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11/04/2024 | FRANCE | N°21/06803

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 11 avril 2024, 21/06803


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 11 AVRIL 2024

ac

N° 2024/ 142









Rôle N° RG 21/06803 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHNBO







S.C.I. SCI DES CENTAURES





C/



[I] [U]

[F] [B]





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



SELARL AVOCATIA



l'ASSOCIATION CM AVOCATS MARSEILLE






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Décision déférée à la Cour :



Jugement du tribunal judiciaire de Marseille en date du 09 Mars 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 17/12514.





APPELANTE



S.C.I. DES CENTAURES, dont le siège social est [Adresse 4], pris en la personne de son gérant en exercice



représentée par...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 11 AVRIL 2024

ac

N° 2024/ 142

Rôle N° RG 21/06803 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHNBO

S.C.I. SCI DES CENTAURES

C/

[I] [U]

[F] [B]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SELARL AVOCATIA

l'ASSOCIATION CM AVOCATS MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du tribunal judiciaire de Marseille en date du 09 Mars 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 17/12514.

APPELANTE

S.C.I. DES CENTAURES, dont le siège social est [Adresse 4], pris en la personne de son gérant en exercice

représentée par Me Cyril LUBRANO-LAVADERA de la SELARL AVOCATIA, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Monsieur [I] [U]

demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Julien FLANDIN de l'ASSOCIATION CM AVOCATS MARSEILLE, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [F] [B]

demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Julien FLANDIN de l'ASSOCIATION CM AVOCATS MARSEILLE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 13 Février 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Marc MAGNON, Président

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2024,

Signé par Monsieur Marc MAGNON, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La Sci des Centaures est propriétaire des parcelles AP [Cadastre 7], [Cadastre 8] et [Cadastre 9] situées à Roquefort La Bedoule. [F] [B] et [I] [U] sont quant à eux propriétaires de la parcelle voisine cadastrée AP n°[Cadastre 1].

Par acte authentique du 27 décembre 1990 deux servitudes de passage conventionnelles ont été instituées sur ces fonds, auquel est annexé un plan représentant le tracé des servitudes en rouge pour la servitude grevant le fonds d'[F] [B] et [I] [U] au profit du fonds de la Sci des Centaures et en bleu pour celle grevant le fonds de la Sci des Centaures à leur profit.

Soutenant que [F] [B] et [I] [U] en suite des travaux de construction de leur bien ont obstrué la servitude de passage grevant leur fonds, la Sci des Centaures a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Marseille.

Par ordonnance du 14 octobre 2015 [I] [U] et [F] [B] ont notamment été condamnés à remettre en état et rétablir la servitude de passage matérialisée en rouge sur le plan annexé à l'acte du 27 décembre 1990 dont bénéficie la SCI DES CENTAURES sous astreinte de 300 euros par jour de retard.

Par jugement du 26 janvier 2017 le juge de l'exécution a liquidé l'astreinte à la somme de 40.000 euros et a condamné [I] [U] et [F] [B] au paiement de cette somme.

Par décision du 4 avril 2019 la cour d'appel a infirmé la décision en tenant compte de la difficulté de remettre la servitude de passage en état en raison d'une cause étrangère.

Par ordonnance rendue le 15 décembre 2017 [I] [U] et [F] [B] ont obtenu la désignation d'un géomètre expert.

L'expert a déposé son rapport le 4 octobre 2018.

Soutenant que la servitude de passage grevant leur fonds est éteinte, [I] [U] et [F] [B] ont fait assigner le 9 novembre 2017 la Sci des Centaures devant le tribunal de grande instance de Marseille.

Par jugement du 9 mars 2021 le tribunal judiciaire de Marseille a statué en ces termes :

- Écarte des débats la pièce n°32 de la Sci des Centaures,

- Constate l'extinction de la servitude conventionnelle grevant le fonds cadastré section AP n°[Cadastre 10], [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3], au profit du fonds section AP n°[Cadastre 7], [Cadastre 8] et [Cadastre 9], telle qu'elle résultait de l'acte authentique en date des 6 août et 27 décembre 1990, et matérialisée par le plan de M. [C], géomètre-expert annexé à cet acte ;

- condamne la SCI DES CENTAURES à payer à [I] [U] et [F] [B] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne la SCI DES CENTAURES aux dépens, en ce compris les frais d'expertise ;

- déboute la SCI DES CENTAURES de ses demandes plus amples et contraires.

