La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/03/2024 | FRANCE | N°20/10641

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 21 mars 2024, 20/10641


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 21 MARS 2024

ph

N° 2024/ 101













N° RG 20/10641 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGO7Y







[K] [P]





C/



[F] [E]



























Copie exécutoire délivrée

le :

à :



SCP LIZEE- PETIT-TARLET



Me Edith FORCADE








>













Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal Judiciaire d'AIX EN PROVENCE en date du 05 Octobre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 19/01469.



APPELANT



Monsieur [K] [P]

demeurant [Adresse 3] - [Localité 1]



représenté par Me Eric TARLET de la SCP LIZEE- PETIT-TARLET, avocat au barreau d'AIX-E...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 21 MARS 2024

ph

N° 2024/ 101

N° RG 20/10641 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGO7Y

[K] [P]

C/

[F] [E]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SCP LIZEE- PETIT-TARLET

Me Edith FORCADE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal Judiciaire d'AIX EN PROVENCE en date du 05 Octobre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 19/01469.

APPELANT

Monsieur [K] [P]

demeurant [Adresse 3] - [Localité 1]

représenté par Me Eric TARLET de la SCP LIZEE- PETIT-TARLET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

INTIMEE

Madame [F] [E]

demeurant [Adresse 5] - [Localité 2]

représentée par Me Edith FORCADE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Patricia HOARAU, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Marc MAGNON, Président

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Mme Audrey CARPENTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Mars 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Mars 2024

Signé par Monsieur Marc MAGNON, Président et Madame Danielle PANDOLFI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES

[X] [F] [E] est propriétaire d'une maison d'habitation édifiée sur un terrain, situé [Adresse 5] à [Localité 8].

Elle a pour voisin au Sud de sa parcelle numérotée [Cadastre 7], M. [K] [P], devenu propriétaire de la parcelle n° [Cadastre 6] après le décès de sa mère feue [N] [P], située [Adresse 4] à [Localité 8].

Par exploit d'huissier du 8 octobre 2019, Mme [F] [E] a fait assigner M. [K] [P] devant le tribunal d'instance d'Aix-en-Provence pour obtenir sa condamnation sur le fondement des articles 671, 672 et 1240 du code civil, à l'abattage des deux cyprès et du laurier-sauce implantés au Nord de sa parcelle près de la limite de propriété.

Par jugement du 5 octobre 2020, le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence a :

- jugé que le cyprès de [J] qui croît sur le fonds [P] à une distance de 1,12 mètre de la clôture séparant les fonds [E]/[P] bénéficie de la prescription trentenaire,

- jugé que le laurier-sauce qui croît sur le fonds [P] à une distance de 1,27 mètre de la clôture séparant les fonds [E]/[P] ne bénéficie pas de la prescription trentenaire,

- jugé que le cyprès de [J] qui croît sur le fonds [P], se trouve à plus de 2 mètres de la clôture séparant les fonds [E]/[P],

- condamne M. [P] à procéder à ses frais à l'abattage du laurier-sauce situé à 1,27 mètre de la clôture séparant les fonds [E]/[P] dans le délai de trois mois à compter de la signification de la décision et passé ce délai sous astreinte provisoire de 50 euros par jour, le tribunal se réservant la liquidation de l'astreinte,

- constaté que Mme [E] ne demande pas l'élagage des arbres dont les branches empiètent sur sa propriété,

- rappelé que le droit de conserver les branches qui empiètent et surplombent la propriété voisine ne peut s'acquérir par prescription, et que selon l'article 673 du code civil celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper,

- condamné M. [P] à payer à Mme [E] la somme de 1 000 euros au titre du préjudice lié à la perte d'ensoleillement et la somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté les autres demandes,

- assorti la décision de l'exécution provisoire,

- condamné M. [P] aux dépens.

Le tribunal a considéré qu'aucun témoin attestant de l'ancienneté des cyprès, n'a mentionné l'existence du laurier-sauce, que la perte de vue n'excède pas les inconvénients normaux du voisinage à la différence de la perte d'ensoleillement, que la preuve n'est pas rapportée d'un préjudice résultant de l'élagage intervenu par Mme [E].

