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14/03/2024 | FRANCE | N°20/03875

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 14 mars 2024, 20/03875


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 14 MARS 2024

ph

N° 2024/ 94









Rôle N° RG 20/03875 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFX4V







S.C.I. CHEMA





C/



[M] [E] épouse [I]

[W] [I]

[Y] [I]

[R] [I]

[T] [I]





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



SAS RAVOT PIERRE- ALAIN



Me Cécile AN

TELMI









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 10 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/00074.





APPELANTE



S.C.I. CHEMA, dont le siège social est [Adresse 27], prise en la personne de son représentant légal en exer...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 14 MARS 2024

ph

N° 2024/ 94

Rôle N° RG 20/03875 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFX4V

S.C.I. CHEMA

C/

[M] [E] épouse [I]

[W] [I]

[Y] [I]

[R] [I]

[T] [I]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SAS RAVOT PIERRE- ALAIN

Me Cécile ANTELMI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 10 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/00074.

APPELANTE

S.C.I. CHEMA, dont le siège social est [Adresse 27], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège

représentée par Me Pierre-Alain RAVOT de la SAS RAVOT PIERRE- ALAIN, avocat au barreau de GRASSE

INTIMES

Madame [M] [E] épouse [I]

demeurant [Adresse 34]

représentée par Me Cécile ANTELMI, avocat au barreau de NICE

Monsieur [W] [I]

demeurant [Adresse 21] - SUISSE

représenté par Me Cécile ANTELMI, avocat au barreau de NICE

Monsieur [Y] [I]

demeurant [Adresse 20]

représenté par Me Cécile ANTELMI, avocat au barreau de NICE

Monsieur [R] [I]

demeurant [Adresse 47]-ANGLETERRE

représenté par Me Cécile ANTELMI, avocat au barreau de NICE

Madame [T] [I]

demeurant [Adresse 34]

représentée par Me Cécile ANTELMI, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 16 Janvier 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Patricia HOARAU, Conseiller , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Marc MAGNON, Président

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2024,

Signé par Monsieur Marc MAGNON, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES

Mme [M] [E] épouse [I], M. [W] [I], M. [Y] [I], M. [R] [I], Mme [T] [I] sont propriétaires des parcelles cadastrées section [Cadastre 38], [Cadastre 22], [Cadastre 23], [Cadastre 26] et [Cadastre 28] sises [Adresse 41], ainsi que du lot n° 1 dans une maison sise au Sud figurant au cadastre section [Cadastre 37], acquis de Mme [V] [P] épouse [C] par acte notarié du 23 août 2004.

Mme [V] [P] épouse [C] était propriétaire de ces parcelles pour en avoir hérité suivant acte de partage de succession reçu le 16 avril 1985, sous la numérotation cadastrale qui était alors [Cadastre 15], [Cadastre 4], [Cadastre 7], [Cadastre 13], [Cadastre 16] et le lot n° 1 dépendant de l'immeuble cadastré [Cadastre 18] pour 9 centiares, tandis que sa s'ur Mme [A] [P] épouse [H] héritait des parcelles [Cadastre 46], [Cadastre 5], [Cadastre 9], [Cadastre 44], [Cadastre 14], [Cadastre 17] et le lot n° 2 de l'immeuble cadastré [Cadastre 11] (sic) de 9 centiares, sises [Adresse 33], aujourd'hui cadastrées section [Cadastre 39], [Cadastre 24], [Cadastre 36], [Cadastre 25], [Cadastre 8] et [Cadastre 19] et lot n° 2 dans une maison élevée d'un étage sur rez-de-chaussée, figurant au cadastre section [Cadastre 37].

Cet acte de partage prévoyait diverses servitudes dont la suivante :

« Madame [H] propriétaire de la parcelle cadastrée [Cadastre 44] (fonds servant) par suite des présentes, concède à titre de servitude réelle et perpétuelle à Mesdames [J] et [N] et [C] et Monsieur [H], propriétaires respectivement des parcelles cadastrées [Cadastre 45], [Cadastre 3], [Cadastre 6], [Cadastre 12] ' numéros [Cadastre 15], [Cadastre 4], [Cadastre 7], [Cadastre 13], [Cadastre 16], [Cadastre 10] ' numéros [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 29], [Cadastre 30], [Cadastre 31], [Cadastre 32] (fonds dominant), leurs ayant cause et ayant droit, ce qu'ils acceptent, le droit d'accès à la chapelle sise sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 44].

