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17/04/2024 | FRANCE | N°22/08370

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 17 avril 2024, 22/08370


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 17 AVRIL 2024

ac

N° 2024/ 150













N° RG 22/08370 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJROA







[B] [C]





C/



Etablissement CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES



























Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Aude ADJEMIAN

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SELARL LX AIX EN PROVENCE,



















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux de TARASCON en date du 11 Mai 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 20/01647.



APPELANT



Monsieur [B] [C]

demeurant [Adresse 14]



représenté par Me Aude ADJEM...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 17 AVRIL 2024

ac

N° 2024/ 150

N° RG 22/08370 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJROA

[B] [C]

C/

Etablissement CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Aude ADJEMIAN

SELARL LX AIX EN PROVENCE,

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux de TARASCON en date du 11 Mai 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 20/01647.

APPELANT

Monsieur [B] [C]

demeurant [Adresse 14]

représenté par Me Aude ADJEMIAN, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

INTIME

Etablissement CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES , dont le siège social est [Adresse 12], agissant poursuites et diligences de sa directrice en exercice, Madame [E] [Y], dûment habilitée en application de l'article R 322-37 aliéna 6 du Code de l'Environnement, domiciliée ès qualités audit siège

représenté par la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté Me Yohann LECONTE de la SCP EY SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de NANTES substitué par Me Jaoued RADI avocat au barreau de LYON, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Audrey CARPENTIER, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Marc MAGNON, Président

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Avril 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Avril 2024

Signé par M. Marc MAGNON, Président et Madame Danielle PANDOLFI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié du 8 janvier 2004 les époux [J] ont consenti à [B] [C], exploitant agricole, un bail rural portant sur l'exploitation des parcelles de terres situées à [Localité 11] et au [Localité 15].

Selon acte authentique du 29 septembre 2017 de donation, ils ont transmis au Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres la propriété d'une partie desdites terres.

Par acte d'huissier du 29 juin 2020, le Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres a donné congé à Monsieur [C] en lui demandant de libérer les lieux pour le 31 décembre 2021, en indiquant que les parcelles objet du bail avaient été classées dans son domaine propre en vertu d'une délibération de son Conseil d'administration du 16 novembre 2017, de sorte qu'elles faisaient désormais partie du domaine public.

Par décision du 11 mai 2022 le tribunal paritaire des baux ruraux de Tarascon a validé le congé délivré à [B] [C] le 19 juin 2020 par le conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres sur les parcelles situées [Adresse 14] à [Localité 11], débouté [B] [C] de sa demande de renouvellement de bail, avant dire droit ordonné une expertise sur la demande de fixation de l'indemnité due au titre des investissements effectués, débouté [B] [C] de sa demande de provision.

Par acte du 10 juin 2022 [B] [C] a interjeté appel de ces chefs :

- Validé le congé délivré à Monsieur [C] le 19 juin 2020 par le conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres sur les parcelles sises sur [Adresse 14], pour une contenance totale de 178ha, à effet au 31 décembre 2021,

- Débouté Monsieur [B] [C] de sa demande tendant à voir le bail rural renouvelé sur ces parcelles,

- Ordonné une expertise aux fins de voir fixer l'indemnité due au titre des investissements effectués et des améliorations apportées au fonds loué conformément aux dispositions de l'article L.411-69 du code rural

Par conclusions notifiées par voie électronique le 9 octobre 2023 l'appelant demande à la cour de :

REFORMER le Jugement dont appel en ce qu'il a :

- Validé le congé délivré à Monsieur [C] le 19 juin 2020 par le conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres sur les parcelles sises sur [Adresse 14], pour une contenance totale de 178ha, à effet au 31 décembre 2021,

- Débouté Monsieur [B] [C] de sa demande tendant à voir le bail rural renouvelé sur ces parcelles,

- Avant dire droit, Ordonné une expertise aux fins de voir fixer l'indemnité due au titre des investissements effectués et des améliorations apportées au fonds loué conformément aux dispositions de l'article L.411-69 du code rural et non comme en matière de résiliation dans les conditions établies par le Code de l'expropriation suite à une décision de changement de destination des terres affermées.