Par déclaration du 3 novembre 2020, M. [P] a relevé appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 25 juin 2021, M. [P] demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris en ses dispositions contestées, notamment en ce qu'il a reconnu un préjudice d'ensoleillement à Mme [E], en ce qu'il l'a condamné à abattre le laurier-sauce pourtant trentenaire, et en ce qu'il l'a débouté de ses demandes reconventionnelles de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau :

- débouter Mme [E] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- constater que les trois arbres invoqués par Mme [E] ont une hauteur supérieure à deux mètres depuis plus de trente ans,

Vu le rapport Elex,

- constater qu'ils ne causent aucune perte d'ensoleillement ni préjudice de voisinage anormal,

- dire et juger qu'il n'existe aucun droit à avoir une vue sur la mer,

A titre reconventionnel,

Vu la faute de Mme [E],

Vu la violation de domicile intervenue,

- constater que le cyprès litigieux doit être à présent purement et simplement coupé et remplacé,

- condamner en conséquence Mme [E] à lui payer la somme de 1 000 euros et 14 160 euros,

- la condamner en outre à la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi,

- la condamner à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

M. [P] fait essentiellement valoir :

Sur la demande de Mme [E],

- que son action n'est motivée que par un intérêt pécuniaire, Mme [E] ayant mis en location deux appartements au premier et deuxième étage, en se conservant le rez-de-chaussée de sa maison, qui correspond à un ancien garage selon le cahier des charges, ainsi que par son intention de nuire et une vieille ranc'ur,

- que s'agissant du laurier-sauce, il produit des témoignages complémentaires sur la prescription trentenaire acquise,

- qu'il n'y a pas de perte d'ensoleillement,

- que le tribunal a écarté à tort le rapport d'expertise privée produit par lui, pour ne retenir que celui produit par Mme [E],

- que la comparaison faite sur le déficit de vue entre une photo prise en 1975 du deuxième étage, et celle contemporaine prise du rez-de-jardin, relève de la manipulation,

- qu'il n'y a pas de trouble anormal de voisinage par la présence d'un unique cyprès dont on prétend qu'il occulterait une vue,

Sur ses demandes reconventionnelles,

- que sa demande reconventionnelle a été formée en première instance,

- que Mme [E] est entrée sur sa propriété pour élaguer un cyprès, massacrant le cyprès de nature à rendre son abattage inévitable, en laissant une montagne de branchages sur place,

- qu'il réclame la somme de 1000 euros pour le rééquilibrage du cyprès, et 14 160 euros pour le préjudice esthétique et la perte probable du cyprès,

- que la demande de rééquilibrage n'est pas contradictoire, car dans un premier temps il veut rééquilibrer le cyprès et si dans le temps, l'arbre ne peut résister au vent violent il faudra procéder à son abattage.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 10 novembre 2022, Mme [E] demande à la cour de :

Vu les articles 671, 672, 544, 1240 du code civil,

Vu l'article 564 du code de procédure civile,

Sur l'appel principal :

- confirmer le jugement du 05 octobre 2020 en ce qu'il a :

« - Jugé que le laurier-sauce (2) qui croît sur le fonds [P] à une distance de 1,27m de la clôture séparant les fonds [E] / [P] ne bénéficie pas de la prescription trentenaire,

- Condamné Monsieur [K] [P] à procéder à ses frais à l'abattage du laurier sauce situé à 1,27m de la clôture séparant les fonds [E]/[P] dans le délai de trois mois à compter de la signification de ce jugement et passé ce délai sous astreinte provisoire de 50,00 € par jour, ce tribunal se réservant la liquidation de l'astreinte,

- Condamné [K] [P] à payer à [F] [E] :

- 1000,00 € (mille euros) au titre du préjudice lié à la perte d'ensoleillement,

- 1200,00 € (mille deux cents euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté Monsieur [K] [P] de ses demandes tendant à la condamnation de Madame [F] [E] aux sommes suivantes :

- 14.160 € au titre du rééquilibrage, l'abattage et le remplacement du cyprès

- 5000 € au titre du préjudice moral subi »

