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14/03/2024 | FRANCE | N°23/02299

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 14 mars 2024, 23/02299


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 14 MARS 2024

mm

N° 2024/ 91













N° RG 23/02299 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BKY7Z







[E] [X]





C/



E.A.R.L. EARL DE [Adresse 11]



























Copie exécutoire délivrée

le :

à :



SELARL CABINET DEBEAURAIN & ASSOCIÉS





LEX MEA
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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux de TARASCON en date du 18 Janvier 2023 enregistré au répertoire général sous le n° 22/00980.



APPELANT



Monsieur [E] [X]

demeurant [Adresse 13]



représenté par Me Julien DUMOLIE de la SELARL CABINET DEBEAURAIN & A...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 14 MARS 2024

mm

N° 2024/ 91

N° RG 23/02299 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BKY7Z

[E] [X]

C/

E.A.R.L. EARL DE [Adresse 11]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SELARL CABINET DEBEAURAIN & ASSOCIÉS

LEX MEA

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux de TARASCON en date du 18 Janvier 2023 enregistré au répertoire général sous le n° 22/00980.

APPELANT

Monsieur [E] [X]

demeurant [Adresse 13]

représenté par Me Julien DUMOLIE de la SELARL CABINET DEBEAURAIN & ASSOCIÉS, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée DE [Adresse 11] (E.A.R.L), dont le siège social est [Adresse 10], agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

représentée par Me Jean Pascal JUAN de LEX MEA, avocat au barreau de TARASCON, assistée de Me Guillaume DE PALMA de la SCP DE PALMA - COUCHET, avocat au barreau D'AVIGNON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Marc MAGNON, Président, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Marc MAGNON, Président

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2024

Signé par Monsieur Marc MAGNON, Président et Madame Danielle PANDOLFI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :

Par requête enregistrée au greffe le 9 mai 2022, Monsieur [E] [X] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Tarascon aux fins de convocation de l'EARL de [Adresse 11] auprès de cette juridiction afin d'entamer une démarche de conciliation, pour faire constater que cette dernière est titulaire d'une convention d'exploitation précaire ; qu'elle n'a jamais mis en valeur les terres objet de cette convention ; qu'une sous-location a été mise en place au profit d'un berger , sans l'accord du requérant et que l'EARL de [Adresse 11] se maintient irrégulièrement dans les lieux.

L'affaire a été appelée à une audience de conciliation le 14 septembre 2022. Les deux parties étaient présentes mais aucune conciliation n'a pu émerger. L'affaire a donc été renvoyée en formation de jugement à l'audience du 9 novembre 2022 ou elle a été retenue et plaidée.

Monsieur [E] [X], représenté par son conseil, a demandé au tribunal de:

' Constater que l'EARL de [Adresse 11] se maintient sans droit ni titre sur les parcelles cadastrées BN [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 2] sises sur la commune de [Localité 9] appartenant au demandeur;

' Prononcer subsidiairement la résiliation de la convention précaire du 1er janvier 2019 pour faute de l'EARL de [Adresse 11] ;

' La condamner à libérer sans délai les lieux occupés et, à défaut, l'expulser ainsi que tous occupants de son chef avec au besoin le concours de la force publique et sous astreinte de 50 euros par jour de retard courant 15 jours à compter de la signification du jugement ;

' La condamner à lui payer la somme de 3 850 euros pour l' occupation de ses terres jusqu'au jour de l'audience avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement ;

' Condamner l'EARL de [Adresse 11] aux entiers dépens ainsi qu' à la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [X] a fait valoir en substance les moyens et arguments suivants ;

' Il a signé le 1er janvier 2019 une convention d'exploitation précaire portant sur les parcelles litigieuses avec l' EARL de [Adresse 11], moyennant un loyer de 3850 euros et courant jusqu'au 31 octobre 2019.

