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04/04/2024 | FRANCE | N°23/11088

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 04 avril 2024, 23/11088


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 04 AVRIL 2024

mm

N° 2024/ 129













N° RG 23/11088 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BL2C6







[K] [D]





C/



[F] [G]



























Copie exécutoire délivrée

le :

à :



ASSOCIATION AVENARD-FERRATA AVOCATS ASSOCIES



SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN
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Décision déférée à la Cour :



Ordonnance du Juge de la mise en état de DIGNES LES BAINS en date du 05 Juillet 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/00749.



APPELANT



Monsieur [K] [D]

demeurant [Adresse 5]



représenté par Me Erick AVENARD de l'ASSOCIATION AVENARD...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 04 AVRIL 2024

mm

N° 2024/ 129

N° RG 23/11088 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BL2C6

[K] [D]

C/

[F] [G]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

ASSOCIATION AVENARD-FERRATA AVOCATS ASSOCIES

SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance du Juge de la mise en état de DIGNES LES BAINS en date du 05 Juillet 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/00749.

APPELANT

Monsieur [K] [D]

demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Erick AVENARD de l'ASSOCIATION AVENARD-FERRATA AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

INTIME

Monsieur [F] [G]

demeurant [Adresse 7]

représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Mohand CHIBOUT, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE-PROVENCE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Marc MAGNON, Président, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Marc MAGNON, Président

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Avril 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Avril 2024

Signé par Monsieur Marc MAGNON, Président et Madame Danielle PANDOLFI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DES FAITS ET PROCÉDURE :

Les 23 et 26 avril 1976, M [L] [G], aux droits duquel vient aujourd'hui M. [F] [G], a donné à bail rural à M. [K] [D] diverses parcelles agricoles sises aux [Localité 6]. Le 28 février 2019, M.[F] [G] a fait délivrer un congé à M. [K] [D] qui a été validé par jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Digne-les- Bains du 15 septembre 2020.

Ce jugement a néanmoins précisé que l' assiette du bail rural de 1976 ne comprenait pas les parcelles cadastrées [Cadastre 3] et [Cadastre 2].

Par requête du 18 mars 2021, [F] [G] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Digne-les-Bains, aux 'ns d'indemnisation des récoltes et gains engendrés par l' exploitation des parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] pendant 30 ans.

Par jugement du 25 mai 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux s'est déclaré incompétent pour connaître de 1'affaire et l'a renvoyée au tribunal judiciaire de Digne-les-Bains.

Par conclusions noti'ées par RPVA le 19 décembre 2022, [K] [D] a saisi le juge de la mise en état d' un incident tendant à :

' faire juger irrecevable l'action de [F] [G] pour cause de prescription,

' le condamner aux dépens de l' instance ainsi qu' à lui verser la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l' article 700 du code de procédure civile, aux motifs que :

' l'action en paiement est une action personnelle, car portant sur une créance, de sorte qu'elle se prescrit par 5 ans en application de l'article 2224 du code civil ; le point de départ de l'action devant être fixé au 23 avril 2010, date à laquelle M.[F] [G] a béné'cié de la donation des parcelles litigieuses, l'acte notarié précisant expressément que les terres étaient louées à M. [K] [D] ;

' l' action n'est certainement pas réelle puisqu'elle porte non sur la revendication d'un droit de propriété mais d' une créance. A cet égard, M. [F] [G], qui n' est plus propriétaire à ce jour des parcelles, a d'abord saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de sa demande et non le tribunal judiciaire en revendication de propriété.

[F] [G] a conclu à la recevabilité de ses demandes et au rejet de la fin de non recevoir soulevée par [K] [D], au rejet des demandes subséquentes de ce dernier et à sa condamnation au paiement d'une somme de 4000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, aux motifs, en substance, que :

' son action doit être considérée comme réelle et à tout le moins mixte, prescriptible par 30 ans en application de l'article 2227 du code civil ;

' elle est fondée sur le droit de propriété puisque M. [K] [D] exploite depuis plus de trente ans des terres appartenant au demandeur sans aucun droit ni titre ;

' il n'a pas eu connaissance de l'exploitation illégale en 2010, lors de la donation, et il a saisi le TPBR, puis le tribunal judiciaire, en 2021, pour obtenir l'indemnisation de son préjudice.

