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25/06/2024 | FRANCE | N°21/17919

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-2, 25 juin 2024, 21/17919


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2



ARRÊT AU FOND

DU 25 JUIN 2024



N° 2024/263









Rôle N° RG 21/17919

N° Portalis DBVB-V-B7F-

BISEW







[X] [N] [I] [J]



C/



PROCUREUR GENERAL

































Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Sofian GARA-ROMEO



MINISTÈRE PUBLIC
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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal judiciaire de Marseille en date du 09 décembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 20/03574





APPELANT



Monsieur [X] [N] [I] [J]

né le 15 août 2000 à [Localité 3] (CÔTE D'IVOIRE)

demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Sofian GARA-ROMEO, avocat ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2

ARRÊT AU FOND

DU 25 JUIN 2024

N° 2024/263

Rôle N° RG 21/17919

N° Portalis DBVB-V-B7F-

BISEW

[X] [N] [I] [J]

C/

PROCUREUR GENERAL

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Sofian GARA-ROMEO

MINISTÈRE PUBLIC

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal judiciaire de Marseille en date du 09 décembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 20/03574

APPELANT

Monsieur [X] [N] [I] [J]

né le 15 août 2000 à [Localité 3] (CÔTE D'IVOIRE)

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Sofian GARA-ROMEO, avocat au barreau de TOULON

INTIME

PROCUREUR GENERAL

comparant en la personne de Monsieur Thierry VILLARDO, avocat général

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 18 avril 2024 en chambre du conseil. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président

Madame Michèle CUTAJAR, Conseiller

Madame Hélène PERRET, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Jessica FREITAS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 25 juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 juin 2024,

Signé par Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président et Madame Jessica FREITAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [X] [J], né le 15 août 2000 à [Localité 3] (Côte d'Ivoire), a effectué le 07 août 2018 une déclaration aux fins d'acquisition de la nationalité française sur le fondement des dispositions de l'article 21-12 du code civil.

Par décision du directeur de greffe judiciaire du tribunal d'instance de Toulon en date du 13 novembre 2019, M. [J] s'est vu refuser l'enregistrement de cette déclaration aux motifs que le consulat général de France à [Localité 2] auquel ont été transmis les actes produits par le requérant aux fins d'authentification n'avait pas donné de réponse favorable. Il était également fait état d'erreurs et incohérences du jugement supplétif ayant permis l'établissement de l'acte de naissance.

Par acte d'huissier de justice du 18 juin 2020, M. [J] a fait assigner le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille devant cette juridiction aux fins d'obtenir l'enregistrement de sa déclaration d'acquisition de nationalité.

Par jugement rendu le 09 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Marseille a notamment :

- constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

- débouté M. [J] de l'ensemble de ses demandes,

- constaté l'extranéité de M. [J],

- ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil,

- condamné M. [J] aux dépens.

M. [J] a interjeté appel de cette décision le 17 décembre 2021.

Par arrêt avant dire droit du 09 janvier 2024, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a notamment :

- ordonné la réouverture des débats,

- fait injonction à l'appelant de produire aux débats les originaux des pièces d'état civil ou les originaux des pièces ayant fait l'objet d'une légalisation, du fait notamment de divergences entre les deux copies du 2 mai 2019 et du 13 janvier 2021 du même jugement n° 1053 du tribunal d'[Localité 2] du 3 juin 2015,

- fait injonction aux deux parties de prendre position sur les points soulevés ci-dessus.

Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrées le 26 mars 2024, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [J] demande à la cour de :

- confirmer partiellement le jugement du 9 décembre 2021 n°21/525 en ce qu'il :

- constate que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

- l'infirmer pour le surplus.

Statuant à nouveau,

- constater que M. [J] a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance pendant une durée de plus de trois ans,

- constater que M. [J] remplit toutes les conditions nécessaires à l'acquisition de la

nationalité française par déclaration,

- annuler la décision de refus d'enregistrement,

- ordonner l'enregistrement de la déclaration de nationalité de M. [J] présentée le 8 août 2018,

- octroyer la nationalité française à M. [J],

- dire que M. [J] est français à compter de la date de l'arrêt à intervenir,

- condamner l'Etat au versement d'une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.

