La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/04/2024 | FRANCE | N°21/18531

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-2, 09 avril 2024, 21/18531


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2



ARRÊT AU FOND

DU 09 AVRIL 2024



N° 2024/150









Rôle N° RG 21/18531

N° Portalis DBVB-V-B7F-

BITVF







[T] [Z] [C]



C/



PROCUREUR GENERAL

































Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Clément DALANCON



MINISTÈRE PUBLIC

<

br>


Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal judiciaire de Marseille en date du 18 février 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 20/06942





APPELANT



Monsieur [T] [Z] [C]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle partielle numéro 2021/009164 du 03/12/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2

ARRÊT AU FOND

DU 09 AVRIL 2024

N° 2024/150

Rôle N° RG 21/18531

N° Portalis DBVB-V-B7F-

BITVF

[T] [Z] [C]

C/

PROCUREUR GENERAL

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Clément DALANCON

MINISTÈRE PUBLIC

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal judiciaire de Marseille en date du 18 février 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 20/06942

APPELANT

Monsieur [T] [Z] [C]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle partielle numéro 2021/009164 du 03/12/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

né le 21 août 1998 à [Localité 2] (AFGHANISTAN)

de nationalité française,

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Clément DALANCON, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

PROCUREUR GENERAL

comparant en la personne de Madame Valérie TAVERNIER, Avocat général

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 15 février 2024 en chambre du conseil. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Hélène PERRET, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président

Madame Michèle CUTAJAR, Conseiller

Madame Hélène PERRET, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Jessica FREITAS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 09 avril 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 avril 2024,

Signé par Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président et Madame Jessica FREITAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Le 02 juin 2016, le greffier du tribunal d'instance de Marseille a refusé d'enregistrer la déclaration de nationalité française souscrite le 04 décembre 2015 sur le fondement de l'article 21-12 du code civil par Monsieur [T] [Z] [C], se disant né le 21 août 1998 à [Localité 2] (AFGHANISTAN).

Par acte 21 février 2017, Monsieur [T] [Z] [C] a fait assigner le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille devant cette juridiction, aux fins de voir juger qu'il est de nationalité française.

Par jugement du 18 février 2021, le tribunal de grande instance de Marseille a :

constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code civil a été délivré le 21 avril 2017

constaté l'extranéité de Monsieur [T] [Z] [C]

dit n'y avoir lieu à la mention prévue à l'article 28 du code civil

condamné Monsieur [T] [Z] [C] aux dépens.

Le 30 décembre 2021, Monsieur [Z] [C] a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 30 janvier 2024 auxquelles il convient de faire expressément renvoi pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, il demande à la Cour de :

INFIRMER le jugement rendu 18 février 2021 par le Tribunal Judiciaire de MARSEILLE ;

Statuant à nouveau :

Dire et juger que la décision du Greffier en chef du 2 juin 2016 refusant à Monsieur [Z] [C] [T] l'enregistrement de sa déclaration de nationalité française n'est pas fondée en fait et en droit ;

Dire et juger que les conditions de la déclaration de nationalité française souscrite par Monsieur [Z] [C] [T] sont satisfaites, en application de l'article 21-12 susvisé, et ordonner en conséquence son enregistrement ;

Dire et juger en conséquence que Monsieur [Z] [C] [T] est français à compter de sa déclaration souscrite le 4 décembre 2015 ;

Ordonner la mention prévue à l'article 28 du Code civil ;

Dire et juger que le Service Central d'Etat Civil du Ministère des Affaires Etrangères devra lui établir un acte de naissance mentionnant l'arrêt à intervenir ;

Condamner l'Agent Judiciaire de l'Etat à verser à Maître Clément DALANÇON, conseil de Monsieur [Z] [C], la somme de 2.000,00 euros au titre des frais irrépétibles en application des articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1991, le conseil de Monsieur [Z] [C] s'engageant à renoncer à percevoir la part contributive l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle en cas de recouvrement de cette somme ;

Condamner l'Agent Judiciaire de l'Etat aux entiers dépens.

- Il rappelle d'abord qu'il remplit les conditions prévues par l'article 21-12 du code civil, puisqu'il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance pendant plus de trois années, qu'il a déclaré réclamer la qualité de français avant sa majorité et qu'il résidait en France au moment de sa déclaration.

