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13/06/2024 | FRANCE | N°23/10425

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 13 juin 2024, 23/10425


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 13 JUIN 2024

AC

N° 2024/ 216









Rôle N° RG 23/10425 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLXUN







S.A.S. ARCELORMITTAL MEDITERRANEE





C/



[R] [W]

S.A.S. ESSO RAFFINAGE

S.A. DEPOTS PETROLIERS DE [Localité 4]





Copie exécutoire délivrée

le :

à :



SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ



SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFOR

GUE ANDREU ASSOCIES



SELARL BREU-AUBRUN-GOMBERT ET ASSOCIES



SCP CHARLES TOLLINCHI - CORINNE PERRET-VIGNERON













Décision déférée à la Cour :



Ordonnance du Juge de la mise en état d'AIX-EN-PROVENCE en date du 24 Juillet 2023 en...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 13 JUIN 2024

AC

N° 2024/ 216

Rôle N° RG 23/10425 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLXUN

S.A.S. ARCELORMITTAL MEDITERRANEE

C/

[R] [W]

S.A.S. ESSO RAFFINAGE

S.A. DEPOTS PETROLIERS DE [Localité 4]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ

SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES

SELARL BREU-AUBRUN-GOMBERT ET ASSOCIES

SCP CHARLES TOLLINCHI - CORINNE PERRET-VIGNERON

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance du Juge de la mise en état d'AIX-EN-PROVENCE en date du 24 Juillet 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 23/05045.

APPELANTE ET INTIMÉE

S.A.S. ARCELORMITTAL MEDITERRANEE dont le siège social est [Adresse 3], poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié ès qualité audit siège social

représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Joëlle HERSCHTEL du PARTNERSHIPS KING & SPALDING INTERNATIONAL LLP, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMÉES ET APPELANTES

S.A.S. ESSO RAFFINAGE dont le siège social est [Adresse 1], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

représentée par Me François Xavier GOMBERT de la SELARL BREU-AUBRUN-GOMBERT ET ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Jean-Nicolas CLEMENT de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Alice BOUILLIÉ, avocat au barreau de PARIS, plaidant

S.A. DEPOTS PETROLIERS DE [Localité 4], dont le siège social est [Adresse 7], prise en la personne de ses représentants légaux domciliés en cette qualité audit siège

représentée par Me Charles TOLLINCHI de la SCP CHARLES TOLLINCHI - CORINNE PERRET-VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Sabine DU GRANRUT de l'AARPI FAIRWAY, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Cécile PEYRONNET, avocat au barreau de PARIS, plaidant et de Me Juliette BRIL, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMÉ

Monsieur [R] [W]

demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Julie ANDREU de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 19 Mars 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Marc MAGNON, Président

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Juin 2024,

Signé par Monsieur Marc MAGNON, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société Arcelormittal Méditerranée, filiale du groupe Arcelormittal, exploite à [Localité 4], une usine sidérurgique dite « intégrée » au sein de laquelle sont produits de l'aggloméré de minerai de fer ainsi que du coke nécessaire à la production d'acier, activité, soumise à la législation sur les installations classées et classée SEVESO seuil haut, régie par des arrêtés préfectoraux successifs dont le dernier réglementant l'ensemble du site date du 23 mai 2017. L'usine sidérurgique d'Arcelormittal Méditerranée s'est implantée dans la zone industrialo-portuaire de [Localité 4] en 1971 et a démarré progressivement ses installations de production d'acier entre 1973 et 1974.

La société Dépôts pétroliers de [Localité 4] est spécialisée dans le stockage, la manipulation, la gestion et la distribution de produits parapétroliers et pétroliers raffinés, directement destinés à la consommation ou à la fabrication de produits dérivés. Son activité est autorisée au titre de la réglementation ICPE et est classée SEVESO seuil haut, régie par les arrêtés préfectoraux des 5 janvier 2006 et 26 octobre 2009 du préfet des Bouches-du-Rhône. Son exploitation a débuté en 1969-1970, sur un terrain de 40 hectares dans la zone industrialo-portuaire de [Localité 4], au sein du pôle dédié aux dépôts pétroliers, à la pétrochimie, raffineries et pipelines.

La société Esso raffinage Raffinerie exploite son activité sur la commune de [Localité 4] depuis 1965, cette exploitation a été autorisée et est encadrée par un arrêté préfectoral délivré sur le fondement de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) du 10 juillet 1963, et relève du champ des installations SEVESO seuil haut.

Par contrat de location du 1er juillet 2000 [R] [W] s'est installé au [Adresse 2].

Par exploits des 28 décembre 2021 et 4 janvier 2022 [R] [W] a fait assigner les sociétés Arcelormittal Méditerranée, Dépôts Pétroliers de [Localité 4] et Esso Raffinage devant le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence pour troubles anormaux du voisinage en raison des émissions atmosphériques en provenance de leurs usines de Fos-sur-Mer, afin qu'il leur soit fait injonction de se mettre en conformité avec les prescriptions administratives qui leur sont applicables sous astreinte et afin d'indemnisation de préjudices d'anxiété, de jouissance et corporel.

La société Esso raffinage a soulevé des incidents d'irrecevabilité des demandes pour défaut d'intérêt à agir, prescription, et incompétence de la juridiction judiciaire pour prononcer une mise en conformité des sociétés avec la réglementation.

Les sociétés Arcelormittal Méditerranée et Dépôts pétroliers de [Localité 4] ont soulevé les mêmes moyens d'irrecevabilité et d'incompétence.

Par ordonnance du 24 juillet 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence a :

- écarté les exceptions de procédure tirées de l'incompétence matérielle et de la nullité partielle de l'assignation,

- écarté les fins de non-recevoir tirées de la prescription et du défaut d'intérêt à agir,

- renvoyé l'affaire et les parties à l'audience de mise en état du lundi 2 octobre 2023,

- condamné in solidurn les sociétés Arcelormittal Méditerranée, Dépôts pétroliers de [Localité 4] et Esso raffinage à verser à [R] [W] la somme de 3 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens de l'instance incidente.

Le juge de la mise en état a considéré :

- que la nullité partielle de l'assignation faute d'exposé des moyens en fait pour la demande de réparation du préjudice corporel, est sans objet car [R] [W] a renoncé à cette demande,

- que M [W] ne demande pas au juge judiciaire de prononcer des mesures contraires à celles édictées par l'administration, mais seulement à faire assurer le complet respect des mesures édictées par l'administration,

- que seule les données scientifiques et médicales peuvent attester de la réalité des conséquences de l'activité industrielle des sociétés assignées sur la santé et que la première étude scientifique de grande ampleur est celle de [Localité 4] Epseal publiée le 6 janvier 2017, médiatisée dans le courant du mois de mars 2017,

- qu'au regard des violations de la réglementation par chacune des trois sociétés assignées, celle-ci ne peuvent faire valoir la théorie de la préoccupation.