- débouter M. [P] de sa demande de condamnation envers elle, à lui payer la somme de 1 000 euros pour procéder au rééquilibrage du cyprès, cette demande étant irrecevable au regard de l'article 564 du code de procédure civile s'agissant d'une prétention nouvelle, et en tout état de cause mal fondée,

Sur son appel incident :

- recevoir son appel incident, et statuant à nouveau :

A titre principal,

- ordonner, sur le fondement des articles 671 et 672 du code civil, l'abattage par M. [P] et à ses frais, du cyprès [J] (1) planté à une distance de 1,12 mètre de la limite de son fonds, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du mois suivant le caractère définitif de l'arrêt à intervenir, en réservant à la juridiction ayant statué en première instance la liquidation de l'astreinte,

- ordonner, sur le fondement de l'article 544 du code civil, l'abattage par M. [P] et à ses frais, du cyprès de [J] (3) planté à une distance de 2,73 mètres de la limite de son fonds, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du mois suivant le caractère définitif de l'arrêt à intervenir, en réservant à la juridiction ayant statué en première instance la liquidation de l'astreinte,

- condamner M. [P] à lui payer la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de perte de vue et perte de valeur de son terrain,

A titre subsidiaire,

- ordonner, sur le fondement de l'article 544 du code civil l'abattage par M. [P] et à ses frais, du cyprès [J] (1) planté à une distance de 1,12 mètre de la limite de son fonds, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du mois suivant le caractère définitif de l'arrêt à intervenir, en réservant à la juridiction ayant statué en première instance la liquidation de l'astreinte,

- ordonner sur le fondement de l'article 544 du code civil l'abattage par M. [P] et à ses frais, du laurier-sauce (2) qui croît sur le fonds [P] à une distance de 1,27 mètre de la clôture séparant les fonds [E]/[P], sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du mois suivant le caractère définitif de l'arrêt à intervenir, en réservant à la juridiction ayant statué en première instance la liquidation de l'astreinte,

A titre infiniment subsidiaire,

- condamner M. [P] à élaguer à ses frais les branches issues de ses trois arbres qui dépassent sur sa propriété, au rythme d'une fois l'an entre le mois d'octobre et le mois de décembre,

- l'autoriser en cas de carence de M. [P], constatée par l'absence d'élagage durant l'année N au 1er janvier de l'année N+1, à procéder à cet élagage annuel aux frais de l'appelant,

En tout état de cause,

- condamner M. [P] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance.

Mme [E] soutient en substance :

Sur l'appel principal,

- que les témoignages sont insuffisants pour démontrer que le laurier-sauce bénéficie de la prescription,

- que sur la perte d'ensoleillement, le premier juge a constaté les nombreuses lacunes du rapport d'expertise privé Elex produit par M. [P], notamment le fait qu'il n'est pas argumenté, à la différence du rapport d'expertise [T] produit par elle,

- qu'elle produit des photographies qui confirment la perte d'ensoleillement,

- que les arbres litigieux sont tous à feuille persistante, alors que le murier-platane planté dans sa propriété est à feuille caduque, pour pouvoir profiter du soleil en hiver,

- que la perte d'ensoleillement est un préjudice qui est subi par sa propriété, qu'elle soit louée ou non,

Sur les demandes reconventionnelles de l'appelant,

- que la demande au titre du rééquilibrage est nouvelle,

- qu'il y a une contradiction entre la demande de 1 000 euros qui serait nécessaire au rééquilibrage d'un arbre qui devra ensuite être « probablement » arraché et remplacé pour la somme de 14 160 euros,

- que le préjudice futur, et qui plus est, éventuel, ne possède pas le caractère de certitude nécessaire à son indemnisation,

- que M. [P] fonde sa demande sur le rapport Elex, lequel se réfère aux articles 1242 et 1384 du code civil, mais que ce rapport lui est inopposable, le cabinet Elex ayant été dépêché par la Maif assurance de feue la mère de M. [P],

- que cinq années après, le cyprès se porte comme un charme et que ni sa santé, ni sa solidité ne sont menacés,