' Alors qu'elle s'y était engagée, l' EARL ne l'a jamais exploitée comme un maraîchage et a mis en place une sous location au profit d'un berger, sous location constatée par procès verbal d'huissier de justice.

Développant oralement ses dernières écritures déposées à l' audience, l' EARL de [Adresse 11], représentée par son conseil, a demandé au tribunal de:

' Dire et juger que les critères nécessaires à la qualification de fermage agricole sont réunis; que le bail d'occupation précaire ne comporte aucune précision de changement de destination agricole: que les relations contractuelles se sont maintenues après le terme fixé dans le bail précaire et qu'elles relèvent donc des dispositions du bail rural; que le demandeur ne rapporte pas la preuve d'une sous location;

' Débouter Monsieur [X] de l'ensemble de ses demandes:

' Le condamner aux entiers dépens ainsi qu'à la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, l' EARL de [Adresse 11] a fait valoir en substance que:

' Aucune obligation de maraîchage n'a été fixée à la convention d'occupation précaire;

' Le contrat a été tacitement maintenu entre les parties après le 31 octobre 2019 et le demandeur a continué à en percevoir les loyers:

' Les trois critères fixés par l'article L 311-1 du code rural sont réunis en l' espèce;

' Il est constant qu'a défaut de précision du changement de la destination agricole, les relations contractuelles tombent sous l' égide des disposition d'ordre public du bail rural;

' Monsieur [X] a continué à percevoir des loyers après le terme de la convention d'occupation précaire;

' Aucune sous location n'est prouvée en l' espèce par le demandeur et notamment la preuve d'une contrepartie en échange de l'autorisation de laisser des moutons pâturer quelques jours de l' année ;

' Le berger a lui-même reconnu ne payer aucun loyer à l' EARL;

' La bonne exploitation du fonds n'est pas compromise et les terres données à bail n'étaient pas cultivées avant le bail ;

' L'EARL a entrepris une conversion en BIO, ce qui nécessite une absence de culture conventionnelle dans un délai de 3 ans; une subvention a été obtenue à cette fin;

' Une parcelle BN [Cadastre 2] est cultivée en luzerne depuis 2019.

Par jugement du 18 janvier 2023, le tribunal paritaire des baux ruraux de Tarascon a débouté Monsieur [E] [X] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à payer à l'EARL de [Adresse 11] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Le premier juge a notamment considéré que les relations contractuelles de l' EARL de [Adresse 11] avec son bailleur n' avaient pu se dérouler que dans le cadre d'un bail rural, suite à la poursuite de la convention d'occupation précaire originelle ; que les parcelles louées étaient en cours de conversion en culture biologique ce qui nécessitait une période de transition de trois ans sans cultures conventionnelles, et que la sous location n'était pas établie.

Par déclaration du 9 février 2023, Monsieur [X] a relevé appel de ce jugement. L'affaire a fait l'objet d'un calendrier de procédure et a été renvoyée au 7 novembre 2023 pour être plaidée.

Par arrêt avant dire droit du 14 décembre 2023, la cour a ordonné la réouverture des débats et renvoyé l'affaire à l'audience du 15 janvier 2024 en invitant les parties à s'expliquer sur la demande de radiation formulée par l'EARL de [Adresse 11] dans ses écritures du 7 novembre 2023, en application de l'article 524 du code de procédure civile.

Le conseil de Monsieur [X] a fait connaître que ce dernier a bien réglé le montant de la condamnation prononcée en première instance en application de l'article 700 du code de procédure civile, ce qu'a confirmé l'EARL de [Adresse 11].

Le 15 janvier 2024, l'affaire a été mise en délibéré au 14 mars 2024, les parties n'ayant pas déposé de nouvelles écritures et L'EARL de [Adresse 11] ayant abandonné sa demande de radiation.

