- débouté Mme [R] de sa demande d'indemnité conventionnelle de licenciement d'un montant de 2 727 euros,

- débouté Mme [R] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis de 2 mois d'un montant de 4 614 euros,

- débouté Mme [R] de sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis d'un montant de 461,40 euros,

- débouté Mme [R] de sa demande d'indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée d'un contrat à durée déterminée d'un montant de 4 614 euros,

- débouté Mme [R] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral d'un montant de 5 000 euros,

- débouté Mme [R] de sa demande de paiement d'heures complémentaires : 240,33 euros,

- débouté Mme [R] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 2 000 euros,

- condamné Mme [R] à verser à l'association Umane la somme de 500 euros au titre de 1'article 700 du code de procédure civile.

11. Le 7 mars 2022, Mme [R] a fait appel de ce jugement.

12. A l'issue de ses dernières conclusions du 12 décembre 2023 auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [R] demande à la cour de:

- infirmer le jugement en ses dispositions critiquées ,

- requalifier les contrats à durée déterminée des 15 octobre 2018 et 10 avril 2019 en contrat à durée indéterminée,

- condamner l'association Umane anciennement dénommée ADAPEI Var Méditerranée à lui payer les sommes suivantes :

- 4 614 euros au titre de l'indemnité de requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ,

- 240,33 euros au titre des heures supplémentaires ,

- juger qu'elle a subi une situation de harcèlement moral, subsidiairement que l'association Umane a manqué à son obligation de sécurité ,

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [J] [R] aux torts de l'employeur ,

- juger que cette rupture produit les effets d'un licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ,

- juger que son inaptitude au poste est professionnelle ,

- condamner l'association Umane anciennement dénommée ADAPEI Var Méditerranée à lui payer les sommes suivantes:

- 4 614 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ,

- 461,40 euros au titre des congés payés sur préavis ,

- 2 414,24 euros au titre de l'indemnité de licenciement ,

- 15 000 euros à titre des dommages et intérêts en raison de la nullité de la rupture du contrat de travail ou subsidiairement de son défaut de cause réelle et sérieuse, - 5 000 euros au titre des dommages et intérêts au titre du préjudice moral ,

- subsidiairement, sur le licenciement, juger que l'inaptitude au poste est professionnelle,

- juger que le licenciement pour inaptitude au poste est nul, et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ,

- condamné l'association Umane à lui payer les sommes suivantes :

- 4 614 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 461.4 euros au titre des congés payés sur préavis,

- 2 414,24 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 15 000 euros à titre des dommages et intérêts en raison de la nullité de la rupture du contrat de travail ou subsidiairement de son défaut de cause réelle et sérieuse,

- 5 000 euros au titre des dommages et intérêts au titre du préjudice moral,

- ordonner à l'association Umane de lui remettre les documents rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard soit :

- Bulletins de salaires,

- Attestation Pôle emploi,

- Certificat de travail,

- condamner l'association Umane anciennement dénommée ADAPEI Var Méditerranée à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

13. A l'issue de ses dernières conclusions du 9 janvier 2024 auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, l'association Umane demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Toulon le 1er février 2022 en toutes ses dispositions ,

- débouter Mme [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ,

- juger que le licenciement de Mme [R] d'origine-non professionnelle est fondé ,

- juger infondée et injustifiée la demande indemnitaire pour licenciement nul et ou subsidiairement, de son défaut de cause réelle et sérieuse ,

- condamner Mme [R] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure ainsi qu'aux entiers dépens.

14. La clôture de l'instruction a été prononcée le 12 janvier 2024. Pour un plus ample exposé de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère expressément à la décision déférée et aux dernières conclusions déposées par les parties.

MOTIVATION :

Sur la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée déterminée:

Moyens des parties :

15. Mme [R] fait valoir que le conseil de prud'hommes a retenu à tort que sa demande de requalification de ses contrats à durée déterminée, motivée par l'absence de toute mention relative au motif de recours au contrat à durée déterminée laissant ainsi supposer que l'emploi était lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ce qui est la règle, était prescrite alors que la prescription d'une telle action sur le fondement de l'article L. 1242-1 du code du travail court à compter de la rupture du contrat de travail et non de sa conclusion.

