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14/03/2024 | FRANCE | N°20/04255

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 14 mars 2024, 20/04255


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 14 MARS 2024

ph

N° 2024/ 96









Rôle N° RG 20/04255 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFY5H







S.C.I. ISASSOPILO





C/



[E] [X]

[G] [U] épouse [X]





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



la SCP CHARLES TOLLINCHI - CORINNE PERRET-VIGNERON





Me Olivier COURTEA

UX







Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal Judiciaire de TOULON en date du 05 Mars 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 17/04133.





APPELANTE



S.C.I. ISASSOPILO, dont le siège social est [Adresse 3], poursuites et diligences de son représentant légal en ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 14 MARS 2024

ph

N° 2024/ 96

Rôle N° RG 20/04255 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFY5H

S.C.I. ISASSOPILO

C/

[E] [X]

[G] [U] épouse [X]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

la SCP CHARLES TOLLINCHI - CORINNE PERRET-VIGNERON

Me Olivier COURTEAUX

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal Judiciaire de TOULON en date du 05 Mars 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 17/04133.

APPELANTE

S.C.I. ISASSOPILO, dont le siège social est [Adresse 3], poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, y domicilié

représentée par la SCP CHARLES TOLLINCHI - CORINNE PERRET-VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Chrystelle ARNAULT, avocat au barreau de TOULON

INTIMES

Monsieur [E] [X]

demeurant [Adresse 9]

représenté par Me Olivier COURTEAUX, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Diane DOURY-FAURIE, avocat au barreau de TOULON

Madame [G] [U] épouse [X]

demeurant [Adresse 9]

représentée par Me Olivier COURTEAUX, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Diane DOURY-FAURIE, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 16 Janvier 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Patricia HOARAU, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Marc MAGNON, Président

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2024,

Signé par Monsieur Marc MAGNON, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES

Par acte notarié du 5 février 2001, M. [E] [X] et Mme [G] [U] épouse [X] sont devenus propriétaires d'un bien sis au [Localité 8] à [Localité 7] en nature de maison d'habitation, sur la parcelle cadastrée section H numéro [Cadastre 2] (CT [Cadastre 4] selon le nouveau cadastre), étant précisé que le bien constitue le lot 7 de l'îlot « [Localité 10] », dit [Localité 6] du lotissement [Localité 8].

Par acte sous seing privé du 26 janvier 2005, M. [B] [J] a acquis une maison d'habitation, propriété voisine de celle des époux [X], sur une parcelle cadastrée section H numéro [Cadastre 1] (CT [Cadastre 5] selon le nouveau cadastre), constituant le lot 6 du même îlot « [Localité 10] ». M. [J] a fait apport de ses droits à la SCI Isassopilo par acte du 27 février 2015.

Par arrêt du 15 décembre 1993, la Cour de cassation a jugé que [Localité 8] est une copropriété horizontale.

Arguant d'une violation par la SCI Isassopilo des dispositions du règlement de copropriété du [Localité 8] et de l'article 678 du code civil, M. et Mme [X] l'ont, par exploit d'huissier du 9 août 2017 fait assigner devant le tribunal de grande instance de Toulon aux fins de démolition sous astreinte, de sa terrasse.

Par jugement du 5 mars 2020, le tribunal judiciaire de Toulon a :

- débouté la SCI Isassopilo de ses deux fins de non-recevoir fondées sur la prescription,

- condamné la SCI Isassopilo à démolir les constructions se trouvant sur sa parcelle sise [Adresse 9] situées à moins de 1,90 mètre de la limite séparative et dans la zone non aedificandi prévue au règlement de copropriété et ses annexes dans un délai de quatre mois à compter de la signification du jugement sous astreinte de 75 euros par jour de retard,

- débouté la SCI Isassopilo de l'intégralité de ses demandes y compris au titre des frais irrépétibles et des dépens,

- condamné la SCI Isassopilo à payer à M. et Mme [X] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration du 23 mars 2023, la SCI Isassopilo a relevé appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 10 février 2022, la SCI Isassopilo demande à la cour de :

