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23/05/2024 | FRANCE | N°20/10487

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 23 mai 2024, 20/10487


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 23 MAI 2024

ac

N° 2024/ 182









Rôle N° RG 20/10487 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGOKT







[Y] [W]





C/



[G] [P] [A] [H]

[O] [E] épouse [A] [H]





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



SELARL BRL - BAUDUCCO - ROTA - LHOTELLIER



SCP AMIEL - SUSINI


r>









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 18 Septembre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 12/02867.





APPELANT



Monsieur [Y] [W]

demeurant [Adresse 3]



représenté par Me Julie ROTA de la SELARL BRL - BAUDUCCO - R...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 23 MAI 2024

ac

N° 2024/ 182

Rôle N° RG 20/10487 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGOKT

[Y] [W]

C/

[G] [P] [A] [H]

[O] [E] épouse [A] [H]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SELARL BRL - BAUDUCCO - ROTA - LHOTELLIER

SCP AMIEL - SUSINI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 18 Septembre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 12/02867.

APPELANT

Monsieur [Y] [W]

demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Julie ROTA de la SELARL BRL - BAUDUCCO - ROTA - LHOTELLIER, avocat au barreau de TOULON substituée par Me Karine LHOTELLIER, avocat au barreau de TOULON, plaidant

INTIMES

Monsieur [G] [P] [A] [H]

demeurant [Adresse 5]

représenté par Me François SUSINI de la SCP AMIEL - SUSINI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Marine CALLA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

Madame [O] [E] épouse [A] [H]

demeurant [Adresse 5]

représentée par Me François SUSINI de la SCP AMIEL - SUSINI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Marine CALLA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 12 Mars 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Marc MAGNON, Président

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024,

Signé par Monsieur Marc MAGNON, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

[Y] [W] et [V] [M] épouse [W] sont propriétaires d'une propriété bâtie cadastrée section AO n°[Cadastre 2], située [Adresse 3], correspondant au lot n°6 [Adresse 4]. Les époux [A] [H] sont propriétaires de la construction voisine cadastrée section AO n°[Cadastre 1] correspondant au lot n°5.

Soutenant que les travaux d'extension d'une terrasse existante et la construction d'un escalier longeant la limite séparative occasionnent des vues droites et obliques sur leur fonds, [Y] [W] a saisi le tribunal de grande instance de Toulon aux fins de démolition de ces ouvrages.

Par jugement du 3 août 2013 le tribunal de grande instance de Toulon a ordonné une mesure d'expertise judiciaire confiée à M.[F].

L'expert a déposé son rapport le 13 octobre 2018.

Par jugement du 18 septembre 2020 le tribunal judiciaire de Toulon a statué en ces termes :

DEBOUTE Monsieur [Y] [W] de ses demandes de suppression de l'extension de la terrasse de Monsieur [G] [A] [H] et Madame [O] [E] épouse [A] [H], de condamnation de la zone de l'escalier qualifiée de zone G par l'expert [F], et de plantation de végétaux devant le mur mitoyen en bas de l'escalier,

DEBOUTE Monsieur [Y] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour dépréciation de son bien et pour préjudice moral,

CONDAMNE Monsieur [G] [A] [H] et Madame [O] [E] épouse [A] [H] à payer à Monsieur [Y] [W] la somme de 2.000 € au titre du préjudice de jouissance, ainsi qu'à la somme de 1€ au titre de l'achat des bâches, sommes produisant intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

DEBOUTE les parties de l'intégralité de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile,

DIT que chaque partie conservera la charge de ses dépens, mais que les frais d'expertise judiciaire de

Monsieur [F] seront partagés à parts égales entre d'une part Monsieur [Y] [W] et d'autre part Monsieur [G] [A] [H] et Madame [O] [E] épouse [A] [H],

DIT n'y avoir lieu à distraction des dépens,

ORDONNE l'exécution provisoire.

