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05/07/2024 | FRANCE | N°20/04294

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-6, 05 juillet 2024, 20/04294


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6



ARRÊT AU FOND

DU 05 JUILLET 2024



N°2024/ 236













Rôle N° RG 20/04294 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFZAF







[K] [T]





C/



S.N.C. MPM





































Copie exécutoire délivrée

le :05/07/2024

à :



Me Jonathan HADDAD, avocat au barre

au de TOULON



Me Rozenn BARCELO, avocat au barreau de TOULON





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de toulon en date du 17 Février 2020 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00248.







APPELANTE



Madame [K] [T], demeurant [Adresse 1]



représentée pa...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 05 JUILLET 2024

N°2024/ 236

Rôle N° RG 20/04294 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFZAF

[K] [T]

C/

S.N.C. MPM

Copie exécutoire délivrée

le :05/07/2024

à :

Me Jonathan HADDAD, avocat au barreau de TOULON

Me Rozenn BARCELO, avocat au barreau de TOULON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de toulon en date du 17 Février 2020 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00248.

APPELANTE

Madame [K] [T], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Jonathan HADDAD, avocat au barreau de TOULON

INTIMEE

S.N.C. MPM, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Rozenn BARCELO, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre, et Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller, chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre

Madame Estelle de REVEL, Conseiller

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Juillet 2024..

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Juillet 2024.

Signé par Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Mme [K] [T], née le 15 juin 1996, a été engagée par la SNC MPM, exploitant un bar tabac par contrat d'apprentissage à compter du 1er juillet 2013 en vue de préparer un bac pro commerce.

A l'issue du contrat d'apprentissage, elle a été embauchée par contrat à durée indéterminée le 16 juillet 2015 en qualité de vendeuse à temps partiel.

Par avenant en date du 18 août 2015, le contrat à temps partiel a été modifié en temps plein.

Le 29 mai 2017, Mme [T] a été victime d'un malaise et placée en arrêt de travail.

Le 14 septembre 2017, la caisse primaire d'assurance maladie du Var a reconnu le caractère professionnel de l'accident du 29 mai 2017.

Lors de la visite médicale de reprise du 18 septembre 2017, le médecin du travail a déclaré Mme [K] [T] inapte à tout poste dans l'entreprise.

Par courrier du 16 octobre 2017, Mme [T] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Mme [T] a saisi, par requête réceptionnée au greffe le 9 avril 2018, le conseil de prud'hommes de Toulon pour voir prononcer la nullité de son licenciement pour harcèlement moral et solliciter diverses sommes à caractère indemnitaire et salarial.

Par jugement du 17 février 2020 notifié le 5 mars 2020, le conseil de prud'hommes de Toulon, section commerce, a ainsi statué :

- déboute Mme [K] [T] de sa demande de nullité du licenciement ;

- déboute Mme [K] [T] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul et pour harcèlement moral ;

- condamne la SNC MPM en la personne de son représentant légal à verser à Mme [K] [T] la somme de 1 477,00 euros au titre de non-respect de la procédure de licenciement;

- condamne la SNC MPM en la personne de sen représentant légal à verser à Mme [K] [T] la somme de 31,05 euros et 45 euros au titre des rappels de salaire ;

- condamne la SNC MPM en la personne de son représentant légal à verser à Mme [K] [T] la somme de 341,60 euros au titre des heures supplémentaires ;

- condamne la SNC MPM en la personne de son représentant légal à verser à Mme [K] [T] la somme de 41,76 euros au titre des congés payés sur rappel ;

- ordonne la remise des documents sociaux de fin de contrat rectifiés ainsi que la lettre de licenciement sous astreinte de 25 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification de la décision à Mme [K] [T] ;

- condamne la SNC MPM en la personne de son représentant légal à payer à Mme [K] [T] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- déboute Mme [K] [T] de sa demande d'exécution provisoire ;

- déboute la SNC MPM de ses demandes reconventionnelles ;

- condamne la SNC MPM aux dépens.

Par déclaration du 25 mars 2020 notifiée par voie électronique, Mme [T] a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Dans ses dernières conclusions notifiées au greffe par voie électronique le 23 juin 2020 auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, Mme [K] [T], appelante, demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de reconnaissance de harcèlement moral ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de nullité de licenciement ;

- l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de dommages et intérêts ;

statuant à nouveau :

- dire son licenciement nul car causé par le harcèlement moral de l'employeur ;

- condamner l'employeur à lui verser les sommes de :

- 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- 10 000 euros au titre de son préjudice moral ;

- le condamner à lui verser 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de son recours, l'appelante fait valoir en substance que :

- elle a été victime de la part de son employeur d'actes répétés de harcèlement et de brimades entraînant une dégradation de sa santé physique et morale après qu'il ait été victime en février 2017 d'une arnaque qu'il va lui attribuer indirectement ;

- la procédure de licenciement est irrégulière en ce que l'entretien préalable a eu lieu moins de 5 jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée de convocation.

Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 31 août 2020 auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, la société MPM, relevant appel incident, demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Toulon du 17 février 2020 en ce qu'il a débouté Mme [T] de sa demande de nullité du licenciement ;

- confirmer le jugement qui a débouté Mme [T] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul et pour harcèlement moral ;

- infirmer le jugement dans ses autres dispositions et au surplus :

- juger régulier et fondé le licenciement pour inaptitude de Mme [T] ;

- infirmer la décision du conseil sur les rappels de salaire : lui donner acte de sa bonne foi et de sa volonté manifeste de régulariser la somme totale de 174,35 euros bruts se décomposant comme suit :

- 85,40 euros bruts, au titre des heures supplémentaires ;

- 43,10 euros bruts, au titre de l'augmentation de salaire à partir de septembre 2016 ;

- 30 euros bruts au titre de la prime d'ancienneté depuis 2016 ;

- 15,85 euros au titre des congés payés sur ces rappels de salaires ;

- condamner Mme [T] à lui payer à la SNC MPM la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'intimée expose en substance que :

- la procédure est régulière, la convocation de l'entretien préalable étant datée du 2/10/2017 et postée le même jour pour un entretien prévu le 11/11/2017 ;

- le retard dans la distribution du courrier par la Poste ne peut lui être imputé ;

- la salariée était présente à l'entretien préalable et ne démontre aucun préjudice ;

- Mme [T] n'a pas été mise en cause dans l'affaire de fraude aux cartes PCS, a été très peu été impactée, une autre salariée ayant été sanctionnée ;

- Mme [T] n'a pas été victime d'aucun harcèlement moral, le problème venant d'une mésentente entre salariées ;

- au vue des explications et témoignages, Mme [T], qui avait besoin d'argent, voulait à tout prix être déclarée inapte pour se faire licencier et retravailler ensuite chez son oncle et sa tante comme elle l'avait prévu ;

- s'agissant des rappels de salaire, elle avait répondu à la salariée avant sa saisine du conseil de prud'hommes mais celle-ci n'a pas pris la peine de retirer le courrier et n'avait aucune intention de résoudre à l'amiable cette demande.

- elle reconnaît des erreurs au niveau du salaire mais dans une moindre mesure que les sommes sollicitées.

Une ordonnance de clôture est intervenue le 12 janvier 2024, renvoyant la cause et les parties à l'audience des plaidoiries du 13 février 2014, puis renvoyé au 14 mai 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes de rappels de salaire :

L'employeur reconnaît aux termes de ses écritures des erreurs justifiant une régularisation à hauteur de 174,35 euros bruts (congés payés afférents compris). Il sollicite l'infirmation du jugement sur ces points sans clairement demander le débouté. Il entend voir la cour " lui donner acte de sa bonne foi et de sa volonté manifeste de régulariser la somme totale de 174,35 euros bruts se décomposant comme suit :

- 85,40 euros bruts, au titre des heures supplémentaires ;

- 43,10 euros bruts, au titre de l'augmentation de salaire à partir de septembre 2016 ;

- 30 euros bruts au titre de la prime d'ancienneté depuis 2016 ;

- 15,85 euros au titre des congés payés sur ces rappels de salaires ".

S'agissant de l'augmentation du salaire minimum à hauteur de 1477 euros à compter du 1er septembre 2016, l'employeur reconnaît une erreur à hauteur de 43,10 euros, soit un montant supérieur à celui retenu par les premiers juges calculé sur la base de trois mois et non quatre mois.

Concernant la demande de rappel de prime, la société MPM reconnaît une régularisation à hauteur de 30 euros, soit 3 euros par mois du 1er septembre 2017 jusqu'à juin 2017 compris. Or, la salariée comptait 3 ans d'ancienneté à compter du 1er juillet 2017 et non à compter du 1er septembre 2017.

S'agissant de rappel d'heures supplémentaires, l'employeur reconnaît une erreur sur la fiche de paye de mai 2017 (7 heures) et admet un rappel de salaire de 85,40 euros mais conteste la somme réclamée par la salariée et retenue par la juridiction prud'homale de 338,52 euros.