Aux motifs :

- que la pièce 32 a été établie pour les faits de la cause et concerne un fait dont il est établi que la date a été modifiée;

- que le rapport d'expertise démontre que la servitude de passage ne peut être mise en 'uvre pour une desserte de véhicules classiques en raison d'une pente de 30 %, de la présence d'un mur de soutènement, d'un coffret Edf et d'un arbre, que le chemin actuel qui empiète sur le domaine public ne correspond pas au tracé de la servitude de passage,

- que l'acte constitutif de la servitude est clair et n'est pas susceptible d'interprétation ;

- que la servitude de passage est éteinte ;

Par acte du 5 mai 2021 la Sci des Centaures a interjeté appel de la décision.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 1er février 2022, l'appelante demande à la cour de:

A titre principal,

INFIRMER le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Marseille le 09 mars 2021 en ce qu'il a écarté des débats la pièce n°53 de la SCI DES CENTAURES, constaté l'extinction de la servitude conventionnelle grevant le fonds cadastré section AP [Cadastre 10], [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3], au profit du fonds section AP [Cadastre 7], [Cadastre 8] et [Cadastre 9], débouté la SCI DES CENTAURES de ses demandes plus amples et condamner la SCI DES CENTAURES au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

CONFIRMER ledit jugement au surplus et notamment en ce qu'il a débouté les consorts [U] [B] de leurs demandes indemnitaires car non fondées ;

DEBOUTER les consorts [U] [B] de leur appel incident ;

Et statuant de nouveau,

CONFIRMER l'opposabilité de la servitude conventionnelle de passage réciproque constituée par l'acte notarié en date des 06 août et 27 décembre 1990 aux propriétaires des parcelles cadastrées section AP [Cadastre 10], [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] ;

ECARTER le plan annexé à l'acte notarié établi par Maître [L] les 6 août et 27 décembre 1990, car non conforme à la volonté des parties audit acte constitutif ;

Et par conséquent,

INTERPRÉTER ledit acte comme instituant une servitude de passage réciproque la plus vaste possible tant en son assiette qu'en son usage ;

A titre subsidiaire,

INFIRMER le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Marseille le 09 mars 2021 en ce qu'il a débouté la SCI DES CENTAURES de sa demande de reconnaissance de l'état d'enclave partielle des parcelles cadastrées AP [Cadastre 7], [Cadastre 8] et [Cadastre 9] ;

CONFIRMER ledit jugement au surplus et notamment en ce qu'il a débouté les consorts [U] [B] de leurs demandes indemnitaires car non fondées ;

DEBOUTER les consorts [U] [B] de leur appel incident ;

Et statuant de nouveau,

JUGER partiellement enclavée au sens de l'article 682 du code civil la parcelle cadastrée AP [Cadastre 7] [Cadastre 8] et [Cadastre 9],

Et par conséquent

ORDONNER la constitution d'une servitude de passage au bénéfice de la parcelle cadastrée AP [Cadastre 7] [Cadastre 8] et [Cadastre 9] (fonds dominant) sur la parcelle cadastrée AP [Cadastre 10], [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] (fonds servant) pour le passage des véhicules lourds et véhicules de secours et d'incendie, à l'exclusion de tout autre véhicule;

En tout état de cause,

CONDAMNER in solidum Madame [B] et Monsieur [U] à verser à la SCI DES CENTAURES la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code procédure civile ;

CONDAMNER in solidum Madame [B] et Monsieur [U] aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

ORDONNER la publication de la décision à intervenir auprès des services de la Publicité Foncière par la partie la plus diligente ;

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir :

-que les servitudes de passage conventionnelles bien qu'elles n'aient pas été publiées sont mentionnées dans les titres de propriété des parties et donc opposables ;

- que la réciprocité prévue à l'acte rend les deux servitudes interdépendantes ;

- que l'extinction de l'une doit nécessairement entraîner l'extinction de l'autre, puisque l'obligation créée par l'une trouve sa contrepartie dans l'autre ;

- que le plan annexé à l'acte constitutif de la servitude est inapplicable selon l'expert et contraire à la volonté des parties ;