Par déclaration du 3 août 2023, la société Arcelormittal Méditerranée a interjeté appel de cette ordonnance (23/10422).

Par déclarations des 4 août 2023 (23/10512) et 5 août 2023 (23/10587) les sociétés Esso raffinage et Dépôts pétroliers de [Localité 4] ont interjeté appel de la même ordonnance.

Le président de la cour a, en application de l'article 905 du code de procédure civile, fixé une date d'appel de l'affaire à bref délai.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées sur le RPVA le 1er mars 2024, la société Arcelormittal Méditerranée demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance prononcée le 24 juillet 2023 sous le n° RG 21/05042 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence,

Et, statuant à nouveau,

- juger la juridiction civile incompétente pour connaître de la demande de [R] [W] d'injonction de mise en conformité avec la réglementation à son encontre, au profit de la juridiction administrative,

- juger prescrite l'action de [R] [W],

- juger [R] [W] irrecevable en sa demande d'injonction de mise en conformité avec la réglementation à son encontre, faute d'intérêt à agir,

- juger [R] [W] irrecevable en l'ensemble de ses demandes, faute d'intérêt à agir à son encontre sur le fondement de la préoccupation,

En tout état de cause,

- débouter [R] [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner [R] [W] à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner [R] [W] aux entiers dépens de l'incident.

 

La société Arcelormittal Méditerranée fait essentiellement valoir :

Sur l'incompétence matérielle du tribunal judiciaire,

- qu'il est de jurisprudence constante que les juridictions judiciaires ont compétence pour se prononcer sur les mesures propres à faire cesser le préjudice que le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement pourrait causer, à condition toutefois que ces mesures ne contrarient pas les prescriptions édictées par l'administration en vertu des pouvoirs de police spéciale qu'elle détient, conformément au principe de séparation entre les autorités administratives et judiciaires (Cass, Civ., 2ème, 25 janvier 2017, n° 15-25.526 ; Cass, Civ., 1ère, 8 novembre 2017, n° 16-22.213),

- le juge judiciaire ne doit pas substituer pas sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée sur les dangers ou inconvénients que peuvent présenter l'installation classée, notamment en matière de santé et de salubrité publiques,

- que l'ensemble des non-conformités identifiées dans l'ordonnance du juge de la mise en état ont été régularisées :

- les mesures et injonctions prononcées par le préfet des Bouches-du-Rhône attestent que la police des installations classées est dûment exercée et qu'elle est soumise à un étroit contrôle de l'inspection des installations classées,

- la décision déférée préjuge de ce qu'elle ne se serait pas conformée aux prescriptions des arrêtés de mise en demeure qui lui ont été notifiés,

- les mises en demeure ont été levées, de sorte qu'aucune violation des prescriptions réglementaires ne saurait être constituée, et la demande d'injonction ne saurait prospérer sans générer une immixtion du juge judiciaire dans les pouvoirs de police des installations classées détenus par le préfet,

- certaines fiches d'écarts établies par l'inspection des installations classées et invoquées par [R] [W] ont été levées à la suite des observations formulées par l'exploitante,

- le délai de mise en conformité courait toujours pour d'autres non-conformités imputées,

- elle a pris selon les cas, les mesures correctrices des écarts constatés par l'inspection des installations classées ou les mesures pour satisfaire les prescriptions des arrêtés préfectoraux :

- l'injonction de mise en conformité sollicitée par l'intimée, empiète sur les prérogatives de l'administration,

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription,

- que le premier critère déclencheur du délai de prescription repose sur la connaissance effective des faits par l'intéressé ou encore celui de la connaissance supposée,

- en matière de trouble anormal du voisinage, la jurisprudence considère que le point de départ de la prescription correspond au jour de la première manifestation du trouble ou de son aggravation, et plus précisément la date à laquelle les nuisances invoquées sont apparues dans leur anormalité,

- l'intéressé ne peut prétendre qu'il ignorait l'étendue de son préjudice, car la prescription débute avec le fait dommageable et non avec ses conséquences,

-  l'intéressé ne peut prétendre qu'il ignorait l'existence d'une faute de la part de l'auteur présumé du trouble, pour tenter de repousser le point de départ du délai de prescription,

- la jurisprudence souligne régulièrement que le point de départ de l'action en responsabilité pour troubles anormaux du voisinage se situe au jour de la première manifestation du trouble ou de son aggravation, y compris lorsque ces troubles sont constants dans le temps,

- le principe de droit pénal, selon lequel le point de départ de la prescription doit être reporté au jour où l'infraction a cessé, ne saurait être appliqué dans le cadre d'une action en troubles anormaux du voisinage,

- lorsque les troubles successifs émanent de la même activité et qu'il n'est pas démontré leur aggravation, celle-ci ne pouvant résulter d'un manquement à la réglementation, ils ne sauraient être analysés comme étant des faits distincts susceptibles de reporter, à chacune de leur manifestation, le point de départ du délai de prescription,

- que [R] [W] se plaint de panaches de fumées, de mauvaises odeurs et de retombées de poussières, qui lui causeraient un préjudice de jouissance et seraient à l'origine de l'anxiété de l'intimée quant à leur impact sur sa santé ;

- l'implantation de [R] [W] dans la zone de [Localité 4]-Etang de Berre est bien postérieure au début de son activité, survenue trente-huit années auparavant,

- les causes de l'anxiété éprouvée par l'intimé sont apparues plus de cinq ans avant la saisine du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence,

- les conditions d'exploitation sont restées les mêmes, les seuls changements intervenus n'ayant eu pour objet que de moderniser et d'améliorer la performance environnementale des outils de production,

- du fait des investissements majeurs réalisés, les émissions atmosphériques en provenance de son usine n'ont cessé de diminuer,

- les arrêtés préfectoraux successifs n'ont cessé de réduire les valeurs limites d'émissions applicables aux différentes installations composant son usine,

- les premières manifestations des troubles du voisinage, à les supposer constituées, doivent être fixées au 1er juillet 2020, date de l'acquisition par [R] [W] ,

