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15/03/2024 | FRANCE | N°20/04557

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-6, 15 mars 2024, 20/04557


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6



ARRÊT AU FOND

DU 15 MARS 2024



N° 2024/ 075













Rôle N° RG 20/04557 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFZQY







[Y] [L] épouse [G]





C/



S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE COTE D'AZUR

























Copie exécutoire délivrée

le :15/03/2024

à :



Me Jérémy VIDAL, avocat au bar

reau de TOULON



Me Cécile SCHWAL de la SELARL SCHWAL & ASSOCIES, avocat au barreau de NICE





















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 20 Février 2020 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 19/0...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 15 MARS 2024

N° 2024/ 075

Rôle N° RG 20/04557 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFZQY

[Y] [L] épouse [G]

C/

S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE COTE D'AZUR

Copie exécutoire délivrée

le :15/03/2024

à :

Me Jérémy VIDAL, avocat au barreau de TOULON

Me Cécile SCHWAL de la SELARL SCHWAL & ASSOCIES, avocat au barreau de NICE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 20 Février 2020 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 19/00024.

APPELANTE

Madame [Y] [L] épouse [G], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Jérémy VIDAL, avocat au barreau de TOULON

INTIMEE

S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE COTE D'AZUR, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Cécile SCHWAL de la SELARL SCHWAL & ASSOCIES, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre

Madame Estelle de REVEL, Conseiller

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Mars 2024.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Mars 2024

Signé par Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

1. Selon contrat à durée indéterminée du 1er février 2010, la Caisse d'épargne et de prévoyance Côte d'azur (la CECAZ) a recruté Mme [G] en qualité de conseiller commercial.

2. Au dernier état de la relation de travail, Mme [G] exerçait les fonctions de gestionnaire de clientèle.

3. Le 5 octobre 2018, la CECAZ a convoqué Mme [G] à un entretien préalable, prévu le 25 octobre 2018, en vue de son éventuel licenciement.

4. Le 7 novembre 2018, Mme [G] a saisi le conseil de discipline national, lequel a rendu son avis le 4 décembre 2018.

5. Mme [G] a été licenciée pour faute grave le 17 décembre 2018.

6. Le 17 janvier 2019, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Toulon d'une contestation de son licenciement.

7. Par jugement du 20 février 2020, le conseil de prud'hommes de Toulon a:

- Dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave;

- Condamné la CECAZ à payer à Mme [G] les sommes suivantes :

- 4 197,64 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 419,76 € brut au titre des congés payés y afférents,

- 4 657,89 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

- Ordonné à la CECAZ de remettre à Mme [G] une attestation pôle emploi rectifiée, certificat de travail et un bulletin de salaire pour décembre 2019 rectifiés,

- Dit mal fondées toutes les autres demandes de Mme [G],

- Condamné la CECAZ à payer à Mme [G] la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté la CECAZ de sa demande reconventionnelle,

- Dit que l'exécution provisoire de la décision est de droit,

- Condamné la CECAZ aux entiers dépens.

8. Le 27 avril 2020, Mme [G] a fait appel de ce jugement.

9. A l'issue de ses conclusions du 11 juillet 2022, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [G] demande de:

- réformer partiellement le jugement rendu le 20 février 2020 par le conseil de prud'hommes de Toulon, en ce qu'il a déclaré le licenciement pourvu d'une cause réelle et sérieuse, et l'a déboutée de ses demandes relatives à l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et à des dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,

- le confirmer pour le surplus,

- statuant à nouveau,

- dire et juger le licenciement intervenu le 17 décembre 2018 sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la CECAZ à lui payer les sommes suivantes :

- indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse : 16 790, 56 €,

- dommages-intérêts pour procédure vexatoire 1 500 €,

- condamner la CECAZ à lui payer la somme de 2 640 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la CECAZ aux entiers dépens,

- débouter la CECAZ de toutes ses demandes, fins et conclusions.