M. [J] fait en effet notamment valoir que :

- il a déposé sa déclaration après avoir été pris en charge pendant plus de trois ans par les services de l'ASE ; qu'il a été confié à l'ASE à l'âge de 15 ans puis a bénéficié d'un contrat jeune majeur à sa majorité ; que l'unique condition pour l'acquisition de la nationalité française posée par l'article 21-12 du code civil est ainsi remplie ;

- sa minorité n'a jamais été remise en question par l'ASE ou le juge des enfants ;

- aucun élément ne permet de considérer que les documents relatifs à son identité ne sont pas probants au sens de l'article 47 du code civil ; que les autorités ivoiriennes ont attesté de la régularité tant de l'acte de naissance que du jugement supplétif.

Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrées le 02 avril 2024, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, le Procureur Général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence demande à la cour de :

- constater que le récépissé prévu par l'article 1040 du code de procédure civile a été délivré,

- dire la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement de première instance,

- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil,

- statuer ce que de droit quant aux dépens.

Le Procureur Général fait en effet notamment valoir que :

- M. [J] ne justifie pas d'un état civil certain et donc de sa minorité au jour de la souscription de la déclaration ;

- le jugement supplétif de naissance ivoirien produit n'est pas conforme à l'ordre public international en ce qu'il n'est pas motivé et en ce que l'acte de naissance de M. [J] a été dressé sur transcription dudit jugement non encore définitif, le délai d'appel n'étant pas expiré;

- les nombreuses et importantes divergences existantes entre les deux copies du jugement rendent

ledit jugement particulièrement douteux et remettent en cause son authenticité ;

- plusieurs irrégularités viennent entacher la force probante de l'acte de naissance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 04 avril 2024. L'affaire a été appelée à l'audience du jeudi 18 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

En application de l'article 30 alinéa 1er du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu'il n'est pas déjà titulaire d'un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code.

M. [J] doit ainsi rapporter la preuve d'un état civil fiab1e, et d'un lien de filiation légalement établi à son endroit, et ce, durant le temps de sa minorité, au moyen d'actes de l'état civil établis conformément aux dispositions de 1'artic1e 47 du code civil.

Aux termes de l'article 47 du code civil en effet, tout acte de 1'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de1'acte lui-même

établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégu1ier,falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

Enfin, nul ne peut revendiquer à quelque titre que ce soit, la nationalité française, s'il ne dispose d'un état civil fiable et certain.

Par arrêt avant-dire droit du 9 janvier 2024, la cour a relevé un certain nombre de difficultés précises dans les actes d'état civil et pièces présentés par M. [J] .

La réponse aux questions posées par la cour consiste pour ce dernier à raisonner par analogie avec un jugement du tribunal correctionnel de Toulon, ou à considérer que les difficultés soulignées seraient mineures et sans incidence.

Dans son arrêt du 9 janvier 2024, la cour a constaté un certain nombre de divergences entre les photocopies des deux extraits des minutes du tribunal d'[Localité 2] concernant le même jugement n° 1053 du 3 juin 2015, soit la pièce 11, daté du 2 mai 2019, et la pièce 22 datée du 13 janvier 2021, pourtant toutes deux certifiées conformes à ces minutes. C'est ainsi que:

- l'audience est tenue en présence de M. [U] [C], procureur de la République (substitut résident) et le jugement mentionne un visa des conclusions écrites du ministère public en date du 3 juin 2015 (pièce 11), mais aucune mention n'est faite de la présence du ministère public ni de ses conclusions dans le second extrait présenté (pièce 22)

- les mentions 'audience foraine' datée du 26 décembre 2018 (pièce 11), et 'audience publique' du 3 juin 2015 (pièce 22),

- une graphie différente entre [A] [J] (pièce 11) et [A] [J] (pièce 22)

- la mention 'statuant publiquement sur requête de [A] [J] en matière d'état civil et en premier ressort' (pièce 11), et la mention 'statuant publiquement sur requête en matière d'état civil et en premier ressort', sans autre indication du requérant (pièce 22),

- la mention 'déclare recevable et bien fondée la requête de [A] [J]' (pièce 11) et la mention 'déclare recevable la requête' (pièce 22)

- le prénom de l'intéressé est orthographié '[X]' (pièce 11) ou '[X]' (pièce 22)

- le père est domicilié à [Localité 3] dans la pièce 11 et à [Localité 2] dans la pièce 22

- aucune profession n'est donnée pour la mère [B] [Z] dans la pièce 11, M. [J] produisant un certificat de décès du 22 février 2005, mais la pièce 22 mentionne pour celle-ci la profession de 'ménagère'; la profession du père est celle de chauffeur dans la pièce 22, mais ne figure pas dans la pièce 11.

