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25/06/2024 | FRANCE | N°21/13997

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-2, 25 juin 2024, 21/13997


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2



ARRÊT AU FOND

DU 25 JUIN 2024



N° 2024/261









Rôle N° RG 21/13997

N° Portalis DBVB-V-B7F-

BIFLK







[T] [N]



C/



PROCUREUR GENERAL

































Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Sylvain CARMIER



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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal judiciaire de Marseille en date du 18 février 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/07798





APPELANTE



Madame [T] [N]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/005343 du 03/09/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROV...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2

ARRÊT AU FOND

DU 25 JUIN 2024

N° 2024/261

Rôle N° RG 21/13997

N° Portalis DBVB-V-B7F-

BIFLK

[T] [N]

C/

PROCUREUR GENERAL

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Sylvain CARMIER

MINISTERE PUBLIC

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal judiciaire de Marseille en date du 18 février 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/07798

APPELANTE

Madame [T] [N]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/005343 du 03/09/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

née le 07 octobre 1962 à [Localité 3]

demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Sylvain CARMIER, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

PROCUREUR GENERAL

comparant en la personne de Monsieur Thierry VILLARDO, avocat général

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 18 avril 2024 en chambre du conseil. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président

Madame Michèle CUTAJAR, Conseiller

Madame Hélène PERRET, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Jessica FREITAS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 25 juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 juin 2024,

Signé par Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président et Madame Jessica FREITAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par décision du 02 octobre 2018, le directeur des services de greffe du tribunal d'instance de Marseille a refusé à Madame [T] [N], née le 07 octobre 1962 à Marseille, la délivrance d'un certificat de nationalité française au motif qu'elle ne justifiait pas de la conservation de la nationalité française suite à l'accession à l'indépendance de l'Algérie.

Par acte en date du 21 juin 2019, Mme [N] a fait assigner le procureur de la République devant le tribunal de grande instance de Marseille aux fins de voir déclarer qu'elle est de nationalité française, à titre principal en application de l'article 19-3 du code civil et à titre subsidiaire en application de l'article 21-7 du même code.

Par jugement rendu le 18 février 2021, le tribunal judiciaire de Marseille a :

- constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

- débouté Mme [N] de ses demandes,

- constaté l'extranéité Mme [N],

- ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil,

- condamné Mme [N] aux dépens, qui seront recouvrés selon les règles applicables en matière d'aide juridictionnelle.

Mme [N] a interjeté appel de cette décision le 04 octobre 2021.

Par arrêt avant dire droit du 09 janvier 2024, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a notamment :

- dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile,

- ordonné la réouverture des débats,

- enjoint à Mme [N] de produire aux débats :

- en original, les copies intégrales des actes d'état civil dont elle se prévaut,

- une expédition du jugement du 3 février 1965 ayant autorisé la transcription du mariage de ses

parents sur les registres de l'état civil, ainsi que l'expédition du jugement du 28 avril 1959 en vertu duquel a été dressée l'acte de naissance de M. [L] [N], en copies certifiées conformes.

Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrées le 06 octobre 2023, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [N] demande à la cour de :

- annuler ou infirmer le jugement du 18 février 2021 n°21/133,

A titre principal,

- déclarer que Mme [N] est de nationalité française depuis sa naissance en application des articles 19-3 et 20 du code civil,

A titre subsidiaire,

- déclarer que Mme [N] est de nationalité française depuis sa majorité en application de l'article 21-7 du code civil,

A titre très subsidiaire,

- déclarer Mme [N] de nationalité française en application de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme,

En toutes hypothèses,

- ordonner la mention prévue à l'article 28 du code civil,

- condamner le Ministère Public à payer à Maître [B] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 2° du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi de 1991, qui renonce dans ce cas expressément au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Mme [N] fait en effet notamment valoir que :

- elle est née en France de parents nés en Algérie lorsque l'Algérie était un département français; que ses parents sont donc nés sur le territoire français ;

- elle vit en France depuis sa naissance ; qu'elle a toujours été scolarisée en France ; qu'en raison de l'ancienneté de sa scolarité, elle peine à en rapporter la preuve pour les années 1975-1978 ;

- le refus qu'elle se voit opposer porte atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale; qu'elle se sent française ; qu'elle n'a aucune forme d'attache pour l'Algérie ; que ses frères et s'urs sont tous français.

Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrées le 02 avril 2024, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, le Procureur Général demande à la cour de :

- constater que le récépissé prévu par l'article 1040 du code de procédure civile a été délivré,

- dire la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement de première instance,

- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil,

- statuer ce que de droit quant aux dépens.

Le Procureur Général fait en effet notamment valoir que :

- Mme [N] ne peut bénéficier de la nationalité française par double droit du sol en ce que les pièces versées ne sont pas probantes au sens de l'article 47 du code civil ; qu'elle et son père ont perdu la nationalité française le 1er janvier 1963 ; qu'elle ne prouve pas que son père ait renoncé de manière expresse à son statut civil de droit local et ait obtenu le statut de droit commun avant l'indépendance de l'Algérie ;

- Mme [N] ne peut bénéficier de la nationalité française par naissance et résidence en France en ce que l'article 44 du code de la nationalité française dans sa rédaction issue de la loi de janvier 1973 n'est pas applicable à sa situation ; qu'elle est née de deux parents qui étaient français au moment de sa naissance ;

- l'article 8 de la CEDH n'est pas applicable au droit de la nationalité ; que Mme [N] n'est pas privée de la possibilité de vivre en France avec sa famille.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 04 avril 2024. L'affaire a été appelée à l'audience du jeudi 18 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

La procédure a été déclarée régulière par l'arrêt avant-dire droit du 9 janvier 2024.

En application de l'article 30 alinéa 1er du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu'il n'est pas déjà titulaire d'un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du meme code.

Nul ne peut revendiquer à quelque titre que ce soit, la nationalité française, s'il ne dispose d'un état civil fiable et certain.

Mme [N] doit ainsi rapporter la preuve d'un état civil fiab1e, ainsi que de la nationalité du parent dont elle se prévaut, et d'un lien de filiation légalement établi à son endroit, et ce, durant le temps de sa minorité, au moyen d'actes de l'état civil établis conformément aux dispositions de 1'artic1e 47 du code civil.

Aux termes de cette disposition, tout acte de 1'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de1'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégu1ier,falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

A cet égard, la cour a demandé par arrêt avant-dire droit la production aux débats, en original, des copies intégrales des actes d'état civil dont se prévaut Mme [N], ainsi qu'une expédition du jugement du 3 février 1965 ayant autorisé la transcription du mariage de ses parents sur les registres de l'état civil, comme celle du jugement du 28 avril 1959 en vertu duquel a été dressée l'acte de naissance de M. [L] [N].

Les pièces produites aux débats par Mme [N], sur l'injonction de la cour, sont les suivantes:

- la copie de son acte de naissance établi le 9 octobre 1962,

- la copie intégrale établie le 6 mars 2024 de l'acte de naissance de M. [N] [L]

- un extrait du registre des jugements collectifs de naissance établi le 16 juin 1979, indiquant que le 26 décembre 1959 un jugement du 28 avril 1959 a été rendu à l'effet d'inscrire la naissance de M. [N] (sic) [L] sur les registres de l'état civil de la commune de [K] [F]

- un extrait des jugements collectifs de naissance du registre de l'état civil de la commune de BESBES, en date du 6 mars 2024, portant mention de la transcription réalisée le 10 août 1962 de la naissance en 1930 de Mme [D] [O], sans mention cependant de la décision ayant ordonné cette transcription,

- la copie intégrale délivrée le 25 mars 2024 de l'acte de mariage de M. [N] [L] et de Mme [D] [O], célébré le 30 janvier 1965 et transcrit le 15 octobre 1956 (sic).

Si l'on peut accepter qu'une erreur de plume a pu affecter la copie de l'acte de mariage des parents de l'appelante, en inversant les dates de mariage et de transcription de l'acte, force est de constater que n'est pas produite la décision autorisant une telle transcription. Or, dans une photocopie précédemment produite aux débats (pièce n° 1) il est clairement mentionné l'existence d'un jugement du 3 février 1965 qui aurait ordonné cette transcription.

