COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-3
ARRÊT AU FOND
DU 04 JUILLET 2024
N° 2024/204
Rôle N° RG 23/15711 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BMKFJ
[G] [P] [O]
[H] [V] [L] [R] [K]
C/
[I] [U] divorcée [J]
[F] [J]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Jamel GUESMI
Me Lionel ESCOFFIER
Décision déférée à la cour :
Ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Draguignan en date du 27 novembre 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/02732.
APPELANTS
Monsieur [G] [P] [O]
né le 18 Juin 1963 à [Localité 8] (59)
demeurant [Adresse 6]
Madame [H] [V] [L] [R] [K]
née le 30 Mai 1959 à [Localité 4] (PORTUGAL) (99)
demeurant [Adresse 6]
tous deux représentés par Me Jamel GUESMI, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant
INTIMES
Madame [I] [U] divorcée [J]
née le 05 Novembre 1975 à [Localité 7]
demeurant [Adresse 2]
Monsieur [F] [J]
né le 27 Septembre 1972 à [Localité 7]
demeurant [Adresse 3]
tous deux représentés par Me Lionel ESCOFFIER, avocat au barreau de DRAGUIGNAN,
et assistés de Me Franck CHAPUIS de la SELARL CHAPUIS FRANCK, avocat au barreau de BEZIERS, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 24 mai 2024 en audience publique.
Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Béatrice MARS, conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La cour était composée de :
Madame Cathy CESARO-PAUTROT, présidente,
Madame Béatrice MARS, conseillère rapporteure,
Madame Florence TANGUY, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Flavie DRILHON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 juillet 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 juillet 2024,
Signé par Cathy CESARO-PAUTROT, présidente et Flavie DRILHON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Suivant acte notarié du 12 mars 2007, M. [F] [J] et Mme [I] [U] épouse [J] ont vendu à Mme [H] [L] [R] [K] et M. [G] [O] une maison d'habitation située sur la commune de [Localité 9], [Localité 5] cadastrée section AE n° [Cadastre 1] construite courant 2004/2005 (certificat de conformité du 7 janvier 2005).
Par acte du 26 octobre 2016, Mme [H] [L] [R] [K] et M. [G] [O] ont assigné en référé expertise leurs vendeurs au motif que ces derniers n'avaient pas souscrit d'assurance dommages ouvrages, que le bien présentait des fissures et que les interventions des époux [J] survenues en 2011 s'étaient révélées inefficaces.
Aux termes d'une ordonnance rendue le 21 décembre 2016, M. [Y] [X] a été désigné expert et, suivant une ordonnance du 7 octobre 2020, les opérations d'expertise ont été étendues à la demande des époux [J] à la SA Axa France Iard, assureur de la société Saege qui a réalisé une étude pédologique sur la parcelle lors du dépôt du permis de construire.
Le rapport d'expertise a été déposé le 27 janvier 2021.
Par actes du 6 avril 2022, Mme [H] [L] [R] [K] et M. [G] [O] ont assigné en responsabilité M. [F] [J] et Mme [I] [U] épouse [J] devant le tribunal judiciaire de Draguignan sur le fondement des articles 1134 et 1792 du code civil.
Par conclusions notifiées le 13 octobre 2022, les époux [J] ont saisi le juge de la mise en état aux fins de voir à titre principal, prononcer la nullité du rapport d'expertise et, à titre subsidiaire, prononcer la forclusion de l'action en garantie décennale des consorts [O] - [L] [R] [K].
Par ordonnance en date du 27 novembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Draguignan a :
-s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire du 27 janvier 202l formée par les époux [U] ;
-déclaré irrecevables les demandes formées par M. [G] [O] et Mme [H] [L] [R] contre M. [F] [J] et Mme [I] [U] suivant acte introductif d'instance du 6 avril 2022 ;
-condamné Mme [H] [L] [R] et M. [G] [O] aux dépens ;
-dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [G] [O] et Mme [H] [L] [R] [K] ont relevé appel de cette décision par acte du 21 décembre 2023 enregistré sous le n° RG 23/15711 et par acte du 21 décembre 2023 enregistré sous le n° RG 23/15734.
Par ordonnance en date du 17 mai 2024 le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des instances suivantes : n° RG 23/15734 joint au n° RG 23/15711 et dit que l'affaire sera suivie sous le seul et unique n° RG 23/15711.