Vu les dispositions de Ia loi du 10 juillet 1965,

Vu les dispositions de l'article 678 du code civil,

Vu les dispositions de l'article 563 du code de procédure civile,

Vu les pièces versées aux débats,

In limine litis :

- déclarer recevables ses moyens et pièces versés aux débats par application des dispositions de l'article 563 du code de procédure civile,

- déclarer recevables ses écritures, celles-ci visant les chefs de jugement critiqués,

- débouter les époux [X] de leur exception d'irrecevabilité,

- réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions, et notamment en ce qu'elle ordonne la démolition de la terrasse sous astreinte et la condamne à payer à Mme [G] [U] épouse [X] et M. [E] [X], la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance,

Statuant à nouveau en l'état de la réformation du jugement dont appel :

- condamner in solidum les époux [X] à lui payer la somme de 4 500 euros au titre du coût de démolition de la terrasse et du réaménagement du site, et des préjudices matériels par elle subis,

- condamner in solidum les époux [X] à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- débouter les époux [X] de leur appel incident, la demande de condamnation sous astreinte quel qu'en soit le montant étant sans objet du fait de la démolition intervenue au jour où la cour statuera,

- condamner les époux [X] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris ceux afférents à la procédure de référé suspension de l'exécution provisoire, dont distraction au profit de Me Tollinchi, avocat aux offres de droit.

La SCI Isassopilo fait essentiellement valoir :

Sur la prétendue irrecevabilité de ses moyens et pièces,

- que la déclaration d'appel liste l'ensemble des chefs de jugement critiqués, de sorte que la cour d'appel est valablement saisie,

- que ses écritures d'appelante rappellent dès la deuxième page, l'ensemble des chefs de jugement critiqués et développent les motifs de réformation,

- qu'en application de l'article 563 du code de procédure civile, elle peut invoquer des moyens nouveaux et produire de nouvelles pièces,

- que la nature des travaux accomplis en 2005 et 2016 est l'objet des débats depuis l'origine et qu'elle soutient depuis toujours que les travaux de 2016 consistent en de simples travaux de confortement de ceux de 2005,

Sur la prétendue violation des règles d'urbanisme et de la servitude non aeficandi,

- que les photographies produites démontrent l'antériorité de son immeuble et de sa terrasse par rapport à celui des époux [X] et l'autorisation de construire obtenue,

- que le 10 novembre 2005, M. [J] a déposé un permis de construire une terrasse en bois sur pilotis, cloisonnée par un brise-vue de deux mètres de hauteur, ce qui correspond à la hauteur totale de la terrasse, qu'était également prévue la création d'une piscine en partie sous cette terrasse,

- qu'un permis de construire modificatif a été accordé le 21 juin 2006, affiché sur les lieux du 21 juin 2006 au 21 août 2006,

- que les factures produites démontrent que ces travaux ont été réalisés au cours de l'été 2005 et une attestation de conformité a été délivrée le 10 octobre 2007,

- qu'en 2015 à l'occasion d'autres travaux, il est apparu que la terrasse bois montrait des signes inquiétants de faiblesse et que le remplacement par des poutrelles métalliques a été réalisé, à l'identique, s'agissant de la surface de la terrasse,

- que les plans coupe annexés à la demande de permis de construire en 2006 démontrent que l'ouvrage est le même, ainsi que le procès-verbal établi à la demande de M. et Mme [X] le 9 décembre 2016, lequel comporte en annexe des clichés remis à l'huissier manifestement pris depuis le fonds Isassopilo, alors non occupé, en toute illégalité, en violation de son droit de propriété,

- qu'en 2007, à l'achèvement des travaux, la terrasse était édifiée en limite de propriété, contrairement à ce qui est soutenu,

- que la terrasse a été posée en 2006 et 2007 sur le sol naturel en sa partie Nord, que le sol a été excavé à l'époque, comme prévu dans le permis de construire,

- que M. [T] missionné par elle pour superviser les travaux de démolition de la terrasse en exécution du jugement de première instance, le confirme,