S'agissant de son état civil, il fait essentiellement valoir que si par extraordinaire la Cour considérait que les actes d'état civils communiqués n'étaient pas régulièrement établis ou légalisés, elle conserve une appréciation souveraine en ce qui concerne l'application de l'article 47 du code civil puisqu'elle examinera la cohérence de l'ensemble des documents :

- Il produit son certificat de naissance N°3138 délivré le 06 mai 2015 par l'ambassade de la République Islamique d'Afghanistan à [Localité 3] et sa taskera délivrée le 21 avril 2012 accompagnée de sa traduction, documents parfaitement concordants.

Il rappelle qu'au moment où il a souscrit la déclaration, le tribunal d'instance avait établi la liste des pièces à fournie, parmi lesquelles ne figurait pas la transmission d'un acte de légalisation.

Il a produit, dans le cadre de la première instance deux nouvelles traductions de sa taskera N° 103200002, par deux experts assermentés auprès la Cour d'Appel et une nouvelle taskera N° 24466916 délivrée le 02 avril 2018 et sa légalisation en langue anglaise du 11 avril 2018 par le ministère des Affaires Etrangères Afghan portant au verso mention de la légalisation du 16 mai 2018 par le consul de l'ambassade de la République Islamique d'Afghanistan à Paris.

Cette légalisation est parfaitement conforme puisque toutes les taskera établies par le ministère des Affaires Etrangères l'ont été par l'ambassade de la République Islamique d'Afghanistan à [Localité 3].

Il critique le premier juge qui a estimé non régulière cette légalisation.

En cause d'appel, il communique à nouveau :

- son certificat de naissance n° 3138 délivré le 6 mai 2015 et légalisé par l'Ambassade de la République Islamique d'Afghanistan en France

- sa taskera en dari n° 10320002 délivrée le 21 avril 2012 accompagnée de sa traduction

- sa nouvelle taskera en dari n° 24466916 délivrée le 2 avril 2018 et sa traduction

- sa taskera en langue anglaise n° 24466916 légalisée le 11 avril 2018 par le Ministère des Affaires Etrangères Afghan et portant au verso mention de la légalisation de celle-ci en date du 16 mai 2018 par le Consul de l'Ambassade de la République Islamique d'Afghanistan à [Localité 3] et sa traduction

-son passeport afghan accompagné de sa traduction.

Il communique une attestation du 01 octobre 2020 délivré par la section consulaire de l'ambassade de la République Islamique d'Afghanistan relatives aux modalités de légalisation, deux rapports émanant de la commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, et une note du 28 août 2020 adressé au juge de la mise en état du tribunal de Nantes par le Ministère des Affaires Etrangères français en réponse à une consultation sur la légalisation des actes d'état civil afghans, qui permettront à la Cour de considérer comme parfaitement valable les actes d'état civils produits par l'appelant.

* Le tribunal ne pouvait pas se baser sur le fait que la date de naissance figurant sur la taskera en langue dari et sur la taskera en langue anglaise a été fixée au regard de l'apparence physique,alors qu'il ressort de nombreuses sources officielles que la date de naissance figurant sur les taskera est approximative.

Le Procureur Général relève, s'agissant de la date de naissance, une contradiction entre les deux taskera produites par l'intéressé, celle n° 10320002 indiquant qu'il est âgé de 14 ans en 2012 (et donc né en 1998) alors que celle n° 24466916 indique qu'il est âgé de 18 ans en 2017 (soit 1999 comme année de naissance).

Il relève également qu'il y a une contradiction relative aux numéros des taskera, la seconde faisant état d'une précédente taskera portant un numéro différent de la première.

Or, Monsieur [Z] [C] a en effet été contraint de se faire adresser la seconde taskera n° 24466916, la première n° 10320002 s'étant égarée lors d'un envoi postal de celle-ci en Afghanistan, envoi qui avait été effectué afin qu'elle puisse être traduite en anglais puis à nouveau légalisée par le Mofa, seule la traduction en langue anglaise d'une taskera légalisée par le Ministère des Affaires Etrangères pouvant être à son tour légalisée par les autorités consulaires de l'Ambassade d'Afghanistan à [Localité 3].

Avant d'obtenir la seconde taskera n° 24466916, une autre taskera avait également été établie sous le n°21223577, cette dernière ayant également été perdue lors de l'envoi postal de celle-ci en France.