Par ordonnance du 5 juillet 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Digne Les Bains a :

' déclaré recevable l'action de [F] [G] ;

' Renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état électronique du 6 septembre 2023 ;

' Invité les parties à conclure au fond pour cette date ;

' Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Dit que les dépens de l'incident suivront le sort des dépens de l'instance principale.

[K] [D] a relevé appel de cette décision le 24 août 2023.

L'affaire a été fixée à bref délai au 5 février 2024, une ordonnance de clôture étant rendue le 23 janvier 2024.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Vu les conclusions notifiées par Monsieur [K] [D] le 27 septembre 2023, au visa des articles 2224 du Code civil et 122 du Code de procédure civile, tendant à voir :

INFIRMER l'ordonnance de mise en état du 5 juillet 2023.

DÉCLARER Monsieur [F] [G] irrecevable en son action contre Monsieur [K] [D].

CONDAMNER Monsieur [F] [G] à payer à Monsieur [K] [D] la somme de 4.000,00 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'appelant fait valoir, en substance, les moyens et arguments suivants :

' Le concluant, en sa qualité d'agriculteur, a reçu à bail, de Monsieur [L] [G], des immeubles situés aux [Localité 6], pour leur exploitation agricole en vertu d'un bail à ferme notarié en date des 23 et 26 avril 1976, dressé par Maître [P] [S], notaire aux [Localité 6].

' Au décès de Monsieur [L] [G], ce sont Monsieur [N] [G] et Madame [C] [G] épouse [M], en leur qualité d'héritiers après succession du 25 avril 1989, qui sont venus aux droits du bailleur pour lesdites parcelles.

' Par deux donations en date du 20 janvier 1990 et du 23 avril 2010, Monsieur [F] [G] est venu aux droits de son père, Monsieur [N] [G] pour les parcelles héritées de Monsieur [L] [G].

' Les deux parcelles litigieuses, [Cadastre 3] et [Cadastre 2], ont été données à Monsieur [G] par l'acte authentique de donation du 23 avril 2010.

' Le bail à ferme initial a été consenti pour une période de 9 années entières et consécutives ayant pris cours le 1er octobre 1975 pour se terminer le 30 septembre 1984, et s'est tacitement reconduit depuis.

' Par acte en date du 28 février 2019, Monsieur [F] [G] a fait délivrer un congé pour atteinte de l'âge de la retraite à Monsieur [K] [D] pour 12 parcelles visées dans l'acte de bail.

' [K] [D] a adressé au bailleur une demande d'agrément pour la cession du bail en cours à son fils [R] pour 11 parcelles dont 8 parcelles comprises dans le congé et 3 non comprises dans le congé.

' Le bailleur n'ayant réservé aucune suite à la demande amiable, en application de l'article L411-35 du code rural, Monsieur [K] [D] a été contraint de saisir le tribunal paritaire des baux ruraux(TPBR) de Digne-les-Bains pour réclamer l'autorisation de cession.

' Par jugement du TPBR du 15 septembre 2020, le concluant a été débouté de sa demande de cession du bail et le congé a été validé pour les 12 parcelles visées.

'Le jugement a précisé que Monsieur [K] [D] devait quitter volontairement les 12 parcelles visées dans le congé et faisant parties de l'objet du bail rural des 23 et 26 avril 1976, établi par Me [P] [S], au plus tard le 30 septembre 2020, mais qu'il avait droit aux récoltes restantes des oliviers malgré la fin du bail.

' Le jugement a par ailleurs dit que l'assiette du bail rural des 23 et 26 avril 1976, établi par Me [P] [S], ne comprenait pas les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] alors que Monsieur [D] soutenait qu'elles faisaient l'objet d'un bail rural.

' Autrement posé, les 2 parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] ne faisant pas partie de l'assiette du bail rural dont le congé a été validé, elles n'étaient donc pas concernées par le congé. Cette décision est définitive.