Au delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessous.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:

Vu les conclusions notifiées le 7 novembre 2023 par [E] [X] tendant à :

Recevoir Monsieur [E] [X] en ses écritures,

Au visa de l'article L 411-31, L 411-35,

Vu les PV de constat ainsi que la sommation interpellative,

Prononcer la résiliation du bail pour cession et/ou sous-location illicite,

Et si même mieux,

Prononcer la résiliation du bail en raison des agissements de l'EARL de [Adresse 11] de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds,

Ordonner l'expulsion de l'EARL de [Adresse 11] ainsi que de tout occupant de son chef, sous astreinte de 50€/ jour de retard,

Dès lors,

Réformer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [E] [X] de sa demande en résiliation,

Le Réformer en ce qu'il a condamné Monsieur [X] à payer à l'EARL de [Adresse 11] la somme de 1.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Condamner l'EARL de [Adresse 11] aux entiers dépens d'instance ainsi qu'à la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelant fait valoir en substance les moyens et arguments suivants:

' Les attestations produites établissent la cession du bail ou sous-location prohibées à un berger,

' Selon procès-verbal du 21 janvier 2022, l' huissier mandaté a constaté:

« ...que les parcelles BN [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5] ne sont pas cultivées : aucune culture n'est plantée. De plus, les terres ne sont ni travaillées, ni entretenues. Elles sont recouvertes de mauvaises herbes. Il s'agit de parcelles en friche. »

' Selon procès-verbal de constat du 28 octobre 2021, l'huissier a procédé aux mêmes constatations que précédemment. Les photos annexées à son procès-verbal sont particulièrement parlantes de cet état d'inculture et du dépérissement du fonds loué.

' Selon procès-verbal du 2 septembre 2022, les parcelles BN [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5] sont apparues dans le même état que celui qui avait été constaté antérieurement.

La situation s'est aggravée dans la mesure où sur la parcelle BN [Cadastre 2], l'huissier a relevé que la luzerne a repoussé et qu'elle est sèche, manifestement et visiblement pas entretenue, avec présence de mauvaises herbes envahissantes.

' Selon procès-verbal de constat du 9 février 2023, l'huissier confirme que l'ensemble des parcelles louées ne sont pas cultivées ni entretenues. Aucune culture n'est implantée.

' Indépendamment de la cession et de la sous-location prohibées, il est certain que l'absence d'exploitation entraîne une déperdition du fonds justifiant a fortiori, la résiliation du bail aux torts exclusifs de l'EARL de [Adresse 11].

Vu les conclusions notifiées le 7 novembre 2023 par l'EARL de [Adresse 11], tendant à voir :

Dire et juger que les trois critères énoncés à l'article L 411-1 du Code Rural pour bénéficier du statut du fermage sont satisfaits,

Dire et juger que « le bail d'occupation précaire » en date du 1er janvier 2019 ne comporte aucune précision de changement de la destination agricole,

Dire et juger que les relations contractuelles se sont maintenues après le terme fixé dans « le bail d'occupation précaire »

Dire et juger donc que les relations contractuelles doivent être regardées comme étant régies par les dispositions d'ordre public du bail rural Confirmer purement et simplement le jugement dont appel de ce chef,

Dire et juger que Monsieur [E] [X] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une quelconque sous-location, laquelle nécessite une contrepartie,

Débouter donc purement et simplement Monsieur [E] [X] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

Confirmer purement et simplement le jugement dont appel de ce chef,

Dire et juger que Monsieur [E] [X] ne rapporte pas la preuve de ce que l'exploitation du fonds serait compromise,

Débouter donc purement et simplement Monsieur [E] [X] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

Confirmer purement et simplement le jugement dont appel de ce chef,

Condamner Monsieur [E] [X] à payer à l'EARL de [Adresse 11] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre aux entiers dépens de l'instance.

MOTIVATION :

A Hauteur d'appel , Monsieur [X] n'entend plus contester la qualification de bail rural donnée par le tribunal à la convention passée le 1er janvier 2019 avec l'EARL de [Adresse 11].

