La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/05/2024 | FRANCE | N°21/08228

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-7, 31 mai 2024, 21/08228


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-7



ARRÊT AU FOND

DU 31 MAI 2024



N° 2024/216



RG 21/08228

N° Portalis DBVB-V-B7F-BHSCO







S.A.S. INTEL CORPORATION SAS





C/



[I] [X]





















Copie exécutoire délivrée le 31 Mai 2024 à :



- Me Jonathan ABOUTEBOUL, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Sandra JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de GRASSE en date du 07 Mai 2021 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/00698.





APPELANTE



S.A.S. INTEL CORPORATION SAS, prise en la personne ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-7

ARRÊT AU FOND

DU 31 MAI 2024

N° 2024/216

RG 21/08228

N° Portalis DBVB-V-B7F-BHSCO

S.A.S. INTEL CORPORATION SAS

C/

[I] [X]

Copie exécutoire délivrée le 31 Mai 2024 à :

- Me Jonathan ABOUTEBOUL, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Sandra JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de GRASSE en date du 07 Mai 2021 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/00698.

APPELANTE

S.A.S. INTEL CORPORATION SAS, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2] / France

représentée par Me Jonathan ABOUTEBOUL, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Jean-Sébastien GRANGE, avocat au barreau de PARIS -avocat plaidant-

INTIME

Monsieur [I] [X], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE plaidant par Me Audrey GIOVANNONI, avocat au barreau de GRASSE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 08 Mars 2024 en audience publique.

Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Caroline CHICLET, Président de chambre a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Françoise BEL, Président de chambre

Madame Caroline CHICLET, Président de chambre

Madame Raphaelle BOVE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2024,

Signé par Madame Françoise BEL, Président de chambre et Mme Agnès BAYLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE :

M. [I] [X] a été engagé par la société Infineon courant 2004 et son contrat de travail a été transféré à la société Intel Mobile Communications France (IMC) à compter du 1er janvier 2013 avec reprise d'ancienneté.

Les sociétés Intel et IMC appartenaient au groupe Intel lequel a procédé, courant 2016, à une réorganisation de ses activités au niveau mondial fondée sur la sauvegarde de sa compétitivité.

Compte tenu des fermetures d'établissements ([Localité 5] et [Adresse 4]) et des suppressions d'emplois envisagées, il a été procédé à la recherche d'un repreneur et un plan de sauvegarde de l'emploi a été mis en oeuvre au sein des deux sociétés françaises.

Le 1er juillet 2017, l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués (logiciels permettant de faire fonctionner une machine, équipée d'un ou plusieurs microprocesseurs, afin de réaliser une tâche spécifique avec une intervention humaine limitée) exploitées par les sociétés IMC et Intel Corp, a été reprise par la société Newco, créée pour cette opération puis devenue la société Renault Software Labs, appartenant au groupe Renault.

Les contrats de travail de quatre-cent-soixante salariés employés par les sociétés IMC et Intel Corp ont été transférés à la société Newco.

Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Grasse le 20 septembre 2017 pour contester l'application de l'article L.1224-1 du code du travail et obtenir la condamnation de son employeur à lui payer diverses sommes liées à la rupture injustifiée de son contrat de travail ainsi que des dommages-intérêts en réparation de ses préjudices.

Le 1er septembre 2018, la société Intel Corp a absorbé la société IMC.

Par jugement de départage du 7 mai 2021, ce conseil a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, dit que le transfert du contrat de travail devait s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société Intel Corp à payer diverses sommes au titre de la rupture injustifiée ainsi que des dommages-intérêts pour perte de chance de la rémunération complémentaire avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice.

Le 3 juin 2021, la société Intel Corp a relevé appel de ce jugement. Cette déclaration d'appel n'énonçant pas les chefs du jugement critiqués ni ne renvoyant explicitement à une annexe, la société a régularisé ce vice de forme, le 30 août 2021, soit dans le délai qui lui était imparti pour conclure, en remettant au greffe une seconde déclaration d'appel comportant les chefs du jugement critiqués.

Ces appels ont été joints par une ordonnance du magistrat de la mise en état du 17 décembre 2021.