- qu'en raison d'une contradiction entre le plan annexé et le titre il convient d'interpréter l'acte constitutif ;

- que l'impossibilité d'exercice de la servitude ne dure pas depuis trente ans puisque l'utilisation pédestre de la servitude demeure possible ;

- que les obstacles définis dans les procès verbaux de constat d'huissier et l'arrêté d'opposition ne sont pas des obstacles irrémédiables ;

- qu'à titre subsidiaire elle sollicite la reconnaissance du caractère d'enclave partielle en cas de suppression de son droit de passage compte tenu des caractéristiques de son petit chemin ;

- que sur la demande indemnitaire seuls les intimés sont responsables de leurs choix procéduraux ;

- que s'agissant de la pièce à écarter, le compte rendu de sortie de secours du 30 mars 2018 a bien été communiqué en première instance par l'appelante et fait intégralement partie de sa pièce 53 et que jusqu'à preuve du contraire ce dernier n'a pas été falsifié bien qu'il comporte des zones masquées et ce pour des raisons évidentes de confidentialité ;

- qu'elle produit en cause d'appel l'attestation de [X] [R] qui confirme les termes du compte rendu ;

Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 janvier 2024 les intimés demandent à la cour de :

CONFIRMER le jugement du Tribunal judiciaire de Marseille du 9 mars 2021 en ce qu'il a constaté l'extinction de la servitude conventionnelle de passage grevant le fonds cadastré section AP n°[Cadastre 10], [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3] au profit du fonds section AP n°[Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9] sis sur la commune de Roquefort-la-Bédoule telle qu'elle résultait de l'acte constitutif des 6 août et 27 décembre 1990 et qu'elle était matérialisée en rouge par le plan de monsieur [C], géomètre-expert, annexé à cet acte,

CONFIRMER le jugement du Tribunal judiciaire de Marseille du 9 mars 2021 en ce qu'il a débouté la SCI DES CENTAURES de toutes de ses demandes, fins et conclusions reconventionnelles, principales et subsidiaires,

À titre incident,

INFIRMER le jugement du Tribunal judiciaire de Marseille du 9 mars 2021 en ce qu'il a débouté consorts [U]-[B] de leur demande indemnitaire,

Statuant à nouveau,

CONDAMNER la SCI DES CENTAURES à payer aux consorts [U]-[B] la somme de 22 398, 80 € à titre de dommages et intérêts, en réparation des préjudices subis,

En tout de cause,

CONDAMNER la SCI DES CENTAURES à payer à monsieur [I] [U] et madame [F] [B] la somme de 5 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNER la SCI DES CENTAURES aux entiers dépens par application de l'article 699 du Code de procédure civile,

Ils répliquent:

- que la Sci des Centaures dispose d'un autre accès privatif ;

- que selon la superposition entre le plan annexé à l'acte constitutif et un plan de bornage, le rapport amiable du géomètre expert démontre que l'emprise de l'ancien passage revendiqué par la SCI DES CENTAURES se trouve en dehors de l'assiette de la servitude de passage matérialisée en rouge sur le plan annexé à l'acte constitutif des 6 août et 27 décembre 1990 ;

- qu'en suite de l'ordonnance du juge des référés rendue le 14 octobre 2015 l'administration communale s'est opposée aux travaux de rétablissement du tracé de la servitude en ce que celui-ci empiète sur le domaine public du [Adresse 12],

- que l'expertise judiciaire a ainsi validé la position résultant de l'étude réalisée par le géomètre-expert,

- que selon ce rapport l'ancien passage pris sur le fonds des consorts [U]-[B] se trouve en dehors de l'assiette de la servitude, la servitude empiète aujourd'hui sur le domaine public,

- que ces éléments ont été repris par la décision de la cour d'appel statuant sur la liquidation de l'astreinte ;

- que peu importe la nature de la servitude, dès lors que la demande est fondée sur l'impossibilité actuelle et définitive d'en user prévue par ledit article lequel est applicable indifféremment à une servitude pour cause d'enclave et à une servitude conventionnelle ;

- que les dispositions de l'article 703 du Code civil ne prévoient pas qu'en présence de servitudes réciproques, le juge soit tenu, pour déclarer éteinte celle dont il est établi qu'elle est définitivement impossible à utiliser, de constater l'impossibilité d'usage de l'autre.