Par acte du 29 octobre 2020 [Y] [W] a interjeté appel de la décision.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 février 2024 [Y] [W] demande à la cour au visa des articles 544, 678 à 680 du code civil de:

REFORMER le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de TOULON en date du 18 septembre 2020 en tant qu'il :

DEBOUTE Monsieur [Y] [W] de ses demandes de suppression de l'extension de la terrasse de Monsieur [G] [A] [H] et Madame [O] [E] épouse [A] [H], de condamnation de la zone de l'escalier qualifiée de zone G par l'expert [F], et de plantation de végétaux devant le mur mitoyen en bas de l'escalier,

DEBOUTE Monsieur [Y] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour dépréciation de son bien et pour préjudice moral,

CONDAMNE Monsieur [G] [A] [H] et Madame [O] [E] épouse [A] [H] à payer à Monsieur [Y] [W] la somme de 2.000 € au titre du préjudice de jouissance, somme produisant intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

DEBOUTE les parties de l'intégralité de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile,

DIT que chaque partie conservera la charge de ses dépens, mais que les frais d'expertise judiciaire de Monsieur [F] seront partagés à parts égales entre d'une part Monsieur [Y] [W] et d'autre part Monsieur [G] [A] [H] et Madame [O] [E] épouse [A] [H],

DIT n'y avoir lieu à distraction des dépens,

CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de TOULON en date du 18 septembre 2020 en tant qu'il :

CONDAMNE Monsieur [G] [A] [H] et Madame [O] [E] épouse [A] [H] à payer à Monsieur [Y] [W] la somme de 1 euro au titre de l'achat des bâches.

FAIT droit à la demande de capitalisation des intérêts dus pour au moins une année entière.

ORDONNE l'exécution provisoire.

ET, STATUANT A NOUVEAU,

A titre principal,

ORDONNER aux époux [A] [H] de démolir l'extension de la terrasse litigieuse, de façon à ce que le bord extérieur (hors oeuvre) de la terrasse soit déplacé au-delà d'une droite parallèle à la limite divisoire, vers le Nord/Ouest, qui devra se situer au minimum à 1,90 mètre, conformément aux points 1 à 7 de la solution technique préconisée par le rapport d'expertise judiciaire, dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 300 euros par jour de retard passé ce délai.

ORDONNER aux époux [A] [H] de supprimer intégralement et de façon définitive l'accès aux piétons, pour la globalité de la zone G identifiée par l'expert [F] (correspondant au dallage en béton qui a été coulé sur le sol de la restanque existante en dessous du niveau du rez-de-chaussée de la maison de Monsieur [A], et à un escalier coulé en béton mis en 'uvre pour pouvoir accéder par l'extérieur au dallage précité depuis le niveau de la dalle litigieuse), conformément aux points 1 à 6 de la solution technique préconisée par le rapport d'expertise judiciaire, dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 300 euros par jour de retard passé ce délai.

ORDONNER aux époux [A] [H] de procéder au niveau de la zone G identifiée par l'expert [F] à la plantation d'une végétation de densité et de hauteur suffisantes pour assurer l'intimité des époux [W], dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 300 euros par jour de retard passé ce délai.

Subsidiairement, si la démolition des ouvrages n'était pas ordonnée,

CONDAMNER les époux [A] [H] à payer à Monsieur [W] la somme de 29.100 euros, sauf à parfaire au jour de la décision à intervenir, au titre de la dépréciation de sa propriété privée,

En tout état de cause,

CONDAMNER les époux [A] [H] à payer à Monsieur [W] la somme de 10.000 euros, sauf à parfaire au jour de la décision à intervenir, au titre du trouble de jouissance subi depuis 2005.

CONDAMNER les époux [A] à payer à Monsieur [W] la somme de 10.000 euros, sauf à parfaire au jour de la décision à intervenir, au titre du préjudice moral subi depuis 2005.

DIRE ET JUGER que la totalité de ces sommes portera intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation en date du 29 mai 2012, et capitalisation des intérêts à compter de cette même date.