' En l'état des termes clairs du jugement, le concluant a procédé aux récoltes restantes des oliviers sur les parcelles objet du bail rural concernées par le congé. Il a également procédé aux récoltes des parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] puisqu'elles n'étaient pas concernées par le congé.

' Toutefois, Monsieur [G] a contesté le bien fondé des récoltes opérées par le concluant sur les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] et saisi le TPBR de Digne-les-Bains par requête reçue au greffe le 18 mars 2021, et a sollicité notamment, au visa « du code rural en matière de bail» et à titre principal, de dire et juger que la somme due à titre d'indemnisation des récoltes et gains engendrés au bénéfice de Monsieur [G] depuis 30 ans s'élève à 411 750 € (13 725 € x 30 ans)... et de condamner Monsieur [D] au paiement de cette somme.

' Monsieur [D] a sollicité pour sa part du TPBR, notamment, de dire et juger que le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux n'est pas compétent pour statuer sur les demandes de Monsieur [F] [G] et de renvoyer l'affaire devant le Tribunal Judiciaire de Dignes les Bains en application de l'article 75 du Code de procédure civile.

' Par jugement du 25 mai 2022 le TPBR a prononcé son incompétence matérielle à trancher le litige opposant Monsieur [G] et Monsieur [D] et renvoyé devant une formation civile du tribunal judiciaire de Digne-les-Bains.

' C'est dans ces conditions que le tribunal judiciaire de Digne- les- Bains a été saisi de l'action de Monsieur [G] contre Monsieur [D] au sujet des parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2].

' Le Juge de la mise en état a considéré que si l'action de Monsieur [G] était bien une action personnelle, le point de départ de cette action devait être le jugement du TPBR du 15 septembre 2020, date à laquelle Monsieur [G] aurait su que les parcelles litigieuses ne faisaient pas partie de l'assiette du bail de 1976.

' Cependant, en l'espèce, le juge de la mise en état a fait une mauvaise appréciation du point de départ du délai.

' Il est certain que l'action de Monsieur [G] est une action personnelle ; qu'il est titulaire du droit de propriété depuis le 23 avril 2010 et qu'il connaissait les faits depuis plus de 5 ans lorsqu'il a saisi le TPBR le 18 Mars 2021.

' Il réclame « une indemnisation des récoltes et bien engendrés » sur 30 ans à titre principal, sur 10 ans à titre subsidiaire, et sur 5 ans à titre infiniment subsidiaire.

' Monsieur [F] [G] s'abstient de qualifier juridiquement le fondement de ses demandes indemnitaires. Il se contente de soutenir dans ses écritures que « son droit de propriété a été violé sur le fondement des articles 544 à 577 du Code civil ».

' Les articles 544 à 577 du Code civil du TITRE II - DE LA PROPRIETE, ne sauraient fonder la présente demande en indemnisation.

' Sa demande en « indemnisation » aurait pour objet de réparer le fait qu'il n'aurait pas pu faire les récoltes des oliviers sur les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2].

Dès lors qu'il réclame « une indemnisation », c'est forcément en réparation d'un fait prétendument imputable au concluant.

' Monsieur [G] se prétend donc titulaire d'un droit de créance contre le concluant. Or, il est unanimement admis que l'action portant sur l'exécution d'un droit de créance est toujours personnelle et ce quel que soit l'objet qui le fonde.

' La cour de cassation a récemment rappelé par un arrêt du 6 avril 2022 que l'action en indemnisation d'un préjudice subi est une action personnelle qui se prescrit par cinq ans (cass. 3 ème civ. 6/04/2022 n°21'13891). Dans l'espèce qui a donné lieu à cet arrêt, il était demandé d'une part la démolition d'un ouvrage construit en violation du cahier des charges et d'autre part une indemnisation en réparation de la construction de l'ouvrage.

Pour la Cour de cassation, l' action en démolition des constructions édifiées en violation du cahier des charges d'un lotissement est une action réelle, tandis que l'action en indemnisation du préjudice subi est une action personnelle soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du Code civil.