Statuant de nouveau,

A titre principal,

PRONONCER la nullité du congé signifié à Monsieur [B] [C] par acte d'huissier du 29 juin 2020 pour vice de fond et dans la mesure où il ne répond pas aux motifs établis par le code rural ;

En conséquence,

PRONONCER le renouvellement du bail rural à compter du 1er janvier 2022

A titre subsidiaire,

DIRE que le bail rural aurait pu être résilié amiablement lors du passage des terres dans le domaine propre du Conservatoire et après que cette nouvelle destination ait été portée à la connaissance du public et à la connaissance du fermier et qu'en conséquence Monsieur [C] aurait dû être indemnisé comme en matière de résiliation dans les conditions établies par le Code de l'expropriation suite à une décision de changement de destination des terres affermées.

En conséquence,

PRONONCER la résiliation du bail rural conclu en 2004 avec effet au 31 décembre 2021

Avant dire droit,

ORDONNER une expertise judiciaire et désigner à cet effet tel expert qu'il plaira à la Cour avec pour mission habituelle en la matière et notamment celle de fixer le préjudice de Monsieur [C] comme en matière d'expropriation

DIRE que la consignation destinée à garantir les honoraires et frais de l'expert sera supportée par le Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres

DÉBOUTER le Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes, et notamment de son appel incident.

À ce titre,

DÉBOUTER le Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres de sa demande tendant à voir renvoyer Monsieur [C] à mieux se pouvoir devant les juridictions administratives et plus particulièrement du Tribunal Administratif de Marseille

En conséquence,

CONFIRMER le Jugement dont appel en ce qu'il s'est déclaré compétent,

A titre subsidiaire,

CONFIRMER le Jugement de première instance en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise judiciaire avec pour mission de fixer une indemnité due « au titre des investissements effectués et des améliorations apportées au fonds loué », « d'inventorier les investissements effectués et les améliorations apportées au fonds loué par Monsieur [C] depuis sa prise de possession des parcelles » et de « tenir compte des dispositions de l'article L.411-69 du code rural ».

CONDAMNER le Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres à lui payer la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du CPC, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance.

Il fait valoir :

- que le congé a été délivré par le Président du Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres ;

- qu'il est affecté d'un vice de fond prévu par l'article 117 du code de procédure civile ;

- qu'aucun motif prévu par la loi n'est invoqué dans le congé ;

- que le classement dans le domaine propre du Conservatoire du Littoral, ne saurait faire obstacle à lui seul au droit au renouvellement du bail acquis par ce dernier dès le début de son bail renouvelé une première fois le 1er janvier 2013,

- que suite à la donation des terres données à bail rural, effectuée en 2017, au profit du Conservatoire aucun contrat n'a été conclu avec le Conservatoire du Littoral, venant se substituer audit bail rural conclu en 2004 avec les époux [J],

- que pour le preneur à bail régulièrement titré, le classement est un simple fait qui lui cause préjudice et ouvre droit à un recours en réparation,

- qu'il convient donc de se référer aux garanties accordées en matière d'expropriation de l'article L 321-1 du code de l'expropriation pour utilité publique ;

- que selon le rapport de Monsieur [T] [M], expert judiciaire près la Cour d'appel de TOULOUSE, le montant de l'indemnité due à Monsieur [C] s'élève à la somme de 1.319.074,50 € HT euros ;

- que le tribunal judiciaire est compétent pour ordonner l'expertise et statuer sur la demande indemnitaire puisque l'ordre juridictionnel compétent pour connaître d'une action en annulation d'un contrat conclu entre une personne publique et une personne privée dépend de la nature, administrative ou de droit privé, de ce contrat, laquelle s'apprécie à la date à laquelle il a été conclu, en l'espèce de droit privé ;

Par conclusions notifiées le 5 octobre 2023 le Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres demande à la cour au visa des articles 232, 233, 649, 117 et 114 du Code de procédure civile, L. 322-9, L. 322-1, R. 322-6, R. 322-7, R. 322-37 alinéa 6 et R. 322-26 du Code de l'environnement, L. 2122-3, L. 2122-9 et L. 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, L. 411-69 et L. 411-47 du Code rural de :

Réformer le jugement sus énoncer et daté en ce qu'il a ordonné une expertise en application de l'article 232 du Code de procédure civile et en ce qu'il a donné pour mission à l'expert de fixer une indemnité due « au titre des investissements effectués et des améliorations apportées au fonds loué », « d'inventorier les investissements effectués et des améliorations apportées au fonds loué par Monsieur [C] depuis sa prise de possession des parcelles » et de « tenir compte des dispositions de l'article L. 411-69 du Code rural » ;