- qu'il n'y a pas de préjudice esthétique,

- qu'il n'y a pas de préjudice moral,

- qu'elle n'a eu d'autre choix que de faire procéder à la taille des branches d'un des deux cyprès, empêchant l'usage de son escalier permettant d'accéder à la partie basse de son jardin, M. [P] n'ayant pas répondu à aucun de ses courriers depuis 2011, qu'elle-même ni ses mandataires, n'ont jamais pénétré sur la propriété de M. [P],

- que la plainte pénale déposée par M. [P] le 28 novembre 2017, a été classée sans suite,

Sur son appel incident,

- que le cyprès [J] planté à 1,12 mètre est concerné par l'interdiction de l'article 671 du code civil,

- le point de départ de la prescription est la date à laquelle l'arbre a dépassé la hauteur maximale autorisée,

- l'appelant ne rapporte pas la preuve de cette date,

- que le cyprès [J] planté à 2,73 mètres, ne contrevient pas à l'article 671 du code civil, mais lui cause un trouble anormal de voisinage,

- la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que les juges du fonds peuvent ordonner l'abattage sur ce fondement,

- elle subit une perte d'ensoleillement,

- s'il est de jurisprudence constante qu'il n'y a pas de droit à la vue sur la mer, l'obstruction à la vue, peut constituer un trouble anormal de voisinage,

- les lots ont été disposés afin de bénéficier de la vue sur la mer, sur la baie de [Localité 8],

- depuis 2011, elle subit une perte de vue de 100 %,

- la perte de valeur du terrain est aggravée par un trouble de jouissance depuis plus de dix ans,

- que subsidiairement si la prescription était acquise, elle forme les mêmes demandes sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage,

- que plus subsidiairement, l'élagage des arbres est poursuivi, sans qu'on puisse lui opposer le caractère nouveau de cette demande.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 9 janvier 2024.

L'arrêt sera contradictoire puisque toutes les parties ont constitué avocat.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Aux termes de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il est constaté que le dispositif des conclusions de l'appelant comporte des demandes de « dire et juger » et « constater », qui ne constituent pas toutes des prétentions, mais des moyens, si bien que la cour n'en est pas saisie.

Sur l'exception d'irrecevabilité de la demande nouvelle

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée, constitue une fin de non-recevoir, étant admis que cette liste n'est pas limitative.

L'article 564 du code de procédure civile énonce qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Les articles 565 et 566 du même code précisent que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, ou si elles sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge.

Il est prétendu que la demande de M. [P] de condamnation de Mme [E] à lui verser la somme de 1 000 euros au titre du rééquilibrage de l'arbre est nouvelle.

Même s'il est vérifié que cette demande spécifique n'était pas présentée au premier juge, il doit être conclu qu'il s'agit d'une demande qui tend aux mêmes fins que celles présentées en première instance, à savoir l'indemnisation du préjudice résultant de l'élagage du cyprès opéré à l'initiative de Mme [E].

L'exception d'irrecevabilité de cette demande soulevée par Mme [E] sera donc rejetée.

Sur la demande fondée sur le non-respect des règles de distance des plantations

Aux termes de l'article 671 du code civil, « Il n'est permis d'avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu'à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu'à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d'un demi-mètre pour les autres plantations.

Les arbres, arbustes et arbrisseaux de toute espèce peuvent être plantés en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l'on soit tenu d'observer aucune distance, mais ils ne pourront dépasser la crête du mur.

Si le mur n'est pas mitoyen, le propriétaire seul a le droit d'y appuyer les espaliers. »

L'article 672 du même code précise que le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l'article précédent, à moins qu'il n'y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire.

Il est constant que la charge de la preuve que le dépassement de la hauteur autorisée de deux mètres, des arbres situés dans la zone comprise entre cinquante centimètres et deux mètres de la ligne séparative, existe depuis plus de trente ans, appartient à celui qui s'en prévaut, soit à M. [P].

L'objet du litige porte sur trois arbres dont ne sont pas discutées la distance et la hauteur telles que retenues dans le jugement appelé sur la base du plan établi par M. [T], expert privé missionné par Mme [E] :

- un cyprès de [J] d'une hauteur de 12 à 14 mètres, planté à une distance de 1,12 mètre de la clôture,

- un laurier-sauce d'une hauteur de 6 à 8 mètres, planté à une distance de 1,27 mètre de la clôture,

- un cyprès de [J] d'une hauteur de 15 à 20 mètres, planté à une distance de 2,73 mètres de la clôture.