- l'aggravation du trouble imputé à une activité industrielle, ne se déduit pas, par exemple, de la seule circonstance qu'un panache de fumée soit plus épais et plus visible qu'un autre, mais d'un examen des conditions d'exploitation de l'activité en cause, à savoir, le développement de cette activité ou encore la modification des installations existantes,

- la connaissance de l'origine industrielle des troubles subis ainsi que celle des risques sanitaires consécutifs à leur exposition, à les supposer même établies, sont inopérantes dans le cadre du calcul du point de départ du délai de prescription d'une action fondée sur les troubles anormaux du voisinage, mais c'est la connaissance du trouble qui doit être prise en considération,

- la connaissance des résultats de l'étude [Localité 4]-Epséal ne saurait avoir une incidence sur la dégradation alléguée des conditions de vie matérielles ou les prétendus désordres sur le lieu d'habitation de l'intimée,

- qu'en toute hypothèse et subsidiairement, le délai de prescription ne saurait être repoussé au mois de mars 2017, date de médiatisation de l'étude Dos-Epséal,

- une plaquette synthétisant les principaux résultats, a été mise en ligne le 24 novembre 2016, dans un article librement accessible, expressément destiné aux habitants de [Localité 4] et de [Localité 6],

- l'ordonnance dont appel a fait courir le délai de prescription à partir d'une date plus tardive que celle dont se prévalait l'intimé dans son assignation, qui a retenu la date de la publication de cette étude (janvier 2017) et non celle de sa médiatisation (mars 2017), et a donc statué ultra petita,

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir :

 - que [R] [W] n'a pas d'intérêt à agir en sa demande d'injonction de mise en conformité avec la réglementation,

- cette demande excède largement le trouble anormal du voisinage invoqué,

- l'ordonnance appelée n'a pas expressément statué sur ce point,

- que l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation consacre une exception à l'engagement de la responsabilité pour trouble anormal du voisinage, d'où il résulte que le principe de la préoccupation constitue une règle de recevabilité de l'action en trouble anormal de voisinage,

- il y a antériorité de son activité et absence de modification des conditions d'exploitation,

- les prescriptions de l'arrêté préfectoral du 23 mai 2017 imposées au site d'Arcelormittal ont été respectées dans leur ensemble.

Par ses dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 28 février 2024 la société Dépôts pétroliers de [Localité 4] demande à la cour de :

- ordonner la jonction de la présente procédure avec la procédure d'appel mise en 'uvre par la société Dépôts pétroliers de [Localité 4] devant la cour d'appel de céans (RG n° 23/10589) à l'encontre de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Aix en Provence du 24 juillet 2023,

- la recevoir en son appel incident,

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de [R] [W],

Statuant à nouveau :

- déclarer [R] [W] irrecevable car prescrite en sa demande d'indemnisation au titre de son préjudice de jouissance,

- déclarer [R] [W] irrecevable car prescrite en sa demande d'indemnisation au titre de son préjudice d'anxiété,

- débouter [R] [W] de sa demande visant à voir juger que le délai de prescription n'aurait pas commencé à courir,

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de [R] [W] fondée sur l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation,

Statuant à nouveau :

- déclarer [R] [W] irrecevable en l'ensemble de ses demandes pour défaut d'intérêt à agir sur le fondement de l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation,

En tout état de cause : 

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a condamnée in solidum avec les sociétés Arcelormittal Méditerranée et Esso raffinage, aux dépens de la procédure d'incident devant le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Aix en Provence, et à verser à [R] [W] une somme de 3 200 euros au titre de ses frais irrépétibles,

Statuant à nouveau :

- débouter [R] [W] de ses demandes,

- condamner [R] [W] à lui payer une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner [R] [W] aux entiers dépens.

La société Dépôts pétroliers de [Localité 4] soutient en substance :

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :

Principalement,

- qu'en matière industrielle, le point de départ du délai de prescription d'une action fondée sur le trouble anormal de voisinage est la date de début de l'activité industrielle,

- que l'implantation de [R] [W] dans la zone, en 2020, est bien postérieure au début de son activité survenue quarante-deux années auparavant,

- que son activité a évolué, cette évolution s'est accompagnée d'améliorations techniques significatives ainsi que d'une baisse des émissions polluantes, ainsi qu'il ressort d'ailleurs de l'état des lieux environnemental établi par la société AECOM du 22 septembre 2020,

Subsidiairement,

- le juge de la mise en état a en tout état de cause ajouté une condition aux critères constants posés par la jurisprudence en reportant le point de départ du délai de prescription à la connaissance, par [R] [W] , des conséquences du trouble de voisinage qu'il invoque,

- le point de départ du délai de la prescription, doit être fixé au plus tard à la date d'installation de [R] [W] , tant pour le préjudice de jouissance que d'anxiété,

- que [R] [W] reconnaît que les manifestations visuelles, sonores et olfactives sont très anciennes, si bien que l'étude [Localité 4] Epseal publiée en janvier 2017, mais dont les principaux résultats ont été présentés et rendus publics le 24 novembre 2016, est sans incidence,

- la jurisprudence a également fixé le point de départ du délai de prescription à la première apparition des désordres ayant causé une éventuelle anxiété

- que la cour ne saurait accueillir l'argument de [R] [W] selon lequel le délai de prescription n'aurait pas commencé à courir, au motif que l'exposition prétendument fautive qu'elle subit perdurerait, les manquements à la réglementation des sociétés mises en cause n'ayant, selon elle, jamais cessé,

Sur la fin de non-recevoir tirée de la théorie de la préoccupation :

- que pour exclure l'application de l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation, alors même qu'il aurait acquis sa résidence à une date à laquelle les nuisances incriminées existaient déjà, un demandeur doit démontrer les deux éléments suivants :

- une modification de l'activité industrielle,

- que l'activité est exploitée en infraction avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur,

- que la jurisprudence considère que la modification de l'activité industrielle en tant que telle doit avoir entraînée une aggravation du risque industriel,

- [R] [W] ne démontre ni une modification de son activité industrielle, ni que cette modification si elle était avérée, aurait pour conséquence d'aggraver le risque industriel supposément créé,

- les données scientifiques collectées montrent une baisse globale des émissions atmosphériques sur la commune de [Localité 4] de 2007 à 2017, hormis pour les Nox dont les émissions sont restées stables dans le temps,

Par ses dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 1er mars 2024 , la société Esso raffinerie demande à la cour de :

- d'infirmer l'ordonnance du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence en date du 24 juillet 2023 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

- juger que [R] [W] est dépourvue d'intérêt à agir à son encontre,

- juger prescrite l'action de [R] [W],

 

En conséquence,

- prononcer l'irrecevabilité des demandes de [R] [W],

En tout état de cause :

- déclarer le juge judiciaire incompétent au profit des juridictions administratives pour prononcer la mesure d'injonction demandée par [R] [W],

- condamner [R] [W] à lui verser la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner [R] [W] aux entiers dépens.