Et statuant à nouveau,

'De rejeter les demandes de Monsieur [C] visant à la désignation d'un expert judiciaire ;

'Renvoyer Monsieur [C] à mieux se pourvoir devant les juridictions administratives et précisément devant le Tribunal administratif de Marseille pour intenter son action indemnitaire ;

'Confirmer pour le surplus la décision déférée en ses dispositions non contraires aux présentes,

-Débouter Monsieur [C] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

'CONDAMNER Monsieur [C] aux entiers dépens, dont les frais d'expertise, distraits au profit de Maître Romain CHER FILS, Membre de la SELARL LEXAVOUE Aix-en-Provence, Avocat associé, aux offres de droit.

'CONDAMNER Monsieur [C] à verser CONSERVATOIRE DU LITTORAL une somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il soutient :

- que le congé du 29 juillet 2020 est valable en ce que l'irrégularité concernant la mention « Président » est une irrégularité de forme, que l'acte a été donné par l'organe qui dispose de ces attributions et que l'appelant ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un grief au sens de l'article 114 alinéa 2 du code de procédure civile ;

- que le motif du congé tenant à l'incorporation des parcelles au domaine public est fondé puisque l'intégration dans le domaine public des parcelles acquises est systématique, qu'elle a été entérinée par la délibération du 16 novembre 2017 ;

-que dès lors le fermier ne dispose plus d'un droit au renouvellement du bail rural sans qu'il ne soit nécessaire de justifier des motifs prévus par le code rural à cet égard ;

- que le renouvellement du bail n'est pas envisageable car l'appartenance au domaine public interdit au preneur d'invoquer son droit au renouvellement en vertu du statut du fermage, qui ne s'applique plus à ces biens dorénavant incorporés au domaine public ;

- qu'en tant qu'occupant du domaine public, Monsieur [C] ne peut se prévaloir des dispositions applicables aux baux ruraux et prétendre détenir un droit au renouvellement de son bail rural ;

- que les règles en matière d'expropriation ne sont pas applicables ;

- que le congé n'a porté que sur l'impossibilité de renouveler le bail et non sur sa cessation anticipée ;

-que l'action indemnitaire de Monsieur [C] doit être portée devant la juridiction administrative, le préjudice de Monsieur [C] résultant de l'appartenance des parcelles dans le domaine public et dans la décision du CONSERVATOIRE DU LITTORAL de ne pas lui proposer une nouvelle convention d'occupation ;

- qu'il ne peut donc être demandé à un expert de procéder à une évaluation du montant d'indemnisation au titre des règles prévues par le Code rural et en particulier celles de l'article L. 411-69 du Code rural, alors que celles-ci ne sont plus applicables à la situation de Monsieur [C].

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Aux termes de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Les parties ont le 9 octobre 2023 des conclusions de procédure au titre des écritures présentées le même jour par l'appelant et à défaut de renvoyer le dossier. Cette décision a été accueillie favorablement puisqu'à l'audience du 9 octobre 2023 l'instance a fait l'objet d'un renvoi à l'audience du 9 février 2024. La cour n'est dès lors pas saisie de ces conclusions de procédure et uniquement des écritures notifiées par l'appelant le 9 octobre 2023 et par l'intimé le 5 octobre 2023.

Il est constaté que le dispositif des conclusions de l'appelant comporte des demandes de « dire et juger » qui ne constituent pas toutes des prétentions, mais des moyens, si bien que la cour n'en est pas saisie. 

sur la validité du congé

L'article 114 du code de procédure civile énonce qu'aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

L'article 117 du même code poursuit en indiquant que constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte :

Le défaut de capacité d'ester en justice ;

Le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une

personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ;

Le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice.

En l'espèce le congé signifié par le Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres à [B] [C] le 29 juin 2020 indique qu'il est donné à la demande du « Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres ['] représenté par sa directrice, Mme [E] [Y], bailleur », tandis que la première page de l'acte de signification mentionne que le congé est donné à la requête du « Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres agissant poursuites et diligences de son Président.

