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11/04/2024 | FRANCE | N°20/08837

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 11 avril 2024, 20/08837


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 11 AVRIL 2024

PH

N° 2024/









Rôle N° RG 20/08837 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGIZ3







[V] [H]

[N] [D]





C/



S.C.I. BUENA VISTA



[J] [H]



















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



SELAS CABINET POTHET



SCP CABINET BUVAT-TEBIEL






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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de proximité de FREJUS en date du 07 Août 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 19-000545.





APPELANTS



Monsieur [V] [H]

demeurant [Adresse 9]



représenté par Me Joseph André POTHET de la SELAS CABINET POTHET, avocat au barreau de DRAG...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 11 AVRIL 2024

PH

N° 2024/

Rôle N° RG 20/08837 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGIZ3

[V] [H]

[N] [D]

C/

S.C.I. BUENA VISTA

[J] [H]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SELAS CABINET POTHET

SCP CABINET BUVAT-TEBIEL

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de proximité de FREJUS en date du 07 Août 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 19-000545.

APPELANTS

Monsieur [V] [H]

demeurant [Adresse 9]

représenté par Me Joseph André POTHET de la SELAS CABINET POTHET, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant

Madame [N] [D]

demeurant [Adresse 9]

représentée par Me Joseph André POTHET de la SELAS CABINET POTHET, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant

INTIMEE

S.C.I. BUENA VISTA dont le siège social est [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal en exercice y domicilié en cette qualité audit siège

représentée par Me Layla TEBIEL de la SCP CABINET BUVAT-TEBIEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Alexandra BEAUX, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Franck MANDRUZZATO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

PARTIE INTERVENANTE

Madame [J] [H]

Intervenant volontairement par constitution et conclusions du 29 mars 2022

demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Joseph André POTHET de la SELAS CABINET POTHET, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 13 Février 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Patricia HOARAU, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Marc MAGNON, Président

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2024,

Signé par Monsieur Marc MAGNON, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES

La SCI Buena Vista est propriétaire d'une villa construite sur le lot n°1 du lotissement « [6] » [Adresse 7] à [Localité 8], cadastré section AF numéro [Cadastre 3], par apport de M. [X] [Z] constaté selon attestation notariée du 29 mai 2017.

Selon acte notarié du 27 juin 1995, M. [V] [H] et Mme [N] [D] épouse [H] sont propriétaires du lot n°2 du même lotissement, cadastré section AF numéro [Cadastre 2], un acte de donation de la nue-propriété dudit bien étant intervenu au profit de leur fille Mme [J] [H], le 2 juin 2020.

Par jugement rendu le 3 juillet 2014 entre M. et Mme [H] d'une part, M. [X] [Z] d'autre part, le tribunal d'instance de Fréjus a notamment ordonné à M. [Z] de procéder à l'arrachage de trois mimosas de plus de deux mètres implantés à moins de deux mètres de la limite des lots, a débouté M. [X] [Z] de sa demande d'arrachage des arbres et a déclaré la demande de dommages et intérêts de M. [X] [Z] irrecevable.

Par arrêt du 24 septembre 2015, la cour d'appel d'Aix-en-Provence statuant sur appel du jugement du tribunal de grande instance de Draguignan du 20 décembre 2013 entre les mêmes parties, a infirmé le jugement et déclaré irrecevable la demande de M. et Mme [H] en démolition d'un mur réalisé en limite des deux propriétés et le patio construit à moins de cinq mètres de distance de la limite séparative des deux lots, ainsi que la construction rectangulaire sur laquelle est adossée une fontaine en béton, en raison de l'autorité de chose jugée attachée à un arrêt rendu le 19 janvier 2009 statuant sur une demande de dommages et intérêts formée par M. et Mme [H] du fait des constructions en limite de M. [X] [Z], soit une demande tendant aux mêmes fins. Le pourvoi formé par M. et Mme [H] a été rejeté par arrêt du 15 décembre 2016.

Par exploit d'huissier du 13 mai 2019, la SCI Buena vista a fait assigner M. et Mme [H] devant le tribunal d'instance de Fréjus pour obtenir sur le fondement des articles 671 et 672 du code civil, leur condamnation à l'arrachage du pin parasol et du chêne liège qui dégradent son mur en limite de propriété, et à des dommages et intérêts.