Vu les conclusions de l'appelante remises au greffe et notifiées le 8 janvier 2024;

Vu les conclusions de l'intimé remises au greffe et notifiées le 26 novembre 2021;

MOTIFS :

Sur l'application de l'article L.1224-1 du code du travail :

Contrairement à ce que soutient à tort le salarié, la suspension de son contrat de travail jusqu'à l'homologation du PSE par la direccte, consécutivement à son reclassement externe anticipé chez un nouvel employeur, ne faisait nullement obstacle à l'application des dispositions d'ordre public de l'article L.1224-1 du code du travail dès lors que ce contrat faisait partie de l'entité économique autonome transférée, ainsi que la direction d'IMC l'avait rappelé très clairement aux membres du CE lors de la réunion du 21 octobre 2016 (pièce 5 du salarié) et ce moyen est rejeté.

Par ailleurs, il n'est pas discuté en cause d'appel que la recherche et le développement des logiciels embarqués consiste en une activité de software (logiciel).

Il résulte des pièces produites que le salarié exerçait, à la date de la reprise en juin 2017, les fonctions d'ingénieur firmware et que celles-ci consistaient principalement en des missions portant sur du software et non sur du hardware (matériel).

Le fait que son activité soit très proche du hardware, ainsi qu'il le conclut en page 24 de ses écritures, ne peut suffire, en l'absence d'autres éléments, à l'exclure du périmètre de reprise.

D'ailleurs, si le salarié a contesté le transfert de son contrat de travail en reprochant à la société IMC d'avoir accepté son reclassement externe anticipé et de lui avoir laissé croire qu'il pourrait percevoir les mesures d'accompagnement très avantageuses prévues au PSE dans ce cas de figure (licenciement économique avec indemnité conventionnelle de licenciement, indemnité forfaitaire et indemnité supra conventionnelle), il n'a jamais remis en cause dans ses divers courriels et courriers recommandés, autrement que de manière purement formelle ('J'apprends que mon poste ferait partie du périmètre de reprise mais quel est ce périmètre' Pourquoi mon poste est-il concerné alors que d'autres identiques ne le sont pas''), le fait que son activité relevait effectivement de l'activité transférée de recherche et développement des logiciels embarqués et ce moyen sera rejeté.

Son activité relevait donc bien du périmètre de reprise, contrairement à ce qui est soutenu sans offre de preuve, et ce moyen est rejeté.

S'agissant de la contestation portant sur le transfert d'une entité économique autonome, la cour rappelle que, selon l'article L.1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, les contrats de travail sont maintenus entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise en cas de transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise.

Il s'en déduit que l'existence d'une entité économique autonome est indépendante des règles d'organisation, de fonctionnement et de gestion du service exerçant une activité économique, en sorte qu'une entité économique autonome au sens des dispositions du texte susvisé peut résulter de deux parties d'entreprises distinctes d'un même groupe, contrairement à ce que soutient à tort le salarié et ce moyen est rejeté.

Constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre.

Il résulte de l'organigramme en pièce 24 et des schémas organisationnels présentés dans le document d'information et de consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail des sociétés Intel Corp et IMC, dont l'exactitude n'a pas été remise en cause par ces derniers dans leurs avis du 28 avril 2017, que l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués était distincte et autonome des autres activités des sociétés Intel Corp et IMC portant sur la conception de circuits intégrés (puces électroniques), le hardware/firmware, la vente/marketing et le support client et qu'elle mobilisait 460 personnes au sein des deux sociétés travaillant dans diverses équipes regroupées, pour l'essentiel, au sein de la 'business unit' (BU) 'client & internet of things businesses & system architecture' dite CISA constituée des groupes ICDG (qui participait à des projets mondiaux de développement de modem cellulaire pour Apple), CCG (Client and Communications Group qui participait à des projets mondiaux de développement de plate-forme pours ordinateurs de bureau pour les clients ASUS, Lenovo, HP, Samsung ), IoTG (Internet of Things Group qui participaient à des projets mondiaux de développement automobile pour les clients Harman, General Motors, Delphi, Fiat Chrysler), SSG (Software and Services Group qui participait à des projets de développement de plate-forme de téléphonie mobile pour les clients Lenovo, Xiaomi, Foxconn) et, de manière résiduelle, au sein de la BU 'new technology group' dite NTG constituée du groupe NDG (New Devices Group qui participait à des projets mondiaux de produits 'wearables' pour les clients Tag Heuer, [H] [N], New Balance, Oakley).