Demeure dans le débat la demande de résiliation du bail formée par Monsieur [X], aux motifs que les terres confiées à bail ne sont pas exploitées et qu'en outre , elles ont été cédées pour partie à un autre exploitant agricole, en l'occurrence M [SF] [M], éleveur ovin qui y fait paître son troupeau et y cultive de la luzerne pour l' alimentation de ses ovins.

Sur le moyen tiré de la cession du bail ou sous-location prohibées, l'EARL de [Adresse 11] réplique que la charge de la preuve incombe à Monsieur [X] qui est dans l'incapacité d' établir une sous-location qui n'a jamais existé. Elle ne conteste pas que les terres louées au titre du bail rural ont été très ponctuellement laissées en pâturage de moutons, quelques jours dans l'année ; que toutefois , il n'a jamais été question d'une quelconque rémunération ou contrepartie.

S'agissant du moyen tiré du manquement à l'obligation de cultiver, elle fait valoir que la convention d'exploitation précaire ne précise nullement la nature de la culture à exploiter alors que les terres données à bail n'étaient pas cultivées lorsqu'elles ont été louées.

Elle ajoute que la bonne exploitation n'est nullement remise en cause par le pâturage de moutons quelques jours dans l'année et une culture de luzerne sur la parcelle BN [Cadastre 2], alors que l' EARL de [Adresse 11] a entrepris une conversion en culture biologique qui implique de ne pas exploiter de cultures conventionnelles pendant trois ans.

Sur la cession du bail ou sous-location prohibées:

Selon les dispositions de l'article L 411-35 du code rural et de la pêche maritime, « ...toute cession du bail est interdite, sauf si la cession est consentie avec l'agrément du bailleur au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur, participant à l'exploitation, ou aux descendants du preneur ayant atteint l' âge de la majorité ou ayant été émancipés. A défaut d'agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire[...].

Toute sous-location est interdite. Toutefois, le bailleur peut autoriser le preneur à consentir des sous-locations pour un usage de vacances ou de loisirs. Chacune de ces sous-locations ne peut excéder une durée de trois mois consécutifs. Dans ce cas, le bénéficiaire de la sous-location n'a aucun droit à son renouvellement, ni au maintien dans les lieux à son expiration. En cas de refus du bailleur, le preneur peut saisir le tribunal paritaire. Le tribunal peut, s'il estime non fondés les motifs de l'opposition du bailleur, autoriser le preneur à conclure la sous-location envisagée. Dans ce cas , il fixe éventuellement la part du produit de la sous-location qui pourra être versée au bailleur par le preneur. Le bailleur peut également autoriser le preneur à consentir des sous-locations des bâtiments à usage d' habitation. Cette autorisation doit faire l'objet d'un accord écrit[...]. Le preneur peut héberger, dans les bâtiments d'habitation loués, ses ascendants, descendants, frères et s'urs, ainsi que leurs conjoints ou les partenaires avec lesquels ils sont liés par un pacte civil de solidarité [...]Les dispositions du présent article sont d'ordre public. »

Il est constant que la cession , même à titre gratuit, est prohibée, hors les cas prévus par les dispositions qui précèdent, y compris lorsqu'elle est réalisée avec l'accord du bailleur.

En l'espèce, aucune cession ou sous-location du bail n'a été autorisée par le bailleur ou par le tribunal paritaire des baux ruraux.

Il est cependant établi par le procès-verbal de constat dressé les 23 et 24 juin 2021 par Maître [WT] [NW] , huissier de justice, que la parcelle BN n°[Cadastre 2] était cultivée et recouverte de luzerne prête à être récoltée, Monsieur [X] lui indiquant qu'un berger , Monsieur [M], avait déjà fait au moins deux coupes ou récoltes de luzerne avec son tracteur sur la parcelle en question depuis le début de l'année. Le bailleur a remis à l'huissier trois photographies qui ont été annexées au procès-verbal montrant un homme, désigné comme étant M [M], en train d'effectuer une récolte avec un tracteur.