Elle s'engage, en outre, à laisser ladite chapelle ouverte à tous, toutefois, tant pour la sauvegarde que pour l'entretien, elle sera fermée à clef et la clef sera déposée entre les mains des occupants de la villa « [Adresse 42] », qui la remettra à première demande ».

Par acte notarié du 15 novembre 2013, la SCI Chema a acquis de M. [U] [H] et Mme [A] [P] épouse [H], la propriété des parcelles cadastrées section [Cadastre 39], [Cadastre 24], [Cadastre 36], [Cadastre 25], [Cadastre 8] et [Cadastre 19], désignée comme une propriété bâtie comprenant une habitation principale, une chapelle, dépendances, une piscine avec son local technique, un garage en bois, ainsi que le lot n° 2 dans une maison élevée d'un étage sur rez-de-chaussée, figurant au cadastre section [Cadastre 37], le tout avec réserve du droit d'usage et d'habitation par les vendeurs. L'usufruit s'est éteint avec le décès de [U] [H] le 12 mars 2015.

Le Diocèse de [Localité 43] a officiellement désacralisé la chapelle le 10 mai 2015.

Se plaignant de ne plus bénéficier pleinement de l'exercice de leur servitude, les consorts [I] ont par exploit d'huissier du 5 décembre 2016, fait assigner la SCI Chema devant le tribunal de grande instance de Grasse.

Par jugement du 10 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Grasse a :

- jugé que la SCI Chema en application de la convention de servitude, doit laisser l'accès à la chapelle et n'est pas habile à y effectuer les modifications qui tendraient à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode,

- débouté la SCI Chema de sa demande reconventionnelle,

- condamné la SCI Chema à verser à Mme [M] [E] épouse [I], M. [W] [I], M. [Y] [I], M. [R] [I], Mme [T] [I], la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens avec distraction de ceux-ci,

- ordonné l'exécution provisoire.

Le tribunal a considéré que les demandeurs sont titulaires d'une servitude conventionnelle concernant l'accès à la chapelle, que la désacralisation de la chapelle n'empêche pas les demandeurs d'accéder à la chapelle et ne les prive pas de ce droit, que la SCI Chema n'est pas propriétaire de la voirie, n'établit pas son intérêt à agir et ne produit aucun élément démontrant la faillite des consorts [I] à leurs obligations.

Par déclaration du 12 mars 2020, la SCI Chema a relevé appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 10 juin 2020, la SCI Chema demande à la cour de :

- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 12 décembre 2019 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Vu l'article 637 du code civil,

- dire que la faculté d'exercice de culte par accès à la chapelle située sur son fonds par l'acte de partage successoral entre les consorts [H], [J], [N] et [C] du 16 avril 1985 ne revêt pas les caractéristiques légales d'une servitude réelle et ne peut s'imposer à elle contre sa volonté,

- débouter les consorts [I] de l'ensemble de leurs prétentions,

En tant que de besoin

Vu ensemble les articles 122 du code de procédure civile, 703 et 704 du code civil,

Vu la désacralisation définitive de la chapelle,

- dire que la servitude réelle notariée d'accès à la chapelle ayant profité jusqu'alors aux fonds dominants des requérants s'est éteinte par disparition de la chapelle, son objet, le 20 mai 2015 sans faute de sa part et sans qu'une remise à l'état antérieur ne soit possible,

- déclarer irrecevables les consorts [I] en leurs demandes et les en débouter,

A titre reconventionnel :

Vu l'article 544 du code civil,

- dire qu'elle a le droit de jouir et disposer du bâtiment litigieux de la manière la plus absolue et lui conférer le sort et la destination qu'elle entend,

