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19/03/2024 | FRANCE | N°22/12961

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-2, 19 mars 2024, 22/12961


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2



ARRÊT AU FOND

DU 19 MARS 2024



N° 2024/121









Rôle N° RG 22/12961 -

N° Portalis DBVB-V-B7G-

BKC2O







[R] [Y]



C/



PROCUREUR GENERAL

































Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Séverine DECAUX



MINISTERE PUBLIC


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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de grande instance de marseille en date du 07 Avril 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 20/09645.





APPELANT



Monsieur [R] [Y]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/008359 du 26/10/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de A...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2

ARRÊT AU FOND

DU 19 MARS 2024

N° 2024/121

Rôle N° RG 22/12961 -

N° Portalis DBVB-V-B7G-

BKC2O

[R] [Y]

C/

PROCUREUR GENERAL

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Séverine DECAUX

MINISTERE PUBLIC

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de grande instance de marseille en date du 07 Avril 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 20/09645.

APPELANT

Monsieur [R] [Y]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/008359 du 26/10/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

né le 05 novembre 2001 à [Localité 1] (AFGHANISTAN)

de nationalité française

demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Séverine DECAUX, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

PROCUREUR GENERAL,

comparant en la personne de Madame Valérie TAVERNIER, Avocat général

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 01 février 2024 en chambre du conseil. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président

Madame Michèle CUTAJAR, Conseiller

Madame Hélène PERRET, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Jessica FREITAS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024.

Signé par Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président et Madame Jessica FREITAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par décision de la directrice de greffe du tribunal d'instance de Carcassonne en date du 09 octobre 2019, Monsieur [R] [Y], se disant né le 05 novembre 2001 à [Localité 1] (Afghanistan), s'est vu refuser l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 04 septembre 2019 sur le fondement de l'article 21-12 du code civil.

Par acte du 29 septembre 2020, M. [Y] a fait assigner le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille aux fins de voir dire qu'il est français.

Par jugement rendu le 07 avril 2022, le tribunal judiciaire de Marseille a notamment débouté M. [Y] de ses demandes et constaté son extranéité.

M. [Y] a interjeté appel de cette décision le 29 septembre 2022.

Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrées le 23 décembre 2022, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [Y] demande à la cour de :

- déclarer l'appel de M. [Y] recevable,

- constater que les formalités de l'article 1043 du code de procédure civile ont été accomplies,

- annuler le jugement rendu le 07 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Marseille,

- dire que M. [Y] remplit les conditions de l'article 21-12 du code civil pour se voir reconnaitre la nationalité française,

- ordonner la mention de l'article 28 du code civil,

- dépens comme de droit en matière d'aide juridictionnelle.

M. [Y] fait en effet notamment valoir que :

- l'Ambassade d'Afghanistan à [Localité 3] ne permet pas la légalisation de la "tazkira original" établie en langue dari ; que seule la traduction en anglais de cette "tazkira" enregistrée auprès du Ministère des Affaires Etrangères d'Afghanistan peut être légalisée par l'ambassade ; qu'il n'est alors pas en mesure de légaliser son acte de naissance en langue persane mais seulement son acte de naissance en langue anglaise ; que les pièces versées aux débats font état des mêmes éléments s'agissant de son état civil ;

- les "tazkiras afghanes" ne mentionnent pas l'identité de la mère ; que le certificat de naissance qu'il produit permet d'établir sa filiation maternelle ;

- il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance par décisions de justice depuis au moins trois années.

Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrées le 28 février 2023, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, le Procureur Général près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence demande à la cour de :

- confirmer le jugement de première instance,

- ordonner la mention prévue par les articles 28 du code civil, 1059 du code de procédure civile et le décret n°65-422 du 1er juin 1965 portant création d'un service central au ministère des affaires étrangères.

Le Procureur Général près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence fait en effet notamment valoir que :

- la circonstance que l'Etat afghan ne permet pas à son ambassadeur de légaliser les actes afghans destinés à la production dans les pays étrangers, pratique qui procède d'un choix unilatéral de l'Afghanistan, n'est pas un motif pour le juge français pour passer outre la formalité de la légalisation qui s'applique dans l'ordre international ;

- la légalisation de la taskéra en langue anglaise ne porte pas sur la signature et sur l'identité du signataire de la taskéra ;

- le certificat de naissance produit par M. [Y] ne peut être qualifié d'acte de l'état civil en ce qu'il ne s'agit que d'une simple attestation administrative qui ne fait aucune référence aux documents ayant servi de base à son établissement.