- qu'il n'est pas nécessaire d'interpréter l'acte en raison de termes de l'acte et par référence au plan annexé et signé,

- que le plan de M [C] mentionne que les bornes ont été posées en présence des propriétaires soussignés qui acceptent sans conditions ni réserves les limites portées sur ce plan,

- que dès lors les parties signataires avaient une parfaite connaissance des limites de ce à quoi elles consentaient,

- que l'expert a matérialisé l'impossibilité actuelle d'utiliser la servitude de passage conformément au titre du fait de la forte déclivité, de la présence d'un arbre, d'un coffret EDF et d'un mur de soutènement de la voie publique,

- qu'il existe également une impossibilité juridique en raison de la position de la commune ;

- que l'appelante ne rapporte pas la preuve de la possibilité d'utiliser la servitude y compris à pied ;

- que le fonds de l'appelante n'est pas enclavé comme le démontre notamment son dossier de permis de construire qui fait figurer un accès privatif et direct sur la voie publique et lui permettant d'être utilisé par tout type de véhicules ;

- que depuis 2014 la SCI DES CENTAURES tente par tous les moyens de leur imposer un passage qui ne correspond pas à l'assiette de la servitude conventionnelle aujourd'hui éteinte alors qu'elle ne pouvait ignorer, dès l'origine, cette discordance manifeste et le caractère infondé de sa réclamation.

- que cette situation leur occasionne des préjudices matériels au titre des travaux de remblai effectués, de jouissance et moral;

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 30 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la mise à l'écart de la pièce 53

Les intimés sollicitent que la pièce 53 produite par l'appelante soit écartée des débats en ce qu'il s'agirait d'un document falsifié. Ladite pièce est une attestation établie par [X] [R], sapeur pompier, et un compte-rendu de sortie de secours en date du 30 mars 2018 et est destinée à soutenir qu'un véhicule de secours ne peut accéder à son fonds.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence dans son arrêt du 4 avril 2019 rendu dans l'instance relative à l'exécution de la remise en état de la parcelle a eu à statuer sur la recevabilité de cette pièce et a retenu qu'il est démontré que l'adresse mentionnée sur le compte rendu a été falsifiée en ce que le numéro de l'intervention ne correspond pas en réalité à l'adresse de l'appelante.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté ladite pièce compte tenu du doute sur sa valeur probatoire.

Sur les demandes au titre de la servitude de passage grevant le fonds de [F] [B] et [I] [U]

L'article 701 du code civil énonce que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode. Ainsi, il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée.

L'article 703 du Code civil précise que les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en tel état qu'on ne peut plus en user.

L'appelant conteste l'existence de causes d'extinction de la servitude de passage sur le fonds servant des appelants, en considérant notamment que le tracé annexé à l'acte authentique instituant la servitude de passage ne correspond pas à la volonté des parties à l'époque qui prévoyait un accès le plus large à son fonds, que l'extinction de la servitude ne peut résulter de la présence de ces obstacles qui selon elle ne se situent pas sur l'assiette de la servitude, et que les servitudes de passages sont interdépendantes.

Les intimés soutiennent en substance que la servitude de passage grevant leur fonds est éteinte depuis 2014, puisque le tracé, annexé à l'acte qui la constitue, ne peut être effectivement assuré en raison de la configuration des lieux, indépendamment des travaux qu'ils ont fait réaliser pour édifier leur bien à usage d'habitation, et que la commune leur a opposé un refus à la réalisation d'aménagements sur la voie publique destinés à restaurer le tracé théorique de la servitude de passage grevant leur fonds.

En l'espèce il est constant que par acte authentique des 6 août et 27 décembre 1990 ont été instituées deux servitudes de passages conventionnelles en ces termes :

« 1 ' Les hoirs [S], comparants de première part, concèdent, par le présent acte, à titre de servitude réelle et perpétuelle, sur la partie de leur propriété ci-dessus désignée cadastrée AP n°[Cadastre 7] (fonds servant) à M. [D], comparant de deuxième part, qui accepte, pour accéder à sa propriété ci-dessus désignée, cadastrée AP n°[Cadastre 10], n°[Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] (fonds dominant).