La société Esso raffinerie soutient :

Sur l'incompétence matérielle du tribunal judiciaire :

- que pour exclure l'application de l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation, alors même qu'il aurait acquis sa résidence à une date à laquelle les nuisances incriminées existaient déjà, un demandeur doit démontrer les deux éléments suivants :

- une modification de l'activité industrielle,

- que l'activité est exploitée en infraction avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur,

- que la jurisprudence considère que la modification de l'activité industrielle en tant que telle doit avoir entraînée une aggravation du risque industriel,

- [R] [W] ne démontre ni une modification de son activité industrielle, ni que cette modification si elle était avérée, aurait pour conséquence d'aggraver le risque industriel supposément créé,

- les données scientifiques collectées montrent une baisse globale des émissions atmosphériques sur la commune de [Localité 4] de 2007 à 2017, hormis pour les Nox dont les émissions sont restées stables dans le temps,

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir :

- que l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation prévoit que les riverains d'installations industrielles ne peuvent pas demander réparation à l'exploitant lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :

- l'installation de M.[W] est postérieure à l'existence des activités occasionnant ces nuisances,

- l'auteur des nuisances a respecté la réglementation applicable, et a poursuivi son activité dans les mêmes conditions,

- les écarts constatés lors des visites d'inspection ont bien été levés et, de fait, les services de l'Etat n'ont donné aucune suite,

- qu'aucun des constats de l'inspection des installations classées produits, ne vient caractériser un dépassement de valeurs limites d'émission, ni même un risque de dépassement de ces valeurs,

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :

 - que [R] [W] a acquis sa résidence à [Localité 4] en 2020 et que sa prétendue exposition à des émissions anormales d'odeurs et de particules serait donc bien antérieure au mois de janvier 2018,

- que des études publiques évaluant la qualité de l'air et les impacts des activités industrielles en zone PACA ont été menées bien antérieurement à l'étude [Localité 4]-Epseal de 2017,

- la surmédiatisation d'une étude dont les résultats ont été invalidés par les experts de santé publique France qui estiment que « l'étude ne permet pas d'apporter la preuve de l'existence d'un excès local de pathologies en lien avec une exposition à un excès de pollution » ne saurait constituer le point de départ de la connaissance de la manifestation ou de la connaissance des prétendus troubles anormaux de voisinage invoqués,

- au demeurant, l'ordonnance attaquée reconnaît que les résultats de l'étude [Localité 4]-Epseal ont été portés à la connaissance du public, et des riverains en particulier, dès le mois de novembre 2016,

- que la prescription de l'action de la demanderesse a couru à compter du jour où M.[W] a eu connaissance des faits qu'il considère comme à l'origine des troubles

- [R] [W] n'invoque pas une aggravation de sa situation, mais le fait qu'il n'aurait eu connaissance de l'ensemble des éléments lui permettant d'agir qu'à compter de janvier 2017.

Par ses dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 16 février 2024, [R] [W] demande à la cour de :

 

- le recevoir en son appel incident,

A titre principal :

- réformer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence du 24 juillet 2023 en ce qu'elle a fixé le point de départ de la prescription à la publication de l'étude [Localité 4] ESPEAL en début d'année 2017,

Statuant à nouveau,

- dire que le délai de prescription n'a pas commencé à courir,

- écarter en conséquence la fin de non-recevoir tirée de la prescription de son action,

- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Aix du 24 juillet 2023 en ce qu'elle a :- Ecarté l'exception de procédure tirée de la nullité partielle de son assignation,- Ecarté l'exception de procédure tirée de l'incompétence de la juridiction,- Ecarté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir au titre de l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation,- Condamné in solidum les sociétés Arcelormittal, Dépôts pétroliers de [Localité 4] et Esso raffinage à lui verser la somme de 3 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens de la présente instance incidente,

A titre subsidiaire :

- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Aix du 24 juillet 2023 en toutes ses dispositions,

En tout état de cause :

- condamner les sociétés Arcelormittal, Dépôts pétroliers de [Localité 4] et Esso raffinage à lui verser chacune la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,

- condamner les défenderesses aux entiers dépens.

[R] [W] réplique :

Sur l'exception de procédure tirée de l'incompétence du tribunal judiciaire au titre de la demande de mise en conformité :

- si le juge judiciaire ne peut pas prendre des mesures qui relèvent de la compétence de l'autorité administrative, ce dernier est bien compétent pour prendre les mesures nécessaires à ce que le préjudice qu'il constate cesse, comme cela est le cas en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement ;

- qu'il est admis que les tribunaux judiciaires ont compétence pour se prononcer tant sur les dommages-intérêts à allouer aux tiers lésés par le voisinage d'une installation classée pour la protection de l'environnement que sur les mesures propres à faire cesser le préjudice que cette installation pourrait causer dans l'avenir à condition que ces mesures ne contrarient pas les prescriptions édictées par l'administration en vertu des pouvoirs de police spéciale qu'elle détient ;

- que la demande de mise en conformité avec la réglementation formulée ne vient aucunement contrarier un quelconque arrêté de mise en demeure ayant fixé un calendrier pour un retour aux normes ;

- que les services de l'Etat ont constaté a de très nombreuses reprises le non-respect, par les sociétés ARCELORMITTAL, D.P.F. et ESSO RAFFINAGE, des prescriptions réglementaires édictées pour le fonctionnement de son installation ;

- que la demande de mise en conformité ne contredit pas les mesures prises par l'administration judiciaire mais vient soutenir l'action de l'administration ;

- qu'il est demandé à la Cour de ne se prononcer que sur la compétence du juge judiciaire pour enjoindre aux sociétés défenderesses de respecter la réglementation, et non de s'interroger sur le respect effectif de la réglementation par les sociétés défenderesses ou sur la caractérisation du trouble qui en résulte.