' Monsieur [G] soutient que son action ne serait pas prescrite aux motifs que l'art. 2227 du Code civil prévoit que « les actions réelles immobilières se prescrivent par 30 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

' En aucun cas l'action de Monsieur [G] contre le concluant ne pourrait être qualifiée d'action réelle immobilière.

' La demande de Monsieur [G] ne porte pas sur la question de la propriété des terres mais est une demande d'indemnisation sans fondement juridique précis.

' L'action que Monsieur [G] a cru pouvoir engager contre l'appelant est sans conteste une action en paiement d'une somme d'argent.

' La preuve complémentaire que M [G] n'exerce pas une action réelle est qu'il a cédé les 2 parcelles litigieuses pour lesquelles il réclame une indemnisation.

' Or, pour exercer une action réelle, il faut justifier être titulaire du droit de propriété sur le bien immobilier objet de l'action, ou exercer une action en revendication du droit de propriété.

' L'action de Monsieur [G] porte sur une créance du fait de l'exploitation des terres par Monsieur [D] et non sur la revendication de la terre de sorte qu'il s'agit bien d'une action personnelle. au sens de l'article 2224 du Code civil.

' Cependant, le juge de la mise en état a cru pouvoir considérer que dès lors que les deux parcelles litigieuses ne faisaient pas partie de l'assiette du bail rural de 1976, selon la décision du TPBR du 15 septembre 2020, l'exploitation aurait été effectuée « sans droit ni titre».

' Bien que l'ordonnance n'ait pas l'autorité de chose jugée sur le fond de l'affaire, cette affirmation du juge de la mise en état est une erreur d'appréciation du problème juridique de fond.

' Tout d'abord, en aucun cas le jugement du TPBR du 15 septembre 2020 ne dit que l'exploitation des parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] aurait été effectuée sans droit ni titre. Il se contente de dire que les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] ne font pas partie de l'assiette du bail rural d'avril 1976, et ce en réponse à la question qui lui était posée.

' La question de la qualification des rapports juridiques entre les parties est une question de fond sur laquelle il ne pourra être statué que dès lors que l'incident de prescription sera totalement vidé.

' Ce n'est que si par impossible il était dit que l'action de Monsieur [G] est recevable, que Monsieur [D] soutiendrait, dans le cadre du débat au fond, que les 2 parcelles litigieuses ont été données en prêt à usage au sens des articles 1875 et suivants du Code civil, comme l'a soutenu Monsieur [G] dans ses conclusions devant le TPBR.

' Monsieur [G] est titulaire de son droit sur les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] depuis le 23 avril 2010. Il n'est plus propriétaire de la parcelle [Cadastre 3] depuis le 24 septembre 2021 pour l'avoir cédée à Monsieur [T]. Concernant la parcelle [Cadastre 2], à la connaissance du concluant, elle a également été cédée à Monsieur [T].

' Monsieur [G] n'a pas appris que les 2 parcelles ne faisaient pas partie de l'assiette du bail rural de 1976 grâce au jugement du 15 septembre 2020 du TPBR. Il résulte des pièces versées aux débats que Monsieur [G] a soutenu qu'il n'y avait pas de bail rural sur ces parcelles, dès avant l'instance ayant donné lieu au jugement du 15 septembre 2020 et encore en cours d'instance.

' Le point de départ du délai à compter duquel Monsieur [G] 'a connu ou aurait dû connaître » objectivement les faits lui permettant d'exercer son droit est le lendemain du 23 avril 2010.

En effet, à l'article « PROPRIETE JOUISSANCE » de l'acte notarié du 23 avril 2010, il est stipulé que : « le DONATAIRE sera propriétaire du BIEN présentement donné à compter de ce jour. Il en aura la jouissance, également à compter de ce jour, par la perception des loyers, le dit BIEN étant loué à Monsieur [K] [D], demeurant à [Localité 1], depuis de très nombreuses années.

Le DONATAIRE déclare en avoir connaissance et vouloir en faire son affaire

personnelle. »

' A compter de cet acte, Monsieur [G], qui avait donc une connaissance objective que les deux parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 4], devenues sa propriété, étaient exploitées à des fins agricoles, est donc devenu créancier de Monsieur [D]. Ce droit de créance étant immédiatement exigible, le point de départ du délai de prescription doit être fixé au jour de son existence pour le créancier normalement diligent.