16. L'association Umane rétorque que, conformément aux dispositions de l'article L. 1471-1 du code du travail, Mme [R] disposait d'un délai expirant le 15 octobre 2020 s'agissant du premier contrat à durée déterminée conclu le 15 octobre 2018, puis d'un délai expirant le 10 avril 2021 s'agissant du second contrat à durée déterminée conclu le 10 avril 2019 de sorte qu'elle était prescrite lors de sa saisine du conseil de prud'hommes le 22 avril 2021, que Mme [R] qui sollicite une indemnité de requalification de 4 600 euros, ne justifie en outre, d'aucun préjudice d'autant qu'elle a été ensuite embauchée en contrat à durée indéterminée à compter du mois de mai 2019 et, enfin, qu'en cas de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, elle ne pourrait prétendre qu'à une seule indemnité de requalification, soit un seul mois de salaire, dans le cas d'une succession de contrats comme en l'espèce.

Réponse de la cour :

17. Selon l'article L.1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

18. L'article L.1242-12 du même code précise que le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

19. L'article L.1245-1 du code du travail édicte notamment qu'est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-1 et L.1242-12.

20. Selon l'article L.1471-1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

21. Il est de principe que le point de départ de l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée court, lorsque la demande est fondée sur l'absence d'une mention au contrat, à compter de la date de conclusion du contrat (voir Cour de cassation, chambre sociale, 23 novembre 2022, pourvoi n°21-13059) et, lorsque l'action est fondée sur la réalité du motif du recours au contrat à durée déterminée indiqué sur le contrat, à compter du terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, du terme du dernier contrat (Cour de cassation, chambre sociale, 29 janvier 2020, pourvoi n°18-15359).

22. En l'espèce, à l'appui de sa demande en requalification de ses contrats à durée déterminée se prévaut à la fois d'un moyen de forme tiré de l'absence de mention dans ses contrats de travail du motif du recours au contrat à durée déterminée et aussi d'un moyen de fond tiré de la violation de l'article L.1242-1 du code du travail.

23. Les contrats à durée déterminée litigieux ont été conclus les 15 octobre 2018 et 16 avril 2019. Le délai de prescription biennale de l'action en requalification de ces contrats, fondés sur la violation de l'article L.1242-12 alinéa 1er, qui avait commencé à courir à compter de leur conclusion, était donc expiré lors la saisine du conseil de prud'hommes par Mme [R] le 22 avril 2021. Elle est donc irrecevable à invoquer l'absence de mention du motif du recours au contrat à durée déterminée dans ses contrats de travail pour conclure à leur requalification en contrat à durée indéterminée.

24. Le premier contrat à durée déterminée du 15 octobre 2018, conclu pour une durée de six mois, est venu à son terme le 15 avril 2019. Le délai de prescription de l'action en requalification de ce contrat de travail, fondé sur la violation de l'article L.1242-1 du code du travail, qui avait commencé à courir à compter de ce terme, était donc expiré lors de la saisine du conseil de prud'hommes le 22 avril 2021.

25. Mme [R] est en conséquence irrecevable à solliciter sa requalification en contrat à durée indéterminée.

26. En revanche, le second contrat à durée déterminée du 16 avril 2019 a été conclu pour une durée d'un mois. Il a pris fin le 13 mai 2019, date de l'embauche de Mme [R] sous la forme d'un contrat à durée indéterminée. Le délai de prescription de l'action en requalification de ce contrat de travail, fondé sur la violation de l'article L.1242-1 du code du travail, qui avait commencé à courir à compter de ce terme, n'était donc pas expiré lors de la saisine du conseil de prud'hommes le 22 avril 2021.

27. L'association Umane, à qui il incombe de démontrer que ce contrat à durée déterminée n'avait pas pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, n'en rapporte pas la preuve. Mme [R] est en conséquence fondée à en solliciter la requalification en contrat à durée indéterminée.

28. L'article L 1245-2 du code du travail dispose que, lorsque la juridiction fait droit à la demande en requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, elle accorde au salarié une indemnité à la charge de l'employeur ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.