Par jugement du 7 août 2020, le tribunal de proximité de Fréjus a :

- dit les demandes de la SCI Buena vista recevables,

- condamné M. et Mme [H] à procéder à l'arrachage du pin et du chêne liège implantés sur leur fonds en bordure de limite séparative des fonds des parties, dans les deux mois de la signification du jugement et à défaut sous astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard pendant un délai de quinze jours au-delà duquel il pourra à nouveau être statué à la demande de la partie la plus diligente,

- condamné M. et Mme [H] à payer à la SCI Buena vista la somme de 9 528,20 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au coût de la réfection du mur et de la fontaine sur le fonds de celle-ci avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

- condamné M. et Mme [H] à payer à la SCI Buena vista la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. et Mme [H] aux entiers dépens de l'instance en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Le tribunal a écarté la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée du jugement du 3 juillet 2004 entre des parties qui ne sont pas les mêmes, les époux [H] se retrouvant défendeurs alors qu'ils étaient demandeurs dans la procédure antérieure, et a considéré au fond que les deux arbres dépassent la hauteur de deux mètres et sont situés à moins de deux mètres de la limite séparative, contrevenant aux dispositions de l'article 671 du code civil, que M. et Mme [H] ne démontrent aucun empêchement ou obstacle légal particulier à cette demande d'arrachage, que M. et Mme [H] engagent leur responsabilité délictuelle pour la fissure du mur édifié le long de la fontaine, contigu à la clôture mitoyenne, directement liée à la croissance des racines du pin parasol.

Par déclaration du 15 septembre 2020, M. [V] [H] et Mme [N] [D] ont interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 20 novembre 2020, le premier président de la cour d'appel a suspendu l'exécution provisoire de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 16 février 2023, M. [V] [H], Mme [N] [D] épouse [H] ainsi que Mme [J] [H] intervenante volontaire, demandent à la cour de :

- donner acte à Mme [J] [H] de son intervention volontaire et la déclarer recevable,

Vu le jugement entrepris rendu par le tribunal de proximité de Fréjus le 7 août 2020,

- l'infirmer en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

- déclarer irrecevables les demandes de la SCI Buena vista,

A titre subsidiaire,

- débouter la SCI Buena vista de toutes demandes, fins et conclusions pour être sans fondement,

Reconventionnellement,

- condamner la SCI Buena vista à leur payer une somme de 5 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre celle de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SCI Buena vista aux entiers dépens tant de première instance que d'appel qui comprendront la contribution à hauteur de 225 euros et dire que la SELAS Cabinet Pothet, avocat, pourra recouvrer directement ceux dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Les consorts [H] font essentiellement valoir :

Sur l'autorité de chose jugée,

- que la SCI Buena vista a la même adresse que M. [X] [Z], qui en est le gérant,

- que la SCI Buena vista a pour auteur M. [X] [Z],

- que les tiers doivent respecter la situation juridique issue de la décision rendue le 3 juillet 2014, que celle-ci est donc opposable à la SCI Buena vista,

- que la lecture du jugement du 3 juillet 2014 permet de relever le fait que M. [X] [Z], reconventionnellement, avait considéré qu'un pin parasol, un chêne et un cyprès provençal étaient situés à moins de deux mètres de la limite séparative selon procès-verbal de constat du 5 juillet 2012 et fondait sa demande sur les articles 671 et 672 du code civil, que sa demande était bien relative à une demande d'arrachage des arbres,

- que le fait erroné de ce qu'ils aient pu entretemps couper la hauteur des arbres ne changeait rien au fait qu'il pouvait en être demandé l'arrachage,

Sur la mauvaise application des articles 671 et 672 du code civil,

- que le juge a oublié de prendre en compte la destination de « père de famille » en présence à l'évidence de deux fonds qui appartenaient à un fonds identique morcelé pour constituer le lotissement « [6] »,

- ces articles n'ont pas à s'appliquer en présence d'un cahier des charges d'un lotissement,