' C'est donc dès qu'il est devenu propriétaire des 2 parcelles litigieuses que Monsieur [G] aurait dû connaître ou vérifier le titre en vertu duquel ces terres étaient exploitées par le concluant et vérifier si l'exploitant payait ou était tenu de payer un loyer en contrepartie de cette exploitation.

' En l'espèce, puisqu'à compter de cette date les loyers versés par Monsieur [D] en exécution du bail rural d'avril 1976 ne comprenaient pas les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2], comme l'a soutenu Monsieur [G] dans ses écritures devant le TPBR, il avait une connaissance objective des faits lui permettant d'engager une action en justice à propos de ces parcelles exploitées par l'appelant.

' Le créancier diligent qui ne reçoit pas de loyer sur des parcelles lui appartenant, qu'il sait exploitées par son preneur, ne peut ignorer son droit d'agir sur ces parcelles.

' Ainsi, le point de départ du délai de prescription est le lendemain de l'acte de donation du 23 avril 2010, date à laquelle la créance est devenue exigible.

' En tout état de cause, les faits et les actes juridiques démontrent que Monsieur [G] avait connaissance que les parcelles litigieuses ne faisaient pas l'objet d'un bail rural, bien avant le jugement du 15 septembre 2020.

' En premier lieu, dans le congé pour retraite qu'il a fait délivrer au concluant le 28 février 2019, sciemment Monsieur [G] ne vise pas les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] parce qu'il sait que ces parcelles ne font pas l'objet d'un bail rural.

' Dans le cadre de la procédure ayant donné lieu au jugement du 15 septembre 2020, Monsieur [G] a déclaré en justice 'qu'il le sait depuis bien avant la délivrance du congé en février 2019".

' L'article 1356 du Code civil dispose :

« L'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son fondé de pouvoir spécial. Il fait pleine foi contre celui qui l'a fait. Il ne peut être divisé contre lui. Il ne peut être révoqué, à moins qu'on ne prouve qu'il a été la suite d'une erreur de fait. Il ne pourrait être révoqué sous prétexte d'une erreur de droit. »

' En l'espèce, dans ses conclusions du 12 mars 2020 dans l'instance ayant donné lieu au jugement du TPBR du 15 septembre 2020, en réponse à l'argumentation de l'appelant qui soutenait pour sa part qu'il existait un bail rural sur les parcelles [Cadastre 3] & [Cadastre 2], du moins verbal, Monsieur [G] a déclaré qu'il : « ne conteste pas qu'il puisse exister un prêt à usage au sens de l'article 1875 du Code civil. Cela ne signifie pas pour autant la requalification en bail rural. Ce d'autant que le demandeur ' Monsieur [D] ' est bien incapable de préciser la date à laquelle ce prêt à usage aurait pris naissance. En tout état de cause, il aurait forcément plus de 5 ans. Sa demande à peine voilée en requalification est prescrite en application de l'article 2224 du Code civil »(cf. conclusions [G] devant TPBR 12/03/2020 ' pièce n°11).

' Ainsi, dans cette déclaration faite en justice, Monsieur [G] a admis qu'il a parfaitement connaissance, d'une part, que les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] étaient exploitées en vertu d'un « prêt à usage » et non en vertu d'un bail rural, et, d'autre part, que l'exploitation des parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] en vertu d'un « prêt à usage » durait depuis « forcément plus de 5 ans ».

' Dans les motifs du jugement du 15 septembre 2020, le TPBR a souligné la position de Monsieur [G] sur la qualification des 4 parcelles :

« si le bailleur ne conteste pas que les 4 parcelles litigieuses sont des biens agricoles et que les preneurs y exercent bien une activité agricole, il conteste le fait que ces derniers lui verseraient une contrepartie ». (cf. jugement TPBR 15/09/2020 page 10 - pièce n°6).