Contrairement à ce qu'allègue le Procureur Général, il n'y a donc pas de contradiction sur le fait que la seconde taskera porte la mention " N° d'identité précédent : 21223577 ".

Il rappelle que les naissances ne sont que très rarement enregistrées en Afghanistan, surtout si la naissance a eu lieu à la maison plutôt qu'à l'hôpital, comme c'est souvent le cas.

En toute hypothèse, tant le certificat de naissance établi par l'ambassade de la République Islamique d'Afghanistan en France que le passeport délivré mentionnent comme date de naissance celle du 21 août 1998,ce qui démontre que les autorités afghanes le reconnaissent comme étant né le 21 août 1998.

* la légalisation de la taskera en langue dari satisfait aux conditions de conformité,par référence à la note du 28 août 2020 adressé au juge de la mise en état du tribunal de Nantes par le Ministère des Affaires Etrangères français

* le certificat de naissance délivré par l'ambassade République Islamique d'Afghanistan à [Localité 3] constitue un acte d'état civil probant au sens de l'article 47 du code civil, au regard de l'attestation de l'ambassade d'Afghanistan en France du 16 mars 2022 qui fait état du fait que " dans le système d'état civil de la République Islamique,la copie intégrale de naissance n'existe pas,le certificat de naissance délivré par cette ambassade (portant tampon,initiales du Consul et empreintes du sceau) sur la base des documents présentés et la base de données du ministère afghan de l'Intérieur fait office d'acte de naissance et reconnue par les institutions du pays hôte ".

Par ailleurs, dans sa note du 28 août 2020 adressée au juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nantes, le Ministère des affaires étrangères français indique, s'agissant des conditions de légalisation des taskera en langue dari /pachto qu'elles " peuvent être légalisées sur demande des intéressés ou d'une administration. Les demandes sont adressées à l'Afghanistan Central Civil, Registration Authority, y compris depuis l'étranger via une ambassade. "

LeMinistère des affaires étrangères précise également qu'une "réponse négative équivaudrait à l'absence de l'inscription de la Tazkira dans les registres ou les bases de l'agence gouvernementale."

En l'espèce, la taskera a bien été légalisée par les autorités compétentes et dans les formes reconnues valables par le Ministère des affaires étrangères français.

* l'appelant produit sa taskera en langue anglaise sur légalisée ,portant tampons et authentification par le Ministère de la Justice et certification par le Ministère afghan des affaires étrangères, ainsi que légalisation par l'ambassade d'Afghanistan à [Localité 3].

Il rappelle que l'obtention de la taskera en langue anglaise dont le but est de certifier les informations figurant sur la taskera en langue pachto n'est possible qu'après avoir satisfait à une procédure particulièrement contraignante et qui se matérialise par l'apposition d'un timbre brillant MoFA,impossible à imiter et qui donne valeur probante au document.

C'est donc à tort que le premier juge a considéré irrégulière la légalisation de l'acte.

C'est également à tort que le Ministère Public se prévaut du décret N° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangères pour soutenir que cette légalisation n'est pas conforme, alors que les dispositions législatives prévoyant l'obligation de légalisation des actes publics destinés à être produits en France ont été déclarées inconstitutionnelles et que le décret d'application du 10 novembre 2020 a été annulé et ne aurait s'appliquer en l'espèce.

*s'agissant de la e-tazkira délivrée le13 février 2022 :

Cette carte nationale d'identité électronique afghane (pièce n° XIV) confirme encore une fois son état civil.

Le Ministère des affaires étrangères français conclut sa note du 28 août 2020 de la manière suivante que : "pour une personne née avant 2012, le document fiable qui justifie une identité certaine est la nouvelle carte d'identité électronique (qui devient maintenant obligatoire pour certaines démarches en Afghanistan) ou une taskera légalisée, c'est à dire certifiée conforme par le ministère des affaires étrangères afghan, soit directement, soit via le réseau diplomatique afghan".

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 31 janvier 2024 régulièrement notifiées et auxquelles il convient de faire expressément renvoi pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions,le Ministère Public demande à la Cour de :

- Déclarer recevables les présentes conclusions ;

- Dire que les formalités prévues par l'article 1043 du code de procédure civile ont été respectées ;

- Confirmer le jugement attaqué ;

- Ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.

Il fait essentiellement valoir que :

-la légalisation faite à l'étranger par les autorités étrangères autres que le consul ou une ambassade est insuffisante.