CONDAMNER les époux [A] [H] à payer à Monsieur [W] la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, outre le remboursement des frais d'expertise avancés par provision pour un montant de 13.652,89 euros, ainsi que les entiers dépens distraits au profit de Maître Julie ROTA, sur son affirmation de droit

Au soutien de ses prétentions, l'appelant fait valoir :

-qu'il dispose d'un intérêt à agir en sa qualité d'indivisaire du bien puisque Mme [W] a connaissance de l'action en justice, qu'elle s'est présentée au premier accedit, qu'elle atteste avoir été informée de la présente procédure et des diligences menées par son époux,

- qu'il en résulte la preuve de l'existence d'un mandat tacite au bénéfice de Monsieur [W], pour prendre en main la gestion de la propriété indivise du couple, au sens de l'article 815-3 du code civil,

- que les dispositions de l'article 678 du code civil s'appliquent non seulement aux fenêtres et balcons, mais aussi à toutes autres saillies ou ouvrages permettant la vue sur le fonds voisin, même si cette vue n'est pas leur objectif immédiat ;

- que l'expert a défini 4 zones, que la zone A a créé une vue droite illicite depuis la terrasse litigieuse en direction de la limite divisoire du mur mitoyen ;

- que la création de jardinières n'a pas supprimé la vue puisqu'elle demeure accessible,

- que la zone B a créé une vue droite depuis le dallage sur la restanque en dessous de la terrasse,

- que la zone C a créé une vue oblique depuis le dallage sur la restanque en dessous de la terrasse,

- que la zone D a créé une vue droite depuis le dallage sur la restanque en dessous de la terrasse, sur la longueur de l'escalier ;

- qu'il est admis qu'un escalier puisse constituer une vue prohibée,

- qu'il convient de suivre les préconisations de l'expert pour y remédier,

- que la situation des bâtis des maisons génère de la promiscuité source de perte de valeur vénale de 97.000 euros,

- qu'il subit une vue plongeante sur la zone de piscine, implantée à une distance n'excédant pas 10 mètres de l'angle Sud-Est de l'extension en cause de la terrasse ;

- que les ouvrages ont engendré des nuisances sonores excédant les usages, constatés par un procès verbal d'huissier

- qu'ils ont dû installer des bâches pour préserver leur intimité, provoquant une perte de jouissance d'une partie du jardin ;

Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 avril 2021 [G] [A] [H] et [O] [E] épouse [A] [H] demandent à la cour de :

INFIRMER le jugement de première instance en ce qu'il a :

' Prononcé la recevabilité de l'action de Monsieur [W],

' Condamné les époux [A] [H] à payer à Monsieur [W] la somme de 2.000 euros au titre du préjudice de jouissance, ainsi qu'à la somme de 1 euro au titre de l'achat des bâches, sommes produisant intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

' Fait droit à la demande de capitalisation des intérêts dus pour au moins une année entière,

' Débouté les parties de l'intégralité de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile,

' Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens,

' Dit qu'il n'y aura pas lieu à distraction des dépens.

CONFIRMER le jugement de première instance en ce qu'il a :

' Débouté Monsieur [W] de ses demandes de suppression de l'extension de la terrasse des époux [A] [H], de condamnation de la zone de l'escalier qualifiée de zone G par l'expert [F], et de plantation de végétaux devant le mur mitoyen en bas de l'escalier,

' Débouté Monsieur [W] de sa demande de dommages et intérêts pour dépréciation de son bien et pour préjudice moral.

Et par suite :

CONSTATER le défaut d'intérêt à agir de Monsieur [W] et par conséquent,

PRONONCER l'irrecevabilité de l'action de Monsieur [W],

En tout état de cause,

DEBOUTER Monsieur [W] de l'ensemble de ses demandes en cause d'appel,

CONDAMNER Monsieur [W] à payer aux époux [A] [H] la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance qui seront distraits au profit de Maître SUSINI.