- il importe peu de savoir si le cahier des charges stipule des dispositions contractuelles relatives aux plantations en limite, il suffit simplement qu'il existe, - le cahier des charges ne prévoit rien, amenant implicitement les colotis à considérer qu'il ne saurait y avoir d'application légale d'un dispositif nécessairement supplétif, quand bien même le dispositif contractuel ne prévoirait quant à lui aucune limite, ni aucune hauteur à retenir,

- le cahier des charges était versé aux débats,

- que le juge ne s'est pas interrogé s'il y avait matière, alors que cela était dans le débat, à considérer que ces arbres avaient prescrit la hauteur illicite depuis plus de trente ans,

- le pin et le chêne liège sont très anciens et présents sur place depuis une date nécessairement antérieure à la création même du lotissement,

- le chêne apparaît sur les photographies de la construction du patio et de la fontaine à une date antérieure à 1955,

- leur circonférence démontre qu'ils sont trentenaires, à tout le moins cinquantenaire, voire centenaires,

- que M. [R] [G], expert arboricole consulté, le confirme,

Sur l'impossibilité d'allouer des dommages et intérêts,

- que les travaux réalisés par la SCI Buena vista, sont extrêmement récents et le mur et la fontaine ont donc été construits en toute connaissance de cause à proximité d'arbres situés en limite du fonds [H],

- que face à cette situation, la jurisprudence a reconnu qu'un voisin ne pouvait fonder sa demande sur un trouble anormal de voisinage, ce qui semble être le fondement de l'action puisque les dispositions des articles 671 et 672 du code civil permettent simplement de réclamer la coupe, l'arrachage ou la taille des arbres,

- qu'il faut noter que le mur et la fontaine ont été édifiés en violation des dispositions du cahier des charges,

- qu'il n'est pas plus rapporté qu'il existerait un lien de causalité entre les fissures sur le mur et la fontaine et les arbres dont s'agit,

- que c'est sur la base d'un devis unilatéral, non contradictoire, n'ayant été objectivé par aucun rapport d'expertise, que le premier juge a considéré qu'il pouvait mettre à la charge des époux [H], le montant des travaux de réparation du mur et de la fontaine, en méconnaissant la jurisprudence de la Cour de cassation,

Sur leur demande reconventionnelle,

- que le débat s'insère dans un conflit de voisinage récurrent depuis de nombreuses années, où M. [X] [Z] et désormais la SCI Buena vista n'ont de cesse que de nuire aux époux [H] et aujourd'hui à l'indivision [H],

- que les travaux entrepris par la SCI Buena vista récemment, démontrent à l'évidence une réelle intention de nuire de la SCI Buena vista, avec une atteinte à leur intimité, une perte de vue et d'ensoleillement,

- que l'action de la SCI Buena vista a été engagée de manière blâmable, sans décrire une situation factuelle exacte,

- qu'ils contestent véhémentement les attestations de témoignage au soutien de la plainte de M. [X] [Z], objet des dernières pièces communiquées, qui n'ont été établies que pour les besoins de la cause, lesquels caractérisent un abus de droit et leur permettent de plus fort, d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice,

- qu'ils soulignent qu'ils ont obtenu avec d'autres colotis, un arrêt de la cour d'appel après cassation, du 11 mars 2021 ayant entraîné la dissolution judiciaire de l'association syndicale libre dans le périmètre de laquelle se trouvaient les fonds immobiliers concernés, alors que M. [X] [Z] était président de l'ASL et qu'il se comportait de manière extrêmement déplacée dans sa gestion.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 6 décembre 2022, la SCI Buena vista demande à la cour de :

Vu le jugement rendu par le tribunal de proximité de Fréjus le 7 août 2020,

Vu la déclaration d'appel du 15 septembre 2020,

Vu les pièces versées aux débats,

- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel de M. et Mme [H],

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de proximité de Fréjus,

En tout état de cause,

Vu les articles 671 et 672 du code civil,

- déclarer ses demandes recevables,

- dire et juger fondées les demandes d'arrachage des arbres comme de dommages intérêts,

- condamner les époux [H] et leur fille, intervenante volontaire, Mme [J] [H], à procéder à l'arrachage du pin implanté à moins de deux mètres de la limite séparative des lots ainsi que du chêne liège tel que constaté par l'huissier Me [A] le 5 juillet 2012 et Me [F] le 25 juillet 2018, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir (sic),

- condamner les époux [H] et Mme [J] [H] à lui payer la somme de 9 528,20 euros TTC correspondant aux travaux de remise en état de la fontaine et du mur attenant, dégradés,

- débouter les époux [H] et Mme [J] [H] de l'ensemble de leurs demandes, moyens fins et conclusions,

- débouter M. et Mme [H] et Mme [J] [H] de leur demande reconventionnelle visant à la condamner à la somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice pour procédure abusive,

- condamner M. et Mme [H] et Mme [J] [H] solidairement à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux dépens.