- qu'à considérer que les travaux de réfection en sous 'uvre de la terrasse étaient soumis à déclaration de travaux, cette autorisation aurait été donnée incontestablement, puisque les travaux initiaux ont bénéficié d'une autorisation et que le délai intervenu entre l'achèvement de la terrasse et sa réfection fait obstacle à tout refus de permis de construire (articles R. 421-17 et L. 421-9 du code de l'urbanisme),

- qu'il ne saurait être tiré aucune conclusion du procès-verbal d'infraction établi en 2016 suite à la dénonciation des époux [X], auquel il n'a jamais été donné suite,

- que la construction litigieuse n'entre pas dans le champ des ouvrages prohibés par le cahier des charges,

- qu'une tolérance est acceptée pour les annexes pouvant être édifiées en limites séparatives,

- que le délai de prescription pour contester les travaux réalisés a expiré le 21 juin 2016, soit par un délai de dix ans à compter du 21 juin 2006, au moment de l'affichage du permis de construire,

- que le tribunal ne pouvait fonder sa décision sur l'absence d'autorisation d'urbanisme qui n'était pas requise, et la violation de la servitude non aedificandi,

Sur la prétendue violation des dispositions de l'article 678 du code civil,

- que l'immeuble acquis en 2005 existe depuis 1972, que la terrasse apparaît en 1976, que la terrasse a été visiblement maçonnée en 1982,

- qu'il en résulte que l'immeuble et la terrasse attenante préexistaient à la terrasse de M. et Mme [X], de sorte qu'aucune vue n'a été créée sur leur fonds,

- qu'elle est donc fondée à leur opposer la prescription trentenaire,

- qu'au surplus l'habitation des époux [X] est située très en contrebas de la sienne et que la végétation en amont fait obstacle à toute vue directe,

- que M. [T] le confirme,

Sur ses demandes reconventionnelles,

- que M. et Mme [X] se plaignent d'une prétendue violation d'une servitude non aedificandi alors que les travaux d'aménagement de la terrasse de 1982, ont été réalisés en 2005 à leur vue et su et qu'ils ne s'en sont pas plaints à l'époque,

- que de leurs côtés, ils se sont affranchis du cahier des charges dont ils revendiquent aujourd'hui la sanction, en édifiant une rampe d'accès à leur immeuble, une terrasse et une piscine dans la limite prétendue prohibée des cinq mètres,

- qu'elle a exécuté les causes du jugement appelé assorti de l'exécution provisoire et démoli la terrasse et est fondée à obtenir le remboursement du coût de démolition,

- que la procédure est abusive et qu'il convient de les condamner des dommages et intérêts.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 14 mars 2022, M. et Mme [X] demandent à la cour de :

Vu l'article 1134 ancien du code civil,

Vu l'article 678 du code civil,

- confirmer la décision rendue par le tribunal judiciaire de Toulon du 5 mars 2020, sauf s'agissant du montant de l'astreinte provisoire,

- débouter purement et simplement la SCI Isassopilo de ses fins, demandes et prétentions particulièrement mal fondées,

Statuant à nouveau,

- condamner la SCI Isassopilo à démolir les constructions comme indiqué dans le jugement querellé, mais sous astreinte d'un montant de 150 euros par jour de retard, passé un délai de deux mois après signification du jugement confirmé,

- condamner la SCI Isassopilo à leur verser la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SCI Isassopilo aux entiers dépens,

- prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

M. et Mme [X] soutiennent en substance :

A titre préliminaire,

- que les conclusions d'appelante ne comprennent aucune critique du jugement rendu, ce faisant, la cour pourra confirmer le jugement querellé puisque l'appelante ne précise pas en quoi le jugement rendu serait critiquable,

- que l'appelante feint de ne pas comprendre cette demande d'irrecevabilité, faisant fi des dispositions de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, qui impose un certain formalisme,

- que ces écritures contiennent des éléments qui n'ont pas été évoqués en première instance, alors même qu'ils sont anciens,

- qu'il appartenait à la défenderesse devenue appelante de présenter dès la première instance l'ensemble des moyens qu'elle estimait de nature à justifier le rejet des demandes,