Vu l'article 1194 du code civil,

- condamner in solidum Mme [M] [E] épouse [I], M. [W] [I], M. [Y] [I], M. [R] [I], Mme [T] [I], sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé un délai de trois mois suivant la signification de l'arrêt, à faire réaliser à leurs frais les travaux de finition du revêtement de la voirie (anciennement l'allée joignant le [Adresse 40] au rond-point de la Chapelle) visée dans l'obligation de faire énoncée au 3° de la page 21 de l'acte notarié de succession-partage du 16 avril 1985 de 10 centimètres d'épaisseur au moins avec une largeur minimale de 6 mètres,

En toutes hypothèses :

- condamner in solidum Mme [M] [E] épouse [I], M. [W] [I], M. [Y] [I], M. [R] [I], Mme [T] [I], à lui verser une indemnité de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de même qu'à supporter les dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Pierre-Alain Ravot avocat postulant dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

La SCI Chema fait essentiellement valoir :

Sur l'absence de servitude réelle,

- que le juge n'a pas répondu au moyen suivant lequel la faculté accordée d'accès à la chapelle n'apportait rien à l'usage et l'utilité du propre fonds des consorts [I],

- que l'objet principal de la servitude ne peut avoir pour résultat de mettre à la charge du propriétaire une prestation de services et la notion de servitude est incompatible avec l'idée même d'obligation personnelle grevant l'ensemble des éléments actifs du patrimoine d'une personne,

- que dès son origine, la faculté d'accès à la chapelle représentait un droit personnel pour le voisin qui en était bénéficiaire, étant donné qu'il était octroyé aux auteurs des requérants, l'accès au fonds actuellement détenu par elle, pour venir prier au sein de la chapelle implantée sur son fonds,

- que cette faculté n'apporte rien à l'usage et l'utilité du propre fonds des consorts [I] et était une faveur d'ordre rituel accordée à un moment donné par des voisins à d'autres,

- que le fonds dominant ne se trouve pas objectivement valorisé puisque seuls les propriétaires de confession chrétienne trouveraient un intérêt néanmoins désormais tout relatif, à se rendre sur le fonds servant dans ce qui faisait office dans le temps de chapelle et qui est à présent un local vide,

- que lorsque la charge pèse sur le fonds servant pour l'usage ou l'agrément d'une personne ou d'un groupe de personnes déterminées, il ne saurait s'agir d'une servitude : tel est le cas des droits de chasse et de pêche que la jurisprudence condamne traditionnellement, en ce qu'ils présentent généralement un aspect de pur agrément en faveur de personnes déterminées,

- que l'exercice d'un culte est éminemment subjectif et ne se rattache pas à la propriété foncière,

- que dans ces conditions, en dépit de la rédaction de la clause de l'acte notarié recourant à tort au vocable de « fonds dominant », « fonds servant », « concession de servitude réelle à titre perpétuel » impropres à la situation et contra legem, le droit concédé ne peut recevoir pareille qualification légale,

- qu'en application de l'article 12 alinéa 2 du code de procédure civile, il incombe au juge de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée »,

A titre subsidiaire sur la disparition de l'objet de la servitude,

- que le juge ne dit mot sur la disparition de son objet et de ce que la chapelle n'existe plus sans qu'elle en soit à l'origine et sans qu'elle puisse maintenant faire quoi que ce soit qui puisse rétablir un usage désormais impossible par le fait de circonstances qui lui sont étrangères et à l'égard desquelles elle n'a aucune emprise,

- que le bâtiment en soi est sans intérêt historique et sert dorénavant d'entrepôt et ne peut être considéré comme chapelle, caractère qu'il avait à l'époque non de par sa destination initiale, mais purement par la présence d'éléments sacrés (pierre d'autel et éléments rituels et sacrés, biens meubles appartenant à la famille [H] puis retirés en 2015 de l'endroit et récupérés par la famille [H]),

- que la revendication de la famille [I] à accéder à ce bâtiment dépourvu à présent de son caractère sacré, masque en réalité l'utilisation d'une procédure judiciaire à son avantage dans l'espoir de la convaincre de leur vendre certaines parcelles contiguës ce qui transparaît d'un mail du 24 mai 2015,