L'appartenance du groupe NDG à une BU différente de celle des autres équipes ne remet pas en cause, contrairement à ce qui est soutenu, l'existence d'un ensemble organisé de personnes.

Les documents d'information et de consultation des CHSCT et le rapport d'expertise comptable sollicité par les CE montrent que ces équipes, qui travaillaient selon une organisation en mode projet (cycle en V) de manière internationalisée, étaient composées sur les établissements de [Localité 5] et ISO 2 et ISO 5 de [Adresse 4] de :

1. 10 personnes principalement dédiées à la définition des exigences (requirement) incluant la définition des features, la description des composants SW nécessaires à la mise en oeuvre des features et la planification des différents composants SW à développer,

2. 25 personnes dédiées à l'architecture du système,

3. 93 personnes dédiées à l'architecture des composants logiciels (system engineering),

4. 156 personnes dédiées au développement du code (development),

5. 61 personnes dédiées à l'intégration des différentes features ou sous-systèmes pour constituer la plate-forme logicielle (plateform SW) associée au système complet (developement features integration/system integration) dont 9 dédiées à la livraison de la plate-forme logicielle au client (release management),

6. 52 personnes dédiées à la validation,

7. 19 personnes dédiées aux fonctions de manager, services généraux, laboratoire,

8. 20 personnes dédiées aux fonctions transverses critiques orientées sur les projets,

9. 24 personnes dédiées aux fonctions transverses critiques d'infrastructures IT, d'outils, de processus et de méthodologie.

Contrairement à ce que soutient le salarié et ainsi que l'a justement relevé la direccte dans son rapport du 17 mai 2017 (pièce 37), l'organisation en 'mode projet' de manière internationalisée ne contredit pas l'existence d'un ensemble organisé de personnes au sein d'une entité autonome puisque l'activité consiste en de la recherche et du développement et porte sur des projets par nature temporaires.

Le document précité d'information et de consultation des CHSCT montre, en outre, que les équipes, à l'exception d'une quinzaine de personnes du site ISO5 pointées par le cabinet Sextant dans son rapport, bénéficiaient d'un encadrement direct au niveau local et que 43 personnes sur les 460 pressenties occupaient des fonctions de support, IT, outils et RH dédiées principalement à l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués.

S'il est exact que 90 salariés non transférés de la société IMC avaient des intitulés d'emploi similaires à ceux des salariés transférés, ainsi que le relève le cabinet Sextant, il n'est cependant pas établi, alors que l'employeur le conteste, que ces salariés occupaient toujours, à la date de la reprise, des fonctions correspondant à l'intitulé de leur emploi.

Les quelques modifications ayant affecté l'organigramme (demandes de mutation internes antérieures à la reprise et non répercutées dans l'organigramme, erreurs de dénomination de l'emploi ou du rattachement d'origine, incertitude concernant les salariés reclassés par anticipation et inclus dans le périmètre de reprise) ne sont pas significatives et ne sont pas de nature à remettre en cause l'existence d'un ensemble organisé de personnes dédié à l'activité de recherche et développement de logiciels embarqués.