D'ores et déjà il est constaté que le cyprès de [J] planté à 2,73 mètres, comme reconnu par Mme [E], ne relève pas des dispositions des articles 671 et 672 du code civil.

S'agissant des deux autres arbres, M. [P] produit des témoignages dont certains non communiqués en première instance, de plusieurs voisins, pour attester de leur existence depuis les années 1970, étant rappelé que ce qui compte, c'est la date à partir de laquelle les arbres litigieux ont dépassé la hauteur maximale autorisée de deux mètres et pas l'âge des arbres.

De son côté, Mme [E] verse aux débats des témoignages attestant de l'absence de végétation dans l'espace litigieux en 1980, ni entre 1993 et 1995, s'agissant du témoignage de cousins de Mme [E] pour le premier et des témoignages d'une amie et d'un résident du [Adresse 5] (adresse de Mme [E]), à cette période.

Le fait que les témoignages de Mme [E] proviennent de sa famille, d'amie et connaissance, ne suffit pas à les invalider.

En conséquence, il doit être conclu qu'il existe un doute sur le fait que les arbres à savoir le cyprès de [J] planté à 1,12 mètre de la clôture et le laurier-sauce, ont dépassé la hauteur de deux mètres, depuis plus de trente ans. M. [P] ne peut donc invoquer la prescription du droit de demander l'application des articles 671 et 672 du code civil, permettant l'arrachage ou la réduction de la hauteur à celle prescrite par la loi.

Mme [E] se plaignant de perte d'ensoleillement et de la perte de vue sur la mer, ne démontre pas la nécessité d'abattre ces deux arbres, qui peuvent être réduits à la hauteur prescrite.

Il convient donc d'ordonner aux frais de M. [P], la réduction du cyprès de [J] planté à 1,12 mètre de la clôture et du laurier-sauce, à la hauteur de deux mètres, dans le délai de trois mois à compter de la signification de la décision et passé ce délai sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard, pendant le délai de six mois, sans qu'il soit nécessaire de laisser au tribunal judiciaire le soin de liquider ladite astreinte.

Le jugement appelé sera donc infirmé sur ces points.

Sur la demande fondée sur le trouble anormal de voisinage

Elle concerne notamment le cyprès de [J] planté à 2,73 mètres de la limite séparative des deux fonds.

Aux termes de l'article 544 du code civil « La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

La limite de ce droit est que nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage, et qu'à défaut, il en devra réparation, même en l'absence de faute.

L'anormalité du trouble doit s'apprécier au regard des circonstances locales, et doit présenter un caractère grave et/ou répété, dépassant les inconvénients normaux de voisinage, sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute de son auteur.

Il appartient à celui qui invoque le trouble anormal de voisinage d'en rapporter la preuve.

Il est constant que la réparation peut consister en la suppression de la cause du trouble.

Mme [E] argue de la perte de vue et de la perte d'ensoleillement subies du fait des cyprès et du laurier-sauce, étant observé que la réduction du cyprès de [J] planté à moins de deux mètres, ainsi que du laurier-sauce est ordonnée par la présente décision.

Il est constant que si nul ne dispose d'un droit à la vue sur la mer, la perte d'une telle vue peut constituer un trouble anormal selon les circonstances de l'espèce.

Mme [E] prétend qu'elle disposait d'une vue sur la mer aujourd'hui obstruée par ces arbres. Cependant les pièces produites et notamment les photographies annexées au rapport d'expertise privée [T], datant de 1975 et de la période actuelle, ne permettent pas de démontrer le caractère anormal de la perte de vue alléguée, les photographies n'ayant manifestement pas le même angle de prise de vue, la première ayant été prise en hauteur par rapport à la seconde. Ainsi la perte de vue ne caractérise pas un trouble anormal de voisinage.