- que la servitude réelle dont se prévalent les requérants s'est dans ces conditions éteinte puisqu'elle conditionnait son applicabilité à l'existence d'une chapelle,

- que dans l'intention commune des parties concernées à l'époque au moment de l'instauration de la servitude dans l'acte notarié de partage de succession du 16 avril 1985, la préservation de l'accès n'avait comme raison d'être que la faculté d'exercice du culte,

- que l'acte de désacralisation, de même que l'acte de sacralisation, ne peuvent émaner que des autorités ecclésiastiques et ceci, à leur gré, qu'elle n'était pas en mesure d'influencer cet acte, de même qu'il lui est impossible de sacraliser la chapelle de nouveau,

- que la servitude en question évoquait l'accès libre à la chapelle et pas au bâtiment en faisant foi,

- que condamner à laisser libre l'accès au bâtiment qui n'est plus une chapelle revient à accorder des droits réels d'occupation au-delà de ce que la convention des parties avait prévu et ce qui est encore contra legem vis-à-vis du droit de propriété absolu protégé par l'article 544 du code civil,

A titre reconventionnel, sur la condamnation aux travaux visés dans l'acte de partage,

- que l'acte de partage prévoyait que « l'allée joignant le [Adresse 40] au rond-point de la chapelle sur laquelle sont concédés les servitudes ci-dessus dans les paragraphes A, B, C, D devra être portée à sa largeur de 6 mètres environ.

Madame [H] et [C] devront faire construire une voie carrossable dont le revêtement sera en béton armé de dix centimètres d'épaisseur, et ce, à leurs frais exclusifs, à raison de moitié chacune, (') » et que cette voie d'accès n'a été que partiellement revêtue et aménagée,

- que la famille [H], ses prédécesseurs, ont procédé aux travaux qui leur incombaient, mais pas la famille [C] à laquelle ont succédé les consorts [I],

- que les frais de canalisation ont été entièrement supportés par leurs auteurs,

- que bien que non propriétaire de la voie en question, elle est propriétaire riveraine fondée à se prévaloir du dernier alinéa du paragraphe ainsi rédigé : « Pour le cas où l'un des propriétaires ci-dessus viendrait à vendre tout ou partie de sa propriété, les frais de création et d'entretien de ces voies seraient supportés par les différents propriétaires en proportion du nombre de propriétés bénéficiant de cette servitude »,

- que l'aménagement de cette voie est une contrepartie à la concession des servitudes visées dans les paragraphes A, B, C et D de l'acte notarié,

- que dans la mesure où la route en question n'a pas été aménagée comme prévu dans l'acte de partage, la facilité d'accès au terrain s'en trouve entravée, notamment en cas de besoin d'accès avec des engins de grande envergure, ce qui ouvre droit aux créanciers intéressés de réclamer l'exécution de l'engagement notarié de faire.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 03 septembre 2020 les consorts [I] demandent à la cour de :

Vu le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Grasse le 10 décembre 2019,

Vu les éléments exposés, les pièces versées à l'appui,

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- constater qu'ils bénéficient d'une servitude conventionnelle sur Ia chapelle sise sur Ia parcelle cadastrée, section [Cadastre 36], [Adresse 33], établie par un titre constitue par l'acte de partage de succession reçu par Ia SCP Parent-Brienza, notaires associés à [Localité 48], du 16 avril 1985, et régulièrement publié,

- juger que Ia désacralisation de Ia chapelle modifie l'étendue et les modalités d'exercice de Ia servitude litigieuse établie par ledit titre,

- juger que cette modification réalisée du temps de Ia propriété de Ia SCI Chema, sans le consentement des propriétaires du fonds dominant, porte atteinte au principe de fixité des servitudes établies par titre et viole le droit réel dont ils bénéficient,

En conséquence,

- condamner Ia SCI Chema à rétablir le contenu et l'étendue de Ia servitude dont ils bénéficient sur Ia chapelle sise sur Ia parcelle cadastrée section [Cadastre 36], [Adresse 33], et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de Ia signification de I'arrêt à intervenir,