- que c'est au juge du fond qu'il appartiendra ensuite de déterminer s'il y a lieu de prononcer une injonction sous astreinte à l'encontre des sociétés au regard des manquements constatés, et de leur éventuelle régularisation ;

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir au titre de la demande d'injonction de mise en conformité

- qu'en application de l'article L 511-1 du code de l'environnement les sociétés adverses font peser un risque inacceptable aux riverains de ces installations, ce qui participe de l'anormalité du trouble qu'ils subissent,

- que ces manquements sont en lien avec le présent litige ;

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

- que le point de départ de la prescription n'a pas commencé à courir car toute nouvelle exposition fautive réactive ses préjudices préexistants et empêche le délai de prescription de commencer à courir ;

- que les entreprises voisines des riverains ont manqué et manquent toujours à leurs obligations en matière de respect des seuils d'émission et de prévention des risques, et sont les émetteurs principaux de la pollution de l'atmosphère du département ;

- qu'à titre subsidiaire le point de départ doit être fixé à la publication de l'étude [Localité 4] Espeal en janvier 2017 comme point de départ de la connaissance des dommages réels générés par le trouble ;

- que les troubles engrainant un préjudice d'angoisse, un préjudice de jouissance et un préjudice corporel sont le résultat d'une chaîne de révélations successives qui s'est concrétisée par l'étude [Localité 4] EPSEAL en 2017 et par les différentes actions sur le terrain ;

- que si Monsieur [W] était exposé aux fumées, odeurs et dépôts qui sont révélateurs de la pollution, il n'a eu connaissance du risque de développer des pathologies graves du fait de son exposition quotidienne à ces polluants qu'à compter de la publication de l'étude [Localité 4] EPSEAL en janvier 2017 ;

- que le critère de l'aggravation soutenu par les intimées est inopérant puisqu'il demande que la prescription soit fixée au jour où il a eu connaissance des éléments lui permettant d'agir, et ce indifféremment d'une quelconque aggravation des nuisances ;

- que c'est à tort que les intimées soutiennent que la présentation de principaux résultats de leur étude à l'occasion des Rencontres scientifiques de l'ANSES le 14 novembre 2016, à [Localité 5], alors que les réunions de communication de l'ensemble des résultats de l'étude EPSEAL aux habitants du Golfe de [Localité 4] se sont tenues les 6 et 16 janvier 2017 à [Localité 6] puis [Localité 4] (PG 57) et que le rapport final est lui-même daté de janvier 2017 ;

- que les autres études n'ont pas été diffusées dans la même ampleur ;

Sur la fin de non-recevoir au titre de l'article L 113-8 du code de la construction et de l'habitation

- que l'article L.113-8 du code de la Construction et de l'habitation (anciennement L.112-16 du code de la Construction et de l'habitation) met en place un droit de préoccupation : « Les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions. »

- que l'immunité de la préoccupation ne s'applique plus dès lors qu'une de ces conditions n'est pas remplie ;

- que les pièces versées aux débats démontrent que les trois sociétés appelantes ne respectent pas la réglementation puisque des écarts ont été relevés ;

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 5 mars 2024.

L'arrêt sera contradictoire puisque toutes les parties ont constitué avocat.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la jonction

Les articles 367 et 368 du code de procédure civile prévoient que le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble. Il peut également ordonner la disjonction d'une instance en plusieurs. Les décisions de jonction ou disjonction d'instance sont des mesures d'administration judiciaire.

En l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que trois appels ont été formalisés contre la même ordonnance. Aucun obstacle n'est soulevé par les parties en cause. Il convient de faire droit à la demande de jonction.

Sur l'exception d'incompétence du juge judiciaire

Le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires posé par la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III s'oppose à ce que le juge judiciaire substitue sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée en application de ses pouvoirs de police spéciale. Il s'ensuit que les tribunaux judiciaires saisis d'une action en trouble anormal du voisinage, visant une installation classée pour la protection de l'environnement, ne sont compétents que pour se prononcer sur les dommages et intérêts à allouer aux tiers lésés par le voisinage de cette installation, ainsi que sur les mesures propres à faire cesser le préjudice que cette installation pourrait causer à l'avenir, à condition que ces mesures ne contrarient pas les prescriptions édictées par l'administration en vertu des pouvoirs de police spéciale qu'elle détient (cassation civ. 3ème 21 décembre 2023 n° 23-14.343).

Il a ainsi été jugé en matière de police de l'eau, au visa des articles L. 214-1 et L. 216-1 du code de l'environnement, que le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires s'oppose à ce que le juge civil ordonne des mesures qui contrarient les prescriptions que l'autorité administrative a édictées, dans l'exercice de ses pouvoirs de police de l'eau et des milieux aquatiques, à la suite de l'inobservation des dispositions applicables aux installations, ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, la destruction de frayères, de zones de croissance ou d'alimentation de la faune piscicole ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, même non polluants.

Dans ce cas d'espèce, le juge des référés avait ordonné à l'exploitant d'une station d'épuration de cesser le rejet d'effluents outrepassant les prescriptions fixées par le récépissé de déclaration du 27 juin 2008, à compter du 1er octobre 2018 et sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de cette date, après avoir constaté que les prélèvements et analyses réalisés établissaient que les eaux traitées rejetées par la station de traitement et d'épuration n'étaient pas conformes aux prescriptions réglementaires, l'arrêt énonçant que cette pollution constituait un trouble manifestement illicite qu'il appartenait au juge des référés de faire cesser, sans avoir à examiner la question de la compétence en matière de police administrative.

L'exploitant soutenait que l'injonction qui lui était faite contrariait les prescriptions édictées par l'autorité administrative titulaire de prérogatives de police spéciale, en raison de son incompatibilité avec les mesures et le calendrier fixés par le préfet du Rhône en vue de mettre un terme à la pollution constatée.

La Cour de cassation a censuré la cour d'appel au motif qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si l'injonction qu'elle prononçait ne contrariait pas les prescriptions de l'arrêté pris le 24 août 2018 par le préfet du Rhône, la cour d'appel n'avait pas donné de base légale à sa décision (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 9 septembre 2020, 19-17.271, Publié au bulletin).

En matière d'installations d'éoliennes, il a été jugé « qu'il résulte de l'article L. 553-1 du code de l'environnement que les installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent ayant fait l'objet de l'étude d'impact et de l'enquête publique prévues à l'article L. 553-2, dans sa rédaction en vigueur jusqu'à la publication de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, et bénéficiant d'un permis de construire, sont soumises au régime des installations classées pour la protection de l'environnement institué par les articles L. 511-1 et suivants du même code ; que, dès lors, les tribunaux judiciaires ont compétence pour se prononcer tant sur les dommages-intérêts à allouer aux tiers lésés par le voisinage d'une telle installation classée que sur les mesures propres à faire cesser le préjudice que cette installation pourrait causer dans l'avenir, à condition que ces mesures ne contrarient pas les prescriptions édictées par l'administration en vertu des pouvoirs de police spéciale qu'elle détient ; que le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires s'oppose, en effet, à ce que le juge judiciaire substitue sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée sur les dangers ou inconvénients que peuvent présenter ces installations, soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique».