Les intimés répliquent:

- que Monsieur [W] et Madame [V] [M] époux [W] sont propriétaires indivis sur leur propriété,

- que [Y] [W] ne dispose pas seul du droit d'agir sur le bien indivis,

- que sur le fond, il n'est pas contredit qu'entre 2005 et 2018 et uniquement pour la partie située face aux panneaux pare-vue, à savoir les vues latérales, des vues situées à une distance inférieure à 1,90 mètres se sont exercées ;

- que l'absence d'indiscrétion est patente en raison de la présence des panneaux pare-vue en bois d'une hauteur d'au moins 2 mètres, attestée dans le constat d'huissier DEJEAN-PIERRET ET VERNANGE et de la végétation très dense présente sur la propriété de Monsieur [W] ;

- que s'agissant des vues s'exerçant sur la partie du terrain non protégée par les panneaux pare-vue, il convient de préciser qu'elles ne peuvent qu'être qualifiées de vues obliques en raison de l'axe de la propriété des époux [A] [H] et ainsi, la distance qui doit être respectée est de 60 centimètres,

- que la vue oblique qui s'exercerait depuis la terrasse sur le jardin de Monsieur [W] s'exerce sur une distance bien supérieure à la distance susvisée ;

- que la preuve du caractère anormal du trouble n'est pas rapportée par Monsieur [W] ;

- que la piscine est masquée par une épaisse végétation et aucune indiscrétion n'est possible tant sur cette dernière que sur le jardin composé uniquement d'arbres,

- que les habitations sont particulièrement rapprochées selon la photographie aérienne,

- que s'agissant des vues depuis la terrasse ils ont procédé à la construction de deux murets d'une hauteur de 90 centimètres, en cours d'expertise

- que la construction par les époux [A] [H] de ce muret en retrait de la terrasse existante a eu pour effet de réduire la largeur de la terrasse, et qu'il ne peut être qualifié de jardinières ;

- que le muret a eu pour objet de mettre en conformité la terrasse à la réglementation des vues du Code civil,

- que le terrain des époux [A] [H] est configuré sous la forme de restanques ce qui naturellement donne des vues sur le terrain de Monsieur [W], que ces vues naturelles découlent de la configuration des lieux et ne peuvent être considérées comme illégales,

- que l'escalier ainsi que la dalle ont été réalisés entre 1986 et 1990, ces ouvrages sont de simples «aménagements du sol » compte tenu notamment de la configuration des lieux en restanque,

- qu'aucune vue ne s'exerce depuis ces aménagements en raison de la présence des panneaux pare-vue d'une hauteur supérieure à 1,80m, d'une végétation dense ainsi que du mur au bas de l'escalier,

- que les panneaux de bois jouent leur rôle de pare-vue et leur état ne nécessite pas leur remplacement à la charge exclusive des époux [A] [H] ;

- qu'aucune obligation de planter de la végétation ne peut être imposée aux époux [A] [H],

- que Monsieur [W] ne démontre pas que le bruit excède les obligations normales de voisinage,

- que les propriétés de Monsieur [W] et des époux [A] [H] sont situées dans un lotissement au sein duquel les habitations sont par nature très proches et donc l'appréciation des « nuisances sonores » devra être faite en fonction « des circonstances locales ;

- que la terrasse litigieuse n'est qu'une extension de la terrasse existante de sorte que les époux [A] [H] n'ont pas créé une nuisance nouvelle mais que ces éventuels bruits préexistaient à la nouvelle terrasse,

- que le lien de causalité entre ce bruit et la création de vues illicites ne peut être établi ;

- que le rapport Hubler semble justifier la perte de valeur par la présence des deux maisons mitoyennes situées sur la propriété des époux [A] [H] plutôt qu'à la présence de la terrasse litigieuse,

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 27 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'intérêt à agir de [Y] [W]

L'article 31 du code de procédure civile énonce que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

L'article 815-3 du code civil dispose que le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent à cette majorité :

1° Effectuer les actes d'administration relatifs aux biens indivis ;

2° Donner à l'un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d'administration ;

3° Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l'indivision ;

4° Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

Ils sont tenus d'en informer les autres indivisaires. A défaut, les décisions prises sont inopposables à ces derniers.Toutefois, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l'exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux visés au 3°.