' Cet aveu judiciaire, repris par le TPBR dans son jugement, ne peut être que la reconnaissance par Monsieur [G] qu'il a connaissance du droit applicable sur les 2 parcelles litigieuses depuis plus de 5 ans avant le jugement du 15 septembre 2020.

' Dès lors, contrairement à ce qu'a retenu le juge de la mise en état dans son ordonnance du 5 juillet 2023, Monsieur [G] avait connaissance du droit applicable aux deux parcelles, depuis plus de 5 ans, avant de saisir le TPBR par requête du 18 mars 2021. Il était donc prescrit dans sa demande en indemnisation sur les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] quand il a saisi le TPBR le 18 mars 2021.

Vu les conclusions notifiées le 19 octobre 2023 par [F] [G] , qui demande à la cour de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a dit que son action est recevable. mais en adoptant une autre motivation, au visa notamment des articles 2224, 2227 et 544 à 577 du Code Civil, et, y ajoutant, de

JUGER que l'action de Monsieur [G] est une action réelle immobilière soumise à la prescription trentenaire.

JUGER que l'action de Monsieur [G] est recevable.

DEBOUTER Monsieur [D] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions.

Si par extraordinaire la Cour d'Appel de céans devait juger que l'action engagée par Monsieur [G] est une action personnelle soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du Code Civil,

JUGER que le point de départ de la prescription est le 15 septembre 2020, date du Jugement du Tribunal Paritaire des Baux ruraux.

En conséquence,

JUGER que l'action de Monsieur [G] engagée par voie de requête le 18 mars 2021 est recevable.

CONDAMNER Monsieur [K] [D] au paiement de la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance distraits au profit de Me Joseph MAGNAN, Avocat aux offres de droit.

L'intimé réplique en substance que :

' L'objet de l'action est l'indemnisation de Monsieur [F] [G], du fait de l'exploitation par Monsieur [K] [D] de terres ne lui appartenant pas et, compte tenu de la décision du TPBR de 2020, ne faisant pas partie du bail rural signé en 1976.

' Ainsi, le point de départ de la prescription est le jour où Monsieur [F] [G] a su que l'assiette du bail rural ne comprenait pas les parcelles litigieuses, soit le 15 septembre 2020.

' Au jour de la donation en 2010, il ne pouvait savoir que le bail ne recouvrait pas ces parcelles, le notaire indiquant dans l'acte que les parcelles étaient louées et il n'est pas contesté que Monsieur [K] [D] les exploitaient depuis 1976.

' L'action en indemnisation ayant été introduite le 18 mars 2021, soit moins de 5 ans après la connaissance du droit, elle n'est pas prescrite.

' Mais le concluant entend démontrer en outre que son action à l'encontre de Monsieur [D] est recevable car il s'agit d'une action réelle immobilière ou à tout le moins mixte, donc non prescrite, en application des dispositions de l'article 2227 du Code Civil.

' En effet, Monsieur [G] a saisi la justice car Monsieur [D] exploite de manière illégale les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] et a donc sollicité une juste indemnisation, ce dernier bénéficiant depuis plusieurs années des récoltes desdites parcelles.

' Il s'agit donc bien d'un litige lié au droit de propriété sur les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] puisque Monsieur [D] exploite lesdites parcelles sans droit ni titre.

' Monsieur [G] est propriétaire des parcelles litigieuses depuis l'acte de donation en date du 23 avril 2010.

' Il a exercé devant le Tribunal des Baux Ruraux, puis devant le Tribunal judiciaire de céans une action réelle immobilière et non une action personnelle comme le soutiennent la partie adverse et le Juge de la mise en état, et à tout le moins une action réelle mixte.

' En effet, l'action en justice engagée par Monsieur [G] est fondée sur son droit de propriété : il a donc pour objectif de démontrer que Monsieur [D] n' a aucun droit sur les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] et qu'en conséquence, de manière tout à fait illégale, il récupère depuis des années des récoltes qui ne lui appartiennent pas.

' Si on prend en considération la date à laquelle Monsieur [G] est devenu propriétaire des parcelles litigieuses, soit le 23 avril 2010, son action est donc parfaitement recevable.

