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27/06/2024 | FRANCE | N°20/04431

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-4, 27 juin 2024, 20/04431


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4



ARRÊT AU FOND

DU 27 JUIN 2024



N°2024/

SM/FP-D











Rôle N° RG 20/04431 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFZI5







[L] [N]





C/



S.C.C.V SOCIETE DES AUTEURS COMPOSITEURS ET EDITEURS DE

MUSIQUE (SACEM)































Copie exécutoire délivrée

le :

27 JUIN 2024
>à :

Me Armand ANAVE, avocat au barreau de NICE



Me Olivier ROMANI, avocat au barreau de NICE





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 11 Février 2020 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 19/00787.







APPELANT



Monsi...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4

ARRÊT AU FOND

DU 27 JUIN 2024

N°2024/

SM/FP-D

Rôle N° RG 20/04431 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFZI5

[L] [N]

C/

S.C.C.V SOCIETE DES AUTEURS COMPOSITEURS ET EDITEURS DE

MUSIQUE (SACEM)

Copie exécutoire délivrée

le :

27 JUIN 2024

à :

Me Armand ANAVE, avocat au barreau de NICE

Me Olivier ROMANI, avocat au barreau de NICE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 11 Février 2020 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 19/00787.

APPELANT

Monsieur [L] [N], demeurant [Adresse 4] - Portugal

représenté par Me Armand ANAVE, avocat au barreau de NICE

INTIMEE

SOCIETE DES AUTEURS COMPOSITEURS ET EDITEURS DE MUSIQUE (SACEM), demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Olivier ROMANI, avocat au barreau de NICE,

et par Me Philippe PACOTTE, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Natacha LAVILLE, Présidente, et Madame Stéphanie MOLIES, Conseillère, chargés du rapport.

Madame Stéphanie MOLIES, Conseillère, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Natacha LAVILLE, Présidente

Mme Emmanuelle CASINI, Conseillère

Madame Stéphanie MOLIES, Conseillère

Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2024..

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2024.

Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Suivant contrat à durée indéterminée du 21 septembre 1982 , la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (S.A.C.E.M. - l'employeur) a engagé M. [L] [N] (le salarié) en qualité d'employé non titularisé, la durée de travail hebdomadaire étant fixée à 39 heures et le salaire mensuel brut à la somme de 3 868 francs (589,67 euros) outre le versements de primes.

En dernier lieu, M. [N] a occupé un poste de chargé de relations clientèle, coefficient 195, position 3.

La relation de travail a été soumise à la convention collective nationale accords-SACEM.

Le salarié a été placé en arrêt de travail pour une maladie non professionnelle à compter du 12 mai 2015.

Le 25 novembre 2015, M. [N] a été déclaré inapte par la médecine du travail à la suite d'un seul examen, en raison d'un danger immédiat, dans les termes suivants : 'A reclasser en dehors de la SACEM de [Localité 10] sur un poste purement administratif'.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 9 février 2016, la société a convoqué le salarié le 17 février 2016 en vue d'un entretien préalable à son licenciement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 février 2016, la société a notifié au salarié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement dans les termes suivants :

' Monsieur,

Je vous ai convoqué à un entretien préalable le 17 février 2016 à 14h00, pour les raisons suivantes:

A l'occasion d'une visite de reprise consécutive à une période de maladie non professionnelle, vous avez rencontré le médecin du travail, le 25 novembre 2015, qui a rendu un avis d'inaptitude à votre propos dans les termes suivants : « A reclasser en dehors de la Sacem de [Localité 10] sur un poste purement administratif. Inapte en un seul examen (article R.4624-31 du code du travail) danger grave et immédiat»

Cet avis emporte inaptitude définitive à votre poste de Chargée de Clientèle avec activités externes.

Quels que soient les termes de l'avis d'inaptitude, en notre qualité d'employeur nous demeurons tenus par une obligation de recherche de solutions de reclassement pour vous dans l'entreprise.

Afin d'envisager les solutions de reclassement et d'orienter nos recherches de manières pertinentes, nous avons sollicité le Docteur [O] [K] par un courrier du 26 novembre 2015. Nous lui avons donc communiqué pour avis et examen les appels à candidatures détaillant les postes actuellement disponibles au sein de l'entreprise.