Si un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d'administration mais non les actes de disposition ni la conclusion ou le renouvellement des baux.

Il appartient au juge de rechercher si les indivisaires ont eu connaissance des faits et agissements réalisés au titre du mandat tacite, pour pouvoir éventuellement s'y opposer.

En l'espèce, il s'évince du compte rendu d'accédit du 17 décembre 2013 que Mme [W], co-indivisaire, était présente à la réunion d'expertise judiciaire, que les termes de l'expertise judiciaire révèlent que les pièces ont été communiquées par les époux [W]. En outre, Mme [W] a produit une attestation en cause d'appel datée du 11 février 2024 au terme de laquelle elle mentionne « avoir toujours été informée par mon mari [Y] [W] des démarches et formalités à accomplir dans le cadre de la procédure judiciaire en cours ».

Par ailleurs s'agissant d'une action au titre de la conservation du droit de propriété, il est prévu que l'indivisaire peut agir seul, ce qui est le cas en l'espèce.

Il en résulte que [Y] [W] dispose d'un mandat tacite au sens des dispositions légales précitées et sera en conséquence déclaré recevable dans son action.

Sur les demandes au titre des vues

L'article 678 du code civil énonce qu'on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.

L'article 679 du code civil prévoit pour sa part qu'on ne peut, sous la même réserve, avoir des vues par côté ou obliques sur le même héritage, s'il n'y a six décimètres de distance.

Enfin l'article 680 du même code précise que la distance dont il est parlé dans les deux articles précédents, se compte depuis le parement extérieur du mur où l'ouverture se fait, et, s'il y a balcons ou autres semblables saillies, depuis leur ligne extérieure jusqu'à la ligne de séparation des deux propriétés.

* sur la demande de destruction de l'extension de la terrasse

Le premier juge a considéré que le déplacement des limites de la terrasse litigieuse en cours d'expertise a mis fin aux vues illicites sur le fonds de [Y] [W] en excluant dans la prise en compte des distances la jardinière et ses bords extérieurs.

La situation de vues depuis la terrasse contrevenant aux dispositions légales précitées n'est pas contestée dans la configuration antérieure qui ne comportait pas de muret et de jardinière. Il appartient à la cour de les qualifier compte tenu des aménagements réalisés par les intimés durant l'expertise judiciaire.

En l'espèce les mesures réalisées par l'expert judiciaire tiennent compte de la présence de cet ouvrage construit en bordure Sud-Est de l'extension. Ainsi il résulte des photographies et constatations de l'expert que les limites de la terrasse ont été décalées en arrière en raison de la construction d'un muret situé au droit d'un espace végétalisé sans garde-corps. L'expert a constaté que cet espace demeure accessible en raison de sa faible hauteur de 70 cm, qu'il est posé directement sur le carrelage de la terrasse et présente donc un caractère amovible. S'agissant des distances depuis le bord extérieur de cet aménagement végétalisé l'expert a relevé qu'elles variaient entre 85 et 105 cm.

Il est admis que les termes de l'article 678 du code civil ne sont pas limitatifs et s'appliquent aux terrasses et plateformes. Les éléments de description relevés par l'expert ainsi que les photographies versées aux débats conduisent à qualifier l'espace végétalisé de plateforme accessible au sens de la loi, en dépit de l'absence de garde-corps.

Il en résulte que les mesures depuis la ligne extérieure de cet aménagement, qui constitue la limite de la terrasse, et jusqu'à la ligne de séparation des deux propriétés sont inférieures aux limites légales de 190 cm, que cette situation préexistait aux travaux de retrait des limites de la terrasse, et que dès lors l'extension réalisée par les intimés est génératrice de vues illicites sur le fonds de [Y] [W].

En dépit de la présence de pares-vues en bois et d'une végétation importante sur le fonds de l'appelant, les photographies versées permettent de constater objectivement l'existence des vues depuis l'extension de la terrasse.

Dès lors le jugement sera infirmé sur ce point.