29. Il sera donc alloué à Mme [R] à titre d'indemnité de requalification, la somme de 1 852,10 euros correspondant au dernier salaire perçu dans le cadre de ce contrat.

Sur les heures supplémentaires :

Moyens des parties :

30. Mme [R] expose qu'elle a réalisé pour le compte de l'association Umane des heures supplémentaires qui n'ont pas fait l'objet du taux de majoration de 25% applicable.

31. En réponse, l'association Umane fait valoir que Mme [R] sollicite une somme à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires sans étayer sa demande et que le planning pour l'année 2020 qu'elle invoque au soutien de sa demande ne prend pas en compte ses absences pour arrêts maladie.

Réponse de la cour :

32. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

33. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

34. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

35. En l'espèce, Mme [R] se prévaut de ses plannings individuels pour les années 2018, 2019 et 2020.

36. Ce faisant, Mme [R] présente des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées dont le paiement est réclamé permettant à son ex-employeur, chargé d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

37. En outre, il résulte clairement des plannings en question que ceux-ci prennent en compte les périodes d'absence pour maladie de Mme [R]. En considération des éléments de preuve produits par les parties, il apparait que Mme [R] n'a pas bénéficié du taux de majoration applicable aux heures supplémentaires qu'elle a accomplies pour le compte de l'association Umane. Il sera en conséquence fait droit à sa demande de ce chef.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R] :

Moyens des parties :

38. Mme [R] soutient qu'elle a fait l'objet au sein de l'association Umane de faits de harcèlement moral caractérisé par son embauche à un poste de coordinatrice nécessitant un diplôme d'éducateur spécialisé dont elle n'était pas titulaire, l'absence de clarification de son positionnement et des missions lui incombant et le comportement à son égard de sa chef de service, principalement le discrédit porté à son travail, sa mise à l'écart, des insinuations sur sa vie privée, des insultes, menaces et dénigrement public.

39. L'association Umane conteste tout fait de harcèlement moral concernant Mme [R] et fait valoir qu'elle n'a jamais formé une quelconque doléance sur son statut salarial, que les mails qu'elle produits ne font état que de difficultés organisationnelles résultant du déménagement de la structure mais pas de harcèlement, qu'il lui a été indiqué qu'une session individuelle de formation ne pouvait être organisée au regard de ses demandes mais qu'une formation collective allait être proposée, ce qui a été le cas mais que celle-ci a ensuite été refusée par la salariée et qu'il existait bien une mésentente avec Mme [C] mais qui ne caractérisait pas un harcèlement moral.

Réponse de la cour :

40. Il est de jurisprudence constante que le salarié peut obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquement grave de l'employeur à ses obligations de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

41. Conformément à l'article L. 1152-3 du code du travail, la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur en raison du harcèlement moral dont le salarié a été victime sur son lieu de travail, produit les effets d'un licenciement nul.

42. L'article L. 1152-1 du code du travail prévoit qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

43. L'article L.1154-1 du même code précise que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, qu'au vu de ces éléments, pris dans leur ensemble, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

44. Il résulte de ces dispositions que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

45. Dès lors, compte tenu de ce mécanisme probatoire, il est indifférent que, pendant la relation de travail, Mme [R] n'ai adressé aucune doléance envers son employeur concernant des faits de harcèlement moral.

46. Aux termes de l'article L.6321-1 du code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.

47. Selon ses deux contrats à durée déterminée, Mme [R] a été recrutée par l'association Umane en qualité de coordinatrice du Foyer de vie [5] et du foyer d'accueil médicalisé de l'association Umane. Selon son contrat à durée indéterminée, elle a été embauchée en qualité d'animatrice de première catégorie.

48. Les courriels adressés par Mme [R] pendant l'exécution de son contrat de travail mentionnent le titre de coordinatrice et une adresse structurelle avec la mention [Courriel 1].

49. Les emplois du temps de Mme [R] indiquent les fonctions d'éducatrice spécialisée.

50. Enfin, la référence à l'exercice par Mme [R] des missions de coordinatrice est reprise dans un courriel d'une infirmière, du rapport d'enquête établi par le CHSCT en 2020 sur des difficultés relationnelles entre Mme [R] et Mme [C] et le certificat de travail établi par l'association Umane.