La SCI Buena vista soutient en substance :

Sur la recevabilité de ses demandes,

- qu'elle a saisi le tribunal aux fins de condamner les époux [H] à procéder à l'arrachage des arbres ainsi que l'octroi d'une somme à titre de dommages et intérêts concernant la réfection du mur et de la fontaine, alors que la saisine précédente de M. et Mme [H] tendait à l'arrachage de trois mimosas ou encore l'enlèvement des fils barbelés,

- que la demande des consorts [Z] n'est pas fondée sur les mêmes éléments de fait et de droit, que l'arrachage d'arbres n'avait pas été sollicité lors des précédentes instances, que le fondement juridique des articles 671 et 672 du code civil n'était pas abordé,

- que la demande ne concerne pas les mêmes parties,

Sur ses demandes,

- que les époux [H] semblent oublier que le cahier des charges d'un lotissement est un contrat de droit privé entre les colotis, de sorte que les règles à respecter ne peuvent être implicites,

- que le cahier des charges du lotissement versé au débat ne prévoit strictement rien concernant la hauteur des arbres situés à la limite séparative des fonds voisins et dans ces conditions, les dispositions des articles 671 et 672 du code civil sont parfaitement applicables en l'espèce,

- que contrairement à ce que prétendent les époux [H] et conformément à la jurisprudence, l'abattage d'arbres de plus de trente ans, peut être ordonné malgré la prescription trentenaire sur le fondement de théorie des troubles anormaux de voisinage (Cass.Civ.9 juin 2015, N°14-11999),

- que depuis le jugement du 3 juillet 2014 dans lequel il était jugé que M. [X] [Z] n'établissait pas que M. et Mme [H], contreviennent aux dispositions du code civil au motif qu'ils démontraient par un procès-verbal de constat d'huissier du 23 décembre 2013, que les végétaux implantés le long de la limite séparative étaient taillés à la taille réglementaire, notamment le chêne et le pin faisant l'objet de l'élagage, les époux [H] n'ont effectué aucune taille ou coupe,

- qu'une jurisprudence constante reconnaît que le voisin n'a pas besoin d'établir qu'il souffre d'un préjudice pour demander l'arrachage ou la réduction,

- que ces arbres sont manifestement en infraction avec les dispositions précitées, que par ailleurs, le pin est générateur de désordres puisque les racines de cet arbre soulèvent les dalles de la fontaine située dans la propriété [Z], que de ce fait la fontaine ainsi que le mur attenant subissent des dégradations,

- qu'elle subit un préjudice direct et certain, lequel ne cesse de s'aggraver,

- que la présente instance ne présente pas le caractère d'une procédure abusive contrairement à ce qui est soutenu,

- que ce sont les époux [H] qui font preuve d'acharnement à l'égard de M. [X] [Z].

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 30 janvier 2024.

L'arrêt sera contradictoire puisque toutes les parties ont constitué avocat.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Aux termes de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il est constaté que le dispositif des conclusions de l'intimée comporte une demande de « dire et juger », qui ne constitue pas une prétention, mais un moyen, si bien que la cour n'en est pas saisie.

Sur l'intervention volontaire

En application des articles 328 et suivants du code de procédure civile, l'intervention volontaire est principale ou accessoire. Elle est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme et n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention. Elle est accessoire lorsqu'elle appuie les prétentions d'une partie et est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.

Il convient de déclarer recevable l'intervention volontaire de Mme [J] [H] en sa qualité de nue-propriétaire du lot n° 2 du lotissement « [6] ».

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée

Selon les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Aux termes de l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans le dispositif.