Cette discordance de mention s'apprécie comme une irrégularité de forme en ce qu'elle désigne de manière erronée le titre du représentant du Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres sans pour autant que l'appelant ne justifie d'une absence de pouvoir de cet organe de lui donner le congé litigieux. C'est donc à tort que [B] [C] soutient à l'application des dispositions de l'article 117 du code de procédure civile au titre de cette irrégularité qui est, par sa nature, régie par l'article 114 du code de procédure civile.

En l'absence de grief subi par l'appelant quant à la dénomination de l'organe lui ayant fait signifier la décision de congé, le moyen soulevé au titre de la nullité formelle de l'acte sera écarté.

Sur le fond l'article L.411-46 du Code Rural prévoit que le locataire dispose d'un droit au renouvellement du bail, nonobstant toutes clauses, stipulations ou arrangements contraires, à moins que le bailleur ne justifie de l'un des motifs graves et légitimes mentionnés à l'article L. 411-31 ou n'invoque le droit de reprise dans les conditions prévues aux articles L. 411-57 à L. 411-63, L. 411-66 et L. 411-67.

L'article L.322-1 du Code de l'environnement I énonce que le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est un établissement public de l'État à caractère administratif qui a pour mission de mener, après avis des conseils municipaux et en partenariat avec les collectivités territoriales intéressés, une politique foncière ayant pour objets la sauvegarde du littoral, le respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels ainsi que celle des biens culturels qui s'y rapportent.

L'article L. 322-9 du Code de l'environnement dispose que le domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres comprend les biens immobiliers acquis ainsi que ceux qui lui sont affectés, attribués, confiés ou remis en gestion par l'Etat. Le domaine propre du conservatoire est constitué des terrains dont il est devenu propriétaire et qu'il décide de conserver afin d'assurer sa mission définie à l'article L. 322-1. Le domaine relevant du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres est du domaine public à l'exception des terrains acquis non classés dans le domaine propre. Dans la limite de la vocation et de la fragilité de chaque espace, ce domaine est ouvert au public.

En l'espèce, il est constant que par acte authentique du 8 janvier 2004 les consorts [J]-[H] ont donné à bail à ferme à [B] [C] diverses parcelles de terres en nature de landes dépendant de la propriété du Hameau de Moulès dénommée [Adresse 14], cadastrées DL [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 7], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], DM [Cadastre 1], [Cadastre 5], [Cadastre 6] et sur le lieu-dit [Localité 13] au [Localité 15] cadastrées AH [Cadastre 10] et [Cadastre 2], que par suite d'un acte authentique du 29 septembre 2017 les consorts [J]-[H] ont notamment donné au Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres la propriété des parcelles DL [Cadastre 9] DM [Cadastre 1], [Cadastre 5], [Cadastre 6], AH [Cadastre 10] et [Cadastre 2] et que par délibération du 16 novembre 2017 ces parcelles ont fait l'objet d'une décision de classement dans le domaine propre du Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres au sens des dispositions de l'article L.322-1 du code de l'environnement.

Par l'effet de ce classement les parcelles données à bail à [B] [C] ont changé de catégorie en relevant du domaine public. Il est en effet acquis que les baux de droit privé ne sauraient être conclus sur le domaine public puisque selon l'article L.3111-2 du code de la propriété des personnes publiques, les biens qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles.

Partant, l'intégration des parcelles données à bail à ferme dans le domaine public à compter du 16 novembre 2017 rend inapplicable les dispositions prévues par le code rural. [B] [C] n'est donc pas fondé à soutenir que le congé est inopérant aux motifs qu'il n'est pas causé par l'un des motifs prévus à cet effet par la loi. C'est donc à bon droit que le premier juge a considéré que le congé donné à [B] [C] est valable.

La demande présentée par [B] [C] au titre du droit au renouvellement du bail est par l'effet de la validité du congé sans objet. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Il n'est pas d'avantage fondé à soutenir que le bail rural aurait pu être résilié amiablement lors du passage des terres dans le domaine public. En effet le moyen soutenu au titre de l'analogie avec la procédure d'expropriation étant inopérant puisque [B] [C] n'a jamais eu la qualité de propriétaire des terres, que le Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres a exercé son droit en tant que propriétaire de parcelles relevant du domaine public en lui annonçant son intention de ne pas renouveler le bail conclu le 8 janvier 2004 à la date du terme fixé au 31 décembre 2021. La demande de résiliation du bail avec effet au 31 décembre 2021 est donc également rejetée.