S'agissant de la perte d'ensoleillement, l'expert privé [T] conclut que la perte d'ensoleillement sur la terrasse et la maison de Mme [E], semble relativement faible, Mme [E] possédant un murier-platane qui lorsqu'il est en feuille et en pleine végétation procure plus d'ombre sur la terrasse que les cyprès en cause. De même il estime que la perte d'ensoleillement sur les massifs, végétation et gazon de Mme [E] semble assez limitée dans le temps.

Mme [E] quant à elle, produit de nombreuses photographies qu'elle déclare prises en février 2021 de 9 heures 30 à 12 heures, axées sur la terrasse surplombée d'une tonnelle, devant laquelle est planté un murier-platane sans aucune feuille, sur lesquelles on distingue l'ombre portée des cyprès.

Cependant, il ne résulte pas de la confrontation de ces pièces, la preuve du caractère grave et répété de la perte d'ensoleillement, quelle que soit la période de l'année.

Mme [E] qui échoue à établir l'anormalité du trouble causé, doit donc être déboutée de sa demande d'abattage des arbres, notamment du cyprès de [J] planté à plus de deux mètres de la ligne séparative.

Le jugement appelé sera infirmé sur ce point.

Sur la demande subsidiaire de Mme [E]

Il s'agit de la demande, pour le cas où l'abattage n'est pas ordonné, s'agissant de la demande de condamnation de M. [P] à élaguer à ses frais les branches issues de ces arbres qui dépassent sur sa propriété, au rythme d'une fois l'an entre le mois d'octobre et le mois de décembre, ainsi que l'autorisation en cas de carence de M. [P], constatée par l'absence d'élagage durant l'année N au 1er janvier de l'année N+1, à procéder à cet élagage annuel aux frais de l'appelant.

Aux termes de l'article 673 du code civil, « Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. ('). Si ce sont les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même à la limite de la ligne séparative. Le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux est imprescriptible. »

Dans la mesure où l'abattage des arbres n'a pas été ordonnée, il suffit de condamner M. [P] à élaguer à ses frais les branches de ces arbres dépassant sur la propriété de Mme [E], et de l'y contraindre par une astreinte provisoire de 200 euros par infraction constatée par huissier de justice, après mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception fixant le délai pour se mettre en conformité avec les prescriptions de l'article 673 du code civil.

A défaut d'élagage par M. [P] des branches dépassant sur la propriété de Mme [E], celle-ci pourra en application de l'article 673 du code civil, les couper elle-même à la limite de la ligne séparative, sans qu'il besoin d'ajouter à cette disposition.

Sur les demandes reconventionnelles de M. [P]

Il s'agit des demandes d'indemnisation des préjudices subis du fait de l'élagage du cyprès par Mme [E], objet du sinistre déclaré à son assureur et ayant donné lieu à la mesure d'expertise privée confiée au cabinet Elex par l'assureur Maif de Mme [P] (comprendre M. [P] dès lors que ce dernier a déclaré que sa mère est décédée en août 2017 lors de sa plainte pénale).

Aux termes de l'article 1382 ancien du code civil, celui qui commet une faute doit réparer le préjudice qui en résulte.

Il appartient à celui qui s'en prévaut de faire la preuve de cette faute, de son préjudice et du lien de causalité entre les deux.

En l'espèce, Mme [E] ne conteste pas avoir fait élaguer le cyprès de M. [P].

Le rapport d'expertise privée du cabinet Elex réalisé au contradictoire de Mme [E] convoquée et qui a été entendue, se contente d'indiquer que Mme [E] a reconnu avoir élagué le cyprès et que le cyprès a été élagué à partir des deux propriétés, ce qui implique une pénétration illicite sur la propriété de M. [P], sans s'expliquer davantage.

Au contraire le rapport d'expertise privée établi par M. [T], dont il est établi qu'il est expert inscrit auprès de la cour d'appel de Lyon pour l'année 2021, dans la rubrique « Horticulture », comporte un plan de situation des trois arbres litigieux, des photographies, qui permettent de vérifier sa conclusion selon laquelle la coupe des branches du cyprès, qui est manifestement le cyprès 1, à savoir celui planté à 1,12 mètre de la limite séparative, a été faite en retrait de la limite de propriété, soit au-delà de ce que permet l'article 673 du code civil précité.