Le droit de passage le plus étendu sur une bande de terrain figurée par la teinte bleue sur le plan dressé par Monsieur [C], géomètre-expert à [Localité 11], dont un exemplaire, visé et approuvé par les parties, est demeuré ci-annexé après mention.

Ce droit de passage s'exercera en tout temps et à toute heure, et de la manière la plus étendue, tant par Monsieur [D] que par les hoirs [S], les membres de leur famille, leurs amis, invités, employés, fournisseurs ou autre et de la même manière par leurs ayants-droit respectifs.

Tous les travaux d'entretien et de réfection de ce droit de passage seront supportés à raison d'une moitié indivise par M [D] et à raison de l'autre moitié indivise par les Hoirs [S] et dans la même proportion par leurs ayants-droit respectifs quel qu'ils soient, chacune des parties et ses ayants droits conservant toutefois à sa charge exclusive tous ceux des travaux qui seraient la conséquence du passage de véhicules autres que des véhicules de tourisme.

Tous les travaux nécessaires pour aménager ce droit de passage seraient à la charge exclusive de M. [D] et de ses ayants-droit. Le présent acte est consenti sans indemnité de part, ni d'autre.

2° - De son côté M. [D], comparant de deuxième part, concède, par le présent acte, à titre de servitude réelle et perpétuelle, sur la partie de sa propriété ci-dessus désignée, cadastrée Section AP n°[Cadastre 1] (fonds servant) aux hoirs [S], comparants de première part, qui acceptent, pour accéder à leur propriété ci-dessus désignée, cadastrée Section AP [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8] et [Cadastre 9] (fonds dominant), Le droit de passage le plus étendu sur une bande de terrain figurée par la teinte rouge sur le plan susvisé qui est demeuré ci-annexé après mention.

Ce droit de passage s'exercera en tout temps et à toute heure, et de la manière la plus étendue, tant par les hoirs [S] que par M. [D], les membres de leur famille, leurs amis, invités, employés, fournisseurs ou autre et de la même manière par leurs ayants-droits respectifs.

Tous les travaux d'entretien et de réfection de ce droit de passage seront supportés à raison d'une moitié indivise par les Hoirs [S] et à raison de l'autre moitié indivise par M. [D] et dans la même proportion par leurs ayants-droit respectifs quel qu'ils soient, chacune des parties et ses ayants droit respectifs conservant toutefois à sa charge exclusive tous ceux de ces travaux qui seraient la conséquence du passage de véhicules autres que des véhicules de tourisme.

Tous les travaux nécessaires pour aménager ce droit de passage seraient à la charge exclusive de M. [D] et de ses ayants-droit. Le présent acte est consenti sans indemnité de part, ni d'autre ».

L'analyse de la rédaction de cet acte ne permet pas comme le soutient l'appelant d'établir une interdépendance dans l'utilisation des servitudes de passage. Les parties à l'acte ont ainsi prévu conjointement d'organiser le passage sur leurs parcelles respectives, sans que celui-ci ne soit conditionné à un exercice réciproque et équivalent au profit de l'autre fonds, puisque il est uniquement mentionné aux deux alinéas que « ce droit de passage s'exercera en tout temps et à toute heure, et de la manière la plus étendue », sans aucune référence à une condition de réciprocité.

Il en est de même s'agissant du plan établi par M. [C] et annexé à l'acte constitutif des servitudes en 1990 qui permet de représenter les lieux distinctement et le tracé des servitudes tel que retenu par les parties présentes à l'acte à l'époque. A ce titre le moyen soulevé au titre de la discordance entre la volonté des parties à l'acte de 1990 et le plan annexé n'est pas démontré par l'appelant, ce d'autant que les parties ont signé le plan annexé à l'acte et que le géomètre y a mentionné que les bornes « ont été posées en présence des propriétaires soussignés qui acceptent sans conditions ni réserves les limites portées sur ce plan ».

A cet égard, l'attestation de Mme [Z], fille de l'auteur de l'appelante signataire de l'acte, relatant que le plan annexé serait erroné en ce que le tracé ne correspond pas à l'intention des parties, n'est étayée par aucun élément objectif suffisamment probant pour remettre en cause la volonté des parties telle qu'exprimée par l'apposition de leurs signatures sur ledit plan.