Par ailleurs, il résulte des traités d'apport partiel d'actifs du 19 mai 2017 soumis au régime juridique des scissions que les sociétés Intel Corp et IMC ont apporté à la société Newco devenue Renault Software Labs des éléments corporels et incorporels dédiés à l'activité transférée tels que:

1. Les archives liées à l'activité transférée et aux salariés transférés,

2. Les contrats de travail,

3. Les baux de [Localité 5] et de [Adresse 4] ISO 2 et ISO3,

4. Les bons de commande relatifs à l'activité (4 bons de commande de contrats de maintenance des laboratoires visés dans chaque traité) ainsi que le bail à usage de stationnement,

5. Les équipements d'IMC et d'Intel Corp estimés à 1.322.000,00 euros pour la première et 2.900.863,00 euros pour la seconde,

6. La trésorerie et autres liquidités estimées à 31.021.646 euros pour la première et 31.965.720 euros pour la seconde,

7. Les dépôts de garantie des baux d'une valeur de 136.100 euros pour la première et 126.125 euros pour la seconde,

8. Les créances relatives au crédit d'impôt recherches,

9. Les engagements retraite, contrat de travail, avantages des salariés estimés au passif à 4.847.375 euros pour la première et 7.395.009 euros pour la seconde.

Ces éléments suffisent à démontrer que l'activité de recherche et développement de logiciels embarqués constituait au sein des sociétés Intel Corp et IMC une entité économique autonome constituée d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique et qui poursuivait un objectif propre.

Par ailleurs, il se déduit des traités d'apports précités, des listes d'équipements annexées et des contrats produits (pièce 12) que, contrairement à ce que soutient le salarié, l'ensemble des éléments corporels et incorporels nécessaires à la poursuite de l'activité a été transféré à savoir les équipements informatiques (PC, imprimantes, câblage, serveurs, datanetwork, licences informatiques), la ferme de tests et ses équipements, la plupart des équipements de laboratoire audio encore utilisés (pièces 26 et 27), le mobilier de bureau et de laboratoire, la climatisation, les équipements de sécurité du bâtiment, le bail à usage de stationnement ainsi que les principaux contrats concernant les opérateurs de téléphonie, la restauration d'entreprise, les véhicules de fonction et la maintenance des laboratoires, peu important que Renault n'ait pas repris certains contrats de sous-traitance avec les société Celad et Ausy ni le bail du site ISO 5 (puisque les salariés dépendant de l'activité transférée ont été rassemblés sur les sites ISO2 et ISO3 et que la société IMC a conservé le site ISO5 pour son activité maintenue de certification).

Le fait que, pour des raisons de sécurité, les sociétés Intel Corp et IMC aient procédé à l'effacement des données présentes dans les ordinateurs inclus dans les apports partiels d'actifs ne remet pas en cause le principe du transfert des équipements informatiques nécessaires à la poursuite de l'activité, peu important que la société Renault Software labs ait décidé ultérieurement de remplacer les ordinateurs portables des salariés transférés par des ordinateurs neufs.

Le recrutement en juillet 2017 par la société Renault Software labs de deux personnels supplémentaires dans le domaine des ressources humaines ne contredit pas l'existence du transfert d'un ensemble organisé de personnes significatif, nécessaire et suffisant à la poursuite de l'activité ce qui a d'ailleurs été justement relevé par la direccte de [Localité 3] qui a confirmé que les managers de premier niveau avaient été transférés.

Compte tenu de l'objet propre de l'entité consistant en la recherche et le développement de logiciels embarqués, il est indifférent qu'aucun produit fini n'ait été réalisé par les équipes dédiées sans l'aide d'équipes étrangères.

Contrairement à ce que soutient le salarié, l'activité transférée s'est poursuivie et a conservé son identité propre au sein de l'entité juridique autonome Newco puisque, après avoir été rattachée à la division DEA-S de Renault, la direction opérationnelle de cette entité a été confiée à un cadre dirigeant transféré d'Intel et que tous les groupes précités ont été rattachés à ce directeur opérationnel ainsi que cela résulte de l'organigramme de Renault Software labs.

Même si des modifications d'organisation ont été nécessaires pour le rattachement à l'organisation Renault et si le domaine d'application (automobile exclusivement) a été modifié, requérant une adaptation et une formation des équipes, l'activité de recherche et développement de logiciels embarqués est restée la même et s'est poursuivie pour développer de nouvelles plateformes logicielles adaptées aux automobiles (connected car, autonomous drive, vehicule software) ainsi que cela ressort de l'extrait Kbis de la société Renault Software labs, des informations figurant sur son site internet et de la stratégie Software du groupe Renault exposée en novembre 2017 et incluant dans la montée en charge des voitures autonomes les compétences en recherche et développement des logiciels embarqués de sa nouvelle société Renault Software labs.