10. Au soutien de ses prétentions, elle expose que les faits antérieurs au 5 août 2018, soit plus de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement, sont prescrits et que certains faits reprochés par la CECAZ ne sont pas datés. Elle conteste en outre les griefs relevés par la CECAZ. Elle expose, concernant le comportement inadapté envers des collègues qui lui est reproché, qu'elle n'a pas d'antécédents disciplinaires sauf un rappel à l'ordre du 24 juin 2018, qu'elle présente de bonnes évaluations, qu'elle produit les témoignages favorables de collègues et clients de l'agence, qu'à l'inverse, la CECAZ ne produit pas d'éléments de preuve et qu'elle fait l'objet de l'animosité de certains collègues. Concernant le dénigrement répété des managers, elle soutient qu'elle n'a fait l'objet d'aucune sanction antérieure de chef, qu'elle produit des témoignages favorables et que les propos qui lui ont été prêtés relèveraient de l'exercice de sa liberté d'expression. Concernant le non-respect des consignes ayant un impact négatif sur la relation avec la clientèle et l'image de l'entreprise, elle indique qu'elle n'a fait l'objet d'aucune sanction antérieure de ce chef, que la CECAZ ne peut produire aucun témoignage de clients et que, de son côté, elle verse aux débats des témoignages favorables de clients. Enfin, concernant le non-respect des procédures et règles de déontologie, elle indique avoir agi sur instruction du directeur d'agence

11. Selon ses conclusions du 15 octobre 2020, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la CECAZ demande de:

- réformer partiellement le jugement rendu le 20 février 2020 par le conseil de prud'hommes de Toulon en ce qu'il a considéré que le licenciement de Mme [G] reposait sur une cause réelle et sérieuse et non une faute grave et l'a condamnée au paiement des sommes suivantes :

- 4.197,64 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 419,76 € au titre des congés payés,

- 4.657,89 € au titre de l'indemnité de licenciement,

- 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le confirmer pour le surplus,

- en conséquence,

- dire et juger légitime le licenciement pour faute grave de Mme [G],

- dire et juger non fondées dans leur principe et injustifiées dans leur montant les demandes de Mme [G],

- en conséquence,

- débouter Mme [G] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner Mme [G] à la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement de première instance,

- condamner Mme [G] au paiement d'une somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

12. La CECAZ expose que les faits reprochés à Mme [G] ne sont pas prescrits puisqu'elle n'a pris une entière connaissance de ceux-ci qu'à l'issue de l'enquête qu'elle a menée jusqu'à la fin de l'été 2018 voire qu'elle n'a découvert certains faits qu'en septembre 2018. Elle soutient qu'elle était fondée à procéder au licenciement de Mme [G] en raison d'un comportement agressif et inapproprié de celle-ci vis-à-vis de ses supérieurs hiérarchiques, de ses collègues de travail et des clients, du non-respect des consignes ayant un impact négatif sur la relation avec la clientèle et l'image de l'entreprise et de la violation des procédures imposées par la réglementation bancaire et des règles déontologiques. Elle affirme que Mme [G] avait déjà fait l'objet de sanctions antérieures, à savoir un recadrage le 5 avril 2015, un avertissement le 24 janvier 2018 et des rappels à l'ordre de sa hiérarchie, que le comportement de Mme [G] a entraîné une situation de souffrance chez ses collaborateurs, que le respect de son obligation de sécurité justifiait le licenciement de Mme [G], que les faits reprochés à celle-ci ont porté atteinte à l'image de la CECAZ auprès de la clientèle et que les critiques de Mme [G] à l'égard de sa direction excédaient les limites de la liberté d'expression

13. La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 décembre 2023. Pour un plus ample exposé de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère expressément à la décision déférée et aux dernières conclusions déposées par les parties.

MOTIVATION

14. Il est de jurisprudence constante que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise. Il est de principe que la charge de la preuve incombe à l'employeur, le salarié n'ayant rien à prouver.

15. Par ailleurs, l'article L. 1332-4 du code du travail édicte qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

16. Il est de principe que l'employeur, au sens de ce texte, s'entend non seulement du titulaire du pouvoir disciplinaire mais également du supérieur hiérarchique du salarié, même non titulaire de ce pouvoir.

17. Enfin il est de principe que, si aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul, à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération d'un fait antérieur à deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s'est poursuivi dans ce délai. Cette dérogation à la prescription de la faute, suppose que, dans le délai de deux mois précédent l'engagement des poursuites, le salarié commette une nouvelle faute de même nature.