Ce rappel étant fait, la Cour de cassation a approuvé la cour d'appel en ce qu'elle a retenu que la demande tendant à obtenir l'enlèvement des éoliennes litigieuses, au motif que leur implantation et leur fonctionnement seraient à l'origine d'un préjudice visuel et esthétique et de nuisances sonores, impliquait une immixtion du juge judiciaire dans l'exercice de cette police administrative spéciale et qu'elle a, en conséquence, relevé d'office, en application de l'article 92 du code de procédure civile, l'incompétence de la juridiction judiciaire pour en connaître (Chambre civile 1, 25 janvier 2017, 15-25526).

Dans ce cas d'espèce, c'est la suppression d'éoliennes autorisées qui était demandée d'où une évidente question de compétence, seule la juridiction administrative pouvant annuler la décision administrative d'autorisation et y substituer, au besoin, sa décision en vertu de son pouvoir de plein contentieux.

Au cas présent, M. [W] demande au tribunal d'enjoindre aux sociétés défenderesses de se mettre en conformité avec la réglementation et ce, sous astreinte. Elle ne demande pas au juge judiciaire d'imposer aux sociétés défenderesses des mesures qui iraient soit à l'encontre, soit au-delà des prescriptions techniques, normes et limites d'émission qu'elles doivent respecter en application des arrêtés pris par l'autorité administrative, seule investie, sous le contrôle éventuel du juge administratif, du pouvoir de réglementer le fonctionnement de leurs installations et d'assurer le respect des normes sanitaires et environnementales qui leur sont applicables.

Si tel était le cas, le juge judiciaire serait effectivement manifestement incompétent pour connaître d'injonctions allant à l'encontre de la réglementation technique imposée à l'exploitant de l'installation classée par l'autorité administrative. Il serait également incompétent pour connaître d'injonctions qui aboutiraient à la suspension d'un fonctionnement autorisé par l'autorité administrative.

Sous cette réserve, la compatibilité de l'injonction demandée avec l'appréciation portée par l'autorité administrative sur les dangers ou inconvénients que peuvent présenter les installations classées des défenderesses, notamment en matière de santé et de salubrité publiques, relève du pouvoir juridictionnel du juge du fond en l'occurrence du tribunal judiciaire qui jugera, le moment venu, dans la limite de son pouvoir juridictionnel, si une telle injonction peut prospérer sans se heurter à l'appréciation portée par l'autorité préfectorale sur la conformité des installations en cause.

Il convient en conséquence de rejeter l'exception d'incompétence soulevée et de confirmer la décision déférée de ce chef.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d' intérêt à agir au titre de la demande d'injonction de mise en conformité avec la réglementation

Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé .

Pour la société ARCELORMITTTAL, M.[W] serait dépourvu de tout intérêt à agir sa demande excédant largement le trouble du voisinage invoqué dont l'origine alléguée serait les rejets atmosphériques imputés aux sociétés industrielles défenderesses.

Cependant, l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, de sorte que M.[W] qui invoque un trouble anormal du voisinage qu'il impute au non-respect de la réglementation applicable aux installations classées pour la protection de l'environnement exploitées par les sociétés défenderesses, est recevable en sa demande d'injonction visant à obtenir le respect de cette réglementation, mesure selon lui propice à faire cesser le trouble qu'il invoque.

Cette fin de non-recevoir est en conséquence rejetée.

Sur l'intérêt à agir sur le fondement du trouble anormal de voisinage en raison de la théorie de la préoccupation

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée, constitue une fin de non-recevoir, étant admis que cette liste n'est pas limitative.

L'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation, anciennement L 112-16 du même code, énonce que les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions.

Il s'ensuit que l'action au titre du trouble anormal du voisinage sur ce fondement est conditionnée à la démonstration soit d'un exercice non conforme de l'activité aux dispositions législatives ou réglementaires, soit d'une modification des conditions d'exercice de l'activité, et donc d'une appréciation alternative et non cumulative.

S'agissant d'une question de fait qui relève de l'appréciation des juges du fond, mais aussi du juge de la mise en état en application de l'article 789 6° du code de procédure civile, lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, et par conséquent de la présente cour statuant sur appel de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence.

Il est constant que [R] [W] a intégré son domicile en 2020  soit postérieurement aux activités litigieuses. Il produit de nombreuses pièces permettant de caractériser les écarts entre les prescriptions des rejets atmosphériques et ceux effectivement constatés.

Ainsi, concernant la société Esso raffinage :

- un rapport d'inspection du 17 janvier 2017 suite à la visite du 25 novembre 2016, concernant les rejets atmosphériques, faisant état de la constatation d'un écart relevé lors de l'inspection, qui a été levé et des remarques auxquelles il a été apporté des réponses satisfaisantes,

- un rapport d'inspection du 23 janvier 2018 suite à la visite du 5 octobre 2017, sur les émissions de composés organiques volatils (COV) : trois écarts ont été relevés puis levés,

- un rapport d'inspection du 22 mars 2019 suite à la visite du 12 juin 2018, sur les émissions atmosphériques : cinq écarts relevés, dont trois ont été levés,

- un rapport d'inspection du 17 avril 2020 suite à la visite du 21 novembre 2011, sur la thématique des rejets atmosphériques et notamment des COV : sept écarts ont été relevés, dont six ont été soldés,

- un rapport d'inspection du 14 janvier 2021 suite à la visite du 21 janvier 2020, sur la thématique de l'air, reprenant des écarts constatés lors de la visite du 12 juin 2018, non soldés,

- un arrêté préfectoral de mise en demeure du 21 juin 2021 au visa du rapport d'inspection du 7 mai 2021, fixant un délai pour la remise de la notice de réexamen de l'étude de dangers du site de [Localité 4] et sa révision si nécessaire, au constat du non-respect de l'arrêté préfectoral du 17 mai 2016 concernant la maîtrise du risque.

