La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/03/2024 | FRANCE | N°21/14283

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-2, 19 mars 2024, 21/14283


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2



ARRÊT AU FOND

DU 19 MARS 2024



N° 2024/111









Rôle N° RG 21/14283

N° Portalis DBVB-V-B7F-

BIGKJ







[H] [V] [P] [C]



C/



PROCUREUR GENERAL

































Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Djibril NDIAYE



MINISTÈRE PUBLIC

<

br>


Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal judiciaire de Marseille en date du 09 septembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/02796





APPELANT



Monsieur [H] [V] [P] [C]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/012670 du 07/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionne...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2

ARRÊT AU FOND

DU 19 MARS 2024

N° 2024/111

Rôle N° RG 21/14283

N° Portalis DBVB-V-B7F-

BIGKJ

[H] [V] [P] [C]

C/

PROCUREUR GENERAL

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Djibril NDIAYE

MINISTÈRE PUBLIC

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal judiciaire de Marseille en date du 09 septembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/02796

APPELANT

Monsieur [H] [V] [P] [C]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/012670 du 07/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

né le 24 octobre 1983 à [Localité 2] (SENEGAL)

demeurant [Adresse 1]/SENEGAL

représenté par Me Djibril NDIAYE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIME

PROCUREUR GENERAL

comparant en la personne de Madame Valérie TAVERNIER, avocat général

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 18 janvier 2024 en chambre du conseil. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président

Madame Michèle CUTAJAR, Conseiller

Madame Hélène PERRET, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Jessica FREITAS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 05 mars 2024, à cette date le délibéré a été prorogé au 19 mars 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024,

Signé par Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président et Madame Jessica FREITAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 6 juin 2011, Monsieur [H] [V] [P] [C], se disant né le 24 octobre 1983 à [Localité 2] (Sénégal), s'est vu opposer un refus de délivrance d'un certificat de nationalité française par le directeur des services de greffe judiciaires du Service de la nationalité des français nés et établis hors de France de [Localité 3].

Par acte d'huissier de justice du 1er mars 2019, M. [C] a fait assigner le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille aux fins de faire juger qu'il est français.

Par jugement rendu le 9 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Marseille a :

- constaté que le recépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

- débouté M. [C] de l'ensemble de ses demandes,

- constaté l'extranéité de M. [C],

- ordonné la mention prévue à l'article 28 du code civil,

- rejeté la demande au titre des frais irrépétibles de procédure,

- laissé les dépens à la charge de M. [C].

M. [C] a interjeté appel de cette décision le 09 octobre 2021.

Par ordonnance rendue le 16 mai 2022, le Président chargé de la mise en état a constaté le désistement du ministère public de l'incident tendant à voir la déclaration d'appel être déclarée caduque au visa de l'article 1043 du code de procédure civile.

Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrée le 12 octobre 2023, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [C] demande à la cour d'infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Marseille du 9 septembre 2021 en ce qu'il a :

- constaté l'extranéité de M. [C] se disant né le 24 octobre 1983 à [Localité 2] (Sénégal),

- ordonné la mention prévue à l'article 28 du code civil,

- rejeté la demande au titre des frais irrépétibles de procédure,

- déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par M. [C] y faisant droit,

Statuant à nouveau,

- constater que le grand-père paternel de M. [C] avait conservé la nationalité française lors de l'accession à l'indépendance de son pays d'origine,

- constater que le père de M. [C] est de nationalité française,

En conséquence,

- juger que M. [C] est bien français par filiation,

- ordonner que lui soit délivré un certificat de nationalité française par le Greffier en chef du service de la nationalité des Français et nés à l'étranger,

- condamner le Ministère Public au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [C] fait en effet notamment valoir que :

- il n'existe aucun doute quant à la présence permanente et stable de son grand-père paternel sur le territoire français avant, au moment et après l'indépendance du Sénégal, qu'il a bien conservé sa nationalité française au moment de l'indépendance du Sénégal ;

- il verse aux débats l'ordonnance sollicitée aux fins de compléter les mentions omises dans son acte de naissance ; que la conformité à la réglementation sénégalaise de cette ordonnance a été reconnue par le jugement dont appel ;

- l'absence de précision sur la qualité du déclarant ne saurait suffire, au regard de la loi sénégalaise, à entamer la force probante de son acte de naissance ;

- la première preuve d'un mariage est l'acte de mariage dressé par un officier d'état civil ;

- le lien de filiation et la nationalité de son père sont établis par des titres ; qu'il s'agit ici d'une preuve suffisante.

Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrée le 15 janvier 2024, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, le Procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence demande à la cour de:

- ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture prononcée le 16 octobre 2023,

- déclarer les présentes conclusions recevables,

- dire que la procédure est régulière au regard de l'article 1043 (devenu 1040) du code de procédure civile,

- confirmer le jugement d'extranéité du tribunal judiciaire de Marseille en date du 09 septembre 2021,

- dire que M. [C], se disant né le 24 octobre 1983 à [Localité 2] (Sénégal), n'est pas français,

- ordonner la mention prévue par les articles 18 du code civil, 1059 du code de procédure civile et le décret n°65-422 du 1er juin 1965 portant création d'un service central au ministère des affaires étrangères,

- ordonner ce que de droit s'agissant des dépens.

Le Procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence fait en effet notamment valoir que:

- M. [C] ne justifie pas d'un état civil fiable ; que les compléments apportés par ordonnance à son acte de naissance ne sont pas opposables en France ; que le Président du tribunal de Kanel a ajouté des éléments déterminants à l'état civil du demandeur et de ses parents sans faire état d'une quelconque motivation et sans viser les éléments de preuve permettant d'en assurer la véracité ;

- M. [C] ne rapporte pas la preuve d'une filiation légalement établie au cours de sa minorité à l'égard de son père ; que faute d'établir de façon certaine l'état civil de chacun des époux, l'acte de mariage est dépourvu de force probante ;

- M. [C] ne parvient pas à justifier de l'état civil de son grand-père paternel ; que lorsqu'un acte de naissance étranger est dressé en exécution d'une décision de justice étrangère, sa force probante dépend de l'opposabilité en France de ladite décision dont le juge français doit pouvoir apprécier lui-même la régularité internationale ;

- M. [C] ne rapporte pas la preuve du lien de filiation entre son père et son grand-père ;

- M. [C] ne parvient pas à justifier de la conservation de la nationalité française par son père et de son grand-père.

L'ordonnance de clôture a été rabattue à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la régularité de la procédure

Aux termes de l'article 1043 du code de procédure civile, dans sa version applicable à l'instance, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre recépissé. En l'espèce, le ministère de la justice a délivré ce recépissé le 30 novembre 2021. La condition de l'article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. La procédure est donc régulière.

Sur l'action déclaratoire de nationalité française

Sur le fond

M. [C], se disant né le 24 octobre 1983 à [Localité 2] (Sénégal), revendique la nationalité française par filiation sur le fondement de l'article 18 du code civil, pour être l'enfant de M. [V] [P] [C], né le 2 mars 1951 à Waoundé (Sénégal), lui-même français par filiation en application d'un certificat de nationalité française délivré le 24 octobre 1983.

En application de l'article 30 alinéa 1er du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu'il n'est pas déjà titulaire d'un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code.

La situation de M. [C] est régie par les dispositions de1'article 18 du code civil, aux termes duquel est français l'enfant dont 1'un des parents au moins est français. Ainsi la nationalité française de l'enfant doit résulter de la nationalité française du parent duquel il la tiendrait d'une part et, d'autre part, d'un lien de filiation légalement établi à l'égard de celui-ci, au moyen d'actes d'état civil probants au sens de l'article 47 du code civil. En outre, afin de satisfaire aux exigences de l'article 20-1 du code civil, ce lien de filiation doit être intervenu pendant la minorité de la partie demanderesse pour avoir des effets sur la nationalité.