Le relevé ci-dessus de ces divergences ne visait qu'à permettre à M. [J] de prendre précisément position, ce qu'il ne fait pas, sauf à dire qu'elles ne porteraient pas sur des éléments substantiels.

Or, il n'est pas anodin que des mentions comme le lieu de l'audience, la présence ou l'absence du ministère public, le visa de ses conclusions, le domicile du père ou les professions des parents ne figurent pas, ou de manière identique, dans deux copies pourtant certifiées conformes du même jugement. Les autres discordances, certes de moindre importance, ne font cependant que conforter la suspicion légitime qui est suscitée quant à l'authenticité du jugement en question.

M. [J] produit encore une pièce 24 qui est la photocopie, d'ailleurs tronquée, de ce qui semble être la restranscription manuscrite dans les registres de l'état civil du 'par ces motifs' du jugement 3 juin 2015. Or, cette retranscription comporte plusieurs divergences avec tant le texte de la pièce 11 que celui de la pièce 22:

- ajout de l'adverbe 'contradictoirement'

- non mention de la requête

- mention des prénoms avant le nom de l'enfant

- non mention de la profession des parents.

L'accumulation de ces divergences est d'autant plus regrettable que, malgré la demande expresse de la cour, les pièces en question n'ont pas été fournies en original, mais seulement en photocopie. Il en est encore de même pour 'l'attestation d'authentication de jugement supplétif' daté du 27 mai 2021 (pièce 18), qui, de toutes façons, ne saurait suppléer la production d'une expédition du jugement lui-même.

Quelle que soit la pièce examinée, il s'avère que le jugement ne comporte aucune autre motivation que le visa de la requête initiale, des pièces (non précisées) du dossier, des conclusions du ministère public (dont la nature est inconnue, et dont le visa est omis dans la pièce 22), des textes applicables et la mention 'attendu que cette requête est fondée; qu'il échet d'y faire droit'.

Or, il est contraire à la conception française de l'ordre public international de reconnaître une décision étrangère non motivée, ou qui n'est appuyée d'aucun autre document permettant de suppléer la motivation défaillante. En l'occurrence, le simple visa de pièces dont le contenu est ignoré et une simple affirmation quant au bien-fondé de l'action, ne sauraient constituer une motivation.

L'ensemble des éléments qui précèdent conduisent donc à considérer que M. [J] ne fait pas la preuve d'un état civil fiable, et, spécialement, de sa minorité à son arrivée en France, dans la mesure où les pièces d'état civil produites ne sont que la transcription d'un jugement lui-même sujet à caution.

La demande de M. [J] sera donc rejetée et la décision frappée d'appel sera confirmée.

Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil

Aux termes de l'article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintegration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité.

En conséquence, cette mention sera en l'espèce ordonnée.

Sur les demandes accessoires

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

M. [J], qui succombe, supportera la charge des dépens. Par voie de conséquence, sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera également rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe :

DIT la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement frappé d'appel en toutes ses dispositions

JUGE que Monsieur [X] [N] [I] [J], de disant né le 15 août 2000 à [Localité 3] (Côte d'Ivoire), n'est pas de nationalité française,

DEBOUTE Monsieur [X] [N] [I] [J] de l'ensemble de ses demandes,

ORDONNE la mention prévue par l'article 28 du code civil, 1059 du code de procédure civile et le décret n° 65-422 du 1er juin 1965 portant création d'un service central de l'état civil auprès du ministère des affaires étrangères.

CONDAMNE Monsieur [X] [N] [I] [J] aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-2
Numéro d'arrêt : 21/17919
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;21.17919 ?
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