Concernant la société Dépôts pétrolier de [Localité 4],

- un rapport d'inspection du 21 mars 2018 suite à la visite du 22 juin 2017, sur les émissions de composés organiques volatils (COV) au terme duquel la remarque n° 1 est soldée, la remarque n° 2 est requalifiée en écart n° 4, sur les quatre écarts relevés, l'écart n° 1 est soldé,

- un arrêté préfectoral de mise en demeure du 1er juin 2018 au visa du rapport d'inspection du 21 mars 2018 fixant un délai pour diminuer les émissions diffuses de COV,

- un rapport d'inspection du 12 avril 2019 suite à la visite du 14 novembre 2018, sur les émissions dans l'air et dans l'eau, avec des remarques non levées concernant les retenues des vapeurs, mentionnant que l'écart n° 2, relevé lors de la visite du 26 juin 2017, n'est pas soldé dans l'attente de solution ou de justification de l'absence de mesures possibles pour réduire les émissions de liées aux égouttures des bras de chargement,

Par ailleurs sont versés aux débats par la société Dépôts pétrolier de [Localité 4],

- un rapport d'inspection du 23 décembre 2019 suite à la visite du 4 septembre 2019, sur les émissions dans l'air, le système de gestion de la sécurité et les mesures de maîtrise des risques, relevant que l'écart n° 2 concerne les vapeurs relevées en sortie de l'unité de récupération des vapeurs du poste de chargement wagon dépassant la valeur de 35 g/Nm3 et estimant satisfaisant, l'engagement de la société à mener un projet de mise en conformité, en annonçant au regard de l'enjeu santé, un encadrement par un arrêté préfectoral de mise en demeure,

- l'arrêté préfectoral de mise en demeure du 10 février 2020 au visa du rapport de l'inspecteur de l'environnement du 23 décembre 2019, fixant un délai au 1er septembre 2020 pour diminuer les émissions de COV de son unité de récupération des vapeurs,

- un mail du 1er février 2022, de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, disant que le rapport d'inspection en cours de signature proposera la levée de la mise en demeure du 10 février 2020,

- le rapport d'inspection du 22 juillet 2022 suite à la visite du 14 décembre 2021, qui le confirme s'agissant précisément du thème « risques chroniques, émissions de COV ».

Concernant la société Arcelormittal Méditerranée :

- un arrêté préfectoral de mise en demeure du 21 mai 2012, fixant un délai pour respecter les prescriptions en matière d'émissions de benzènes,

- un arrêté préfectoral de mise en demeure du 5 mars 2013, fixant un délai pour respecter un procédé de désulfuration du gaz de cokerie garantissant un niveau inférieur à 0,7 g/Nm3 de soufre dans le gaz résiduel, avant le 31 décembre 2014,

- un arrêté préfectoral de mise en demeure du 9 décembre 2014, remplaçant l'arrêté du 5 mars 2013, fixant un nouveau délai au 31 mai 2015,

- un arrêté préfectoral de mise en demeure du 12 décembre 2017 au visa du rapport d'inspection du 23 octobre 2017, fixant des délais pour respecter plusieurs prescriptions en matière de rejets concernant plusieurs paramètres : benzène, COV, Nox, poussières,

- un arrêté préfectoral du 27 décembre 2018 prononçant une amende administrative de 15 000 euros pour non-respect du terme de la mise en demeure du 12 décembre 2017, concernant les paramètres benzène et COV,

- un arrêté préfectoral du 27 décembre 2018 fixant une astreinte journalière de 1 500 euros par jour jusqu'à satisfaction de la mise en demeure du 12 décembre 2017, concernant les paramètres benzène et COV,

- un arrêté préfectoral du 14 octobre 2020 infligeant une amende administrative de 15 000 euros au visa du rapport d'inspection du 9 janvier 2020, pour non-respect du terme de la mise en demeure du 12 décembre 2017 pour le paramètre poussières,

- un arrêté préfectoral du 14 octobre 2020 fixant une astreinte journalière de 500 euros par jour jusqu'à satisfaction de la mise en demeure du 12 décembre 2017 pour le paramètre poussières,

- un arrêté préfectoral de mise en demeure du 20 octobre 2021 au visa du rapport d'inspection du 10 août 2021, fixant un délai pour respecter les valeurs limite en concentration et flux horaire pour le paramètre poussières des rejets issus des installations de cuisson.

Il ressort de l'ensemble de ces pièces que sont démontrés des manquements de chacune de ces trois sociétés aux prescriptions en matière de rejets atmosphériques. Ces manquements s'analysent en une exploitation non conforme aux dispositions réglementaires. La régularisation postérieure des écarts relevés n'est pas de nature à faire disparaître la non-conformité qui a été constatée.

Il convient donc de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir sur le fondement du trouble anormal de voisinage en raison de la théorie de la préoccupation et de confirmer l'ordonnance appelée sur ce point.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action pour trouble anormal du voisinage

L'article 2224 du code civil créé par la loi du 17 juin 2008 publiée le 18 juin 2008 et entrée en vigueur le 19 juin 2008, énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

L'article 2222 du code civil précise que la loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

En matière de trouble anormal de voisinage, la jurisprudence considère que le point de départ de la prescription correspond au jour de la première manifestation du trouble, c'est-à-dire la date à laquelle le dommage se manifeste au titulaire du droit, ou de son aggravation.

La date de la révélation du dommage est une question de fait qui relève de l'appréciation des juges du fond, mais aussi du juge de la mise en état en application de l'article 789 6° du code de procédure civile, lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, et par conséquent de la présente cour statuant sur appel de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence.

En l'espèce, outre que M.[W] n'avait pas la qualité de voisin au début des exploitations litigieuses, il ne peut être considéré que le dommage est révélé par le début d'activité des sociétés appelantes.

En effet, ces sociétés exploitent des installations classées pour la protection l'environnement et leur fonctionnement est strictement réglementé, parce qu'elles peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique, selon les termes mêmes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

L'objet de cette réglementation étant de prévenir notamment les dangers pour la santé publique, la révélation du trouble n'est pas sa manifestation apparente, par les fumées, odeurs et autres émissions, qui d'après les sociétés appelantes ont diminué depuis la mise en service par suite d'une réglementation plus stricte et des investissements réalisés, mais la prise de conscience des répercussions de ces émissions sur la santé.