La demande d'interprétation de l'acte sollicitée par l'appelant est donc sans objet.

Il convient en conséquence d'appréhender le litige en se fondant notamment sur l'acte authentique instituant les servitudes de passage et le tracé annexé.

L'expert judiciaire retient à l'issue de ses opérations que « le plan de servitudes établi par Monsieur [C] ne peut être mis en 'uvre pour une desserte de véhicules classiques. La partie teintée en bleu est en pleine pente. La partie teintée en rouge, d'une largeur d'environ 2.70 mètres comporte un dénivelé d'environ 1,50 m dans son point le plus défavorable (') le premier obstacle pour un bon usage de l'assiette de la servitude est la topographie existante, et ce avant toute construction ou aménagement réalisés sur l'emprise de la servitude. Par ailleurs, dans l'emprise de la servitude, il existe un mur de soutènement ancien, d'une hauteur maximum de 1.70 m retenant le [Adresse 12] et son accotement, un arbre ancien également, ainsi qu'un coffret EDF ».

Selon ces éléments, le tracé annexé à l'acte de 1990, qui constitue la volonté des parties constituantes, ne peut objectivement permettre l'utilisation de l'assiette de la servitude de passage au profit du fonds de la Sci des Centaures, et ce depuis un certain temps compte tenu de la présence d'arbres, d'un mur de soutènement, d'un accotement de la voie publique, et ce indépendamment des travaux réalisés par les intimés sur leur fonds en 2014.

Les attestations produites par l'appelante, et notamment celle de Mme [Z], ne permettent pas d'expliquer la discordance entre le tracé reproduit sur le plan de M. [C] et la topographie des lieux qui préexistait à l'établissement de ce plan.

Pour autant ces contraintes sont également objectivées par le constat d'huissier du 19 août 2015 qui permet à la cour de constater la présence de l'arbre, de l'accotement, du mur de soutènement et d'une pente. Tandis que la superposition graphique du plan établi par M. [C] lors de détachement de parcelle dressé en 1988 et réutilisé en 1990 et le plan de bornage dressé par le même géomètre le 26 juin 2014 retient également que le chemin mentionné en haut de la parcelle des intimés se situe hors de l'emprise de la servitude de passage, et qu'un mur de soutènement se trouve au droit de leur parcelle pour se poursuivre sur le chemin d'accès à la propriété de l'appelante.

Cette appréciation de l'incompatibilité entre le tracé souhaité par l'appelant et la configuration des lieux a également été retenue par la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Dans son arrêt du 4 avril 2019, alors qu'elle était saisie de la liquidation de l'astreinte prononcée par le juge de référés le 14 octobre 2015 et liquidée par décision du juge de l'exécution le 26 janvier 2017, au titre du rétablissement du passage, la cour a considéré qu'il existait une discordance entre le tracé représenté par le plan de 1990 et la topographie du terrain ne permettant pas à [F] [B] et [I] [U] de l'appliquer.

Aux contraintes matérielles, s'ajoute la contrainte juridique émise par la commune de [Localité 13] à l'égard des intimés, en ce qu'elle a, par arrêté du 30 mai 2016, émis une opposition aux travaux de rétablissement de la servitude de passage telle que figurée sur le plan de 1990 aux motifs que «  La multiplication des piquages sur la voie est de nature à créer un danger pour la sécurité des usagers des accès ainsi que ceux de la voie publique. L'assiette du chemin projeté empiète pour partie sur le [Adresse 12], déjà traitée en nature de voirie. À ce titre, il est demandé la régularisation de cette bande de terrain, correspondant à une emprise de 9 m² environ. Le projet ne peut conduire à une modification de la voie ouverte à la circulation générale. Les travaux envisagés ne doivent pas conduire à un rétrécissement de la voie».

Pour s'opposer à l'existence de ces obstacles, l'appelant soutient que l'acte de 1990 envisage la possibilité pour les parties de modifier le tracé de la servitude en l'adaptant au terrain et à l'utilisation de véhicule autre que de tourisme. Pour autant la mention ainsi rédigée que « Tous les travaux nécessaires pour aménager ce droit de passage » s'applique nécessairement à l'assiette de la servitude, et ne doit pas conduire à la déplacer ou l'élargir.

