COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 2-2
ARRÊT AU FOND
DU 25 JUIN 2024
N° 2024/264
Rôle N° RG 22/11034
N° Portalis DBVB-V-B7G-
BJ26W
[K] [V]
C/
PROCUREUR GENERAL
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Emmanuelle BAZIN CLAUZADE
MINISTÈRE PUBLIC
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 30 juin 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 20/10446
APPELANT
Monsieur [K] [V]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/006422 du 07/10/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
né le 01 août 1977 à [Localité 3] (MAROC)
demeurant [Adresse 2] - Rés. [5] - [Adresse 2] - [Localité 1]
représenté par Me Emmanuelle BAZIN CLAUZADE, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIME
PROCUREUR GENERAL
comparant en la personne de Monsieur Thierry VILLARDO, avocat général
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 18 avril 2024 en chambre du conseil. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Michèle CUTAJAR, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président
Madame Michèle CUTAJAR, Conseiller
Madame Hélène PERRET, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Jessica FREITAS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 25 juin 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 juin 2024,
Signé par Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président et Madame Jessica FREITAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Le 19 avril 2019, Monsieur [K] [V], se disant né le 01 août 1977 à [Localité 3] (Maroc) a souscrit une déclaration d'acquisition de la nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du code civil, en raison du mariage célébré le 29 octobre 2010 à [Localité 6] avec Madame [U] [N],de nationalité française.
Le 14 mai 2020, le ministère de l'intérieur, sur le fondement de l'article 26-3 du code civil, a refusé d'enregistrer cette déclaration au motif de la condamnation du requérant, le 21 mai 2002, par la chambre des appels correctionnels de la Cour d'Appel de Montpellier, à une peine d'emprisonnement ferme d'une durée supérieure à six mois.
Par acte d'huissier du 06 novembre 2020, Monsieur [V] a fait assigner le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille devant cette juridiction, aux fins de voir prononcer l'annulation de la décision de refus d'enregistrement de sa déclaration de nationalité française.
Par jugement du 30 juin 2022, le tribunal judiciaire de Marseille a :
constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré le 20 novembre 2020
débouté Monsieur [K] [V] de ses demandes
constaté l'extranéité de Monsieur [K] [V]
ordonné la mention prévue à l'article 28 du code civil
condamné Monsieur [K] [V] aux dépens.
Le 29 juillet 2022, Monsieur [V] a interjeté appel de cette décision.
L'affaire, initialement fixée pour être plaidée à l'audience du 01 février 2024 a fait l'objet d'un renvoi à l'audience du 18 avril 2024 à 8heures 30, palais Verdun Salle F.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 30 mars 2024 auxquelles il convient de faire expressément renvoi pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions Monsieur [V] demande à la Cour de :
Dire et juger parfaitement recevable et bien fondé l'appel de M. [V]
Réformer la décision dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a constaté la délivrance du récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile
Par conséquent,
Enregistrer la déclaration de nationalité française de M. [V]
Le déclarer français par application des dispositions de l'article 21-2 du code civil
Statuer sur les dépens comme en matière d'aide juridictionnelle.
Il indique d'abord apporter la preuve de son mariage par la communication de l'acte de mariage et démontrer que l'épouse a bien la nationalité française.
Il justifie également de l'effectivité de la communauté de vie du couple.
Les faits de violences commises sur l'épouse ne l'excluent pas de la nationalité française dès lors qu'il n'est pas établi que la communauté de vie avait cessé au moment de la demande d'enregistrement de la déclaration.
L'épouse ne s'était d'ailleurs pas constituée partie civile, ce qui confirme que la vie commune s'est poursuivie et qu'elle lui a pardonné.
S'agissant de la condamnation du 21 mai 2002, il justifie avoir exécuté la condamnation, et peut bénéficier d'une réhabilitation de plein droit.
En tout état de cause, c'est au ministère public à veiller à l'exécution des peines
En cause d'appel, il justifie de la fiabilité des actes d'état civil par la communication du jugement du 15 septembre 1993 du tribunal de première instance d'Errachidia, ainsi que la transcription sur son acte de naissance de son mariage avec Madame [N].
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 04 avril 2024 auxquelles il convient de faire expressément renvoi pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, le Ministère Public demande à la Cour de:
Dire la procédure régulière au sens de l'article 1040 du code de procédure civile
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Marseille le 30 juin 2022 sous le numéro de répertoire général 20/10446 ;
- Juger que Monsieur [K] [V], se disant né le ler août 1977 à [Localité 3] (Maroc), n'est pas de nationalité française ;
- Débouter Monsieur [K] [V] de toutes ses demandes ;
- Ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil ;
- Statuer ce que de droit sur les dépens.