- que la cour devra en tenir compte et écarter comme irrecevables les moyens négligés en première instance, en l'espèce, la question des travaux entrepris en 2005 et 2016 (paragraphe B, pages 5 à 10 des conclusions d'appelant), ainsi que les pièces 25 à 31 relatives à ces mêmes travaux,

Sur la violation du code de l'urbanisme, du cahier des charges du lotissement et du règlement de copropriété,

- que l'appelante entretient la confusion entre les constructions de 2006 (illégales mais régularisées a posteriori) et celles de 2016 (illégales et non régularisées),

- que les deux périodes de travaux n'ont pas de relation entre elles,

- que le nouvel ouvrage n'est pas identique au précédent, que les photographies confirment qu'il n'y a pas eu substitution de poutres bois en poutres métalliques, mais création d'un nouvel ouvrage,

- que les travaux de 2005 ont été immédiatement contestés par eux et par le syndic et ont d'ailleurs abouti au permis de construire modificatif de régularisation,

- qu'en 2016, les piliers de soutien ne sont plus à la même place,

- qu'il y a bien eu démolition puis reconstruction, comme l'indiquent les agents verbalisateurs,

- que la SCI Isassopilo soutient sans preuve que les clichés ont été pris à l'intérieur de sa propriété, alors que l'huissier confirme avoir pris lui-même les clichés et que les deux derniers clichés l'ont été par eux, depuis leur propriété,

- que ce sont bien les travaux de 2016 qui sont à l'origine de la présente procédure,

- que le fait que la nouvelle terrasse ait la même dimension que la précédente, n'a aucune importance puisque de toute manière, la première était déjà illégale pour ne pas respecter les prescriptions du cahier des charges,

- que le rapport [T] n'a que peu d'intérêt, dès lors qu'il n'a pas été établi à leur contradictoire,

- qu'il faut au moins une déclaration préalable de travaux dès lors qu'il y a une modification d'un élément extérieur (article R. 421-17 a) du code de l'urbanisme),

- que la SCI Isassopilo fait une lecture spécieuse du cahier des charges, s'agissant des annexes,

- que le procureur de la République n'a pas classé sans suite le dossier, mais le dossier a manifestement été égaré, qu'il est donc faux d'en tirer argument,

Sur la violation de l'article 678 du code civil,

- que les autorisations administratives, lorsqu'elles sont données, le sont toujours sous réserve du droit des tiers et en l'espèce, il a été pris soin de préciser déjà en 2006 que l'autorisation était délivrée sous réserve de « prendre les dispositions nécessaires pour garantir le respect du code civil relatif aux vues directes sur le fonds voisin »,

- qu'en 2016, lorsque la terrasse est construite plus en hauteur et sur une superficie telle, elle vient en limite de séparation de leur fonds,

- que la pente est importante et que les propriétés sont ici au surplomb les unes des autres, ce qui aggrave encore la servitude de vue,

- que la végétation dont se targue la SCI Isassopilo pour dire qu'il n'y a pas de vue, est constituée de plantations faites par eux pour se protéger de cette vue directe en surplomb sur leur propriété, mais uniquement au niveau de la piscine et non au niveau de la terrasse,

Sur la demande reconventionnelle de la SCI Isassopilo,

- qu'il conviendra que la SCI Isassopilo explique en quoi le droit d'ester en justice est abusif, surtout lorsqu'elle démontre par elle-même qu'elle n'a aucun respect ni pour la règle de droit, ni pour l'autorité du syndic ou des autorités communales, ni pour ses voisins qui subissent de plus fort des nuisances répétées du fait des constructions illégales, ni pour les décisions de justice,

- que la SCI Isassopilo qui démontre sa mauvaise foi, sera condamnée de plus fort à l'aggravation de l'astreinte et l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- que la SCI Isassopilo doit attendre la décision de la cour avant de demander leur condamnation à prendre en charge le coût des travaux de démolition.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 2 janvier 2024.