18. En l'espèce, la lettre adressée par la CECAZ à Mme [G] le 17 décembre 2018 est rédigée dans les termes suivants:

«Au terme de la procédure légale et conventionnelle et après réflexion, nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour faute grave, pour les motifs qui vous ont été exposés et que nous reprenons ci-après.

Votre comportement totalement inapproprié envers plusieurs collaborateurs, nuisant à la solidarité de l'équiper dégradant leurs conditions de travail et perturbant le bon fonctionnement de l'entreprise.

Ainsi, sans prétendre à l'exhaustivité, nous avons été alertés sur les événements suivants :

A plusieurs reprises vous avez fait preuve de mépris et usé de pressions et de propos dégradants ou désobligeants à l'égard de plusieurs salariés allant même jusqu'à en faire pleurer certains, et tout particulièrement deux Conseillères commerciales de l'agence du [Localité 3], Mesdames [E] et [O].

Vous avez ainsi indiqué à Madame [E] entre autres «tu dois vraiment t'ennuyer pour n'avoir que ça à faire de te sentir persécutée par la façon dont je peux te parler», «mais si tu veux ma place faut la prendre, mais t'es encore CC, t'es que CC», «tu sens mauvais, tu sens le tabac froid», «tu fais que des conneries, quand ça me concerne, Il faut que tu m'en parles», «ah t'es toujours CC, t'as pas fait tes preuves alors, ils se moquent un peu de toi à la RH, t'as pas de portefeuille clients, tu es là pour faire le bouche trou, moi je dis pas ça pour être méchante»'

Et à Madame [O], en présence d'un client, «avec tes petites manières, tu ne vois pas que tu énerves davantage le client».

De façon plus générale, vous adoptez un comportement provocateur et belliqueux envers les collaborateurs les plus sensibles et vulnérables régulièrement en présence de clients ou de supérieurs hiérarchiques, cherchant en permanence à pointer leurs potentielles erreurs pour les dénoncer auprès de votre Manager et ainsi les mettre en porte à faux.

Vous montez les collaborateurs les uns contre les autres en colportant sur chacun des faits inexacts et en cherchant à diviser l'équipe. Ainsi, vous vous êtes vantée auprès de votre Manager d'avoir «un dossier sur chacun des salariés» auprès de vos collègues «d'avoir gagné plusieurs dossiers aux prud'hommes contre vos anciens employeurs»'

Vous envenimez le moindre événement pour placer vos collègues en situation de faute ou altérer les relations au lieu de tenter de résoudre la problématique des clients, au préjudice de l'image de l'entreprise.

A titre d'exemple, vous êtes allée à la rencontre d'une collègue, à l'accueil, qui était affairée avec plusieurs clients pour lui dire «tu as vu les gestionnaires de clientèle ne sont pas venus t'aider».

Votre comportement a des conséquences graves en terme d'image auprès de la clientèle et au sein de votre agence générant une ambiance délétère et pesante ayant eu des répercussions significatives sur l'état de santé physique et mental de plusieurs collaborateurs travaillant avec vous qui ont exprimé le souhait de ne plus avoir à vous côtoyer.

Cette souffrance, longuement dissimulée, supportée par plusieurs de vos collègues, se traduit par:

une angoisse permanente et un profond mal-être pour tes collaboratrices les plus sensibles de venir travailler et une perte de confiance en elles et en leurs capacités professionnelles,

une perte de motivation importante de la plupart de vos collègues de l'agence du [Localité 3], allant, pour plusieurs d'entre eux, jusqu'à formuler une demande de changement d'agence auprès de la DRH,

pour une majorité des collaborateurs, des conditions de travail dégradées, une ambiance pesante et étouffante au sein de l'agence.

Dénigrement répété de vos Managers,

En parallèle, nous avons été saisis des événements suivants que nos vérifications ultérieures ont malheureusement permis de confirmer.

Vous avez critiqué vos managers successifs en jetant le discrédit sur eux tant auprès des collaborateurs de l'équipe (notamment lors de réunions ou lors de l'arrivée d'une nouvelle entrante), qu'auprès de certains clients ou d'autres Managers de l'entreprise.