Vu la demande reconventionnelle de Ia SCI Chema,

Vu les éléments exposés,

- juger qu'il convient en tout état de cause de débouter Ia SCI Chema de cette demande reconventionnelle, celle-ci n'étant pas recevable à effectuer une quelconque demande sur Ia parcelle cadastrée sise à [Adresse 33], sous les références suivantes Section [Cadastre 35], dont elle n'est pas propriétaire,

- condamner Ia SCI Chema à leur payer Ia somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de Me Cécile Antelmi, avocat au barreau de Nice, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Les consorts [I] soutiennent en substance :

Sur la servitude,

- que la servitude dont ils bénéficient a été établie par titre, qui prévoit expressément son caractère perpétuel, ce qui n'est pas contestable, en dépit de ce que persiste à soutenir la SCI Chema,

- que le titre constitutif de la servitude fait la loi des parties, de sorte que son étendue et ses modalités d'exercice sont définitivement fixées et ne peuvent être modifiées que d'un commun accord des propriétaires des fonds servant et dominant,

- que la désacralisation de la chapelle a été effectuée sans leur consentement et a manifestement changé l'état des lieux, le contenu et l'étendue de la servitude,

- que la règle posée par l'article 686 du code civil, ne prohibe pas l'institution de servitude in faciendo, c'est-à-dire l'obligation par le propriétaire servant d'accomplir une prestation positive, mais à condition que la prestation de service ne puisse être assurée que par le propriétaire du fonds et soit telle qu'elle pourrait aussi l'être indistinctement par tous les propriétaires successifs,

- que la chapelle a été créée par le grand-père commun des parties, puisqu'ils tiennent leurs droits de leur mère et grand-mère [V] [C] née [P],

- que les éléments indiqués dans le courrier de désacralisation du 20 mai 2015 sont faux, que la désacralisation a été réalisée alors que la SCI Chema était déjà propriétaire,

- que ce n'est pas le diocèse qui a décidé la désacralisation, mais les héritiers de [A] [H] née [P], suite à la prise en pleine propriété de la SCI Chema, afin d'éviter toute contrainte au nouvel acquéreur du bien, le 12 mars 2015,

- que c'est le bâti qui a obtenu la sacralisation,

Sur la demande reconventionnelle de la SCI Chema,

- que la SCI Chema n'est pas propriétaire de la parcelle sur laquelle lesdits travaux devraient être effectués,

- que le chemin d'accès est une propriété partagée entre eux et les époux [O], propriétaires de la parcelle [Cadastre 35],

- que la situation est identique à celle de la première instance.

L'instruction a été clôturée par ordonnance 2 janvier 2024.

L'arrêt sera contradictoire puisque toutes les parties ont constitué avocat.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Aux termes de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il est constaté que le dispositif des conclusions respectives des parties comporte des demandes de « dire » et « juger » qui ne constituent pas toutes des prétentions, mais des moyens, si bien que la cour n'en est pas saisie.

Dans le dispositif de leurs conclusions, les consorts [I] réclament la fixation d'une astreinte, mais il est observé qu'outre qu'ils ne sollicitent pas l'infirmation du jugement appelé sur ce point, ils ne développent aucun moyen à l'appui de cette prétention, si bien que la cour n'en est pas saisie.

Sur l'existence d'une servitude conventionnelle

Aux termes de l'article 686 du code civil, l'usage et l'étendue des servitudes établies par le fait de l'homme, se règlent par le titre qui les constituent et à défaut de titre par les règles énoncées aux articles 690 et suivants du code civil.

L'article 701 du même code prévoit que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage, ou à le rendre plus incommode, qu'il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée.

Il est prétendu que nonobstant les termes de l'acte notarié instituant la servitude d'accès à la chapelle, celle-ci ne serait pas réelle mais personnelle.