Le jugement du 28 avril 1959 concernant l'acte de naissance de M. [N] n'est pas produit aux débats, l'extrait du registre des naissances ne mentionnant en effet que sa retranscription. Or, un acte d'état civil n'est pas fiable sans la justification de la décision qui l'a ordonné.

L'acte de naissance de la mère de l'appelante ne mentionne pas la décision ayant ordonné sa transcription à l'état civil.

Par ailleurs, Mme [N] ne répond pas à la difficulté soulevée par le ministère public quant aux contradictions relevées quant aux lieux de naissance de ses parents. Ainsi M. [N] serait né soit à [K] [F] (acte de naissance de l'appelante, acte de mariage pièce n° 1 ), soit à Bouledja (acte de naissance de M. [N], acte de mariage copie du 25 mars 2024), et Mme [D] serait née soit à [Y] - [U] (acte de naissance de l'appelante ), soit à Besbes (acte de naissance de Mme [D], acte de mariage copie du 25 mars 2024).

En conclusion, ni le jugement du 28 avril 1959, ni celui du 3 février 1965 ne sont produits, tandis que l'acte de naissance de Mme [D] est affecté d'une irrégularité faute de mention de la décision de transcription, et qu'il existe une incertitude sur les lieux de naissance des parents de Mme [N].

Force est de constater que son état civil n'est pas fiable au sens de l'article 47 du code civil.

Au surplus, c'est par une motivation que la cour adopte, qu'il a été relevé par le tribunal qu'il n'existait aucune preuve d'une déclaration récognitive de nationalité française souscrite par les parents de Mme [N], alors que cette déclaration aurait dû intervenir avant le 1er janvier 1963, en raison de leur statut civil de droit local.

A titre subsidiaire, Mme [N] sollicite la déclaration de sa nationalité française sur le fondement de l'article 21-7 du code civil. Cependant, ce texte ne s'applique qu'à la situation où les parents de l'intéressé se trouvent être étrangers au jour de sa naissance. Tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque les parents de Mme [N] étaient nés dans un département français et conservaient au jour de sa naissance la faculté de souscrire la déclaration recognitive mentionnée ci-dessus.

A titre encore plus subsidiaire, Mme [N] demande à la cour de la déclarer de nationalité française sur le fondement de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, en indiquant qu'elle a toujours résidé sur le territoire français depuis sa naissance, qu'elle y est intégrée, et que toute sa fratrie est de nationalité française.

Cependant, cette disposition ne porte aucun droit à acquérir une nationalité particulière, chaque Etat étant souverain dans la détermination des conditions d'acquisition de sa nationalité. Par ailleurs, Mme [N] ne démontre pas être privée d'une autre nationalité, ni que le refus qui lui a été opposé de sa demande de reconnaissance de la nationalité française porte atteinte à sa vie privée ou à sa vie familiale. Enfin, le fait que plusieurs membres de sa fratrie seraient de nationalité française est sans incidence sur sa situation particulière.

La décision querellée sera donc confirmée.

Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil

Aux termes de l'article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintegration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité.

En conséquence, cette mention sera en l'espèce ordonnée.

Sur les demandes accessoires

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Mme [N], qui succombe, supportera la charge des dépens. Par voie de conséquence, la demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera écartée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe :

Déboute Madame [T] [N] de l'ensemble de ses demandes,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement frappé d'appel

JUGE que Madame [T] [N], née le 7 octobre 1962 à [Localité 2] (Bouches du Rhône) n'est pas de nationalité française,

ORDONNE la mention prévue par l'article 28 du code civil, 1059 du code de procédure civile et le décret n° 65-422 du 1er juin 1965 portant création d'un service central de l'état civil auprès du ministère des affaires étrangères.

CONDAMNE Madame [T] [N] aux dépens.

DIT n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 2° du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi de 1991.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-2
Numéro d'arrêt : 21/13997
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;21.13997 ?
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