Vu les dernières conclusions de M. [G] [O] et Mme [H] [L] [R] [K], notifiées par voie électronique le 16 mai 2024, au terme desquelles il est demandé à la cour de :
Vu les dispositions de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu les dispositions des articles 1792 et suivants du code civil ;
Vu les dispositions de l'article 1792-5 du même code ;
Vu les dispositions du même code relative à la prescription et aux modes interruptifs, applicables en l'espèce avant le revirement jurisprudentiel de 2021 ;
Vu les dispositions du code civil relatif à la force obligatoire du contrat et encadrant les règles d'interprétation des écrits par le juge ;
Vu les applications jurisprudentielles des textes précités au titre de la période concernant le litige opposant les parties ;
Vu l'acte notarié liant les parties et contenant une clause au terme de laquelle, en leur qualité de vendeur d'un bien immobilier qu'ils ont eux-mêmes construit, s'engagent au titre de garantie légalement due aux acquéreurs et qui ne peut souffrir d'aucune restriction ou exclusion ;
Vu les échanges entre les parties relatifs à la mise en demeure pour intervenir au titre d'un désordre survenu au cours de la période de garantie (responsabilité) décennale, suite à une première intervention de vendeur pour y remédier , restée infructueuse et le courrier du 29 décembre 2012 ;
Vu les dispositions des articles 699 et 700 du code de procédure civile ;
-juger, qu'il est parfaitement établi que les vendeurs [U]-[J], se sont engagés, dans le cadre du contrat de vente, au pro't des acheteurs, au titre de la durée qui leur est légalement due et qui est de dix ans, était intervenu pour traiter un désordre affectant l'immeuble vendu pendant la durée de la garantie en octobre 2011, comme il ressort de la teneur de leur courrier du 29 décembre 2012 et des photos d'intervention sur le site,
-juger que suite à l'aggravation des désordres, comme il ressort de la teneur de ce même courrier établi par les vendeurs, des études de sole et de devis avaient été établis, communiqués aux vendeurs, qui suite à une mise en demeure du mois de novembre 2012, avaient sans aucune ambiguïté et sans la moindre réserve indiquer assumer pleinement leur responsabilité comme il ressort de leur courrier,
-juger que par application de l'article 1792-5 du code civil, il n'était nullement permis au vendeur de limiter leurs engagements, de l'assortir d'une quelconque condition et a fortiori de s'en affranchir,
-juger que la proposition contenue dans leur courrier du 29 décembre 2012, est incontestablement une reconnaissance non équivoque de leur responsabilité au pro't des acquéreurs, conformément à la teneur de l'acte notarié liant les parties,
-juger que fût-elle partielle cette reconnaissance constitue un élément interruptif de la prescription par application des dispositions légales en vigueur au moment de la survenance des désordres, et que cette reconnaissance non équivoque ne saurait être interprétée comme conditionnelle, par application des dispositions de l'article 1792-5 du code civil,
-juger que l'examen des éléments du débat à la lumière des textes précités et des échanges entre les parties ne nécessite aucune interprétation du courrier établi par les vendeurs en date du 29 décembre 2012,
-juger que l'interprétation qu'a faite la juridiction du premier ressort n'a pas respecté les dispositions de l'article 1792-5 du code civil, qui interdit toute forme de limitation ou d'exclusion ayant pour effet ou pour objet d'affaiblir ou de neutraliser la garantie (en l'espèce la responsabilité) des vendeurs,
-juger qu'en déniant à ce courrier, en dépit de sa clarté, tout effet interruptif alors qu'il est directement lié à une première intervention, comme l'indiquent les vendeurs qui prédigeaient, au motif que la lettre écrite par les vendeurs le 21 décembre 2012 dont les acquéreurs se prévalent ne saurait être interprétée comme une reconnaissance non équivoque de responsabilité dès lors que les vendeurs réputés constructeurs ne connaissaient pas l'ampleur des travaux de réparation à entreprendre, que les désordres ne sont pas énumérés et qu'ils ne s'éteint pas engagés à les réaliser ou à financer la juridiction du premier ressort n'a pas observé les dispositions de l'article 1792-5 du code civil et a fait des règles d'interprétation des écrits une application inadéquate,
-juger que la décision litigieuse a gravement porté atteinte aux droits des concluants à un procès équitable et accéder et à l'accès au juge, en totale contradiction avec les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
-réformer la décision déférée et rejeter la fin de non-recevoir soulevée par les vendeurs en ce qu'elle est totalement infondée et purement dilatoire,
-juger que la juridiction du premier ressort ne peut par le truchement de l'interprétation qu'elle a faite du courrier du 29 décembre 2012 déclarer recevable le recours en référé diligenté par les acquéreurs en 2016,
-ordonner la réouverture des débats devant la juridiction du premier ressort pour qu'il soit statué sur le fond du dossier,
Attendu qu'il est inéquitable de laisser à la charge de Mme [H] [L] [R] [K] et M. [G] [O], les frais irrépétibles au titre de l'incident qui a donné lieu à l'ordonnance déférée devant la cour de céans ainsi que les frais de la présente procédure ;