L'acte constitutif de la servitude est un acte de partage de la succession [P] entre les quatre s'urs germaines parmi lesquelles figurent Mme [V] [P] épouse [C] précédemment divorcée [I], auteur des consorts [I], Mme [A] [P] épouse [H], auteur de la SCI Chema, prévoyant cinq servitudes intitulées A, B, C, D, E, cette dernière étant ainsi rédigée :

« Madame [H] propriétaire de la parcelle cadastrée [Cadastre 44] (fonds servant) par suite des présentes, concède à titre de servitude réelle et perpétuelle à Mesdames [J] et [N] et [C] et Monsieur [H], propriétaires respectivement des parcelles cadastrées [Cadastre 45], [Cadastre 3], [Cadastre 6], [Cadastre 12] ' numéros [Cadastre 15], [Cadastre 4], [Cadastre 7], [Cadastre 13], [Cadastre 16], [Cadastre 10] ' numéros [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 29], [Cadastre 30], [Cadastre 31], [Cadastre 32] (fonds dominant), leurs ayant cause et ayant droit, ce qu'ils acceptent, le droit d'accès à la chapelle sise sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 44].

Elle s'engage, en outre, à laisser ladite chapelle ouverte à tous, toutefois, tant pour la sauvegarde que pour l'entretien, elle sera fermée à clef et la clef sera déposée entre les mains des occupants de la villa « [Adresse 42] », qui la remettra à première demande ».

Il ressort de la simple lecture de l'acte notarié, que les parcelles litigieuses sont régies par une servitude conventionnelle, soumise aux dispositions de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'acte constitutif, selon lequel les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise, elles doivent être exécutées de bonne foi.

Cette servitude est attachée aux fonds qu'elle désigne et pas à une personne en particulier, ce qui est confirmé par la formule : « leurs ayant cause et ayant droit » et l'acte d'acquisition de la SCI Chema rappelle d'ailleurs expressément toutes les servitudes stipulées dont précisément cette servitude E, de droit d'accès à la chapelle, l'abandon de servitude inscrite à la suite, n'étant le fait que de M. [H], vendeur, à l'exclusion de Mmes [B] [P] épouse [J], [F] [P] épouse [N], [V] [P] épouse [C].

Dès lors, cette servitude conventionnelle présente un caractère réel et se transmet en même temps que les fonds qu'elle concerne, l'utilité pour le fonds dominant, n'étant pas un critère de la servitude conventionnelle.

Sur l'extinction de la servitude conventionnelle

Selon les dispositions de l'article 703 et du code civil, les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en tel état qu'on ne peut plus en user.

L'article 704 énonce qu'elles revivent si les choses sont rétablies de manière qu'on puisse en user, à moins qu'il ne se soit déjà écoulé un espace de temps suffisant pour faire présumer l'extinction de la servitude, ainsi qu'il est dit à l'article707 par non-usage pendant trente ans.

La SCI Chema prétend que la chapelle n'existe plus et que son rétablissement ne dépend pas d'elle.

Il ressort des pièces versées aux débats que cette chapelle a été élevée aux frais de [K] et [S] [P], qu'il s'agit d'un lieu de culte catholique en propriété privée situé au bas du jardin de la villa « Kwetu », qu'elle a été désacralisée le 10 mai 2015, à l'issue d'une messe célébrée en présence de membres de la famille [H], avec enlèvement de la pierre d'autel, des chandeliers, du mobilier et de tout ce qui sert au culte, en lien avec le changement de propriétaire de la villa, étant observé que la villa a été vendue le 15 novembre 2013 avec réserve de droit d'usage et d'habitation de M. [U] [H] et Mme [A] [P] épouse [H], et qu'il n'est pas discuté que l'usufruit a cessé avec le décès de [U] [H] le 12 mars 2015.

Ces considérations ne permettent pas de conclure que la chapelle se trouve en tel état qu'on ne peut plus en user, nonobstant ce qui est soutenu par la SCI Chema, laquelle doit donc maintenir l'accès à la chapelle dans les conditions prévues dans l'acte notarié de constitution de la servitude, sans qu'il en résulte une atteinte à son droit de propriété, qui est expressément grevé de cette servitude.

Le jugement appelé sera donc confirmé en ce qu'il a jugé que la SCI Chema en application de la convention de servitude, doit laisser l'accès à la chapelle et n'est pas habile à y effectuer les modifications qui tendraient à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode.