Le 24 juin 2021, le même huissier a constaté que Monsieur [M], cette fois-ci formellement identifié, était en train de faire paître un troupeau de moutons sur la parcelle BN n° [Cadastre 3], non cultivée et recouverte de mauvaises herbes.

Sur sommation interpellative du même jour , Monsieur [SF] [M] a indiqué à l'huissier instrumentaire «  c'est Monsieur [I] [V] qui m'a autorisé à venir sur ces terres parcelle BN [Cadastre 3],[Cadastre 4] et [Cadastre 5] pour faire paître mes moutons . Sur la parcelle BN n° [Cadastre 2], M [I] [V] m'a demandé de récolter la luzerne semée. Je ne paie aucun loyer ou fermage ».

Il ressort par ailleurs des attestations produites par [E] [X], les témoignages suivants :

' [F] [S], voisin du bailleur, atteste que « les parcelles BN [Cadastre 3],[Cadastre 4] et [Cadastre 5] n'ont jamais été cultivées depuis 2019, 2020 et 2021. La parcelle BN 11est cultivée par un éleveur de moutons ; ce dernier y cultive de la luzerne , a besoin de fourrage , et la récolte au moins trois fois par an. Son troupeau est laissé en liberté dans les autres parcelles BN [Cadastre 3],[Cadastre 4] et [Cadastre 5] » ;

' [A] [H], voisin direct de [E] [X], atteste « voir très souvent un troupeau de moutons sur les parcelles cadastrées BN [Cadastre 3], BN[Cadastre 4], BN[Cadastre 5] et sur la parcelle BN [Cadastre 2]... le berger [SF] [M] que je connais qui exploite cette parcelle en y récoltant de la luzerne au moins trois fois par an ».   Le témoin ajoute «  je précise que les parcelles BN[Cadastre 3], BN[Cadastre 4] et BN [Cadastre 5] ne sont pas cultivées depuis 2019,2020,2021 et que Monsieur [SF] [M] y fait paître son troupeau de moutons depuis 2019 2020 et 2021... »

' [G] [L], voisin direct de [E] [X] , atteste «  je vois très souvent un troupeau de moutons sur ses parcelles(BN [Cadastre 3],[Cadastre 4],[Cadastre 5] et [Cadastre 2]). Or, je suis au fait que M [I], le locataire de M [X] a une exploitation maraîchère. Je ne connais pas le berger qui amène son troupeau le matin sur les parcelles sus-dîtes, le laisse sur place toute la journée sans surveillance et revient le chercher le soir venu. » Le témoin atteste également « n'avoir jamais vu travailler l'exploitant en titre M [I] [V] sur ces parcelles, sous quelque forme que ce soit ».

' [R] [U] [MU] atteste sur l'honneur avoir eu, le 7 novembre 2022, une conversation téléphonique avec Monsieur [P] [C] qui lui a déclaré avoir travaillé sur la parcelle de Luzerne à la demande exclusive de Monsieur [SF] [M] qui , seul, l'avait rémunéré, et non pour le compte de l'EARL de [Adresse 11] ou de son gérant [V] [I] qu'il ne connaissait pas. Trois personnes ont assisté à cette conversation, après que Monsieur [MU] eut activé le haut parleur de son téléphone.

' [VO] [K], masseur kinésithérapeute, présent au domicile de Monsieur [MU] le 7 novembre 2022, atteste avoir été témoin de cette conversation et avoir entendu Monsieur [C] dire et répéter, en répondant aux questions de Monsieur [MU], qu'il avait bien travaillé pour le compte exclusif de Monsieur [SF] [M] sur les terres appartenant à Monsieur [E] [X] et qu'il avait été payé pour son travail par Monsieur [M]. Ce témoin ajoute qu'à la demande de Monsieur [MU], Monsieur [C] a déclaré ne pas connaître la SARL de [Adresse 11].