Aux termes de l'article 47 du code civil en effet, tout acte de 1'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de1'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégu1ier,falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

Enfin, nul ne peut revendiquer à quelque titre que ce soit, la nationalité française, s'il ne dispose d'un état civil fiable et certain.

En l'espèce, M. [C] produit une copie littérale de son acte de naissance n°246, en date du 03 janvier 2019, lequel porte mention marginale d'une "ordonnance n°137 du 27.04.05 portant ajout des dates de naiss".

Cette ordonnance est également produite par M. [C] et vient préciser les mentions qui ont été ajoutées à l'acte de naissance : les dates, lieux de naissance et profession des parents. L'ordonnance fait droit à la requête en omission matérielle au visa suivant:

- "la requête écrite en date du 16/04/2005 introduite par [H]. M. [P] [C] demeurant à Waoundé tendant à ce qu'il plaise au tribunal ordonner le complément de mentions omises sur l'acte de naissance le concernant",

- la loi n°72-61 du 12/06/72 portant code de la famille, notamment en ses articles 90 et suivants,

- "les pièces justificatives produites à l'appui du dossier".

L'ordonnance ne comporte pas de motivation et ne fait que constater l'omission des mentions dont il est demandé l'ajout, pour faire droit à la requête. Les "pièces justificatives produites au dossier" ne sont pas détaillées.

La conformité de cette ordonnance à l'ordre public international, et donc son opposabilité à des juridictions françaises, est remise en cause du fait de l'absence de motivation ou de précision quant aux "pièces justificatives".

En outre, l'acte de naissance n°246 est fait "sur la déclaration de [K] [C] à [Localité 2]", sans que la qualité du déclarant ne soit mentionnée.

M. [C] soutient qu'en application de l'alinéa 2 de l'article 51 du code sénégalais de la famille, "Les déclarations de naissance peuvent émaner du père ou de la mère, d'un ascendant ou d'un proche parent, du médecin, de la sage-femme, de la matrone ou de toute autre personne ayant assisté à la naissance ou encore, lorsque la mère est accouchée hors de son domicile, de la personne chez qui elle est accouchée", que l'absence de précision de la qualité du déclarant ne saurait entamer la force probante de l'acte de naissance et qu'en accueillant cet argument, le premier juge a ajouté une condition à la loi sénégalaise.

Or, l'article 52 du code sénégalais de la famille prévoit que, "Indépendamment des mentions prévues par l'article 40 aliéa 8, l'acte de naissance énonce:

- l'année, le mois, le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant et les prénoms qui lui sont donnés,

- les prénoms, nom, âge, profession et domicile des père et mère et, s'il y a lieu, ceux du déclarant ou des témoins."

Ainsi, contrairement à ce que soutient M. [C], la locution "s'il y a lieu' concernant la désignation de la personne déclarante, énoncée par l'article 52 précité, ne s'analyse pas comme une mention optionnelle, mais au contraire comme une mention obligatoire si le déclarant n'est pas le père ou la mère.

Cette omission, ainsi que celles complétées par l'ordonnance du 27 avril 2005 qui ne peut être reconnue en France, rendent l'acte de naissance de M. [C] insuffisamment certain et fiable au sens de l'article 47 du code civil.

La décision frappée d'appel sera donc confirmée.

Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil

Aux termes de l'article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité.

En conséquence, cette mention sera en l'espèce ordonnée.

Sur les demandes accessoires

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

M. [C], qui succombe, supportera la charge des dépens et sera débouté de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe:

Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile,

Confirmant en toutes ses dispositions le jugement rendu le 09 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Marseille,

Juge que M. [H] [V] [P] [C], se disant né le 24 octobre 1983 à [Localité 2] (Sénégal), n'est pas de nationalité française,

Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil,

Condamne M. [H] [V] [P] [C] aux entier dépens,

Déboute M. [H] [V] [P] [C] de sa demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-2
Numéro d'arrêt : 21/14283
Date de la décision : 19/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-19;21.14283 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award