Attendu que Mme [H] [L] [R] [K] et M. [G] [O] sont parfaitement fondés à solliciter qu'il plaise à la cour de condamner les époux [J]-[U], à la réparation de leur préjudice subi au titre de ces démarches, ainsi qu'aux entiers dépens ;
-condamner solidairement les des époux [J]-[U], à payer Mme [H] [L] [R] [K] et M. [G] [O] la somme de 5 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile avec distraction au pro't du cabinet de Maître Guesmi Jamel, à sa demande par application de l'article 699 du même code ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions de Mme [I] [U] et de M. [F] [J], notifiées par voie électronique le 15 mai 2024, au terme desquelles il est demandé à la cour de :
-confirmer l'ordonnance entreprise, en ce qu'elle a déclaré l'action des consorts [L] [O] irrecevable,
A titre principal,
Vu l'article 122 du code de procédure civile ;
-prononcer la forclusion de l'action en garantie décennale des requérants,
A titre subsidiaire,
Vu l'article 122 du code de procédure civile ;
-prononcer la prescription de l'action en garantie décennale des requérants,
En tout état de cause,
-débouter les requérants de l'intégralité de leurs demandes,
-les condamner solidairement à payer la somme de 3500 euros, en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens comprenant notamment les deux timbres fiscaux des deux procédures d'appel ;
L'ordonnance de clôture est en date du 17 mai 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
Les époux [J] soulèvent la prescription de l'action formée à leur encontre par les consorts [O] - [L] [R] [K] sur le fondement de l'article 1792 du code civil. Ils font valoir que la prescription décennale a commencé à courir à compter du certificat de conformité, soit le 5 janvier 2005 ; que l'action engagée par assignation du 26 octobre 2016 est donc forclose ; que s'agissant d'un délai de forclusion les règles applicables au délai de prescription et notamment quant aux actes interruptifs ne sont pas applicables.
Les consorts [O] - [L] [R] [K] soutiennent que l'intervention du 16 octobre 2011 des époux [J] aux fins de voir réparer les désordres et le courrier du 29 décembre 2012 doivent s'analyser comme une reconnaissance de responsabilité et constituent deux éléments ayant eu un effet interruptif par application des textes en vigueur à cette période et de la jurisprudence de la cour de cassation ; que l'application d'une nouvelle jurisprudence suite à un arrêt du 10 juin 2021 pour neutraliser l'effet interruptif d'une reconnaissance de responsabilité intervenue en décembre 2012 est contraire aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce qu'il prive les consorts [O] - [L] [R] [K] d'un droit fondamental d'accès au juge et d'un procès équitable.
Le délai de la garantie décennale est, selon l'article 1792-4-3 du code civil, de 10 ans à compter de la réception.
Le délai d'action prévu à l'article 1792 du code civil a commencé à courir le 5 janvier 2005, date d'établissement du certificat de conformité et d'achèvement de la construction.
Il est constant que le délai de 10 ans pour agir contre un constructeur sur le fondement de l'article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion. Il en résulte qu'il n'est pas régi, sauf dispositions contraires, par le régime des prescriptions.
La reconnaissance par le débiteur de sa responsabilité, à supposée établie, n'est pas susceptible d'interrompre le délai de forclusion puisque l'article 2240 du code civil ne concerne que le délai de prescription.
Ainsi, lors de leur assignation en référé par acte du 26 octobre 2016, les consorts [O] - [L] [R] [K] étaient forclos.
Ces derniers ne peuvent soutenir être privés d'un droit fondamental d'accès au juge ou d'un procès équitable, alors que par définition les dernières jurisprudences rendues s'appliquent aux affaires en cours et que les exigences de la sécurité juridique ne sauraient consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée dans le passé et permettre d'en écarter une nouvelle pour des contrats conclus à une époque où celle-ci était différente. De plus, son application ne contrevient pas au droit pour les consorts [O] - [L] [R] [K] de saisir un juge, droit qu'ils ont eu dès 2010, date à laquelle ils ont eu connaissance de désordres affectant le bien vendu et ce jusqu'en janvier 2015.
En conséquence, la décision du premier juge sera confirmée.
Aucune considération d'équité ne justifie en la cause de laisser à la charge de M. [F] [J] et Mme [I] [U] les frais irrépétibles engagés dans la présente instance. M. [G] [O] et Mme [H] [L] [R] [K] seront condamnés à leur payer, à ce titre, une somme de 2 000 euros, étant rappelé qu'en application de l'article 696 du code de procédure civile les dépens comprennent notamment les droits, taxes, redevances ou émoluments perçus par les greffes des juridictions ou l'administration des impôts.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire ;
Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état en date du 27 novembre 2023 ;
Y ajoutant,
Condamne M. [G] [O] et Mme [H] [L] [R] [K] à payer à M. [F] [J] et Mme [I] [U], ensemble, une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [G] [O] et Mme [H] [L] [R] [K] aux dépens d'appel.
Le Greffier, La Présidente,