Par suite de ces constatations, l'expert a développé les travaux à réaliser pour faire cesser ces vues, qui consistent notamment à la suppression des deux murets de 70 cm, à bâtir un mur sur toute la largeur du local borgne situé en dessous de la terrasse à une distance de 190 cm de la limite divisoire, à démonter la dalle qui se trouve entre la limite divisoire et la ligne parallèle située à 190 cm. Les intimés ne produisent aucun élément destinés à proposer une autre solution permettant de faire cesser les vues illicites.

Il conviendra en conséquence de considérer la solution proposée par l'expert judiciaire en pages 35 et 36 de son rapport comme opportune et de condamner [G] [A] [H] et [O] [E] épouse [A] [H] à démolir l'extension de la terrasse litigieuse, de façon à ce que le bord extérieur (hors oeuvre) de la terrasse soit déplacée au-delà d'une droite parallèle à la limite divisoire, vers le Nord/Ouest, qui devra se situer au minimum à 1,90 mètre, conformément aux points 1 à 7 de la solution technique préconisée par le rapport d'expertise judiciaire, dans un délai de 4 mois à compter de la décision à intervenir. En raison de l'ancienneté du litige et de la position des intimés il conviendra d'assortir cette condamnation d'une astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard durant 6 mois.

sur la suppression de la dalle en béton et de l'escalier

Le premier juge a considéré que l'escalier descendant vers la zone G telle que qualifiée par l'expert, qui se situe entre le mur de la terrasse d' [G] [A] [H] et [O] [E] épouse [A] [H] et le mur séparatif avec la propriété de [Y] [W], ainsi que la dalle sont des aménagements exclus de ceux évoqués par l'article 678 du code civil en ce qu'il ne s'agit que d'aménagements au sol, et qu'ils ne peuvent donc occasionner des vues illicites.

L'expert judiciaire retient que le dallage aménagé sur la restanque en dessous de la terrasse litigieuse occasionne une vue possible directe et oblique sur le terrain de M.[W] situées à 8 cm. Il ajoute que l'escalier menant à cette dalle est susceptible de créer des vues droites illicites sur toute sa longueur, situées à 8 cm de la limite divisoire.

S'agissant de l'escalier, il résulte des photographies versées aux débats que celui-ci se situe le long du mur mitoyen séparatif. La hauteur du mur et la présence de pares-vues empêchent une vue directe ou oblique depuis l'escalier, ce d'autant que les terrains sont en restanques et que l'escalier se situe plus bas que le terrain de l'appelant. Le fait que l'escalier se situe au plus près à 8 cm de la limite divisoire n'est donc pas susceptible d'être qualifié d'ouvrage créateur de vues au sens de la loi.

S'agissant de la dalle, située dans la zone G, il sera constaté que celle-ci ne constitue qu'un aménagement du sol, au même titre que ceux réalisés par l'appelant sur son fonds, qu'il n'est pas démontré qu'elle résulte d'un réhaussement de terrain permettant de qualifier l'existence d'une saillie au sens de la loi, et que la distance relevée par l'expert au titre des vues directes et obliques doit tenir compte de la situation en restanque des deux terrains et de la présence au droit de la dalle du mur mitoyen.

En conséquence [Y] [W] échoue à qualifier l'existence de vues depuis l'escalier et la dalle situés sur le fonds des intimés, il conviendra en conséquence de confirmer le jugement sur ce point en ce qu'il a rejeté la demande de suppression de l'escalier et de la dalle.

Par ailleurs, [Y] [W] n'expose pas le fondement juridique destiné à contraindre les intimés à installer des végétaux de densité et de hauteur suffisantes pour assurer l'intimité sur son fonds, ce d'autant qu'aucune vue au sens de la loi n'est caractérisée depuis la zone G. La demande sera rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

Sur la demande au titre de la perte de valeur immobilière

[Y] [W] forme cette demande à titre subsidiaire en cas de rejet de la demande de démolition des ouvrages. Sa demande de démolition de l'extension de la terrasse ayant été accueillie, la cour n'est donc saisie qu'au titre de la perte de valeur de son bien à raison de la présence de l'escalier et de la dalle sur le bas du terrain appartenant aux intimés.