Depuis l'entrée en vigueur le 01 janvier 2021 du décret N° 2020-1370 du 10 novembre 2020,seule l'ambassade de France dans le pays concerné est désormais compétente pour effectuer une légalisation.

Or, la taskera N° 10320002 valant acte de naissance,qui aurait été dressée le 21 avril 2012 n'est pas légalisée par l'une des autorités susvisées et ne pas être considérée comme opposable en France.

-le document intitulé certificat de naissance N°3138/C délivré le 06 mai 2015 par l'ambassade d'Afghanistan à [Localité 3] qui indique qu'il tient lieu d'acte de naissance délivré par l'ambassade d'Afghanistan pour servir ce que de droit ne peut pas être considéré comme un acte de l'état civil au sens de l'article 47 du code civil.

Ce certificat délivré par une autorité étrangère ne peut pas valoir acte de naissance au sens de l'article 16 du décret du 30 décembre 1993, même s'il est revêtu de la formalité de la légalisation.

Par ailleurs, les mentions figurant dans ce certificat et celles mentionnées sur le passeport de l'intéressé ne sont pas concordantes : les deux taskera sont contradictoires en ce qui concerne les éléments tenant à l'âge de l'appelant, le nom de la mère,le jour et le mois de naissance sont omis.

- la taskera N° 24466916 n'est pas valablement légalisée puisque si elle comporte mention de la légalisation apposée le 16 mai 2018 par l'ambassade d'Afghanistan à [Localité 3] qui porte le cachet MAE afghan lui même apposé sur la traduction anglaise, cette légalisation ne comporte pas directement la signature de celui qui a délivré la copie de l'acte le 02 avril 2018.

Lasur-légalisation n'est pas reconnue comme une forme valable de légalisation par la Cour de Cassation, et le décret N° 2020-1370 du 10 novembre 2020 consacre d'ailleurs les règles selon lesquelles la sur légalisation n'est pas valable quand elle est effectuée sur un acte étranger par les autorités étrangères pour permettre à cet acte étranger d'être produit en France.

La sur légalisation n'est valable que si elle est effectuée par les autorités françaises

- Il existe des éléments de discordances entre les deux taskera et il n'est pas compréhensible que la première taskera fixe l'âge de l'appelant au regard de son apparence physique, alors que son certificat de naissance et que son passeport mentionne le jour et le mois de naissance.

La procédure a été clôturée le 01 février 2024.

DISCUSSION

Sur l'action engagée par Monsieur [T] [Z] [C] aux fins d'acquisition de la nationalité française au titre de l'article 21-12 du code civil :

En application de l'article 30 alinéa 1er du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu'il n'est pas déjà titulaire d'un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code

Nul ne peut revendiquer à quelque titre que ce soit, la nationalité française, s'il ne dispose d'un état civil fiable et certain.

L'article 47 du même code dispose que tout acte de l 'état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays , fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.

L'acte de naissance du déclarant doit être authentique et conforme à la législation du pays dans lequel il a été dressé et, le cas échéant, porteur de la formalité de la légalisation ou de l'apostille, pour lui permettre de justifier d'un état civil certain et, partant, de sa minorité à la date de la souscription s'agissant, pour les déclarations souscrites sur le fondement de l'article 21-12 du code civil, d'une déclaration exclusivement réservée aux mineurs.

La France n'ayant conclu aucune convention de dispense de légalisation avec la République Islamique d'Afghanistan, les copies d'actes de l'état civil émanant de ce pays ne peuvent produire d'effet en France si elles n'ont pas été légalisées.

Sur la fiabilité des actes d'état civil :

En cause d'appel, Monsieur [T] [Z] [C] communique :

-son certificat de naissance n° 3138 délivré le 6 mai 2015 et légalisé par l'Ambassade de la République Islamique d'Afghanistan en France selon lequel il est né le 21 août 1998

- sa taskera en langue dari n° 10320002 délivrée le 21 avril 2012 accompagnée de sa traduction indiquant en ce concerne son âge " en 2012,il a 14 ans quatorze ans ( né en 1998) "

- sa nouvelle taskera en langue dari n° 24466916 délivrée le 2 avril 2018 portant mention de son âge " 18 ans en 2017 " et sa traduction

- sa taskera en langue anglaise n° 24466916 légalisée le 11 avril 2018 par le Ministère des Affaires Etrangères Afghan et portant au verso mention de la légalisation de celle-ci en date du 16 mai 2018 par le Consul de l'Ambassade de la République Islamique d'Afghanistan à [Localité 3] et sa traduction

-son passeport afghan accompagné de sa traduction

C'est en vain que le ministère public soutient que les actes d'état civil communiquées par l'appelant ne sont pas fiables d'abord au motif que les deux taskera ne sont pas concordantes en ce qui concerne l'âge de l'intéressé, ensuite au motif que la légalisation effectuée par les autorités étrangères autres que le consulat ou l'ambassade est insuffisante.