Ainsi nous avons appris courant de l'été 2018 que, lors d'un brief vous aviez critiqué votre Directeur d'agence, devant les autres salariés, en remettant en cause de façon soutenue son action sur un challenge.

Courant du mois d'août 2018 nous avons été Informés que vous aviez «accueilli» la nouvelle directrice d'agence en lui indiquant: que c'était le «bazar à l'agence, que les gens arrivaient en retard et que le Directeur d'agence ne faisait pas ses briefs».

Vous avez ultérieurement réitéré ce procédé lors de l'arrivée au mois d'août 2018 d'une nouvelle collaboratrice que vous avez également «accueillie» en l'accaparant pour lui décrire une vision très négative du management de la nouvelle directrice d'agence que vous avez qualifiée de «psychopathe» ajoutant: «bienvenue en prison, ici c'est le début du cauchemar, tout est fliqué, on fait bloc avec les autres GC contre le DA....».

Vous tentez de mettre en porte à faux votre Manager en présence de supérieurs hiérarchiques ou d'intervenants de l'entreprise afin de le décrédibiliser dans son action.

Non-respect des consignes ayant eu un impact négatif sur la relation avec la clientèle et sur l'image de l'entreprise.

Cela s'est notamment illustré par les agissements suivants:

La persistance de votre positionnement à ('accueil, malgré tes demandes, maintes fois réitérées par votre Manager, afin de vous immiscer dans l'activité de vos collègues, avec dédain, et d'intercepter des clients et en leur conseillant de rédiger des courriers de réclamations pour se plaindre des collaborateurs ou du Manager de l'agence.

La persistance de remarques déplacées, devant les clients, générant un climat de défiance de ces derniers envers notre entreprise, d'autres ayant tout simplement peur d'échanger avec vous ou que vous les preniez en grippe.... En présence d'une cliente, vous avez à titre d'exemple indiqué à votre collègue: «je rêve ou tu ne veux pas recevoir cette cliente», créant un sentiment de malaise réciproque entre ce client et la collaboratrice concernée.

Non-respect des procédures et règles de déontologie.

A titre d'illustration, nos investigations réalisées courant septembre 2018 ont révélé que vous aviez:

- modifié le statut des contrats de vente à distance pour deux clients, Ces contrats n'ont pas été signés par les clients et vous avez forcé le système en les passant en format papier comme si les clients étalent venus tes signer à l'agence, ce qui n'était en l'occurrence pas le cas. Ceci est totalement contraire aux procédures en vigueur.

- encodé ces mêmes ventes à distance dans un premier temps avec votre User puis quelques minutes plus tard avec le User d'une autre collaboratrice.

Il est manifeste que vous n'entendez pas à vous conformer aux règles de fonctionnement de notre entreprise et à ses procédures et, pire encore, que vous estimez pouvoir impunément dégrader les conditions de travail de vos collègues et de votre supérieur, sans vous soucier aucunement des répercussions de vos agissements.

Malheureusement notre entretien du 25 octobre dernier n'a révélé aucune perspective d'amélioration dans la mesure où vous ne vous remettez aucunement en cause.

Bien au contraire, à l'exception de ce que vous avez qualifié de «maladresse», en l'occurrence lorsque vous avez fait remarquer à une collaboratrice, devant la Directrice de secteur, qu'elle «était pour une fois à l'heure», vous niez les faits pourtant rapportés de façon concordante par votre supérieur hiérarchique et vos collègues à notre Direction des Ressources Humaines.

Devant un tel déni de réalité et au vu de tout ce qui précède, malgré l'accompagnement de vos Managers successifs pour vous aider à prendre conscience de vos agissements, tout nouveau changement dl affectation serait inutile et voué à l'échec,

C'est pourquoi nous nous voyons contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave qui prend effet à compter de ta date d'envoi du présent courrier, étant précisé que vous ne pouvez prétendre à aucune indemnité compensatrice de préavis et de licenciement».