Cependant, l'autorité de chose jugée ne peut être opposée, lorsque des évènements postérieurs, sont venus modifier la situation, antérieurement reconnue en justice.

Le jugement du 3 juillet 2014 a été rendu entre les mêmes parties, à savoir M. et Mme [H] d'une part, M. [X] [Z], qui est l'auteur de la SCI Buena vista d'autre part.

Le jugement porte sur une demande formée par M. [X] [Z], tendant à l'arrachage d'un chêne, un pin parasol et un cyprès provençal implantés sur la propriété de M. et Mme [H] à moins de deux mètres de la limite séparative des lots, concernant un problème de hauteur contrevenant aux dispositions du code civil. Par ailleurs, la demande de dommages et intérêts formée par M. [X] [Z] dont le contenu n'est pas précisé, a été déclarée irrecevable pour être sans lien avec le litige dont était alors saisi le tribunal.

Dans la présente instance, la demande de la SCI Buena vista a pour objet l'arrachage du pin parasol et du chêne liège en limite de propriété sur le fondement des articles 671 et 672 du code civil et de la théorie des troubles anormaux de voisinage, et l'indemnisation du préjudice résultant de la dégradation du mur en limite de propriété.

Au regard de la pousse naturelle des arbres et du renouvellement possible de ce type de contraventions aux règles prescrites quant à leur hauteur maximale autorisée en limite de propriété, l'autorité de la chose jugée par le jugement du 3 juillet 2014, ne peut être opposée.

Il en est de même pour la demande d'indemnisation, sur laquelle il n'a finalement pas été statué au fond et dont la partie qui oppose l'autorité de la chose jugée, ne justifie d'ailleurs pas, de l'objet précis.

Les consorts [H] seront donc déboutés de leur demande tendant à l'irrecevabilité des prétentions de la SCI Buena vista et le jugement appelé confirmé sur ce point.

Sur les demandes de la SCI Buena vista

Il est opposé à la demande d'arrachage du pin parasol et du chêne liège en limite de propriété d'une part, d'indemnisation d'autre part, sur le fondement des articles 671 et 672 du code civil et de la théorie des troubles anormaux de voisinage :

- que les articles 671 et 672 ne sont pas applicables en présence d'un cahier des charges d'un lotissement et que le premier juge n'a pas pris en compte la destination de « père de famille »,

- que les arbres sont très anciens, présents sur place depuis une date antérieure au lotissement,

- que le mur et la fontaine ont été édifiés en limite de propriété après les arbres,

- que le mur et la fontaine ont été édifiés en violation des dispositions du cahier des charges,

- qu'il n'y a pas de lien de causalité entre les fissures sur le mur et la fontaine et les arbres dont s'agit,

- que le devis versé aux débats retenu par le premier juge, est unilatéral.

Aux termes des articles 671 et 672 du code civil, « Il n'est permis d'avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu'à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu'à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d'un demi-mètre pour les autres plantations. '.. Le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l'article précédent, à moins qu'il n'y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire. '. ».

Il est constant que ces dispositions présentent un caractère supplétif, c'est-à-dire qu'elles n'ont lieu de s'appliquer que si la convention des parties n'a rien prévu.

Les deux lots font parties du lotissement « [6] » approuvé par arrêté préfectoral du 8 février 1955 et d'un cahier des charges dont une copie a été déposée au rang des minutes de Me [B] [P], notaire à [Localité 8], publié au premier bureau des hypothèques de [Localité 5] le 6 février 1958 volume 409 n° 2. Les actes de vente précisent que dans le cadre de la loi du 6 janvier 1986 devenue article L. 315-2-1 du code de l'urbanisme, les colotis du lotissement n'ont pas demandé le maintien des règles du cahier des charges dudit lotissement.

Il n'en demeure pas moins que les règles du cahier des charges constituent la loi des colotis pour leurs relations entre eux, compte tenu de son caractère contractuel.

Ledit cahier de charges ne contient aucune disposition concernant les plantations, mais seulement concernant les constructions, en prévoyant notamment que « aucune construction ne pourra être édifiée à moins de cinq mètres de toute clôture » et que « entre voisins, la clôture sera constituée par des poteaux en fer, bois, ou ciment avec grillage à son choix, élevée à cheval sur les lignes de division des lots ».