Or, la cour observe que l'employeur, qui conteste le chiffrage des heures alléguées par la salariée, ne fournit pas d'éléments de nature à justifier les horaires fixés et effectivement réalisés par celle-ci.

En l'état de ces éléments, la cour confirme les rappels de salaire et congés payés afférents prononcés par les premiers juges.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Mme [T] dit avoir été victime de harcèlement moral de la part de son employeur après qu'il ait été victime en février 2017 d'une "arnaque". Elle explique qu'à compter de cet incident, le comportement de celui-ci a changé ; qu'elle a d'abord été insultée et rabrouée puis moquée et isolée. Elle dit avoir le 29 mai 2017 été victime d'un malaise à la suite d'un nouvel incident.

Elle verse aux débats deux attestations émanant d'amies et collègues (attestations du 3 octobre 2017 de Mme [H] [E] et du 27 septembre 2017 de Mme [B] [L]) et une attestation du 25 janvier 2019 d'un client (M. [O] [M]) qui disent avoir constaté un changement de comportement d'un ou des employeurs à l'égard de Mme [T] à compter de février 2017.

Mme [E] et Mme [L] précisent toutes les deux que le changement de comportement fait suite à une arnaque dont a été victime l'employeur en février 2017. Mme [L] évoque "une arnaque subie par l'entreprise à laquelle [U] [R] responsable désignée par l'employeur était impliquée avec [K] [T] ". Mme [E] et Mme [L] font état d'excuses faites lors d'une réunion par les employeurs à Mme [T] après que celle-ci ait évoqué des insultes qu'elle aurait subies (selon Mme [L] : 'petite conne", 'pauvre merde", "débile"). Mme [E] mentionne ensuite des "pressions (horaires de travail abusifs, jours de repos découpés, week-end travaillés cinq semaines d'affilée, remontrances à longueur de journée, manque de respect dans les propos lors des demandes de travaux)" subies par Mme [T] et Mme [L] "tout un tas de reproches qui étaient en fait des représailles".

Mme [E] et Mme [L] indiquent l'une et l'autre avoir constaté une dégradation de l'état de santé (importante perte de poids, pleurs) de Mme [T]. Mme [L] précise qu'en avril 2017, Mme [T] lui a confié ne plus supporter l' "acharnement psychologique qu'elle subissait" et ajoute avoir "effectivement constaté que [K] était mise à l'écart de toute discussion et que nos employeurs s'adressaient à elle avec arrogance".

Mme [L] relate avoir subi elle-même, suite à l'accident du travail de Mme [T], des pressions de ses employeurs et de ses collègues de travail en raison de son amitié avec Mme [T] : "En effet, je suis amie avec [K] [T] et de ce fait mon patron m'accuse de cautionner ses actes' Lorsque je me présente sur mon lieu de travail, on me parle systématiquement de [K] en tenant des propos insultants "la petite connasse" "tu diras merci à ta copine, puisque tu ne nous dit pas ce que fait [K] en dehors du tabac. On ne fait plus confiance". Je suis mise à l'écart de toute conversation et j'essuie des regards menaçants à longueur de journée. (')"

Dans une attestation du 25 janvier 2019, M. [O] [M] qui se présente comme un client habituel du Tabac de la Gare, dit avoir remarqué au mois de février 2017 un changement d'humeur de " [K] [T] " qui est apparue "stressé et malheureuse". Il précise lui avoir "demandé la raison de cette tristesse, [K] m'a tout simplement répondu qu'elle ne pouvait pas m'en dire plus car elle se trouvait sur son lieu de travail épiée par les caméras vidéos. Monsieur [C] est intervenu d'un ton grave et méprisant en disant à [K] je cite " tu as fait assez de conneries, on ne te demande pas de discuter avec les clients, tu les sers un point c'est tout". J'ai vu [K] se décomposer et fondre en larmes. A partir du mois de juin 2017, [K] était absente, j'ai donc demandé à sa collègue de travail la dénommée [X] si [K] était souffrante, celle-ci m'a répondu je cite "cette petite peste est en arrêt de travail, elle s'est bien moquée de nous avec son aire angélique, c'est une diablesse". Choqué par ces propos insultants, j'ai changé d'établissement et ne suis plus jamais retourné au Tabac de la Gare".