L'arrêt sera contradictoire puisque toutes les parties ont constitué avocat.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Aux termes de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il est constaté que le dispositif des conclusions de M. et Mme [X] ne comporte pas de demande tendant à l'irrecevabilité des prétentions adverses, mais seulement une demande de débouté, si bien que la cour n'a pas à statuer sur l'irrecevabilité des prétentions de la SCI Isassopilo.

Il est observé que la SCI Isassopilo, dans le dispositif de ses conclusions ne soulève pas la fin de non-recevoir tirée de la prescription, mais seulement dans les motifs de ses conclusions. Pour autant, la cour se considère saisie de cette fin de non-recevoir débattue devant le premier juge et écartée par celui-ci pour ordonner la démolition de la construction litigieuse, dont la réformation est poursuivie.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée, constitue une fin de non-recevoir.

Il est constant que la charge de la preuve de la prescription d'une action, pèse sur la partie qui l'allègue.

M. et Mme [X] agissent en démolition de la terrasse en arguant d'une part de la violation du code de l'urbanisme, d'une servitude non aedificandi figurant dans le cahier des charges et le règlement de copropriété et d'autre part de la violation de l'article 678 du code civil.

En présence d'une copropriété, la prescription applicable est celle de dix ans de l'article 42 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 dans sa rédaction applicable avant la réforme du 25 novembre 2018 aux termes de laquelle : « Sans préjudice de l'application des textes spéciaux fixant des délais plus courts, les actions personnelles nées de l'application de la présente loi entre des copropriétaires, ou entre un copropriétaire et le syndicat, se prescrivent par un délai de dix ans. »

Les parties discutent la date des travaux litigieux de la terrasse, la question étant de savoir s'il s'est agi d'une démolition avec reconstruction (position de M. et Mme [X]) ou du simple entretien de travaux précédemment réalisés en 2005 (position de la SCI Isassopilo).

Sont versés aux débats :

- la demande de permis de construire initial du 10 novembre 2005 et modificatif du 24 mars 2006 pour création d'une terrasse et d'une piscine et l'aménagement du rez-de-jardin, tamponnée le 21 juin 2006, date de l'arrêté de permis de construire,

- la déclaration d'achèvement des travaux exécutés en application de ce permis de construire, du 5 octobre 2007, et l'attestation de conformité apposée par la mairie le 10 octobre 2007,

- le procès-verbal d'infraction dressé le 17 juin 2016 par un agent du service de l'urbanisme, en présence de M. [H] [R] représentant M. [B] [J], ayant constaté notamment la démolition/reconstruction en IPN (hauteur 2.20m) d'une terrasse d'environ 32m² avec des gardes corps composés de fils et poteaux métalliques d'une hauteur de 1.00m, une pergola métallique d'une hauteur d'environ 3.80m (dépassement de la hauteur autorisée en limite séparative sur environ 1.00m), travaux réalisés sans autorisation,

- le courrier adressé au procureur de la République par le conseil de M. [B] [J] le 24 octobre 2016 pour contester ce procès-verbal d'infraction, s'agissant de la terrasse par référence au permis de construire obtenu et l'intervention de travaux simplement confortatifs nécessités par l'urgence compte tenu de la faiblesse structurelle de la terrasse sans modification de l'existant,

- une attestation établie par M. [L] [S] qui déclare que sa société M2 a été missionnée par M. [J] pour la SCI Isassopilo pour réaliser des travaux d'aménagement intérieurs de la villa et qu'au cours des travaux en janvier 2016, ils se sont aperçus que la structure de la terrasse existante présentait des signes de faiblesse inquiétants, qu'il a procédé au remplacement par des poutres métalliques, l'ensemble ayant été reposé à l'identique, sans aucune modification,

- des photographies de la terrasse produites par M. et Mme [X], sur lesquelles sont annotées des dates : 2005 avant achat, puis premiers travaux 2005-2006 d'une part, août 2007 d'autre part, nouvelle terrasse mai 2016,

- les échanges entre le syndic de copropriété et M. [J] de mars 2005 à juillet 2005, pour mettre en cause les travaux de terrassement, de remblayage et de construction dans la zone de non aedificandi prévue au règlement de copropriété de cinq mètres.