' [B] [Z], retraité, également présent au domicile de Monsieur [MU] le 7 novembre 2022, atteste également avoir été le témoin auditif, ce jour là, de cette conversation entre M [MU] et M [C] et confirme le témoignage de M [MU], à savoir que « M [C] a déclaré avoir travaillé sur les luzernes sur les terres de M [X] [E], pour le compte, à l'exclusivité et la demande du berger [SF] [M] par qui il a été intégralement rémunéré ». Ce témoin ajoute avoir entendu M [C] déclarer ne pas connaître l'EARL de [Adresse 11].

' [Y] [D], fonctionnaire, présente elle aussi au domicile de Monsieur [MU] le 7 novembre 2022, atteste avoir écouté, à la demande de ce dernier, la conversation téléphonique qui a eu lieu entre Monsieur [MU] et M [C], lequel a reconnu « avoir travaillé pour le berger [SF] [M], sur les terres de Monsieur [X]..., rémunéré pour ses travaux sur la luzerne par Monsieur [SF] [M] ». Ce témoin confirme que Monsieur [C] a précisé à Monsieur [MU] qu'il ne connaissait pas l'EARL de [Adresse 11], ni [V] [I].

' [T] [N], retraité, ancien fermier des parcelles cadastrées BN [Cadastre 3],[Cadastre 4],[Cadastre 5] et [Cadastre 2] atteste que ces parcelles n'ont pas été exploitées entre 2019 et 2021, à l'exception de la parcelle BN[Cadastre 2] « sur laquelle Monsieur [SF] [M] , éleveur de moutons, cultive de la luzerne et la récolte régulièrement ».

' [F] [J], agriculteur et fermier de [E] [X] atteste, le 18 janvier 2023, que les terres de Monsieur [E] [X] et de Madame [O] [X] épouse [W] cadastrées BN [Cadastre 3],[Cadastre 4],[Cadastre 5],[Cadastre 6],[Cadastre 7],[Cadastre 8],[Cadastre 1],[Cadastre 2] sur la commune de [Localité 9] n'ont jamais été exploitées depuis le 1er janvier 2019 jusqu'à ce jour et que seule la parcelle BN [Cadastre 2] d'une surface de 2 hectares 88 ares 86 centiares a été exploitée par un berger qui a semé et récolté de la luzerne non bio dès l'année 2019 jusqu'en 2020 et début 2021.

Ces attestations confirment ainsi le constat d'huissier des 23 et 24 juin 2021 et la sommation interpellative délivrée le 24 juin 2021 établissant que M [SF] [M] a récolté la luzerne plantée sur la parcelle BN [Cadastre 2] et faisait paître ses moutons sur les parcelles BN [Cadastre 3],[Cadastre 4] et [Cadastre 5], se comportant sur ces dernières comme un berger herbassier.

Toutefois, la récurrence de sa présence et de celle de son troupeau sur les parcelles objet du bail litigieux, entre 2019 et 2021, et le financement par ses soins de travaux sur la parcelle BN [Cadastre 2] plantée de luzerne, tels qu' ils ressortent des attestations examinées, caractérisent, en l'absence de toute exploitation par l'EARL de [Adresse 11] des terres données à bail, une cession du bail , sans autorisation du bailleur et en dehors des cas prévus par l'article L 411-35 du code rural et de la pêche maritime.

Cette cession illicite du bail justifie à elle seule sa résiliation.

Sur la non exploitation des parcelles prises à bail :

Il est établi par l'attestation émanant de l'organisme « Alpes Contrôles » que l'EARL de [Adresse 11] a entrepris une conversion en production biologique des parcelles qu'elle exploite complantées en lavandin( 2,46 ha), prairie temporaire(12,03 ha) et luzerne ( 5,36 ha) et ce , à compter du 10 mai 2019. Il n'est pas contesté que sauf jachère antérieure, la conversion implique une période pouvant aller jusqu'à trois ans d'absence de culture conventionnelle sur les parcelles objet de la conversion, cette durée étant décomptée à partir de la date de début de la période de conversion, ici le 10 mai 2019.