51. Il n'est pas contesté par l'association Umane que Mme [R] n'était pas titulaire du diplôme lui permettant d'exercer ces fonctions.

52. Mme [R] verse en outre aux débats un courriel de l'infirmière de l'association Umane du 24 août 2020 alertant celle-ci, d'une part, sur la situation complexe du Foyer [5] en raison d'une forte rotation du personnel et leur méconnaissance des résidents, entraînant de sérieux problèmes sur la distribution des médicaments et, d'autre part, de la situation de Mme [R], travaillant sans relâche pour maintenir un équilibre au sein du foyer et qui tenait un rôle compliqué en l'absence de la cheffe de service et de management au quotidien sur le site.

53. Mme [R] produit à l'instance un rapport d'enquête interne du CHSCT de l'association Umane du mois de décembre 2020, suite à une alerte d'un élu du CSE envers la direction des ressources humaines de l'association sur des difficultés relationnelles existant entre Mme [R] et Mme [C], sa cheffe de service. Ce rapport relève, après audition de 37 salariés de l'association, que la charge de travail de Mme [R] avait fluctué, qu'elle avait ainsi été surchargée de travail notamment suite à son arrivée sur le site de [Localité 3] puis, après le retour de Mme [C] elle s'était trouvée en situation de sous-activité et que certains salariés s'étaient même interrogés sur sa fonction et ses missions, que Mme [C] ne saluait pas systématiquement Mme [R] en arrivant le matin, qu'elle l'isolait de certains axes de travail, par exemple en omettant de l'intégrer dans certains courriels, que Mme [C] tenait régulièrement des propos déplacés sur la vie privée de Mme [R], par exemple en lui déclarant, suite au départ d'un salarié, qu'elle avait perdu son amant et que cela ne devait pas être facile et qu'elle avait à son égard une attitude dénigrante ou des remarques et gestes méprisants.

54. Le 1er février 2020, Mme [R] a été placée en arrêt de travail pour un état de stress réactionnel. le 9 novembre 2020, elle a de nouveau été placée en arrêt de travail pour état dépressif réactionnel.

55. Elle bénéficie, depuis au moins le 15 novembre 2021, d'un suivi psychiatrique pour des troubles dépressifs.

56. Le 9 décembre 2021, le médecin du travail l'a déclarée inapte à son poste et a estimé que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l'association.

57. Ces éléments pris dans leur ensemble, caractérisés par l'affectation de Mme [R] à un poste pour lequel elle ne bénéficiait pas de la formation initiale requise, d'une absence de management au quotidien du foyer dans lequel elle était affectée, une charge de travail fluctuante, avec des périodes de surcharge de travail et de sous-charge de travail, un périmètre des fonctions insuffisamment défini, un comportement inadapté de la cheffe de service à son égard et la dégradation concomitante de son état de santé, laisse supposer l'existence d'un harcèlement moral.

58. Il ressort des courriels échangés entre Mme [R] et l'association Umane que le 22 décembre 2020, l'employeur a informé sa salariée, faisant suite à sa demande de formation « coordinateur en établissement social et médico-social », qu'il ne pouvait donner une suite favorable à sa demande de manière individuelle et que cette thématique serait abordée sous la forme de sessions collectives dans l'association et que, courant février 2021, suite au refus exprimé par Mme [R] d'une demande de proposition de poste, refus motivé par l'absence de détention du diplôme d'éducateur spécialisé, elle lui a proposé la mise en 'uvre d'une valorisation des acquis de l'expérience (VAE) d'éducateur spécialisé.

59. Il convient de relever que Mme [R] a été recrutée par l'association Umane à compter du mois d'octobre 2018. L'association Umane ne justifie d'aucun motif légitime justifiant l'absence de formation assurant l'adaptation de M.[R] à son poste de travail entre octobre 2018 et le mois de décembre 2020. En outre, il convient de relever que la réponse de l'association Umane du mois de décembre 2020 n'est motivée que par la démarche de Mme [R] sollicitant le bénéfice d'une formation et que la proposition de VAE du mois de février 2021 n'est formulée qu'en raison du refus de Mme [R], faute de formation suffisante, d'une offre de poste en interne.