Les appelants, qui précédemment ont réclamé et obtenu l'arrachage des mimosas de M. [X] [Z] sur le fondement des article 671 et 672 du code civil, par jugement du 3 juillet 2014, se réfèrent à la destination de « père de famille » définie à l'article 693 du code civil, aux termes duquel « il n'y a destination de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ».

Ils versent aux débats un avis privé rendu par M. [R] [G], expert foncier agricole, le 15 novembre 2021, sur l'âge des arbres, estimé entre 90 et 110 ans pour le pin parasol et entre 70 et 90 ans pour le chêne liège, et la hauteur dépassée de deux mètres il y a plus de trente ans pour chacun de ces arbres.

Cela fait remonter leur plantation avant la création du lotissement en 1955.

Pour autant, ce document ne constitue pas une expertise judiciaire et aucune autre pièce ne permet d'attester que les arbres litigieux étaient plantés avant les opérations de lotissement.

Il doit donc être conclu qu'en l'absence de toute disposition concernant les plantations dans le cahier des charges, les articles 671 et 672 du code civil s'appliquent dans les relations entre les colotis.

De même, les consorts [H] ne peuvent invoquer la prescription trentenaire, en se basant sur l'avis privé rendu par M. [R] [G], qui ne constitue pas une expertise judiciaire, en l'absence de toute autre pièce de nature à le démontrer, alors en outre, qu'il est établi que dans le jugement du 3 juillet 2014, M. [X] [Z] a été débouté de sa demande de ces mêmes deux arbres, au motif que les consorts [H] établissaient par un procès-verbal de constat d'huissier du 23 décembre 2013, que les végétaux implantés le long de la limite séparative sont taillés et à la taille réglementaire, notamment le chêne et le pin, qui ont fait l'objet d'élagage.

Il n'est pas discuté que le chêne liège et le pin parasol dépassent la hauteur maximale autorisée de deux mètres. Ils encourent donc, sur le fondement des textes précités, l'arrachage ou la réduction, ce qu'il convient de décider au vu du second fondement invoqué de la théorie des troubles anormaux de voisinage.

Aux termes de l'article 544 du code civil « La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

La limite de ce droit est que nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage, et qu'à défaut, il en devra réparation, même en l'absence de faute.

L'anormalité du trouble doit s'apprécier au regard des circonstances locales, et doit présenter un caractère grave et/ou répété, dépassant les inconvénients normaux de voisinage, sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute de son auteur.

Il appartient à celui qui invoque le trouble anormal de voisinage d'en rapporter la preuve.

La SCI Buena vista soutient que le pin est générateur de désordres puisque les racines de cet arbre soulèvent les dalles de la fontaine ainsi que le mur attenant.

La question du mur réalisé en limite de propriété et de la fontaine était déjà au centre d'un débat juridique entre les parties bien avant l'année 2009, par référence à l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 24 septembre 2015, qui a définitivement déclaré irrecevable l'action en démolition de ce mur et de cette fontaine comme portant atteinte à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu par la même cour le 19 janvier 2009, non versé aux débats.

Il n'est pas discutable que le mur et la fontaine situés sur la parcelle de la SCI Buena vista subissent des désordres du fait de la poussée des racines du pin parasol et cela ressort même du rapport d'expertise d'assurance privé réalisé à la demande de l'assureur protection juridique de M. [H], au contradictoire de M. [X] [Z], daté du 27 septembre 2011, faisant état notamment du constat sur le fonds de M. [X] [Z] d'une fontaine maçonnée construite au droit d'un double mur contigu à la clôture mitoyenne, endommagé par la croissance des racines du pin parasol poussant sur le fonds [H].

Pour autant, il est manifeste que le mur et la fontaine, sont des constructions qui ont été édifiées à moins de cinq mètres de la clôture séparative en violation des prescriptions du cahier des charges. Les photographies en pièce n° 25 des appelants, par comparaison avec celles du procès-verbal de constat d'huissier établi à la requête des consorts [H] le 23 décembre 2013, permettent de démontrer que la construction de ce mur et de cette fontaine est intervenue alors que le pin était déjà présent.