Il ressort de la confrontation de ces pièces que courant 2005, M. [J] alors propriétaire, a entrepris des travaux de construction d'une terrasse qui lui a été reprochée par ses voisins M. et Mme [X] ainsi que le syndic de copropriété, pour laquelle il a ensuite déposé et obtenu un permis de construire, aux termes duquel la terrasse était située en limite de propriété, avec un brise-vue de deux mètres. Il est établi que les travaux objet du permis de construire ont fait l'objet d'une déclaration d'achèvement le 5 octobre 2007 et qu'en 2016, cette terrasse bois a été démolie et reconstruite selon la même implantation, pour substituer des poutres métalliques aux poutres en bois.

La photographie annotée (août 2007) confirme que l'implantation de cette terrasse n'a pas changé entre cette date et la situation à la date du procès-verbal d'infraction du 17 juin 2016. Pour autant, la SCI Isassopilo sur qui pèse la charge de la preuve, ne donne pas d'élément d'information plus précis quant à une date d'achèvement des travaux de la terrasse litigieuse, qui serait antérieure selon ses dires.

Dès lors, il doit être considéré que la SCI Isassopilo ne démontre pas que M. et Mme [X] qui ont assigné la SCI Isassopilo en démolition de cette terrasse, le 9 août 2017, sont prescrits à agir sur le fondement de la violation du règlement de copropriété, qui fait référence au cahier des charges instituant une servitude non aedificandi.

Quant à l'action fondée sur l'article 678 du code civil concernant les servitudes, en lien avec le droit de propriété, elle se prescrit par trente ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, en application de l'article 2227 du code civil.

La SCI Isassopilo soutient que la terrasse existait depuis 1976, a été maçonnée en 1982, de sorte qu'aucune vue n'a été créée et qu'elle est fondée à opposer la prescription trentenaire.

Cependant, la SCI Isassopilo sur qui pèse la charge de la preuve, ne démontre pas que l'ancienne terrasse avait exactement la même implantation en limite de propriété, que la terrasse construite en vertu du permis de construire accordé le 21 juin 2006, démolie et reconstruite avec la même implantation en 2016.

M. et Mme [X] ne sont donc pas prescrits à agir sur le fondement de l'article 678 du code civil.

Le jugement appelé sera donc confirmé sur le rejet des deux fins de non-recevoir fondées sur la prescription.

Sur la demande de démolition

Il ressort de l'acte notarié du 31 mars 2010, que le règlement de copropriété du syndicat des copropriétaires du parc résidentiel [Localité 8], initial du 1er juin 1957 a été modifié et énonce s'agissant de l'usage des parties privées : « Chacun des copropriétaires aura, en ce qui concerne le terrain et les constructions élevées par celui-ci, le droit d'en jouir et d'en disposer comme des choses lui appartenant en pleine propriété à la condition de respecter les clauses du Cahier des Charges et de ne pas nuire aux droits des autres copropriétaires (') », ce qui constitue d'ailleurs le régime général applicable en matière de copropriété.

Il est fait référence dans les actes d'acquisition de chacune des parties, au cahier des charges applicable, lequel a de ce fait une nature contractuelle. L'existence d'une servitude non aedificandi de cinq mètres le long des limites séparatives des lots n'est pas discutée, la SCI Isassopilo se prévalant du fait qu'une tolérance est acceptée pour les annexes pouvant être édifiées en limites séparatives.

Le cahier des charges évoque les annexes en ces termes : « Les annexes devront être groupées avec le bâtiment principal. Toutefois pour tenir compte des difficultés d'accès éventuelles aux bâtiments principaux, un seul bâtiment annexe à usage de garage, d'une superficie maximum de 25 mètres carrés et d'une hauteur maximum de 2 m 50 sera autorisé en sus du bâtiment principal. Les conditions d'implantation de ces annexes qui pourront être édifiées contre les limites séparatives seront étudiées en accord avec l'Administration à l'occasion de chaque demande de permis de construire. La surface de ces annexes ne sera pas comprise dans le pourcentage de surface bâtie précité ».

Par ailleurs, l'article 678 du code civil énonce qu'on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.