Il s'agissait des postes de :

' Chargé(e) de Clientèle (Activités internes) au sein de la Délégation Régionale de [Localité 14],

' Chargé(e) de Clientèle (Activités internes) au sein de la Délégation Régionale d'[Localité 11],

' Chargé(e) de Clientèle (Activités internes) au sein de la Délégation Régionale de [Localité 9],

' Gestionnaire Répartition (H/F) au sein du Département de la Documentation Générale et de la Répartition (DDGR) « Oeuvre françaises » en notre siège social

Le Docteur [K] nous a indiqué à l'occasion d'un entretien téléphonique, avant de nous le confirmer par courriel du 30 novembre 2015, que ces quatre postes pouvaient vous être proposés en vue de votre reclassement.

Par suite, et comme il se doit, nous vous avons soumis par courrier du 6 et du 18 janvier 2016, pour avis ces propositions de reclassement.

Vous avez apporté une réponse négative à nos propositions de reclassement par votre courrier du 3 février 2016 en nous précisant que « les postes proposés à [Localité 14], [Localité 11], [Localité 9] et au siège social ne me conviennent ni économiquement, ni par leur éloignement de la Région...»

Par suite nous vous avons informé par un courrier du 8 février 2016 que notre entreprise était dans l'impossibilité de procéder à votre reclassement.

En conséquence, nous sommes amenés à procéder à votre licenciement pour inaptitude médicalement constatée que nous vous notifions par le présent courrier. Dans la mesure où votre état de santé vous place dans l'impossibilité physique d'accomplir votre préavis, je vous précise que votre licenciement prendra effet à la date de première présentation du présent courrier.

Les documents afférents à la rupture de votre contrat de travail vous seront adressés dans les meilleurs délais.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes salutations distinguées.'

Suivant requête enregistrée au greffe le 29 juin 2016, le salarié a saisi le conseil des prud'hommes de Nice à l'encontre de la S.A.C.E.M. pour voir requalifier le licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Suivant jugement du 11 février 2020, le conseil des prud'hommes de Nice a :

- dit que la requête prud'homale de M. [L] [N] est recevable,

- dit que le licenciement de M. [L] [N] est fondé sur une cause réelle et sérieuse pour inaptitude,

- dit que M. [L] [N] n'a pas fait l'objet de harcèlement moral,

En conséquence,

- débouté M. [L] [N] de toutes ses prétentions tant principales que reconventionnelles,

- condamné M. [L] [N] à payer 100 euros à la S.A.C.E.M. au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [L] [N] aux entiers dépens.

****

La cour est saisie de l'appel formé le 7 avril 2020 par le salarié.

Par ses dernières conclusions régulièrement remises au greffe le 27 septembre 2022 et auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M. [L] [N] demande à la cour de :

INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de Prud'hommes de NICE du 11 février 2020.

DIRE et JUGER que le licenciement de M. [L] [N] par la Société civile SACEM est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En conséquence,

CONDAMNER la Société civile SACEM à verser à M. [N] la somme de 76.440 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause et sérieuse.

La CONDAMNER à la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral causé à M. [N] par les actes de harcèlement subis.

La CONDAMNER aux entiers dépens ainsi qu'à la somme de 3.000 € au titre de l'art. 700 du CPC

PRONONCER l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Par ses dernières conclusions régulièrement remises au greffe le 28 septembre 2020 et auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la S.C.C.V. S.A.C.E.M., représentée, demande à la cour de :

A TITRE PRINCIPAL, :

- CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Nice le 11 février 2020 ;

- FIXER le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au montant minimum prévu par l'article L. 1235-3 du Code du travail ;

- FIXER le montant des dommages et intérêts pour le préjudice moral lié à la prétendue situation de harcèlement à hauteur du préjudice réel justifié par Monsieur [N]

A TITRE SUBSIDIAIRE, DE :

EN TOUT ETAT DE CAUSE, DE :

- CONDAMNER Monsieur [N] au paiement d'une somme de 3 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 23 octobre 2023.