S'agissant des mentions contenues dans les deux taskera :

La taskera rédigée en langue dari n° 10320002 délivrée le 21 avril 2012 accompagnée de sa traduction fixe l'âge de l'appelant à 14 ans le 21 avril 2012 au moment où elle a été établie, alors que la seconde taskera en langue dari n° 24466916 délivrée le 2 avril 2018 fixe son âge à 18 ans en 2017.

Le ministère public fait valoir qu'il existe une discordance entre ces deux actes puisque le second document aurait du, par référence à la mention de la première taskera ,porter la mention selon laquelle il avait 19 ans en 2017 et non pas 18 ans, comme l'indique la mention figurant dans le seconde taskera.

Cependant,Monsieur[T] [Z] [C] fait plaider que de nombreuses sources officielles établissent que la date de naissance figurant sur les taskera est approximative, et communique en ce sens deux rapports émanant de la commission de l'immigration et du statut de réfugié au Canada l'un intitulé " description et échantillons du livret taskera et du certificat taskera " publié en septembre 2011, l'autre intitulé " Afghanitan : information sur la délivrance des certificats de naissance et mariages;types de documents exigés du demandeur en Afghanistan ou dans les ambassades pour l'obtention de documents officiels", publié en décembre 2007, desquels il ressort :

-que la date de naissance du demandeur peut être une estimation, n'exprimant parfois que l'année et non le mois,le plus courant étant une déclaration indiquant que le déclarant avait un certain âge au cours d'une certaine année.

Le département d'État américain corrobore la déclaration du haut commissariat selon laquelle l'année de naissance d'une personne sur une tzakira peut être approximative

- la culture afghane n'a pas mis l'accent sur les mêmes marqueurs identitaires que ceux invoqués en occident. Là où les noms, dates et lieux de naissance complets et exacts sont essentiels pour établir l'identité des citoyens en occident, la généalogie, la lignée et l'ethnicité tribale ont été des marqueurs utilisés par les afghans pour s'identifier.

Dès lors, il ne peut être considéré comme une discordance dirimante les mentions relatives à l'âge de l'appelant telles que figurant sur les deux tazkzra communiquées, et ces dernières doivent être considérées comme suffisamment fiables pour vérifier l'identité de l'appelant.

Sur la régularité de la légalisation des taskera :

Le ministère public fait valoir que tant la tazkira en langue dari que celle en langue anglaise ne sont régulièrement légalisées dans la mesure où l'ambassade de la République Islamique d'Afghanistan n'a pas directement certifié la signature de l'autorité ayant délivré ce document, mais uniquement le cachet du ministère des affaires étrangères afghan.

Il fait valoir que les seules autorités habilitées en la matière sont ,en France, le consul du pays où l'acte a été établi, soit, à l'étranger, le consul de France établi dans ce pays,de sorte que ces documents ne sont pas opposables en France.

La taskera en langue dari porte au recto le cachet du département des affaires administratives,direction générale de l'administration du recensement du ministère de l'intérieur et du ministère des affaires étrangères afghan, et au verso la certification de la signature et du cachet par le ministère de l'intérieur.

L'appelant communique la note du 28 août 2020 adressée au juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nantes par le ministère des affaires étrangères français qui indique, s'agissant des conditions de légalisation des taskera en langue dari /pachto qu'elles "peuvent être légalisées sur demande des intéressés ou d'une administration. Les demandes sont adressées à l'Afghanistan Central Civil, Registration Authority, y compris depuis l'étranger via une ambassade. "

Le ministère des affaires étrangères précise également " qu'une réponse négative équivaudrait à l'absence de l'inscription de la Tazkira dans les registres ou les bases de l'agence gouvernementale. "

La taskera en langue dari a donc bien été légalisée par les autorités compétentes et dans les formes reconnues par l'État français.