Sur la demande reconventionnelle de la SCI Chema

La SCI Chema sollicite sur le fondement de l'article 1194 du code civil, la condamnation in solidum des consorts [I] à faire réaliser à leurs frais les travaux de finition du revêtement de la voirie (anciennement l'allée joignant le [Adresse 40] au rond-point de la Chapelle) visée dans l'obligation de faire énoncée au 3° de la page 21 de l'acte notarié de succession-partage du 16 avril 1985 de 10 centimètres d'épaisseur au moins avec une largeur minimale de 6 mètres.

Aux termes de l'article 1194 du code civil, anciennement 1135 du code civil dans sa rédaction applicable aux contrats conclus avant la réforme des contrats entrée en vigueur le 1er octobre 2016, les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature.

L'acte notarié de partage constitutif de la servitude du 16 avril 1985, stipule : « 3° - L'allée joignant le [Adresse 40] au rond-point de la chapelle sur laquelle sont concédées les servitudes ci-dessus dans les paragraphes A, B, C, D devra être portée à sa largeur de 6 mètres environ.

Madame [H] et [C] devront faire construire une voie carrossable dont le revêtement sera en béton armé de dix centimètres d'épaisseur, et ce, à leurs frais exclusifs, à raison de moitié chacune, dans le délai de un an à compter de ce jour.

4° - Les frais de création et d'entretien de ces voies carrossables seront à la charge de Mesdames [C] et [H] ;

5° - Pour le cas où les travaux de création du chemin n'auraient pas été réalisés dans le délai ci-dessus, soit au plus tard, en mars mil neuf cent quatre vingt six, ils pourront être commandés et effectués par la partie la plus diligente, l'autre partie s'engageant d'ores et déjà à inévitablement à régler la moitié du coût desdits travaux.

6° - Pour le cas où l'un des propriétaires ci-dessus viendrait à vendre tout ou partie de sa propriété, les frais de création et d'entretien de ces voies seraient supportés par les différents propriétaires en proportion du nombre de propriétés bénéficiant de cette servitude.

La SCI Chema venant aux droits de feue [A] [P] épouse [H], est donc recevable à agir contre les consorts [I] venant aux droits de feue [V] [P] épouse [C], au titre de la voie carrossable joignant le chemin de Malvan au rond-point de la chapelle, en application de cet acte notarié, même si elle n'est pas propriétaire de cette voie.

Le jugement appelé sera donc infirmé en ce qu'il l'a déclarée irrecevable en sa demande reconventionnelle.

Sur le fond, la SCI Chema qui prétend que la route d'accès n'a pas été aménagée comme prévu dans l'acte de partage et que la facilité d'accès au terrain s'en trouve entravée, notamment en cas de besoin d'accès avec des engins de grande envergure, ne produit aucune pièce de nature à étayer ses allégations, étant observé en outre que l'acte notarié de partage précise expressément en paragraphe 8° que « Les véhicules pesant plus de douze tonnes (charge comprise), ne pourront en aucun cas passer sur la voie carrossable dont s'agit ».

La SCI Chema sera donc déboutée de sa demande reconventionnelle.

Sur les demandes accessoires

En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient de confirmer le jugement appelé sur les dépens et les frais irrépétibles.

La SCI Chema qui succombe dans son appel, sera condamnée aux dépens d'appel distraits au profit du conseil des consorts [I] qui le réclame, ainsi qu'aux frais irrépétibles qu'il est inéquitable de laisser à la charge des consorts [I].

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande reconventionnelle de la SCI Chema ;

Statuant à nouveau sur ce point et y ajoutant,

Déclare recevable la demande reconventionnelle de la SCI Chema ;

Déboute la SCI Chema de sa demande reconventionnelle ;

Condamne la SCI Chema aux dépens d'appel distraits au profit de Me Cécile Antelmi ;

Condamne la SCI Chema à verser à Mme [M] [E] épouse [I], M. [W] [I], M. [Y] [I], M. [R] [I], Mme [T] [I] ensemble, la somme de 4 000 euros (quatre mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 20/03875
Date de la décision : 14/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-14;20.03875 ?
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