Lors de l'audience du 22 novembre 2023, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi à l'audience collégiale du 6 mai 2024 à 14 heures à la demande du salarié.

Lors de l'audience du 6 mai 2024, la cour a invité les parties à formuler, sous huit jours, des observations sur le moyen tenant au fait que la demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse est notamment fondée sur des faits de harcèlement moral alors que la sanction d'un tel comportement réside en la nullité du licenciement.

La S.C.C.V. S.A.C.E.M. n'a pas formulé d'observations.

Suivant note en délibérée notifiée le 6 mai 2024, M. [L] [N] a indiqué que sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse se basait sur le manquement à l'obligation de reclassement suite au licenciement pour inaptitude physique, les faits de harcèlement moral donnant lieu à une demande d'indemnisation distincte.

MOTIFS :

1. Sur le harcèlement moral :

En application des dispositions des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet des dégradations de ses conditions de travail susceptibles notamment d'altérer sa santé physique ou mentale.

En cas de litige reposant sur des faits de harcèlement moral, le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; il incombe ensuite à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme alors sa conviction.

Il s'ensuit que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge:

1°) d'examiner la matérialité de tous les éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits,

2°) d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ;

3°) dans l'affirmative, d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, le salarié invoque les faits suivants à l'appui de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral :

- un traitement différencié entre lui et M. [G],

- l'augmentation des objectifs assignés malgré la réduction de son secteur d'activité,

- la modification de ses fonctions imposée unilatéralement par l'employeur,

- un changement de bureau,

- une absence d'augmentation de sa rémunération pendant les onze dernières années et sa relégation au rang le plus bas de la délégation malgré son ancienneté.

Il ajoute que ces faits sont à l'origine de la dégradation de son état de santé et de ses arrêts de travail.

La cour relève après analyse des pièces versées aux débats par le salarié que :

- à la suite d'un courriel de rappel de l'employeur du 30 mai 2012 quant à la nécessité de respecter son secteur géographique, M. [N] s'est plaint de ne pas bénéficier du même traitement que M. [G] au motif que ce dernier pourrait rapporter des contrats en-dehors du secteur qui lui a été attribué.

Le salarié se prévaut de l'absence de réponse de l'employeur pour attester de la réalité de ses déclarations sur ce point.

Nul ne pouvant se procurer de preuve à soi-même, la cour dit toutefois qu'en l'absence d'élément objectif corroborant les affirmations du salarié sur ce point, le fait tenant à une différence de traitement avec M. [G] quant au sort des contrats conclus en-dehors de son secteur d'attribution n'est pas établi ;

- suivant courriel du 7 janvier 2013, M. [M] a confirmé les secteurs dévolus à trois salariés pour l'activité de recherche de clientèle en 2013, M. [N] étant affecté sur les communes d'[Localité 3], [Localité 15], [Localité 7] et [Localité 6].

En l'état de ce seul élément, et alors que l'employeur se borne à indiquer que le secteur d'activité est déterminé par l'employeur sans donner de précisions sur le secteur dévolu à M. [N], le salarié ne démontre pas qu'il exerçait auparavant sur un secteur plus étendu. Il ne produit par ailleurs aucun justificatif permettant de démontrer que la salariée qui lui a succédé s'est vu attribuer un secteur plus vaste.

Le fait tenant à l'augmentation des objectifs fixés est donc établi, même si la réduction du secteur d'activité ne l'est pas ;

- suivant courriel du 26 septembre 2013, M. [A], délégué régional, a informé le salarié que son activité serait désormais exclusivement exercée à partir des bureaux, sans possibilité d'activités extérieures.

Suivant courrier du 1er octobre 2013, l'employeur a confirmé à M. [N] que son activité professionnelle s'exercerait désormais exclusivement dans les bureaux, sauf instruction spécifique, toute démarche extérieure étant proscrite.

Dès lors qu'il résulte tant des pièces versées aux débats que des déclarations des parties que M. [N] exerçait auparavant son activité en extérieur, et que le salarié n'a pas consenti à ce changement, le fait tenant à la modification unilatérale des conditions de travail par l'employeur est établi ;

- suivant courriel du 15 janvier 2015, M. [A], délégué régional, a avisé le salarié de son changement de bureau à compter du 19 janvier suivant.