En l'espèce, M. [J] aux droits duquel vient la SCI Isassopilo a sollicité et obtenu un permis de construire le 21 juin 2006 pour l'édification de la terrasse litigieuse en limite de propriété ne respectant donc pas la zone de non aedificandi stipulée dans le cahier des charges.

Il est observé que si nulle part dans le permis de construire, il n'est mentionné que la terrasse constitue une annexe, la terrasse qui est « groupée » au bâtiment principal, peut recevoir la qualification d'annexe et ainsi être implantée en limite de propriété, étant rappelé qu'en tout état de cause, tout permis de construire est accordé sous réserve des droits des tiers. De même, l'absence de condamnation au titre des règles d'urbanisme ne constitue pas un obstacle à une action fondée sur la violation de règles civiles.

M. et Mme [X] versent aux débats un procès-verbal de constat d'huissier du 29 décembre 2016 faisant état de cette terrasse suspendue avec plancher en bois exotique reposant sur une ossature en acier, de ce que le niveau du plancher de cette terrasse se trouve en surplomb de la clôture grillagée, ainsi que d'une distance mesurée de 25 centimètres, soit 2,50 décimètres, entre le plancher bois de la terrasse et la limite séparative des deux fonds.

Sur le procès-verbal de constat d'infraction du 17 juin 2016, on constate l'absence du brise-vue mentionné sur le permis de construire modificatif et mis en évidence sur la photographie de la terrasse en août 2007.

Il en ressort que cette terrasse en surélévation à une distance inférieure aux 19 décimètres visés par la loi, permet une vue droite sur le fonds voisin de M. et Mme [X], étant précisé que ce qui est interdit par l'article 678 précité, est la vue droite sur le fonds voisin et pas seulement sur la construction voisine.

L'avis donné le 10 novembre 2020, par M. [T], expert privé missionné par M. [J], n'est pas susceptible de modifier cette appréciation, celui-ci évoquant « l'absence de vue possible sur la maison voisine située très en contrebas à une distance de 20m de la clôture et de 30m de la terrasse en cause ».

Ainsi, il est démontré la violation de l'article 678 du code civil. M. et Mme [X] sont donc fondés à obtenir la démolition de la terrasse litigieuse. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

M. et Mme [X] ont formé un appel incident portant sur la revalorisation de l'astreinte, mais il est établi que la terrasse litigieuse a été démolie en exécution du jugement appelé.

Dès lors, le jugement appelé sera également confirmé sur le montant de l'astreinte fixée.

Sur les demandes reconventionnelles

Il s'agit des demandes de la SCI Isassopilo, tendant d'une part au remboursement du coût de la démolition, d'autre part à l'indemnisation du préjudice causé par le caractère abusif de la procédure.

La demande de remboursement du coût de la démolition n'a pas d'objet au regard de la solution donnée au présent litige et aurait relevé en tout état de cause des restitutions en cas d'infirmation d'une décision exécutée.

Quant à la demande de dommages et intérêts, il ressort des développements ci-dessus que la demande de M. et Mme [X] est fondée, ce qui exclut de fait le caractère abusif soutenu par la SCI Isassopilo, laquelle sera donc déboutée de sa demande.

Le jugement appelé sera donc confirmé sur ce point.

Sur les demandes accessoires

En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient de confirmer le jugement appelé sur les dépens et les frais irrépétibles.

La SCI Isassopila qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel et aux frais irrépétibles qu'il est inéquitable de laisser à la charge de M. et Mme [X].

L'exécution provisoire n'a lieu que contre les jugements de première instance, à l'exclusion des arrêts d'appel susceptibles de pourvoi en cassation, voie extraordinaire de recours non suspensive d'exécution, si bien que la demande tendant à l'exécution provisoire de la décision, n'a aucun intérêt.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la SCI Isassopilo aux dépens d'appel ;

Condamne la SCI Isassopilo à verser à M. [E] [X] et Mme [G] [U] épouse [X], la somme de 5 000 euros (cinq mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 20/04255
Date de la décision : 14/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-14;20.04255 ?
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