S'agissant de son état civil,l'appelant produit une copie intégrale,délivrée le 13 septembre 2022 , de son acte de naissance dressé le 17 août 1977 selon lequel il serait né le 01 août 1977 à [Localité 3] (Maroc) de Monsieur [W] fils de [Z] [V] né en 1940 à [Localité 4] (Maroc),de nationalité marocaine,ouvrier, et de Madame [H] fille de [E],née en 1950 à [Localité 4] (Maroc), sans profession, domiciliés à [Localité 3] (Maroc).
En marge de l'acte, il est mentionné que des modifications sur l'état civil, relativement à l'identité de la mère de l'appelant ont été apportées par jugement N°125 du tribunal de première instance d'Errachidia en date du 15 septembre 1993, lequel n'était pas produit.
L'appelant produit désormais une expédition certifiée conforme d'un jugement N°1250 du tribunal de première instance d'Errachidia en date du 15 septembre 1993, accompagné de sa traduction en langue française.
Les mentions apposées en marge de l'acte de naissance correspondent à celles dont le tribunal a ordonné l'apposition, cependant, il doit être observer que la numérotation des décisions du tribunal d'Errachidia est différente.
En ce qui concerne l'application de l'article 21-2 du code civil, il fait essentiellement valoir que :
l'appelant rapporte bien la preuve de ce que Madame [U] [N] a été naturalisée française antérieurement à l'union et avait encore cette nationalité au jour du mariage, et désormais la preuve, par la communication de la copie intégrale de l'acte de naissance de l'épouse qu'elle a conservé cette nationalité au jour de la souscription de la nationalité française.
l'appelant communique désormais copie de son acte de mariage,délivrée le 18 mars 2024, de laquelle il ne ressort aucune mention de divorce ou d'annulation de mariage
il n'est pas contesté qu'au jour de la déclaration de nationalité française, les époux étaient mariés depuis plus de huit années
la communauté de vie, qui s'entend d'une cohabitation matérielle et d'une communauté affective, doit exister à la date de la déclaration acquisitive de nationalité.
Monsieur [V] a commis des violences sur son épouse ayant entraîné une incapacité de travail inférieure à huit jours au mois de décembre 2012.
Ces faits sont exclusifs d'une communauté de vie au sens de l'article 21-2 du code civil et caractérisent la rupture de la communauté de vie, quand bien même la cohabitation perdurerait ou aurait repris.
Même en supposant que les époux entretiennent désormais une véritable communauté de vie affective, dans le respect de l'article 212 du code civil, comme le soutient l'appelant, ce constat est sans incidence sur les effets de la cessation de la communauté au jour de la souscription de la déclaration d'acquisition de la nationalité française.
Le casier judiciaire N°2 délivré le 11 mars 2020 porte condamnation par la chambre des appels correctionnels de la Cour d'Appel de Montpellier le 21 mai 2002, par défaut, à une peine de trois ans d'emprisonnement pour des faits de violences volontaires, en réunion et menaces de mort.
Même si Monsieur [V] communique le jugement du 28 avril 2004 du juge d'application des peines du tribunal de grande instance d'Avignon prononçant une mesure de libération conditionnelle, son casier judiciaire porte mention d'autres condamnations postérieures, dont la preuve de l'accomplissement de la peine n'est pas rapportée.
Pour les faits de violences conjugales commis au mois de décembre 2012, il a été condamné le 17 juin 2013 par le tribunal correctionnel de Montpellier à la peine de trois mois d'emprisonnement avec sursis mise à l'épreuve de 18 mois.
Il ne peut donc pas bénéficier de la réhabilitation de plein droit prévu par l'article 133-13 du code pénal qui détermine les conditions dans lesquelles la réhabilitation est acquise de plein droit.
La procédure a été clôturée le 04 avril 2024.
DISCUSSION
Monsieur [V] sollicite son admission à la nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du code civil qui dispose dans son alinéa 1 que l'étranger ou l'apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.
En application de l'article 30 du code civil ,la charge de la preuve de la nationalité française qu'elle revendique incombe à Monsieur [V] qui n'est pas personnellement titulaire d'un certificat de nationalité française.