Ainsi, une faute de Mme [E] est bien démontrée en ce qu'elle a dépassé ce qui était autorisé par la loi. En revanche la violation de domicile n'est pas avérée, dès lors qu'elle n'est étayée par aucune pièce, les seules allégations de M. [P] et sa plainte pénale, étant insuffisantes à caractériser une violation de domicile. A cet égard, aucune photographie ne met en évidence de coupes, impossibles à réaliser depuis la propriété voisine, la coupe irrégulière étant intervenue seulement du côté accessible depuis la limite séparative.

M. [P] réclame les sommes de 1 000 euros pour le rééquilibrage du cyprès, 14 160 euros pour le préjudice esthétique et la perte probable du cyprès, 5 000 euros pour le préjudice moral.

Il verse aux débats deux devis, l'un établi par l'expert d'assurance pour l'abattage et l'évacuation du cyprès, le dessouchage du cyprès, la fourniture d'un cyprès équivalent, la livraison du site et la plantation pour le montant total de 14 160 euros, l'autre daté du 4 novembre 2019 concernant la taille et la remise en état du cyprès pour 1 100 euros.

Il n'est pas démontré que l'élagage irrégulier de Mme [E] a affecté la santé de l'arbre de nature à rendre son abattage nécessaire, M. [P] évoquant d'ailleurs un probable abattage, soit un préjudice hypothétique.

En outre, il n'est pas établi que M. [P] a engagé des frais pour procéder à une taille d'équilibrage du cyprès, qui a été élagué irrégulièrement en novembre 2017, alors qu'il est produit un devis de 2019, et qu'il est jugé que ce cyprès planté à moins de deux mètres de la limite séparative, doit être réduit aux frais de M. [P].

En revanche, le préjudice esthétique est indéniable, de même qu'un préjudice moral à voir élaguer un arbre de cette façon.

Au vu des pièces produites, ces préjudices seront réparés par l'allocation de la somme de 1 000 euros que Mme [E] sera condamnée à régler.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les demandes accessoires

En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient de statuer à nouveau sur les dépens et les frais irrépétibles.

M. [P] qui succombe pour l'essentiel, sera condamné aux entiers dépens.

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de Mme [E], les frais exposés pour les besoins de la procédure et non compris dans les dépens, si bien que Mme [E] sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Rejette l'exception d'irrecevabilité de demande nouvelle soulevée par Mme [F] [E] ;

Infirme le jugement appelé ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute Mme [F] [E] de sa demande d'abattage des arbres suivants :

- le cyprès de [J] planté à une distance de 1,12 mètre de la clôture,

- le laurier-sauce planté à une distance de 1,27 mètre de la clôture,

- le cyprès de [J] planté à une distance de 2,73 mètres de la clôture ;

Ordonne aux frais de M. [K] [P], la réduction du cyprès de [J] planté à 1,12 mètre de la clôture et du laurier-sauce, à la hauteur de deux mètres, dans le délai de trois mois à compter de la signification de la décision et passé ce délai sous astreinte provisoire de 50 euros (cinquante euros) par jour de retard, pendant le délai de six mois ;

Déboute Mme [F] [E] de sa demande de dommages et intérêts fondée sur le trouble anormal de voisinage ;

Condamne M. [K] [P] à élaguer à ses frais les branches de ces trois arbres dépassant sur la propriété de Mme [E], sous astreinte provisoire de 200 euros (deux cents euros) par infraction constatée par huissier de justice, après mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception fixant le délai pour se mettre en conformité avec les prescriptions de l'article 673 du code civil ;

Dit n'y avoir lieu de réserver au tribunal judiciaire de d'Aix-en-Provence la liquidation de ces astreintes ;

Dit qu'à défaut d'élagage par M. [K] [P] des branches dépassant sur la propriété de Mme [F] [E], celle-ci pourra en application de l'article 673 du code civil, les couper elle-même à la limite de la ligne séparative ;

Condamne Mme [F] [E] à verser à M. [K] [P] la somme de 1 000 euros (mille euros) à titre de dommages et intérêts ;

Condamne M. [K] [P] aux entiers dépens ;

Déboute Mme [F] [E] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 20/10641
Date de la décision : 21/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-21;20.10641 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award