19. Mme [G], qui avait exercé ses fonctions au sein de l'agence d'[Localité 4], travaillait en dernier lieu dans l'agence de [Localité 3] dirigée par M.[U] puis par Mme [F].

20. Il ressort des pièces produites aux débats par la CECAZ que:

- selon courriel du 19 avril 2018, Mme [E] a informé M.[U], son directeur d'agence, du comportement de Mme [G] à son égard et demandé à ne plus être confronté à celle-ci et souhaité qu'elle lui «foute la paix» lui témoigne un minimum de respect,

- selon courriel du 19 avril 2018, Mme [E] a saisi la direction des ressources humaines de la CECAZ d'une ambiance de travail étouffante au sein de l'agence du [Localité 3] et de la dégradation des conditions de travail et sollicité un rendez-vous auprès de ce service,

- le 15 mai 2018, Mme [K], directrice de secteur Var Ouest, a saisi la direction des ressources humaines de la réclamation d'un client concernant Mme [G] qui avait indiqué que celle-ci avait remis en cause devant lui les pratiques managériales de son secteur d'agence,

- le 23 mai 2018, deux membres de la direction des ressources humaines de la CECAZ ont procédé à l'audition de:

- Mme [E] qui s'est plainte des remarques et du comportement désobligeant à son encontre, de Mme [G], de son attitude manipulatrice caractérisée par la volonté de monter les salariés les uns contre les autres, ou contre la RH ou les clients et des conditions dans lesquelles elle vendait les produits de l'entreprise aux clients de celle-ci,

- Mme [I], qui a témoigné des «piques» de Mme [G] notamment envers son manager, de son attitude désagréable à l'égard de Mmes [E] et [O], que Mme [G] était maligne et manipulatrice, qu'elle se vantait auprès de son manager d'avoir un dossier sur chacun des salariés et d'avoir gagné plusieurs procès aux prud'hommes contre ses anciens employeurs et que, de façon générale, l'ambiance dans l'agence était «pourrie», que les salariés avaient des réticences à parler à Mme [G] et qu'elle était soulagée de quitter prochainement cette agence,

- M.[D] qui fait valoir que Mme [G] était désagréable avec Mme [E] et qu'elle mettait publiquement le directeur d'agence en porte-à-faux,

- M.[Z] qui a relaté que Mme [G] s'était adressée de manière méprisante à Mme [E] et Mme [O], qu'elle avait fait pleurer cette dernière salariée à plusieurs reprises, qu'elle se trouvait tout le temps à l'accueil de l'agence au lieu de se trouver dans son bureau et conseillait à tort aux clients insatisfaits de déposer une réclamation au lieu de résoudre la situation, que l'ambiance était pourrie, que les salariés n'échangeaient plus et qu'ils se demandaient comment une seule personne arrivait à gangréner l'équipe,

- Mme [V], ancienne directrice de l'agence d'[Localité 4] laquelle Mme [G] était employée avant sa mutation sur l'agence de [Localité 3], qui a attesté qu'elle essayait de monter les salariés les uns contre les autres,

- M.[U], directeur de l'agence du [Localité 3], qui a exposé que Mme [G] mettait une ambiance particulière dans l'agence, était oppressant avec les autres collaborateurs, qu'elle se mêle de tout et cherche à diviser, mais se montre désagréable avec les clients qui ne présentaient pas de potentiel commercial, qu'elle a critiqué ses collègues à l'égard du manager et qu'elle aurait notamment déclaré à une nouvelle salariée, Mme [F], que «c'était le bazar à l'agence et que les gens arrivaient en retard et que le directeur d'agence ne faisait pas ses briefs»,

- le 24 mai 2018, Mme [E] a transféré à la direction des ressources humaines de la CECAZ le courriel adressé le 19 avril 2018 à M.[U],

- le 9 juin 2018, Mme [F], nouvelle directrice de l'agence du [Localité 3] a transmis à la direction des ressources humaines de la CECAZ un courrier de Mme [O], ancienne salariée de l'entreprise, par lequel elle indiquait être au courant qu'un dossier était en train d'être monté contre Mme [G] et relatait la pression psychologique dont elle avait fait l'objet de la part de Mme [G],