Sur la demande d'expertise

L'article L411-69 du code rural et de la pêche maritime prévoit que le preneur qui a, par son travail ou par ses investissements, apporté des améliorations au fonds loué a droit, à l'expiration du bail, à une indemnité due par le bailleur, quelle que soit la cause qui a mis fin au bail. Sont assimilées aux améliorations les réparations nécessaires à la conservation d'un bâtiment indispensable pour assurer l'exploitation du bien loué ou l'habitation du preneur, effectuées avec l'accord du bailleur par le preneur et excédant les obligations légales de ce dernier. Il en est de même des travaux ayant pour objet de permettre d'exploiter le bien loué en conformité avec la législation ou la réglementation.

En cas de vente du bien loué, l'acquéreur doit être averti par l'officier public ou ministériel chargé de la vente du fait qu'il supportera, à la sortie du preneur, la charge de l'indemnité éventuellement due à celui-ci.

La demande du preneur sortant relative à une indemnisation des améliorations apportées au fonds loué se prescrit par douze mois à compter de la date de fin de bail, à peine de forclusion.

Il est admis que le droit rural cesse de s'appliquer en cas d'intégration de la parcelle dans le domaine public et que si l'occupant, ancien titulaire du bail rural, est susceptible de se maintenir, sous condition, sur le domaine public, il se voit privé de nombreuses prérogatives liées au bail rural.

En l'espèce le contrat de bail rural conclu le 8 janvier 2004 a continué à produire ses effets lors de la donation intervenue le 29 septembre 2017 et jusqu'à la décision de classement des parcelles au domaine propre du Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres le 16 novembre 2017. Les parcelles litigieuses, jusqu'au 16 novembre 2017, ne relevaient pas du domaine public puisqu'il est établi que suite à la donation des terres données à bail rural aucun contrat n'a été conclu avec le Conservatoire du Littoral venant se substituer au bail rural.

À ce titre si la demande formée par [B] [C] au titre de l'évaluation du préjudice financier similaire à une situation d'expropriation sera rejetée, car il a été retenu ci-avant que ces dispositions n'étaient pas transposables au cas d'espèce puisqu'il ne s'agit pas d'une résiliation du bail, mais de son absence de renouvellement, celle fondée sur les dispositions de l'article L411-69 du code rural est en revanche juridiquement admise compte tenu de la situation des parcelles jusqu'à l'intégration dans le domaine public.

C'est donc à bon droit que le jugement entrepris a considéré que [B] [C] pouvait prétendre à l'évaluation de l'indemnité financière des investissements qu'il a réalisés pour son activité d'éleveur de taureaux sur les parcelles données à bail à ferme et à tout le moins jusqu'au classement de celles-ci dans le domaine public, en ordonnant une mesure d'expertise judiciaire avec pour mission de fixer une indemnité due « au titre des investissements effectués et des améliorations apportées au fonds loué », « d'inventorier les investissements effectués et les améliorations apportées au fonds loué par Monsieur [C] depuis sa prise de possession des parcelles » et de « tenir compte des dispositions de l'article L.411-69 du code rural ».

Les moyens soulevés au titre de l'incompétence de la juridiction judiciaire sont inopérants puisqu'il n'est pas démontré que [B] [C] ait été occupant sans titre des parcelles, le congé donné le 29 juin 2020 prenant effet le 31 décembre 2021, que la demande indemnitaire présentée ne repose pas sur le refus de conclure une convention d'occupation temporaire du domaine public et n'est pas causée par la recherche de la responsabilité de la personne publique.

En conséquence le jugement sera confirmé sur ce point.

sur les demandes accessoires

En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient de confirmer le jugement dans ses dispositions concernant les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

Le Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres qui succombe sera condamné aux dépens et aux frais irrépétibles qu'il est inéquitable de laisser à la charge de [B] [C].

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Déboute [B] [C] de sa demande de résiliation du bail conclu le 8 janvier 2004 ;

Condamne le Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres aux entiers dépens ;

Condamne le Conservatoire de l'espace Littoral et des rivages lacustres à verser à [B] [C] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 22/08370
Date de la décision : 17/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-17;22.08370 ?
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