L'affaire a été appelée à l'audience du jeudi 1er février 2024, date à laquelle l'ordonnance de clôture a été rendue.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la régularité de la procédure

Aux termes de l'article 1043 du code de procédure civile, dans sa version applicable à l'instance, dans toutes les instances où s'elève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre recépissé. En l'espèce, la condition de l'article 1043 du code de procédure civile est respectée et la procédure est donc régulière.

Sur l'action déclaratoire de nationalité française

M. [R] [Y] se disant né le 5 novembre 2001 à [Localité 1] (Afghanistan), revendique la nationalité française sur le fondement de l'article 21-12 du code civil, pour avoir souscrit le 4 septembre 2019, alors qu'il était encore mineur, une déclaration en ce sens, et dans la mesure où il a été confié par décision de justice au service de l'aide sociale à l'enfance du Conseil Départemental de l'Aude sans discontinuité du 18 novembre 2015 à sa majorité.

Son action a été introduite à la suite d'un refus d'enregistrement de sa déclaration qui lui a été opposé par le greffier en chef du tribunal d'instance de Carcassonne le 9 octobre 2019, aux motifs que son état civil n'était pas fiable.

En application de l'article 30 alinéa 1er du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu'il n'est pas déjà titulaire d'un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code.

Nul ne peut revendiquer à quelque titre que ce soit, la nationalité française, s'il ne dispose d'un état civil fiable et certain. Aux termes de l'article 47 du code civil en effet, tout acte de 1'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de1'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégu1ier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

L'acte de naissance du déclarant doit être authentique et conforme à la législation du pays dans lequel il a été dressé et, le cas échéant, porteur de la formalité de la légalisation ou de l'apostille, pour lui permettre de justifier d'un état civil certain et, partant, de sa minorité à la date de la souscription s'agissant, pour les déclarations souscrites sur le fondement de l'article 21-12 du code civil, d'une déclaration exclusivement réservée aux mineurs.

La France n'ayant conclu aucune convention de dispense de légalisation avec la République Islamique d'Afghanistan, les copies d'actes de l'état civil émanant de ce pays ne peuvent en principe produire d'effet en France si elles n'ont pas été légalisées.

Le ministère public considère que l'appelant ne fait pas la preuve d'un état civil fiable et certain.

L'appelant produit en pièce n°38 un certificat de naissance établi par l'ambassade de la République Islamique d'Afghanistan à [Localité 3] le 11 février 2019, non signé et sans indication de son auteur, disant [Y] [R] né le 5 novembre 2001 à [Localité 1]. Mais comme le souligne le ministère public à la suite du jugement, un tel certificat ne peut être qualifié d'acte de l'état civil, s'agissant d'une simple attestation administrative qui ne fait aucune référence aux documents ayant servi de base à son établissement.

Cependant, M. [Y] produit encore:

- en pièce n°39, une "taskéra" n°30212885 en langue persane traduite par un traducteur assermenté le 3 juillet 2019, délivrée le 6 octobre 2018 par un auteur non nommément identifié, indiquant 1'identité du titulaire, et qui comprend au verso une signature et un cachet du 7 octobre 2018 comportant la mention "certification de l'identité du titulaire: l'acte de naissance de [R] [Y], fils d'[W], est certifiée" ,

- en pièce n°40, une taskéra n° 30212885 en langue anglaise délivrée le 30 octobre 2018, ne portant aucune indication de l'identité de son auteur, sur laquelle a été apposé le 30 octobre 2018 1e cachet "I.R. OF AFGHANISTAN Ministry of Foreign Affairs" (Ministère des Affaires Etrangères afghan) comportant des inscriptions en langue persane non traduites, et au verso la légalisation de cet enregistrement par l'ambassade d'Afghanistan à [Localité 3] en date du 11 février 2019,

Comme l'ont constaté les juges de première instance, cette légalisation ne porte pas sur la signature et l'identité du signataire de la taskéra, mais sur le cachet du Ministère des Affaires Etrangères afghan qui y est apposé. Cette mention ne permet pas de s'assurer qu'il a été effectivement procédé à la vérification de la qualité et de la signature de l'auteur de l'acte.