En effet, M.[W] savait lors de son installation le 1er juillet 2000, que son habitation se situait dans le périmètre de plusieurs installations classées pour la protection de l'environnement. S'il a pu constater les fumées, odeurs et autres émissions en provenance de ces installations classées pour la protection de l'environnement, et était nécessairement conscient des nuisances apparentes auxquelles il était exposé, il n'avait en revanche pas nécessairement conscience des dangers pour sa santé, sachant que ces installations étaient strictement réglementées et surveillées de façon à atteindre des objectifs de prévention des atteintes à la santé publique.

Il est justifié, par les sociétés appelantes de nombreuses études réalisées dès 1973 sur la pollution de l'air et le risque sanitaire liés à l'activité industrielle des installations classées implantées à [Localité 4], notamment:

' la publication datée de 1973 intitulée «  pollution de l'air et climatologie locale dans le secteur de [Localité 4]-Berre »

' les évaluations des risques sanitaires sur le site de [Localité 4] demandées par la société Arcelormittal Méditerranée datées de septembre 2005 et mai 2008,

' l'étude BURGEAP du 6 mai 2008 intitulée « rapport final de l'évaluation des risques sanitaires dans la zone industrielle de [Localité 4] dans les Bouches-du-Rhône »,

' l'étude publiée par la cellule interrégionale d'épidémiologie Sud (CIRE Sud) et l'institut de veille sanitaire intitulé « pollution atmosphérique et hospitalisations pour pathologies cardio-vasculaires et respiratoires et pour cancers dans le secteur de l'Etang de Berre en 2004-2007 », en juin 2011,

' le bulletin de veille sanitaire de la CIRE Sud, daté d'avril 2013 intitulé « Spécial pollution atmosphérique », dans lequel on trouve une tentative d'évaluation du lien entre l'exposition à la pollution atmosphérique et l'état de santé de la population.

Toutefois, ces études techniques particulièrement denses et dont le niveau de diffusion auprès des populations locales n'est pas connu ne sont pas de nature à mettre en évidence un lien entre les niveaux de pollution industrielle provenant des installations classées exploitées par les sociétés appelantes et la prévalence de certaines pathologies parmi les populations exposées.

Ainsi, les résultats des études de 2005 et 2008 sur l'évaluation des risques sanitaires liés aux activités du site de [Localité 4], commandées par la société ARCELORMITTAL sont présentés sous formes de tableaux chiffrés des différents indices de risques identifiés, peu accessibles à un public profane. En outre, ces résultats restent théoriques faute d'être corrélés avec l'état sanitaire des populations exposées.

Il en est de même de l' étude BURGEAP de 2008,  intitulée «  rapport final qui comporte plus de 150 pages, même si en page 11 figure un résumé non technique qui indique que les risques cancérigènes et non cancérigènes pour les populations sont jugés non significatifs.

Le bulletin de veille sanitaire de la cellule d'intervention en région (CIRE Sud), produit par la société ESSO RAFFINAGE daté d'avril 2013 intitulé « Spécial pollution atmosphérique », ne peut non plus être considéré comme donnant une information suffisante sur le risque sanitaire. On y trouve une tentative d'évaluation du lien entre l'exposition à la pollution atmosphérique et l'état de santé de la population avec la mention que « l'étude de faisabilité n'a pas été concluante, en raison de la difficulté à mobiliser la population,...et que la taille réduite du panel d'étude n'a pas permis de définir un modèle statistique suffisamment fiable pour étudier l'association entre l'exposition à la pollution atmosphérique et les symptômes déclarés ».

Les quelques pages de la publication datée de 1973 intitulée «Pollution de l'air et climatologie locale dans le secteur de [Localité 4]-Berre», communiquées par la société Dépôts pétroliers de [Localité 4], document de 118 pages, ne permettent pas mieux de démontrer une prise de conscience antérieure à 2017 du risque sanitaire généré par les installations classées en cause.

Au contraire, la publication de l'étude [Localité 4] EPSEAL en janvier 2017 a mis en évidence le risque de développer des pathologies graves du fait de l'exposition quotidienne aux polluants émanant de l'activité des sociétés exploitantes. Si ces résultats ont effectivement fait l'objet d'une présentation à l'occasion des Rencontres scientifiques de l'ANSES le 14 novembre 2016, à [Localité 5], la date officielle de publication du rapport est intervenue le 6 janvier 2017, concomitamment à la tenue de réunions d'informations des populations avoisinantes.

Cette révélation publique et plus particulièrement localisée, relative à l'impact sanitaire en cas de non-respect de la réglementation apporte une information, qui doit dès lors être retenue comme le point de départ de la prise de conscience du risque sanitaire lié à la proximité de ces établissements et de l'allégation de préjudices d'anxiété, de jouissance et corporel, dont l'appréciation appartient au juge du fond.

En dépit de la remise en cause de la pertinence de cette étude, c'est bien le lien établi entre la pollution industrielle sur le site de [Localité 4] et certaines pathologies graves prévalentes au regard des statistiques nationales, porté à la connaissance des populations, qui a révélé les dangers auxquels les exposaient les activités des sociétés appelantes.

L'assignation délivrée les 28 décembre 2021 et 4 janvier 2022 par M.[W] n'est donc pas couverte par la prescription quinquennale, dont le délai a commencé à courir en janvier. L'ordonnance sera en conséquence infirmée en ce qu'elle a fixé au mois de mars 2017 le point de départ de ce délai.

Sur les demandes accessoires

En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état dans ses dispositions concernant les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés Arcelormittal Méditerranée, Dépôts Pétroliers de [Localité 4] et Esso Raffinage qui succombent seront condamnées aux frais irrépétibles qu'il est inéquitable de laisser à la charge de [R] [W] .

PAR CES MOTIFS

Ordonne la jonction des instances RG 23/10425, 23/10545, 23/10585, sous le numéro 23/10425 ;

Confirme l'ordonnance appelée en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir pour demander une injonction de se mettre en conformité avec la réglementation ;

Constate que les sociétés Arcelormittal Méditerranée, Dépôts pétroliers de [Localité 4] et Esso raffinage ont commis des manquements aux prescriptions de leurs arrêtés d'autorisation qui s'analysent en une exploitation non conforme à la réglementation ;

Dit que point de départ de la prescription est la date de la publication de l'étude [Localité 4] EPSEAL le 6 janvier 2017 ;

Condamne les sociétés Arcelormittal Méditerranée, Dépôts Pétroliers de [Localité 4] et Esso Raffinage aux dépens d'appel ;

Condamne les sociétés Arcelormittal Méditerranée, Dépôts pétroliers de [Localité 4] et Esso raffinage à payer chacune à [R] [W] la somme de 3 000 euros (trois mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 23/10425
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;23.10425 ?
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