L'arrêt de projets Intel ou le transfert de projets à d'autres entreprises du groupe Intel avant la reprise, ayant entraîné une interruption temporaire d'activité du salarié, ne contredit pas la réalité du transfert de l'entité économique autonome telle qu'elle résulte des éléments qui précèdent.

Le fait que 54 salariés des équipes Intel de [Adresse 4] ISO2 travaillant sur le projet 'Angel' de solutions mémoires, et non sur la recherche et le développement de logiciels embarqués, aient été embauchés par la société anglaise ARM hors de tout transfert d'actifs, sans reprise d'ancienneté et avec période d'essai, n'est pas de nature à remettre en cause la réalité du transfert de l'entité économique autonome ayant un objet propre.

Il se déduit de tout ce qui précède que, contrairement à ce qui est soutenu, l'entité économique autonome de recherche et développement de logiciels embarqués des sociétés IMC et Intel Corp, constituée d'un ensemble organisé de personnes et de biens corporels et incorporels spécifiques, a été régulièrement transférée à la société Newco devenue Renault Software labs conformément aux dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail.

Enfin, s'agissant de la fraude alléguée à l'article L.1224-1 du code du travail, la cour rappelle que dès lors que la réorganisation envisagée pour sauvegarder la compétitivité du groupe entraînait, pour les sociétés IMC et Intel Corp, la fermeture de leurs établissements de [Localité 5] et de [Adresse 4] ISO5, elles avaient l'obligation légale de chercher un repreneur en application des articles L.1233-57-9 et suivants du code du travail, ainsi que l'a rappelé le

cabinet Sextant, expert comptable mandaté par les comités d'entreprise, en page 3 de son rapport.

Le fait que ces apports aient été faits sous le régime juridique favorable fiscalement des scissions, ne suffit pas, en soi, à caractériser la fraude alléguée.

Ni les CE ni les CHSCT des sociétés n'ont émis des doutes sur la sincérité du projet de reprise de l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués par le groupe Renault, le cabinet Sextant mandaté par les CE ayant même salué une telle initiative dans son rapport au motif qu'elle allait permettre à Intel de dégager des marges pour améliorer les conditions de départ et d'accompagnement des salariés non transférés, en moyenne plus âgés que ceux bénéficiant du transfert.

Il ne résulte pas des éléments produits que les sociétés Intel Corp et IMC aient tiré un quelconque avantage économique de l'opération de reprise puisqu'elles ont dû versé pas moins de 55 millions d'euros à la société Renault pour couvrir les frais liés à la reprise des salariés.

Il résulte de tout ce qui précède que le moyen, tiré d'une reprise frauduleuse visant exclusivement, pour les sociétés Intel Corp et IMC, à faire l'économie de 460 procédures de licenciement de salariés et de leur coût induit et à obtenir un régime fiscal favorable, n'est pas fondé

Le contrat de travail du salarié ayant été transféré régulièrement dans les conditions de l'article L.1224-1 du code du travail, il ne devait pas bénéficier des dispositions du PSE et il sera débouté de toutes ses prétentions incluant celles au titre des actions restricted stocks units (RSU) en l'absence de faute imputable à l'employeur et le jugement sera infirmé de ces chefs.

Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat :

C'est sans aucune offre de preuve que le salarié soutient que son employeur lui aurait dissimulé l'identité du repreneur à compter de juillet 2016 et l'aurait laissé sans information jusqu'à l'annonce de son transfert par courrier du 15 mars 2017 alors que les sociétés font valoir, sans être contredites utilement, que cette identité n'a pu être révélée aux salariés pour des raisons de confidentialité qu'à la date à laquelle la société Renault leur a remis une offre ferme et définitive et ce moyen est rejeté.

La cour ayant déjà répondu dans les motifs qui précèdent au moyen tiré d'une prétendue modification artificielle du périmètre de reprise, celui-ci est rejeté.