L'appelant qui reconnaît lui-même dans ses écritures que le tracé actuel est impraticable ne peut dès lors obtenir un autre passage en déplaçant l'assiette de celle-ci. De même l'affirmation que le passage peut être uniquement piétonnier n'est pas démontré par l'appelante.

L'ensemble de ces éléments objectivés conduit à considérer, comme l'a fait le premier juge, que la servitude de passage grevant le fonds de [F] [B] et [I] [U] est éteinte en ce que la présence d'obstacles naturels, constructifs, et juridiques, ne sont pas compatibles avec son usage. Il conviendra en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la servitude de passage litigieuse éteinte.

L'appelante soutient à titre subsidiaire qu'en cas d'extinction de cette servitude de passage, son fonds est enclavé.

À cet égard, il convient de relever que l'appelante ne conteste pas qu'au moins depuis 2014 le chemin qui servait d'assiette à la servitude de passage au profit de son fonds est impraticable, sans qu'elle n'ait eu de difficultés pour y accéder.

Les différentes photographies réalisées lors du constat d'huissier précité mettent quant à elles en évidence l'existence d'un accès propre au fonds de l'appelante, depuis le [Adresse 12], et indépendamment de la servitude de passage litigieuse, ce qu'elle ne conteste pas.

Elle soutient, s'agissant de cet accès, qu'il ne permet pas d'être utilisé par des véhicules de type remorques ou camions. Toutefois elle ne démontre pas que la largeur du chemin privatif soit incompatible avec le passage de ce type de véhicules, puisque le constat d'huissier précité qui indique « qu'il existe bien une autre voie d'accès » ne permet pas de le considérer comme limité, ni même que ce chemin soit moins commode que celui de la servitude de passage litigieuse pour lequel elle a expressément reconnu qu'il était impraticable.

L'appelante échoue en conséquence à caractériser la situation d'enclave de son fonds consécutivement à l'extinction de la servitude de passage grevant le fonds des intimés. La demande formée à ce titre sera donc rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

Sur la demande indemnitaire des intimés

L'article 1240 du code civil énonce que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Les intimés affirment subir un préjudice de jouissance en raison de l'impossibilité d'accéder à leur garage, de clôturer leur propriété et de garer leurs véhicules sur la partie qu'ils ont dû déblayer comme étant revendiquée par l'appelante au titre de l'assiette de la servitude de passage.

Pour autant, il convient de relever que ces conséquences résultent de décisions de justice qui ont considéré comme légitime la demande de la Sci des Centaures de rétablir le niveau du terrain appartenant aux intimés, que cette demande est apparue fondée en l'état de la situation connue de la juridiction à l'époque et qu'elle ne résulte donc pas d'une intention malveillante ou d'une faute commise par l'appelante.

Il en est de même des frais résultants des travaux de remblai réalisés par les intimés, qui ont été mis à leur charge par le juge de l'exécution et non comme étant le résultat d'un comportement fautif de l'appelante.

Le choix de recourir à un avis technique en sus de l'expert judiciaire ne peut s'analyser comme un préjudice financier résultant du comportement fautif allégué de l'appelante, mais d'avantage comme un choix procédural dans l'établissement de leurs droits.

Enfin, la dégradation de l'étanchéité dont l'indemnisation est sollicitée n'est également pas en lien avec le comportement de l'appelante mais consécutive à la remise en état du terrain telle que sollicitée par les décisions judiciaires.

S'agissant du préjudice moral, les déclarations d'actes de malveillances au titre du dépôt de plainte ne sont étayées par aucun élément objectif.

De sorte que les demandes indemnitaires ne pourront prospérer en raison de l'absence de lien objectif entre ces préjudices et le comportement de la Sci des Centaures.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

sur les demandes accessoires

En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient de confirmer le jugement dans ses dispositions concernant les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

La Sci des Centaures qui succombe dans l'ensemble de ses prétentions sera condamnée aux dépens et aux frais irrépétibles qu'il est inéquitable de laisser à la charge de [F] [B] et [I] [U].

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour et y ajoutant ;

Condamne la Sci des Centaures aux entiers dépens ;

Condamne la Sci des Centaures à verser à [F] [B] et [I] [U] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 21/06803
Date de la décision : 11/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-11;21.06803 ?
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