- le 7 juin 2018, Mme [F] a informé la direction des ressources humaines et Mme [K] deux manquements commis par Mme [G] concernant la conclusion de deux contrats (vente OVAD et proposition commerciale pour un crédit-immobilier,

- le 7 août 2018, Mme [F] a porté à la connaissance de la direction des ressources humaines et de Mme [K] que, le même jour, Mme [G] avait procédé au dénigrement de la direction de l'agence à l'occasion de l'accueil d'une nouvelle chargée de clientèle en déclarant à celle-ci que « bienvenue en prison, ici c'est le début du cauchemar, tout est fliqué, on fait bloc avec les autres gestionnaires de clientèle contre le directeur d'agence» et que la directrice d'agence était «une vraie psychopathe».

En l'état de ces éléments de preuve, il apparait que le comportement de Mme [G] à l'égard de ses collègues de travail était connu de son supérieur hiérarchique M.[U] dès le 23 mai 2018, soit plus de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement de Mme [G]. Par ailleurs, la CECAZ ne produit aux débats aucun élément de preuve de nature à démontrer que ce comportement s'est poursuivi moins de deux mois avant la convocation le 5 octobre 2018 à un entretien préalable à licenciement.

21. De même, concernant le non-respect des consignes ayant eu un impact négatif sur la relation avec la clientèle et sur l'image de l'entreprise, relevé lors des auditions du 23 mai 2018 et le non-respect des procédures et règles de déontologie, évoqués dans un courrier du 7 juin 2018, soit plus de deux mois avant l'engagement de la procédure, aucun élément de preuve ne permet d'établir leur réitération dans le délai de deux mois prévu par l'article L.1332-4 du code du travail.

22. Ces faits sont donc prescrits et ne peuvent en conséquence fonder le licenciement pour faute grave de Mme [G].

23. En revanche, il ressort clairement du courriel de Mme [K] du 15 mai 2018, de l'audition de MM.[D] et [U] le 23 mai 2018 et du courriel de Mme [F] du 7 août 2018 que, à plusieurs reprises, et dont la dernière fois le 7 août 2018, soit pendant le délai de deux mois prévu par l'article L1332-4 du code du travail, a eu des propos dénigrants à l'égard de sa hiérarchie devant un client ou des collègues de travail.

24. Il ressort de l'article L. 1121-1 du code du travail que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. L'emploi de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, caractérise chez le salarié l'existence d'un abus dans l'exercice de la liberté d'expression.

25. En l'espèce, les propos réitérés de Mme [G] envers sa hiérarchie, notamment en ce qui concerne l'appréciation péjorative qu'ils portent sur le fonctionnement de l'agence sous la direction de M.[U] puis de Mme [F] ou encore qu'ils qualifient cette dernière de psychopathe, sans qu'aucun élément de preuve ne permettent de justifier l'emploi de tels qualificatifs, s'avèrent excessifs et excèdent les limites de la liberté d'expression.

26. Mme [G] a été sanctionnée d'un avertissement le 24 janvier 2018 pour des faits d'absence injustiées. En revanche, il n'est pas justifié du recadrage et des rappels à l'ordre antérieurs.

27. Compte tenu des fonctions exercées par Mme [G], de la réitération de ces propos et de la sanction disciplinaire antérieure, cette mise en cause, en des termes excessifs, de la direction de l'agence, justifiaient son licenciement. En revanche, il ne ressort pas des faits de la cause que, par leur gravité, ils nécessitaient son éviction immédiate de l'entreprise. Le jugement déféré, qui a estimé que le licenciement de Mme [G] était constitutif d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse et a condamné la CECAZ à lui payer diverses sommes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et de l'indemnité légale de licenciement, sera confirmé.

28. Mme [G], partie perdante qui sera condamnée aux dépens, sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles. Enfin, il n'apparait pas inéquitable de débouter la CECAZ de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement,

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Toulon du 20 février 2020 en toutes ses dispositions,

DEBOUTE Mme [G] de ses demandes,

DEBOUTE la Caisse d'épargne et de prévoyance Côte d'azur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [G] aux dépens.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-6
Numéro d'arrêt : 20/04557
Date de la décision : 15/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-15;20.04557 ?
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