Mme [T] produit en outre un procès-verbal de plainte du 22 septembre 2019 à l'encontre de sa collègue, Mme [U] [R], pour des faits de violence. Elle expose s'être rendue au bureau de tabac ("SNC MPM ") le même jour vers 15h45 pour déposer des documents en lien avec ses indemnités journalières et avoir été agressée par Mme [R] qui lui a reproché d'être à l'origine de la décision des employeurs de mettre fin à la distribution de tickets restaurant. Elle explique qu'elles sont sorties du bureau de tabac, se sont disputées, insultées, puis que Mme [R] lui a asséné un coup de poing au niveau du front et que des clients sont intervenus pour les séparer.

L'appelante communique également :

- des arrêts de travail évoquant un malaise sur le lieu de travail et à compter du 1er juin 2017 une "dépression réactionnelle" ;

- un courrier du 16 août 2017 du docteur [S], médecin généraliste, qui demande une "visite de pré reprise" pour Mme [T], 21 ans, employée dans un bureau de tabac (SNC-MPM à [Localité 3]), "en arrêt de travail au titre AT depuis le 29/05/2017", qui "décrit une situation conflictuelle avec son patron" et demande une solution rapide à cette situation" ;

- un certificat médical du docteur [Y], psychiatre, qui indique que Mme [T] "présente des manifestations dépressives qui surviennent dans un contexte professionnel conflictuel. L'instauration d'un traitement antidépresseur a entraîné une amélioration de son état. Elle souhaite reprendre une activité professionnelle cependant elle est inapte à une reprise chez son ancien employeur".

Il résulte, par suite, de l'ensemble de ces éléments que Mme [T] rapporte la preuve d'un changement de comportement de ses employeurs à compter de février 2017 (insultes, stigmatisation, mise à l'écart), d'excuses faites par ceux-ci lors d'une réunion concernant des insultes qu'elle aurait subies, d'une dégradation de son état de santé (perte de poids, pleurs). Le malaise survenu le 29 mai 2017 sur le lieu de travail n'est pas contesté.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

De son côté, l'employeur conteste toute situation de harcèlement moral. Il explique avoir été victime en février 2017 d'une arnaque à la caisse par une personne de sexe masculin qui a contacté par téléphone des vendeuses du bar tabac (Mme [R] et Mme [T]) au motif d'une maintenance informatique et s'est fait remettre un code et des cartes de 250 euros pour un montant total de 7 000 euros. La société MPM souligne que Mme [T] n'a que très peu été impactée par cet événement, la plupart des cartes ayant été remises par Mme [R] pour un montant de 6 250 euros ; que Mme [T] n'a pas été mise en cause dans cette fraude et que seule Mme [R] a fait l'objet d'une sanction.

La société MPM expose avoir constaté à partir de février 2017 une forte mésentente entre Mme [R] et Mme [T], Mme [T] ne supportant plus de travailler avec Mme [R]. Elle relève que les deux femmes en sont même venues à se confronter physiquement devant le bureau de tabac le 22 septembre 2017. Elle communique la main courante déposée par Mme [R] le 25 septembre 2017 qui relate qu'à l'arrivée de Mme [T] le 22 septembre 2017, "la patronne a demandé pourquoi elle ne souriait pas", que "[K] lui a répondu sèchement " j'ai dit bonjour"", que "la patronne lui a répondu "moi aussi je t'ai dit bonjour et pourquoi tu fais cela '". Mme [R] dit avoir alors indiqué à Mme [T] que "la patronne parlait" d'elle (Mme [R]) et avoir eu comme réponse : "qu'est-ce qu'il y a p'tite pute '". Elle dit avoir "poussé" par Mme [T] à l'extérieur du bureau de tabac après que celle-ci lui ait dit "vas-y casse-toi grosse pute", indique qu'elles se sont alors empoignées puis ont été séparées. Elle ajoute que Mme [T] a "voulu" lui "mettre un coup de boule" qu'elle a "réussi à esquiver". La société intimée produit en outre un témoignage de Mme [F] [Z] daté du 25 septembre 2017 qui dit avoir vu deux jeunes femmes avoir une discussion animée devant le bureau de tabac (date non précisée). Elle relate que la jeune fille qui travaillait dans la boutique (a priori Mme [R]) s'est faite insulter au moment où elle retournait à son poste de travail. Elle précise l'avoir retenue au moment où elle était sur le point de ressortir en lui disant que cela n'en 'valait pas la peine". Elle mentionne que la mère de l'autre jeune fille est alors intervenue en indiquant que sa fille avait été "boulée". Elle précise ne pas l'avoir vu. Elle ajoute que la responsable est sortie pour la calmer et qu'en repartant la jeune fille (a priori Mme [T]) "a de nouveau insulté l'employée".