Le fait tenant au changement de bureau est donc établi;

- M. [N] ne verse aux débats que ses bulletins de salaire pour les années 2014 et 2015, éléments insuffisants à démontrer qu'il n'a bénéficié d'aucune augmentation sur 11 ans d'exercice.

De même, il ne produit aucun élément permettant d'attester de sa relégation au plus bas de la délégation alors qu'il a continué à occuper un poste de chargé de relations clientèle, suivant les mêmes conditions statutaires.

Le fait n'est donc pas établi.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que M. [N] établit la matérialité de faits précis et concordants consistant en l'augmentation des ojectifs fixés, la modification unilatérale des conditions de travail par l'employeur et le changement de bureau.

Ensuite, la cour dit que pris dans leur ensemble, ces faits sont de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral en ce qu'ils auraient eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible notamment d'altérer sa santé physique ou mentale, ainsi que cela ressort des pièces médicales produites par le salarié (certificat médical du docteur [U], psychiatre, daté du 16 octobre 2015).

A ces éléments, l'employeur oppose que :

- M. [N] n'a formulé aucune objection à la fixation des objectifs, qu'il a donc acceptés,

- les objectifs ont été fixés en tenant compte de l'accompagnement mis en place par la S.A.C.E.M. pour permettre au salarié de les atteindre,

- les autres chargés de clientèle de la délégation de [Localité 10] avaient des objectifs équivalents,

- l'activité du chargé de clientèle est saisonnière,

- il a été demandé au salarié d'exercer ses missions à partir de son bureau afin de régler les dossiers en souffrance,

- le suivi de l'activité du salarié s'explique par sa carence à atteindre ses objectifs et traiter correctement les dossiers dont il avait la charge, et non par un harcèlement moral,

- le changement de bureau se justifiait par la nécessité d'optimiser l'espace Accueil des secrétaires et des clients qui étaient de plus en plus nombreux en visite au sein de la délégation,

- le salarié ne démontre pas de lien avéré entre ses conditions de travail et son état de santé.

Il ressort des pièces versées au débat par l'employeur que :

- aux termes de l'entretien d'évaluation portant sur l'exercice 2012, l'employeur a assigné à M. [N] des objectifs passant de 330 nouvelles auditions par an dont 110 en BPA à 460 auditions par an pour l'année 2013 dont 230 en BPA.

L'employeur produit toutefois également l'évaluation de M. [F] [G] sur la même période, lui assignant une augmentation d'objectifs strictement identique, alors que M. [G] n'avait pas, lui non plus, atteint les précédents objectifs fixés sur l'exercice 2012.

La cour relève ensuite que si l'évaluation de M. [N] portant sur l'exercice 2013 fait état d'un objectif de 330 nouvelles auditions pour la période écoulée et non de 460, et d'une baisse des objectifs à 300 nouvelles auditions pour l'exercice à venir, l'objectif de M. [G] est demeuré à 460 auditions annuelles pour l'année 2014.

L'employeur produit par ailleurs l'évaluation de M. [P] [E] mentionnant une augmentation de son objectif de 400 à 460 auditions annuelles.

L'employeur démontre donc que l'augmentation des objectifs assignés sur la période en cause concernait plusieurs salariés travaillant au sein de la même zone géographique, et non le seul M. [N] ; ce fait est donc justifié par un élément objectif étranger à tout harcèlement;

- aux termes de l'évaluation portant sur l'exercice 2013, il a expliqué à M. [N] que son affectation au bureau résultait des réclamations de plus en plus nombreuses de clients et de la nécessité de mettre en place un pôle marketing dans le cadre de la réorganisation de la délégation.

L'employeur ne démontre toutefois aucunement la réalité de ses allégations à ce propos.