60. Dès lors, il n'est pas justifié par l'association Umane que le défaut de mise en place d'une formation adéquate au profit de M.[R] était justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

61. De même, l'association Umane ne fournit aucune explication de nature à justifier objectivement l'absence de management au quotidien du foyer où était affectée Mme [R] ni l'attitude à son égard de sa cheffe de service.

62. Mme [R] a donc fait l'objet de faits de harcèlement moral au sein de l'association. Ces faits constituent de la part de l'association Umane un manquement grave de l'employeur à ses obligations de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail et qui devra entraîner la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R]. Conformément aux dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail, la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R] aux torts de l'employeur en raison du harcèlement moral dont le salarié a été victime sur son lieu de travail, produit les effets d'un licenciement nul.

63. L'association Umane ne conteste pas le montant des sommes réclamées par M.[R] au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents. Il sera en conséquence fait droit à sa demande de ce chef.

64. Il ressort de l'article L.1235-3-1 du code du travail qu'en cas de licenciement nul pour harcèlement moral, le plafonnement des indemnités de licenciement prévu par l'article L.1235-3 du même code n'est pas applicable et que, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

65. En considération d'un salaire moyen de 2062.35 euros au titre des douze derniers mois de travail, le préjudice subi par M.[R] à raison de la rupture de son contrat de travail, notamment les difficultés à retrouver un nouvel emploi, sera indemnisé en lui allouant la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts.

66. Il est de principe que l'octroi de dommages-intérêts pour licenciement nul en lien avec des faits de harcèlement moral ne saurait faire obstacle à une demande distincte de dommages-intérêts pour préjudice moral. Les faits de harcèlement moral subi par M.[R], principalement l'atteinte à son état de santé mentale, justifient de lui allouer la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts.

67. Enfin, l'inaptitude subie par M.[R], qui trouve sa cause dans les faits de harcèlement moral dont elle a fait l'objet, s'avère en conséquence d'origine professionnelle. M.[R] est en conséquence fondée à solliciter la condamnation de l'association Umane au paiement du solde restant dû sur l'indemnité prévue par l'article L.1226-14 du code du travail.

Sur le surplus des demandes :

68. Enfin l'association Umane, partie perdante qui sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles, devra payer à Mme [R] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Toulon du 1er février 2022 en ce qu'il a:

- débouté Mme [R] de sa demande de requalification en contrat à durée indéterminée d'un contrat à durée déterminée,

- débouté Mme [R] de sa demande en rappel de salaire sur heures supplémentaires,

- débouté Mme [R] de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail pour harcèlement moral,

- débouté Mme [R] de ses demandes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement, à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- condamné Mme [R] à payer à l'association Umane la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis les dépens à la charge de la partie qui succombe,

LE CONFIRME pour le surplus et statuant à nouveau sur les chefs d'infirmation,

DECLARE Mme [R] irrecevable en sa demande en requalification du contrat à durée déterminée du 15 octobre 2018 en contrat à durée indéterminée,

DECLARE Mme [R] recevable en sa demande en requalification du contrat à durée déterminée du 16 avril 2019 en contrat à durée indéterminée,

PRONONCE la requalification du contrat à durée déterminée du 16 avril 2019 conclu entre Mme [R] et l'association Umane en contrat à durée indéterminée,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R] aux torts de l'association Umane,

DIT que la rupture du contrat de travail devra produire les effets d'un licenciement nul,

CONDAMNE l'association Umane à payer à Mme [R] les sommes suivantes :

- 1 852,10 euros à titre d'indemnité de requalification,

- 240,33 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires,

- 4 614 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 461,40 euros au titre des congés payés afférents,

- 2 414,20 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE l'association Umane à remettre à Mme [R], dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, sous peine d'une astreinte de 200 euros par jour à l'expiration de ce délai, son certificat de travail , son attestation Pôle Emploi et un bulletin de paie rectificatif conformes aux condamnations qui précèdent,

SE RESERVE la liquidation de l'astreinte,

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE l'association Umane aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-6
Numéro d'arrêt : 22/03409
Date de la décision : 05/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-05;22.03409 ?
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