La société explique que les relations entre Mme [T] et les gérants (M. [C] et Mme [J]) étaient bonnes et produit plusieurs attestations pour en justifier :

- une attestation de M. [P] [D], effectuant des extras en qualité de DJ au sein de l'Ocean Café, autre établissement de M. [C], qui atteste avoir constaté, à la fin du mois de mai 2017, que Mme [T] avait passé "une excellente soirée" avec deux autres salariées du bureau de tabacà l'Ocean Café et ne pas avoir "remarqué de mauvaise ambiance entre M. [C] et [K] [T], bien au contraire" ;

- une attestation de Mme [X] [N] qui évoque la bienveillance des employeurs à l'égard de Mme [T] (congés accordés aux dates réclamées ; octroi de repos pour des raisons personnelles (accouchement de sa s'ur et situation difficile de sa mère) ; transport chez un ostéopathe ("36 km x 2")) ; Mme [N] explique que Mme [T] "arrivait fatiguée sur son lieu de travail car elle allait faire des ménages à la place de sa mère" "en dépression". Elle ajoute que Mme [T] lui avait indiqué avant l'escroquerie aux cartes PCS vouloir travailler pour son oncle et sa tante tenant un bureau de tabac et lui proposant un 'salaire très intéressant'. Elle indique que Mme [T] avait "toujours besoin d'argent" et dit avoir assisté à une "manipulation douteuse" au niveau de la caisse pour avoir des liquidités ; elle affirme que le médecin du travail a indiqué à plusieurs reprises que Mme [T] n'avait "strictement rien à reprocher à ses patrons" ; que celle-ci souhaitait être déclarée inapte "car la raison première était qu'elle ne se sentait plus capable, et était traumatisé, honteuse de l'erreur de escroquerie à la PCS de sa part, pour continuer à assurer son travail quotidien" ; Mme [N] relève qu'alors qu'elle n'a pas été sanctionnée à la différence de Mme [R], Mme [T] a "simulé" un malaise "évidemment en présence de [H] et [B], ses bonnes copines, avec qui elle est sorti dans l'établissement de son propre patron (') le week-end précédent son soi-disant malaise" ; elle conclut en indiquant qu'à son sens, Mme [T] a "tout prémédité" ;

- une attestation de Mme [I] [V], salariée de la société depuis 2014, qui dit n'avoir rien à reprocher à ses employeurs et précise qu'elle était présente le jour de l'arnaque et avoir pris la défense de Mme [T] estimant qu'elle n'était pas "la plus en faute" ; elle précise par contre ne pas croire les allégations de cette dernière selon lesquelles on lui aurait mis "la pression ou la misère" et estimant que "c'est du bla bla car elle n'a strictement rien eu à se sujet là" ; Mme [V] décrit Mme [T] comme "une fille qui cherche de l'argent et à faire des histoire comme sa mère (')" ;

- une attestation de M. [G] [A], commerçant, qui dit avoir constaté le mal-être de Mme [J] suite aux accusations de Mme [T] et dit les considérer "injustes" et "mensongères".

Il découle de ce qui précède que la société ne prouve pas, par les pièces produites, que les agissements établis ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il est observé par la cour que M. [D], Mme [N] et Mme [V] font essentiellement état dans leurs attestations de leurs 'impressions' et 'sentiments' sur la situation sans aucune justification (M. [D] : "je n'ai pu remarquer de mauvaise ambiance entre M. [C] et [K] [T]" (sans préciser si M. [C] est présent lors de la soirée ou s'il a entendu des conversations) ; Mme [V] : "c'est du bla bla" ; Mme [N] : "elle a tout prémédité").

Il ressort ainsi des éléments du dossier que le climat s'est dégradé au sein du bureau de tabac suite à la fraude aux cartes PCS pour un montant de 7 000 euros ; que si Mme [T] n'a pas été sanctionnée à la différence de Mme [R] (mise à pied de trois jours), l'attitude des employeurs à son égard a changé ; qu'elle a essuyé des insultes (étant précisé que les employeurs se sont excusés lors d'une réunion), qu'elle a été remise en cause et stigmatisée dans le cadre professionnel.

La société MPM ne satisfait pas dès lors à la preuve qui lui incombe, de sorte que le harcèlement moral est caractérisé.