Les explications avancées sont par ailleurs différentes aux termes de ses écritures et des courriels produits par le salarié, puisque l'employeur a indiqué que cette réaffectation était rendue nécessaire par l'insuffisance de ses résultats et la nécessité de réduire son taux d'endettement, la cour relève, en tout état de cause, que M. [G] n'avait pas davantage atteint ses objectifs en termes de recherche de clientèle et de réduction du taux d'endettement, alors que l'employeur ne démontre pas avoir adopté de telles mesures de réaffectation à son encontre.

La cour dit en conséquence que l'employeur ne justifie pas sa décision par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

- il ne produit aucun élément permettant d'attester du bien-fondé de sa décision de changer M. [N] de bureau.

La cour relève notamment que l'employeur ne démontre pas que l'augmentation de la clientèle au sein de la délégation nécessitait l'optimisation de l'espace d'accueil d'une part, et que le choix de l'ancien bureau de M. [N] était opportun d'autre part, alors qu'il résulte de l'attestation employeur destinée à Pôle emploi que la délégation dans laquelle M. [N] était employé comprenait de 10 à 19 salariés.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la S.A.C.E.M. ne prouve pas que les faits tenant au changement de bureau et à la modification unilatérale des conditions de travail par l'employeur sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il s'ensuit que le salarié a été victime d'agissements répétés de harcèlement moral qui ont eu pour objet ou pour effet des dégradations de ses conditions de travail susceptibles notamment d'altérer sa santé physique ou mentale.

Le harcèlement moral dont le salarié a été la victime de la part de son employeur lui a causé un préjudice moral qui sera entièrement réparé par la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts que la S.A.C.E.M. sera condamnée à lui verser.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté le harcèlement moral et la demande subséquente de dommages et intérêts.

2. Sur le licenciement :

Le salarié rappelle que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse si l'inaptitude est causée par les agissements fautifs de l'employeur.

Il s'étonne de la rapidité à laquelle la S.A.C.E.M. a pu identifier les quatre offres de reclassement proposées, soit dès le lendemain de l'avis d'inaptitude, et souligne qu'elles ont d'abord été envoyées à une adresse erronée avant de lui parvenir deux mois plus tard dans des termes inchangés.

Il s'interroge sur l'absence d'évolution des perspectives de reclassement en deux mois dans une société aussi importante que la S.A.C.E.M. et précise qu'au moins un contrat à durée déterminée pour le poste de chargé de clientèle à [Localité 8] a été conclu le 11 janvier 2016, sans qu'il ne lui soit proposé.

Il souligne également que seuls des postes éloignés de son domicile lui ont été proposés, et qu'il n'a été destinataire d'aucune autre offre après son refus légitime.

Il relève enfin que les offres qui lui ont été adressées ne comportent aucune précision sur la rémunération et les horaires de travail.

En réponse, l'employeur précise que les deux premiers courriers ont été adressés à l'adresse déclarée par le salarié comme son adresse fiscale, et estime qu'il ne peut être tenu responsable de l'absence de suivi postal.

Il indique par ailleurs que si la S.A.C.E.M. est organisée en délégations régionales, la gestion des ressources humaines est assurée au niveau du siège social, de sorte que l'ensemble des postes vacants sont répertoriés et centralisés par le service recrutement du siège.

Il fait valoir qu'il ne saurait être déduit de cette organisation permettant d'identifier rapidement les postes vacants une quelconque critique sur le sérieux de la recherche de reclassement.

Il indique produire les registres du personnel des délégations proches de [Localité 10] démontrant la stabilité des effectifs entre le 25 novembre 2015 et le 29 février 2016, et précise que la fermeture des délégations de [Localité 5] et [Localité 2] courant 2016 est envisagée depuis 2014.

Il affirme avoir tenu compte des préconisations du médecin du travail en ne retenant que des postes de nature purement administrative non localisés sur la région de [Localité 10], et souligne que la liste de postes a été validée par le médecin du travail.

Il ajoute que les autres postes disponibles sur la période litigieuse ne pouvaient être proposés au salarié en raison du niveau d'expertise et de technicité requis.

L'employeur précise que le contrat à durée déterminée pourvu par Mme [R] sur [Localité 8] n'a pas été proposé au salarié dès lors que Mme [R] a occupé le poste au moyen de deux contrats à durée déterminée successifs et que ledit poste se trouvait dans une zone éloignée de [Localité 10].