Dès lors, il doit être conclu que la SCI Buena vista n'est pas fondée à obtenir qu'il soit mis fin à la cause des désordres par l'arrachage du pin parasol, seul en cause dans les dégradations, ni la réparation des désordres de ce mur et de cette fontaine, qui auraient dû être construits à plus de cinq mètres.

La SCI Buena vista n'est a fortiori pas fondée à obtenir l'arrachage du chêne liège qui n'a aucun rôle causal dans les dégradations du mur et de la fontaine.

En effet, l'arrachage des deux arbres n'est pas justifié, dès lors qu'ils peuvent être élagués à la hauteur prescrite, comme cela a été déjà fait précédemment, selon procès-verbal de constat du 23 décembre 2013.

La SCI Buena Vista sera donc déboutée de sa demande tendant à l'arrachage du chêne liège et du pin parasol, ainsi que de sa demande d'indemnisation, le jugement appelé étant infirmé sur ces points.

En application de l'article L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, tout juge peut, même d'office, ordonner une astreinte pour assurer l'exécution de sa décision.

Afin de contraindre les consorts [H] à l'élagage du chêne liège et du pin parasol, il y a lieu de fixer une astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision et pour une durée de six mois.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts

Les consorts [H] réclament la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Il est constant que l'exercice d'une action en justice constitue un droit, qui ne peut dégénérer un abus que s'il est démontré une volonté de nuire de la partie adverse ou sa mauvaise foi ou une erreur ou négligence blâmable équipollente au dol, ce qui suppose de rapporter la preuve de ce type de faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux, dans les conditions prévues par l'article 1240 du code civil.

En l'espèce, il n'est pas démontré que la SCI Buena vista a abusé de son droit d'agir en justice, dans une intention de nuire aux consorts [H], ou par mauvaise foi ou légèreté particulièrement blâmable, alors qu'il est mis en évidence une contravention aux règles prévues par les articles 671 et 672 du code civil.

En outre, les moyens invoqués à savoir notamment les travaux entrepris sur le fonds de la SCI Buena vista dont la conformité est contestée, la décision prononçant la dissolution de l'ASL, les attestations produites par la SCI Buena vista au soutien de la plainte de M. [X] [Z] pour injures en raison de l'origine, sont sans lien avec le présent litige.

Les consorts [H] seront donc déboutés de leur demande de dommages et intérêts.

Sur les demandes accessoires

En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient d'infirmer le jugement appelé sur les dépens et les frais irrépétibles.

Il convient de faire masse des dépens et de les partager par moitié entre d'une part la SCI Buena vista et d'autre part les consorts [H], avec distraction au profit du conseil des consorts [H] qui le réclame.

Il est constaté que la contribution de 225 euros est naturellement incluse dans les dépens, ainsi que spécifié au 1° de l'article 695 du code de procédure civile, au titre des droits et taxes de l'administration des impôts.

Compte tenu du partage des dépens, les demandes au titre des frais irrépétibles seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable l'intervention volontaire de Mme [J] [H] en sa qualité de nue-propriétaire du lot n° 2 du lotissement « [6] » ;

Infirme le jugement appelé sauf en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de la SCI Buena Vista ;

Statuant à nouveau,

Déboute la SCI Buena vista de sa demande tendant à l'arrachage du chêne liège et du pin parasol, ainsi que de sa demande d'indemnisation ;

Condamne M. [V] [H], Mme [N] [D] épouse [H] et Mme [J] [H] à élaguer le chêne liège et le pin parasol, à la hauteur de deux mètres, dans le délai de trois mois à compter de la signification de la décision et passé ce délai sous astreinte provisoire de 50 euros (cinquante euros) par jour de retard, pendant le délai de six mois ;

Déboute M. [V] [H], Mme [N] [D] épouse [H] et Mme [J] [H] de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts ;

Fait masse des entiers dépens et les met par moitié à la charge d'une part de la SCI Buena vista, d'autre part de M. [V] [H], Mme [N] [D] épouse [H] et Mme [J] [H], avec distraction au profit de la SELAS cabinet Pothet ;

Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 20/08837
Date de la décision : 11/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-11;20.08837 ?
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