À cet égard, les deux rapports immobiliers, dont le plus récent a été établi le 3 mai 2021, considèrent que la perte de valeur du bien immobilier de l'appelant est caractérisée par la situation de vues depuis la terrasse, sans pour autant relever d'éléments dépréciatifs à raison de la présence de l'escalier ou de la dalle extérieure. Il n'est donc pas établi l'existence d'une perte de valeur en raison de la présence de ces aménagements.

La demande sera rejetée, et le jugement confirmé sur ce point.

Sur la demande au titre du préjudice de jouissance et du préjudice moral

La perte de jouissance a été reconnue par le premier juge à hauteur de 2.000 euros, qui a fait droit à la demande au titre des intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation en date du 29 mai 2012, et capitalisation des intérêts à compter de cette même date.

[Y] [W] ne produit aucun élément nouveau permettant de remettre en cause cette évaluation. Il conviendra en conséquence de la confirmer.

La demande au titre du préjudice moral qui n'est étayée par aucun élément objectif en lien avec l'existence de vues depuis l'extension de la terrasse sera rejetée, au même titre qu'en première instance.

La condamnation d' [G] [A] [H] et [O] [E] épouse [A] [H] à lui verser la somme de 1 euro au titre de l'achat des bâches sera confirmée puisqu'il est établi par les photographies que [Y] [W] a installé de telles bâches sur son fonds afin de diminuer les vues provenant de l'extension de la terrasse.

sur les demandes accessoires

En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient d'infirmer le jugement dans ses dispositions concernant les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

Dans la mesure où [G] [A] [H] et [O] [E] épouse [A] [H] succombent partiellement, il sera fait masse des dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire de 13.652,89 euros, [G] [A] [H] et [O] [E] épouse [A] [H] seront condamnés à hauteur des 2/3 de la somme et [Y] [W] au 1/3 .

Les demandes formées aux frais irrépétibles seront rejetées, l'ensemble des parties succombant totalement ou partiellement dans leurs prétentions.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare [Y] [W] recevable à agir,

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté [Y] [W] de ses demandes au titre des vues créés depuis l'escalier et la dalle situés sur le fonds d'[G] [A] [H] et [O] [E] épouse [A] [H], de sa demande de condamnation à planter des végétaux dans la zone G de leur fonds, de sa demande subsidiaire en indemnisation de la perte de valeur de son bien, en ce qu'il a rejeté la demande au titre du préjudice moral, en ce qu'il a octroyé à [Y] [W] la somme de 2000 euros au titre du préjudice de jouissance, et 1 euro au titre de l'achat des bâches,en ce qu'il a fait droit à la demande d'intérêts au taux légal et de capitalisation,

Infirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau ;

Vu le rapport d'expertise de [N] [F] en date du 13 octobre 2018 ;

Condamne [G] [A] [H] et [O] [E] épouse [A] [H] à démolir l'extension de la terrasse litigieuse, de façon à ce que le bord extérieur (hors oeuvre) de la terrasse soit déplacé au-delà d'une droite parallèle à la limite divisoire, vers le Nord/Ouest, qui devra se situer au minimum à 1,90 mètre, conformément aux points 1 à 7 de la solution technique préconisée par le rapport d'expertise judiciaire en page 35 à 36 de son rapport, dans un délai de 4 mois à compter de la décision à intervenir,

Dit que passé ce délai et à défaut de s'être exécutés, [G] [A] [H] et [O] [E] épouse [A] [H] seront tenus au paiement d'une astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard durant 6 mois ,

Fait masse des dépens en ce compris les frais d'expertise de 13.652,89 euros ;

Condamne [G] [A] [H] et [O] [E] épouse [A] [H] aux 2/3 des dépens,

Condamne [Y] [W] aux 1/3 des dépens,

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 20/10487
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;20.10487 ?
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