Il estime que les propositions de postes de reclassement étaient suffisamment précises dès lors qu'elles détaillaient les missions principales, le profil recherché, la fonction repère ainsi que la position, la rémunération et les horaires de travail demeurant par ailleurs inchangés.

L'article L.1226-2 du code du travail dispose :

'Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L.233-16 du code de commerce.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.'

L'employeur peut procéder au licenciement du salarié qui a été déclaré inapte physique à son poste et s'il justifie de l'impossibilité de le reclasser.

Le licenciement pour inaptitude physique est sans cause réelle et sérieuse si l'inaptitude est la conséquence des agissements fautifs de l'employeur ou si celui-ci a manqué à son obligation de reclassement.

En l'espèce, l'employeur verse aux débats :

- un courrier daté du 26 novembre 2015 soumettant au médecin du travail pour avis les quatre postes suivants :

- chargé de clientèle (activités internes) au sein de la délégation régionale de [Localité 14],

- chargé de clientèle (activités internes) au sein de la délégation régionale [Localité 11],

- chargé de clientèle (activités internes) au sein de la délégation régionale de [Localité 9],

- gestionnaire répertoire au sein du département de la documentation générale et de la répartition 'Oeuvres françaises' au siège social,

- les appels à candidature interne diffusés pour lesdits postes,

- la courriel du médecin du travail du 30 novembre 2015 confirmant que ces quatre postes peuvent être proposés à M. [N],

- deux courriers datés des 1er et 18 décembre 2015 adressés au salarié domicilié à [Localité 12] trente pas, portant proposition de reclassement sur les quatre postes susvisés,

- deux courriers datés des 6 et 18 janvier 2016 adressés au salarié domicilié à Mandelieu, portant proposition de reclassement sur les quatre postes susvisés,

- le courrier de refus du salarié daté du 3 février 2016 précisant notamment : '(...) Pour un salaire équivalent, il en ressort des frais supplémentaires, beaucoup de temps passé et beaucoup de fatigue les week-ends dans les transports en commun, ce qui pourrait écourter, rapidement, la durée de ma vie ; compte tenu de mon âge et de mon état de santé. (...)',

- les registres uniques du personnel des délégations du Sud-Est de la France,

- le registre unique du personnel des délégations de la S.A.C.E.M. de [Localité 5]/[Localité 13] et [Localité 2] pour la période du 1er novembre 2015 au 31 mars 2016.

La cour relève en premier lieu que l'ensemble des appels à candidature versés aux débats, portant sur des délégations régionales différentes, mentionnent le même interlocuteur, ce qui confirme l'existence d'une gestion des ressources humaines centralisée.

Le court délai écoulé entre l'avis d'inaptitude et l'envoi des offres de reclassement pour avis au médecin du travail ne suffit pas, dans ces conditions, à établir le manque de sérieux des recherches effectuées par la S.AC.E.M., eu égard à la technologie actuelle.

En outre, la cour dit que l'envoi des offres de reclassement, dans un premier temps, à une adresse différente de celle figurant sur les bulletins de salaire de M. [N] n'a d'autre conséquence que celle d'augmenter la période de recherche de reclassement au égard à l'envoi ultérieur des courriers à l'adresse de résidence du salarié.

Lorsqu'il s'est aperçu de son erreur et a décidé d'envoyer les offres de reclassement à l'adresse de M. [N] figurant sur son bulletin de salaire, il appartenait donc à l'employeur de s'assurer qu'aucun nouveau poste ne pouvait alors être proposé au salarié, la recherche étant au surplus facilitée par l'existence d'un service de gestion des ressources humaines centralisée et d'un logiciel informatique.

Or, et ainsi que le souligne M. [N], un poste de chargé de clientèle, activités internes, a été pourvu le 11 janvier 2016 dans le cadre d'un contrat à durée déterminée sur la délégation de [Localité 8].