En considération des éléments du dossier, la cour dispose des éléments suffisants pour fixer à la somme de 800 euros le montant de la réparation du préjudice subi par Mme [T] au titre du harcèlement moral.

Le jugement doit être infirmé en ce sens.

Sur la nullité du licenciement :

En application des dispositions de l'article L.1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Le licenciement pour inaptitude est nul lorsque l'inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans des actes de harcèlement moral commis par l'employeur.

Le fait que le salarié ait subi des faits de harcèlement ne suffit pas à établir qu'il a été licencié pour avoir subi ou refusé de continuer à subir de tels faits.

Les pièces médicales font état d'un syndrome dépressif dans un contexte professionnel et de la prescription d'un traitement antidépresseur. L'avis d'inaptitude 18 septembre 2017 établi suite à la visite de reprise après accident du travail est rédigé dans ces termes : "Inapte au poste : l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi selon l'Art R4624-42 du code du travail". Ces éléments permettent d'établir un lien entre les conditions de travail de Mme [T], le harcèlement retenu et l'inaptitude.

Il se déduit de ces éléments que l'inaptitude de Mme [T] a pour origine le harcèlement moral dont elle a été victime.

Par voie d'infirmation du jugement entrepris, il convient donc de prononcer la nullité du licenciement.

L'article L.1235-3-1 du code du travail dans sa version en vigueur du 24 septembre 2017 au 22 décembre 2017 prévoit que "L'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois."

La salariée sollicite la somme de 25 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice sans autre précision.

En considération de l'âge de la salariée (21 ans), de son ancienneté (4 ans), de son aptitude à retrouver du travail et de l'absence d'éléments concernant sa situation professionnelle et financière depuis son licenciement, il convient de condamner l'employeur à lui verser la somme de 8 900 euros de dommages et intérêts au titre de la nullité du licenciement.

Sur la régularité de la procédure de licenciement :

Selon l'article L1232-2 du code du travail, "l'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable.

La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation.

L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation."

Ce délai de cinq jours ouvrables commence à courir le lendemain de la présentation de la lettre recommandée, étant rappelé que le jour de la remise de la lettre et celui de l'entretien ne doivent pas être comptabilisés pour le calcul de ce délai minimal. Par ailleurs, si ce délai expire un samedi, un dimanche ou un jour férié, il est prorogé jusqu'au jour ouvrable suivant.

Le non-respect du délai de cinq jours ouvrables entre la présentation au salarié de la lettre de convocation et l'entretien préalable constitue une irrégularité qui ne peut être couverte par le fait que le salarié était assisté lors de l'entretien préalable et qui entraîne nécessairement un préjudice pour l'intéressé.

En l'espèce, la lettre de convocation à l'entretien préalable datée du 2 octobre 2017 n'a été présentée à la salariée que le 7 octobre 2017 de sorte qu'en organisant l'entretien préalable le 11 octobre 2017, la société MPM n'a pas respecté le délai précité de 5 jours ouvrables.

Il s'en déduit que la salariée n'a pas bénéficié du délai de 5 jours prévu par le code du travail pour préparer sa défense et que la procédure de licenciement n'a pas été respectée.

Pour autant, Mme [T], qui a assisté à l'entretien préalable, ne caractérise ni ne justifie de la réalité du préjudice subi.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a condamné la société MPM à payer à Mme [T] la somme de 1 477,00 euros au titre de non-respect de la procédure de licenciement.

Sur les demandes accessoires :

Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Succombant dans son recours, la société MPM supportera les dépens d'appel et sera tenue de verser à Mme [T] la somme de 1 500,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel.

La société MPM est déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement ;

CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a débouté Mme [K] [T] de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice subi pour harcèlement moral, de sa demande de nullité du licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement nul et en ce qu'il a condamné la société MPM à payer à Mme [K] [T] la somme de 1 477,00 euros au titre de non-respect de la procédure de licenciement;

STATUANT à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant ;

DIT que le licenciement de Mme [K] [T] est nul ;

CONDAMNE la société MPM à payer à Mme [K] [T] les sommes suivantes :

- 800 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice subi pour harcèlement moral ;

- 8 862 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

DEBOUTE Mme [K] [T] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;

CONDAMNE la société MPM aux dépens d'appel ;

CONDAMNE la société MPM à payer à Mme [T] la somme de 1 500,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel ;

DEBOUTE la société MPM de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-6
Numéro d'arrêt : 20/04294
Date de la décision : 05/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-05;20.04294 ?
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