L'article 47 du code civil dispose que tout acte de l 'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays, fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
Sur le caractère probant des actes d'état civil :
Monsieur [V] avait produit une copie intégrale,délivrée le 13 septembre 2022 , de son acte de naissance dressé le 17 août 1977 selon lequel il serait né le 01 août 1977 à [Localité 3] (Maroc) de Monsieur [W] fils de [Z] [V] né en 1940 à [Localité 4] (Maroc),de nationalité marocaine, ouvrier, et de Madame [H] fille de [E], née en 1950 à [Localité 4] (Maroc), sans profession, domiciliés à [Localité 3] (Maroc).
En marge de l'acte, il est mentionné que des modifications sur l'état civil,relativement à l'identité de la mère de l'appelant ont été apportées par jugement N°125 du tribunal de première instance d'Errachidia en date du 15 septembre 1993.
En cause d'appel, Monsieur [V] communique une expédition certifiée conforme d'un jugement N°1250 du tribunal de première instance d'Errachidia en date du 15 septembre 1993,accompagnée de sa traduction en langue française.
Le ministère public, qui convient que les mentions apposées en marge de l'acte de naissance correspondent à celles dont le tribunal a ordonné l'apposition, fait cependant observer que la numérotation des décisions du tribunal d'Errachidia est différente.
Cet élément est insuffisant pour douter du caractère certain de l'état civil de l' appelant, alors que les actes portent des mentions similaires et qu'aucun autre élément ne permet à la Cour, au visa de l'article 47, de se convaincre qu 'il existe un doute sérieux sur l'authenticité des actes d'état civil ou qu'il existe des incohérences permettant d'établir l'existence d'une fraude.
Par conséquent, il y a lieu de considérer comme certain l'état civil de l'appelant.
Sur l'application de l'article 21- 2 du code civil :
En l'espèce, les parties ont contracté mariage le 29 octobre 2010 à [Localité 6].
Monsieur [V] a souscrit une déclaration de nationalité française le 19 avril 2019, soit dans les délais impartis par l'article 21-2 du code civil.
En cause d'appel Monsieur [V] établit que son épouse, Madame [U] [N] est française, du fait de sa naturalisation antérieurement à l'union.
Il apporte également la preuve, par la communication de la copie intégrale de l'acte de naissance de l'épouse qu'elle a conservé cette nationalité au jour de la souscription de la nationalité française.
Il produit également aux débats copie de son acte de mariage,délivrée le 18 mars 2024, de laquelle il ne ressort aucune mention de divorce ou d'annulation de mariage.
Mais il appartient à Monsieur [V] de faire la preuve, qu'au jour de cette souscription, la communauté de vie tant affective que matérielle n'a pas cessé entre les époux depuis l'union.
Il est constant que l'appelant a fait l'objet d'une condamnation à la peine de trois mois d'emprisonnement délictuel totalement assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant dix huit mois pour des faits de violences sur son épouse n'excédant pas huit jours, commis à Montpelier le 02 décembre 2012.
C'est de manière pertinente que le ministère public fait valoir que cette condamnation exclu l'existence d'une communauté de vie au sens de l'article 21-2 du code civil.
En effet, la communauté de vie ne s'entend pas seulement de l'existence d'une cohabitation matérielle, mais suppose également une communauté de vie affective.
Or, la commission de violences sur la personne de l'épouse est un élément totalement incompatible avec la notion de communauté affective, consacrée par ailleurs par l'article 212 du code civil qui fait du respect, de la fidélité, du secours et de l'assistance, les devoirs fondamentaux du mariage.
Par conséquent, la réalité de la communauté de vie stable et continue n'est pas établie,alors qu'il ressort de l 'application des dispositions de l'article 21-2 du code civil qu'en matière de nationalité, cette notion échappe aux conceptions personnelles que peuvent avoir les époux sur ce point.
De ce point de vue, le fait que l'appelant excipe que "Madame [N] ne s'est pas constituée partie civile, ce qui confirme que l'existence d'une vie commune s'est poursuivie et qu'elle lui a pardonné " est totalement indifférent à l'appréciation des critères de l'article 21-2 du code civil puisque sans incidence sur les effets de la cessation de la communauté affective continue au jour de la souscription de la déclaration d'acquisition de la nationalité.
Par conséquent,et sans qu'il ne soit besoin de répondre à l'argumentaire relatif à la question de la réhabilitation éventuelle au titre des condamnations pénales, il y a lieu de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris qui a débouté Monsieur [V] de sa demande.
Monsieur [V], qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, après débats en Chambre du Conseil, contradictoirement,
CONSTATE que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré.
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris.
CONDAMNE Monsieur [K] [V] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.
LE GREFFIER LE PRESIDENT