L'EARL de [Adresse 11] justifie l'absence de cultures sur les parcelles prises à bail( hormis la BN [Cadastre 2] plantée de luzerne) par la nécessité d'observer cette période de latence avant de pouvoir cultiver, de nouveau, en culture biologique. Si cet argument est admissible, il n'en demeure pas moins que cette période de conversion devait s' achever le 10 mai 2022. Or, il ressort des constats d'huissier postérieurs à cette date, notamment de celui établi le 22 septembre 2022, que la parcelle BN n° [Cadastre 2] était couverte d'une luzerne sèche , parsemée de mauvaises herbes, manifestement non entretenue et que les parcelles n°s [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5] étaient, comme lors des précédents constats établis en juin et octobre 2021, et janvier 2022, en friche et incultes, non travaillées, ni entretenues, recouvertes de mauvaises herbes.

Le même constat a été fait le 10 février 2023 sur l'ensemble des parcelles louées.

Or , selon l'article 1766 du code civil , le preneur est tenu de cultiver «  en bon père de famille...s'il abandonne la culture, s'il emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle est destinée, ou en général, s'il n'exécute pas les clauses du bail, et qu'il en résulte un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail.

En outre, selon l'article L 411-31 du code rural et de la pêche maritime , le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie d'agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fond.

Il est constant que pour justifier la résiliation du bail, l'inculture, l'abandon et le défaut d'exploitation ou d'entretien du fond doivent compromettre sa bonne exploitation, ce qui est notamment le cas lorsque ces manquements conduisent à un appauvrissement des parcelles ou nécessitent des travaux et un coût de remise en état.

En l'espèce, l'état d'inculture des parcelles cadastrées BN [Cadastre 3],[Cadastre 4] et [Cadastre 5], pendant plus de trois ans, ne caractérise pas, à lui seul, des agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fond.

Ainsi, la cour retiendra le seul manquement tiré de la cession illicite du bail pour prononcer sa résiliation.

L'EARL de [Adresse 11] sera tenue de libérer les parcelles louées dans le mois suivant la signification du présent arrêt,sous astreinte de 50 euros par jour de retard, passé ce délai, à défaut de quoi la cour ordonne son expulsion et celle de tout occupant de son chef.

Le jugement est en conséquence infirmé.

Sur les demandes annexes :

L'EARL de [Adresse 11], partie perdante, est condamnée aux dépens de l'entière procédure en application de l'article 696 du code de procédure civile ;

Au regard des circonstances de la cause, l'équité justifie de condamner l'EARL de [Adresse 11] à payer à [E] [X] une somme de 3000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais non compris dans les dépens de l'entière procédure.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 18 janvier 2023 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Tarascon,

Statuant à nouveau,

Prononce la résiliation, pour cession illicite, du bail à ferme portant sur les parcelles cadastrées BN [Cadastre 3], BN [Cadastre 4], BN [Cadastre 5] et BN [Cadastre 2] sises [Adresse 12] à [Localité 9], conclu entre [E] [X] et l'EARL de [Adresse 11],

Dit que l'EARL de [Adresse 11] devra libérer les parcelles louées de tout bien lui appartenant, ainsi que tout occupant de son chef, dans le délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé ce délai, l'astreinte étant prononcée pour une période de six mois.

Ordonne , en tant que de besoin et à défaut de libération volontaire des lieux loués, l'expulsion de l' EARL de [Adresse 11] et celle de tout occupant de son chef.

Condamne l'EARL de [Adresse 11] aux dépens de première instance et d'appel,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne L'EARL de [Adresse 11] à payer à [E] [X] une somme de 3000,00 euros au titre des frais non compris dans les dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 23/02299
Date de la décision : 14/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-14;23.02299 ?
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