Si l'employeur explique et justifie que ce poste, pourvu par Mme [R], était déjà occupé par elle dans le cadre d'un contrat à durée déterminée ayant pris effet du 29 octobre au 11 décembre 2015 pour assurer le remplacement d'un salarié malade, la cour rappelle que cette situation n'offrait aucune priorité sur M. [N], qui bénéficiait alors d'une ancienneté de 33 ans, pour pourvoir le poste devenu vacant à compter du 11 décembre 2015 et finalement pourvu le 11 janvier suivant.

La cour observe par ailleurs que l'argument de l'employeur tenant à l'éloignement du poste du domicile de M. [N] n'est pas pertinent, dès lors que les offres de reclassement effectivement soumises à ce dernier portent sur des régions plus éloignées.

En conséquence, la cour dit qu'il appartenait à l'employeur, dans le cadre de son obligation de reclassement, de soumettre à M. [N] le poste de chargé de clientèle, relations internes, disponible sur la délégation de [Localité 8] dans le cadre d'un contrat à durée déterminée à compter du 12 décembre 2015 ou à tout le moins du 11 janvier 2016, soit avant l'envoi au salarié des propositions de reclassement les 6 et 18 janvier 2016.

La cour relève enfin que l'employeur ne verse pas au débat l'ensemble des registres du personnel sur le territoire national.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'employeur n'a pas proposé à M. [N] l'ensemble des postes disponibles sur la période de recherche de reclassement, ce dont il résulte que la recherche de reclassement du salarié par l'employeur n'a pas été loyale.

Le manquement de l'employeur à son obligation de reclassement est donc établi.

Par infirmation du jugement querellé, la cour dit en conséquence que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

3. Sur les conséquences financières :

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Le salarié affirme ne pas être parvenu à retrouver un emploi en raison de son âge et de son état de santé.

L'employeur fait valoir que le salarié ne peut se prévaloir d'un préjudice lié à d'éventuelles difficultés à retrouver un emploi dès lors qu'il était en droit de faire valoir ses droits à la retraite dès le mois de juin 2015.

Les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié.

En l'espèce, la S.A.C.E.M. emploie plus de onze salariés.

M. [N] bénéficiait d'une ancienneté de plus de 33 années au sein de la S.A.C.E.M. au moment du licenciement, et percevait alors un salaire mensuel moyen de 3 215,10 euros (suivant la moyenne des douze derniers salaires perçus).

En considération notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération mensuelle brute versée au salarié, de son âge au jour de son licenciement, de son ancienneté à cette même date, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels que ces éléments résultent des pièces et des explications fournies, il convient de réparer le préjudice par le salarié du fait de la perte injustifiée de son emploi en lui allouant la somme de 15 000 euros.

4. Sur le remboursement des indemnités de chômage :

En application de l'article L.1235-4 du code du travail dans sa rédaction applicable, il convient en ajoutant au jugement déféré d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation.

5. Sur les autres demandes :

La S.C.C.V. S.A.C.E.M., qui succombe, sera condamnée au paiement des dépens, en ceux compris les dépens de première instance.

Par ailleurs, il n'est pas équitable de laisser à M. [N] ses frais irrépétibles non compris dans les dépens : l'employeur sera dès lors condamné à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En revanche, par infirmation du jugement querellé, la S.C.C.V. S.A.C.E.M. sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles, tant en première instance qu'en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

INFIRME le jugement déféré en toutes les dispositions qui lui sont soumises,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la S.C.C.V. S.A.C.E.M. à payer à M. [L] [N] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral subi,

DIT que l'employeur a manqué à son obligation de reclassement,

DIT en conséquence que le licenciement de M. [L] [N] est dénué de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la S.C.C.V. S.A.C.E.M. à payer à M. [L] [N] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

DIT que cette somme est exprimée en brut,

RAPPELLE que les sommes de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

ORDONNE le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation,

CONDAMNE la S.C.C.V. S.A.C.E.M. au paiement des dépens, en ceux compris les dépens de première instance,

CONDAMNE la S.C.C.V. S.A.C.E.M. à payer à M. [L] [N] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,

DEBOUTE la S.C.C.V. S.A.C.E.M. de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-4
Numéro d'arrêt : 20/04431
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;20.04431 ?
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