S'agissant de la sur légalisation de la taskera en langue anglaise, Monsieur [T] [Z] [C] communique une attestation délivrée le 1er octobre 2020 par la section consulaire de l'ambassade d'Afghanistan à [Localité 3] qui indique que : " l'ambassade ne légalise que des documents qui contiennent l'enregistrement et le cachet du ministère des affaires étrangères d'Afghanistan. Et quand un document est légalisé, l'ambassade a seulement le droit de vérifier le cachet du ministère des affaires étrangères d'Afghanistan. La signature originale d'un document peut seulement être légalisée et vérifiée par le ministère des affaires étrangères d'Afghanistan.

Donc la vérification des documents (par exemple les Tazkiras, cartes d'identié afghanes) s'effectue en deux étapes: d'abord le ministère des affaires étrangères d'Afghanistan vérifie la signature, et puis l'ambassade vérifie le cachet du ministère des affaires étrangères d'Afghanistan. L'ambassade n'est pas autorisée à vérifier la signature directement ".

Il ressort également de la consultation effectuée par l'appelant quant aux démarches à effectuer pour obtenir la légalisation d'une taskera par l'ambassade de France en Afghanistan, de l'échange de courriels avec le service visas et affaires consulaires de l'ambassade de France à Kaboul, et de la réponse datée du 16 mars 2021 que " le poste consulaire est habilité à sur légaliser uniquement les taskera déjà légalisées par le MAE afghan, dans leur traduction en anglais".

Ces deux documents sont concordants en ce que la légalisation initiale d'une pièce d'identité afghane est le fait du ministère afghan des affaires étrangères, et qu'elle est ensuite sur légalisée, soit par le poste consulaire français à Kaboul, soit par les services consulaires de l'ambassade d'Afghanistan en France.

Il résulte de ces documents que l'appelant est dans l'impossibilité d'obtenir des autorités consulaires, qu'elles soient française ou afghanes, une légalisation directe de la signature de l'autorité ayant délivré sa pièce d'identité, et spécialement dans sa version en langue anglaise.

Si l'État français ne saurait se voir imposer des usages étrangers contraires à la coutume internationale, il est incontestable que Monsieur [T] [Z] [C] se trouve donc dans l'impossibilité d'obtenir la légalisation directe de la signature de l'autorité ayant émis sa pièce d'identité.

Lui refuser l'enregistrement de sa déclaration sur ce fondement relèverait d'un formalisme excessif, et de fait, interdirait à toute personne de nationalité afghane de justifier d'un état civil fiable.

La note 2020-0409857 du 28 août 2020 signée du directeur adjoint de la direction des français à l'étranger et de l'administration consulaire du ministère de l'Europe et des affaires étrangères adressée à l'attention d'un magistrat du siège du tribunal de Nantes précise notamment,après avoir rappelé l'exigence de la légalisation pour tous les actes publics établis par une autorité étrangère et destinés à être produits en France, que le cadre règlementaire français ne définit pas précisément les modalités de cette légalisation.

Ainsi certaines administrations se contentent de la seule légalisation de ces actes par l'autorité compétente du pays émetteur, et la note souligne que c'est le cas pour le Service Central d'Etat Civil pour les pièces justificatives qui sont requises pour l'établissement des actes de l'état civil.

D'autres administrations, comme les préfectures, appliquent la coutume internationale de la double légalisation. Devantc es discordances, la note annonce la prise prochaine d'un décret visant une harmonisation des procédures.

Certes, est intervenu sur ce point le décret N° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère, mais c'est à tort que le ministère public se prévaut encore de ce texte alors qu'il a été annulé par décision n° 448296 et autres du 7 avril 2022 du Conseil d'Etat statuant au contentieux, avec effet au 31 décembre 2022.

Le Conseil Constitutionnel, par décision 2021-972 QPC du 18 février 2022 a annulé à effet du 31 décembre 2022 les premier et troisième alinéas du paragraphe II de l'article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice comme contraires à la Constitution, lesquels prévoyaient le décret envisagé ci-dessus.

A ce jour, les divergences de pratique signalées par la note précité perdurent, selon l'administration française concernée.