Néanmoins, M. [Y] soutient sans que cela soit contesté par le ministère public que l'Etat afghan ne permet pas aux services de son ambassade en France de légaliser les actes afghans destinés à la production dans les pays étrangers, mais uniquement de légaliser l'enregistrement par le ministère des affaires étrangères afghan de l'acte en question. Le ministère public considère que la pratique adoptée par les autorités afghanes en matière de légalisation procède d'un choix unilatéral de ce pays qui ne saurait faire obstacle a la formalité de la légalisation qui s'applique dans l'ordre international.

Force est de constater que l'appelant est ainsi placé dans une situation où il lui est impossible d'obtenir la légalisation directe de la signature de l'autorité ayant émis sa pièce d'identité, et qu'il est obligé de se contenter de la légalisation indirecte par les services de l'ambassade.

L'examen des pièces produites et de leurs traductions ne fait par ailleurs apparaître aucune discordance sur la filiation, la date et le lieu de naissance de l'intéressé. Qui plus est figurent des références explicites et concordantes sur les deux versions de la pièce d'identité, qu'il s'agisse de son numéro d'ordre ou les références du folio d'enregistrement. Il sera rappelé que l'article 47 du code civil n'impose à la cour que de vérifier la fiabilité des actes d'état civil produits, tels que rédigés dans les formes usitées dans le pays d'origine. Il n'est pas prétendu par le ministère public qu'il existe d'autre forme usitée pour établir l'état civil en Afghanistan que la "tazkira". Par ailleurs, rien dans les pièces produites elles-même ou tirées de données extérieures ne permet de penser que ces "tazkiras" seraient irrégu1ières, falsifiées ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

Ces deux "tazkera" doivent donc être considérées comme suffisamment fiables pour vérifier l'identité de l'appelant.

Par conséquent, tant l'identité que l'âge de M. [Y] étant établis, la cour constate qu'au jour de la déclaration souscrite le 4 septembre 2019, l'appelant était mineur.

Par ailleurs, ce dernier justifie des éléments suivants:

- il est entré en France le 4 novembre 2015 alors qu'il était encore mineur, soit lorsqu'il était âgé de 14 ans,

- le 13 novembre 2015, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Carcassonne a prononcé une ordonnance de placement provisoire du mineur [Y] et l'a confié aux services du conseil départemental de l'Aude,

- le 18 novembre 2015, le juge des enfants du même tribunal a confié le mineur au conseil général de l'Aude,

- le 25 novembre 2015, le juge des tutelles du tribunal d'instance de Carcassonne a ouvert la tutelle du mineur [Y] [R] et l'a déférée aux services du conseil départemental de l'Aude. Cette mesure a été renouvelée jusqu'à la majorité de l'intéressé.

M. [Y] justifie également d'un parcours scolaire ininterrompu à compter du 15 janvier 2016, jusqu'à sa majorité et au-delà. Il est notamment remarquable de constater qu'il a pu obtenir les félicitations du conseil de classe chaque trimestre pour les années scolaires 2017-2019, et qu'il a obtenu un baccalauréat professionnel "système numérique" en juin 2020.

Dans le cadre du contrat d'intégration républicaine visant à favoriser une réelle intégration dans la société française, M. [Y] a signé le 22 juillet 2020, la charte de déontologie.

Il en résulte que l'appelant a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance depuis au moins trois années sur décision de justice au jour de sa déclaration d'acquisition de la nationalité française.

En conclusion, M. [Y] fait la démonstration qui lui incombe qu'il remplit les conditions posées par l'article 21-12 du code civil. Il convient donc d'enregistrer sa déclaration d'acquisition de la nationalité française.

Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil

Aux termes de l'article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintegration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité.

En conséquence, cette mention sera en l'espèce ordonnée.

Sur les demandes accessoires

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

L'Agent Judiciaire du Trésor supportera la charge des dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe :

DIT la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Marseille, et statuant à nouveau,

JUGE que Monsieur [R] [Y], né le 5 novembre 2001 à [Localité 1] (Afghanistan), est de nationalité française à compter de sa déclaration souscrite le 4 septembre 2019,

ORDONNE la mention prévue par l'article 28 du code civil,

Laisse les dépens de la procédure à la charge de l'Agent Judiciaire du Trésor.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-2
Numéro d'arrêt : 22/12961
Date de la décision : 19/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-19;22.12961 ?
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