' Si Monsieur [D] avait eu connaissance des faits litigieux à la date de la signature de la donation le 23 avril 2010, il n'aurait pas attendu plusieurs années avant de saisir la Justice pour engager la présente procédure.

' Le point de départ de la prescription est le jour où l'intimé a su que l'assiette du bail rural ne comprenait pas les parcelles litigieuses soit le 15 septembre 2020, date du jugement du Tribunal Paritaire des Baux Ruraux.

' Monsieur [G] ayant engagée son action par voie de requête le 18 mars 2021, son action est recevable.

MOTIVATION :

Sur la prescription :

L'article 2224 du Code civil dispose que: « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »

Selon l' article 2227 du même code: « Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »

L'article 122 du Code de procédure civile dispose pour sa part que : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

Il résulte par ailleurs de l'article 789 du Code de procédure civile que : « Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour:

[...]

6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s'y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s'il l'estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire.

Le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l'ordonnance ou du jugement. La formation de jugement statue sur la fin de non-recevoir même si elle n'estime pas nécessaire de statuer au préalable sur la question de fond. Le cas échéant, elle renvoie l'affaire devant le juge de la mise en état.

Les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance, à moins qu'elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état. »

Constitue une action personnelle une action en justice visant à faire reconnaître un droit attaché à la personne de celui qui l'exerce, par exemple un droit de créance.

Une action est considérée comme réelle lorsqu'elle porte sur une chose. Elle peut être mobilière ou immobilière. Une action réelle immobilière est une action par laquelle celui qui agit demande la reconnaissance ou la protection d'un droit sur un immeuble, par exemple l'action tendant à faire cesser un empiétement ou l'action en reconnaissance d'un bail à construction.

En l'espèce, l' action intentée par M [F] [G], au visa des articles 544 à 577 du code civil, tend à la condamnation de M [D] à lui payer une somme de 411750,00 euros, correspondant à la valeur des récoltes et gains engendrés par l' exploitation, sans droit ni titre, des deux parcelles exclues du bail rural, sur trente ans.

Or, l' action en restitution, en valeur ou en nature, des fruits et produits perçus par le possesseur de l'immeuble d'autrui, fondée sur l'article 549 du code civil, est une action réelle immobilière qui se prescrit par 30 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Cette demande relève bien en conséquence de la prescription trentenaire et [F] [G] étant devenu propriétaire des parcelles en question par l'acte de donation du 23 avril 2010, c'est à compter de cette date que le délai de prescription a commencé à courir. En effet, devenant propriétaire des parcelles litigieuses, il était en mesure dès cet instant de savoir que ces parcelles n'étaient pas incluses dans la liste des parcelles données à bail, selon l'acte authentique de 1976 auquel il avait accès.

L'action, ayant été introduite par requête du 18 mars 2021, n'est pas prescrite.

[F] [G] demande en second lieu, à titre accessoire, la fixation d'un fermage pour les parcelles en question et l'indemnisation d' un préjudice moral, demandes qui ne sont pas non plus prescrites.

L'ordonnance déférée est ainsi confirmée.

Sur les demandes annexes:

[K] [D] qui succombe supportera la charge des dépens d' appel.

Au regard des circonstances de la cause et de la position des parties, l'équité justifie de condamner [K] [D] au paiement d'une somme de 3000,00 euros au titre des frais non compris dans les dépens d'appel .

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort.

Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Digne-les-Bains, en toutes ses dispositions.

Y ajoutant ,

Juge que l'action de [F] [G], en restitution de la valeur des fruits et produits des parcelles cadastrées [Cadastre 3] et [Cadastre 2], en application de l'article 549 du code civil, est une action réelle immobilière soumise à la prescription trentenaire de l'article 2227 du code civil, ayant commencé à courir à compter de l'acte de donation du 23 avril 2010,

Condamne [K] [D] aux dépens d'appel,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Le condamne à payer à [F] [G] une somme de 3000,00 euros au titre des frais non compris dans les dépens d'appel,

Rejette toute autre demande contraire ou plus ample.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 23/11088
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;23.11088 ?
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