Plus particulièrement, la note 2020-0409857 du 28 août 2020 donne les précisions suivantes: "selon les conditions de recevabilité exigées par les administrations françaises, les services consulaires français à Kaboul peuvent donc procéder, par délégation de l'ambassadeur, à la légalisation des actes publics afghans. Cette légalisation s'effectue, soit sur la signature de l'agent afghan qui a émis l'acte, soit sur celle de l'agent du ministère afghan des affaires étrangères (MoFA) qui a lui-même légalisé la première signature. En pratique, cette deuxième option est la plus courante, car les spécimens de signature des agents du MoFA sont détenus par le poste consulaire français ... Lorsque cette double légalisation n'est pas requise, les actes afghans sont recevables en France avec la seule légalisation , par le MoFA, de la signature de l'agent public qui les a émis".

Ainsi,l'autorité consulaire française accepte non seulement de sur légaliser la légalisation initiale faite par le ministère afghan des affaires étrangères de la signature d'un autre agent public afghan, mais considère en outre que, lorsqu'une sur légalisation n'est pas requise par l'administration française destinataire, les actes concernés sont recevables avec la seule légalisation du MoFA.

Dès lors que telle est la pratique de l'autorité consulaire française en Afghanistan, elle doit parallèlement être acceptée en ce qui concerne la sur légalisation opérée par l'autorité consulaire afghane en France, conformément à la coutume internationale qui prévoit ce parallélisme.

Tel est bien le cas pour la pièce présentée en original et en langue anglaise par Monsieur [T] [Z] [C] , laquelle comprend non seulement la légalisation par le MoFA mais aussi l'apposition d'une pastille holographique destinée à prévenir toute fraude, et qui a de surcroît été surlégalisée par l'autorité consulaire afghane à [Localité 3].

Par conséquent, il doit être considéré que l'appelant satisfait aux conditions de l'article 47 du code civil.

Sur les conditions de l'article 21-12 du code civil :

L'alinéa 2 de ce texte dispose que peut réclamer la nationalité française jusqu'à sa majorité,pourvu qu'à l'époque de sa déclaration il réside en France,l'enfant qui,depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l'aide sociale à l'enfance.

L'état civil de Monsieur [T] [Z] [C] ayant été déclaré probant, et alors qu'il communique son certificat de naissance n° 3138 délivré le 6 mai 2015 et légalisé par l'Ambassade de la République Islamique d'Afghanistan en France il y a lieu de dire qu'au moment de la déclaration souscrite le 04 décembre 2015, il était mineur.

Il justifie qu'il a été confié sur décision judiciaire au service de l'Aide Sociale à l'Enfance du département des Bouches du Rhône sans discontinuité du 15 octobre 2012, placements renouvelés par jugements successifs du juge des enfants de Marseille jusqu'au au jour de sa majorité.

Par conséquent, il convient donc d'enregistrer sa déclaration d'acquisition de la nationalité française et d'infirmer le jugement entrepris

Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil :

Aux termes de l'article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité.

Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité.

En conséquence, cette mention sera en l'espèce ordonnée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

L'Agent Judiciaire du Trésor supportera la charge des dépens.

Monsieur [T] [Z] [C] est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale et la contribution de l'Etat à la rétribution de son avocat est fixée suivant le barème de rétribution prévu à l'article 90 du décret 91-1266 du 19 décembre 1991.

Son conseil, Maître DALANCON, indique vouloir renoncer à percevoir la contribution de l'Etat et sollicite à cet effet la condamnation de l'Agent Judiciaire du Trésor à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il sera fait droit à cette demande.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Marseille.

ET STATUANT A NOUVEAU :

DIT que les conditions de la déclaration de nationalité française souscrite le 04 décembre 2025 auprès du greffier en chef du tribunal d'instance de Marseille par Monsieur [T] [Z] [C] sont satisfaites en application de l'article 21-12 du code civil.

ORDONNE en conséquence son enregistrement.

DIT que Monsieur [T] [Z] [C], né le 21 août 1998 à [Localité 2] ( AFGHANISTAN) est de nationalité française à compter de sa déclaration souscrite le 04 décembre 2015.

ORDONNE la mention prévue par l'article 28 du code civil.

CONDAMNE l'Agent Judiciaire du Trésor aux dépens.

CONDAMNE l'Agent Judiciaire du Trésor à payer à Maître Clément DALANCON la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-2
Numéro d'arrêt : 21/18531
Date de la décision : 09/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-09;21.18531 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award