S'il résulte des motifs qui précèdent que la direction de la société IMC a informé clairement les membres du CE, lors de la réunion du 21 octobre 2016, que les salariés, dont le contrat de travail serait suspendu par l'effet d'un reclassement externe anticipé, seraient transférés de plein droit au repreneur si leur activité faisait partie de l'entité économique autonome reprise, il reste que la société IMC a manqué à son obligation d'exécution loyale du contrat à l'égard du salarié en omettant de lui rappeler ce risque dans le courrier d'acceptation de son reclassement externe anticipé du 5 janvier 2017 et en lui faisant croire que l'issue de la procédure ne pouvait conduire qu'à son licenciement économique en cas d'homologation du PSE avec le bénéfice des mesures prévues dans le plan ou à sa réintégration dans les effectifs de l'entreprise en cas de refus d'homologation.

Ce faisant, l'employeur a laissé croire au salarié que son transfert de plein droit au repreneur ne faisait pas partie des options envisageables et qu'en cas d'homologation du PSE, il percevrait, comme les autres salariés reclassés en externe de manière anticipée, les indemnités très avantageuses liées au licenciement économique.

Ce manquement a causé un préjudice au salarié puisque celui-ci a pu légitimement croire, compte tenu des indications figurant dans le courrier du 5 janvier 2017, qu'il était exclu du périmètre de reprise et qu'il serait licencié économique en cas d'homologation du PSE et percevrait les indemnités prévues ce qui justifie l'allocation d'une somme de 14.000 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt et le jugement est infirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle de la société Intel Corp pour trop-versé de salaire et procédure abusive :

La preuve d'un trop-versé de salaire incombe à l'employeur.

En l'espèce, et contrairement à ce qui est soutenu, le salarié conteste la créance alléguée en reprochant à l'employeur l'absence totale d'explications sur la nature et le montant de l'erreur invoquée.

Comme preuve de l'existence de sa créance, la société se borne à produire sa demande de remboursement du 20 août 2018 fondée sur une prétendue erreur dans le calcul des bonus APB et QPB de l'année 2017.

Cependant, force est de constater qu'elle ne fournit aucune explication sur la nature de l'erreur commise ni sur les calculs ayant abouti à la somme réclamée de 2.042,98 euros.

Défaillante dans la preuve qui lui incombe de l'existence et de l'étendue du trop-versé de salaire, la société sera déboutée de sa demande reconventionnelle et le jugement est infirmé de ce chef.

Aucune faute de nature à faire dégénérer en abus le droit d'agir en justice n'étant caractérisée, la demande indemnitaire de la société Intel Corp pour procédure abusive sera rejetée et le jugement est confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes :

La société Intel Corp qui succombe partiellement, sera condamnée aux dépens de l'appel et à payer au salarié la somme de 1.000 euros au titre frais irrépétibles qu'il a été contraint d'engager en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Dit que l'activité de recherche et développement de logiciels embarqués exercée au sein des sociétés Intel Corp et IMC constituait une entité économique autonome poursuivant un objectif propre ;

Dit que cette entité a été régulièrement transférée à la société Newco devenue Renault Software labs à compter du 1er juillet 2017 conformément aux dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail ;

Dit que les missions principalement exercées par M. [X] à la date de la reprise étaient dans le périmètre de l'entité économique autonome transférée ;

Dit par conséquent que son contrat de travail a été transféré à la sociétéNewco devenue Renault Software labs ;

Dit que la société Intel Corp a manqué à son obligation d'exécution loyale du contrat à l'égard du salarié ;

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Intel Corp de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et en ce qu'il a condamné la société Intel Corp aux dépens de première instance ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés ;

Condamne la société Intel Corp à payer à M. [X] la somme de 14.000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt ;

Déboute M. [X] de toutes ses autres prétentions ;

Déboute la société Intel Corp de sa demande reconventionnelle en trop-versé de salaire ;

Condamne la société Intel Corp aux dépens d'appel et à payer à M. [X] une somme de 1.000 euros sur le fondement l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais engagés en première instance et en cause d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-7
Numéro d'arrêt : 21/08228
Date de la décision : 31/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-31;21.08228 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award