COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-6
ARRÊT AU FOND
DU 07 JUILLET 2023
N°2023/ 202
Rôle N° RG 19/15004 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BE5ZO
SAS KONTRON MODULAR COMPUTERS
C/
[P] [C]
Copie exécutoire délivrée
le : 07/07/2023
à :
Me Luc ALEMANY de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Hélène BAU de la SARL HÉLÈNE BAU, avocat au barreau de TOULON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 26 Juillet 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 17/00936.
APPELANTE
SAS KONTRON MODULAR COMPUTERS, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Luc ALEMANY de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué pour plaidoirie par Me Marion SOLER avocat au barreau de MARSEILLE
INTIME
Monsieur [P] [C], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Hélène BAU de la SARL HÉLÈNE BAU, avocat au barreau de TOULON substituée pour plaidoirie par Me Nicolas REYNIER, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Mai 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Philippe SILVAN, Président de chambre chargés du rapport, et Madame Estelle de REVEL, Conseiller.
M. Philippe SILVAN, Président de chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Philippe SILVAN, Président de chambre
Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre
Madame Estelle de REVEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Juillet 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Juillet 2023.
Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Selon contrat à durée indéterminée du 10 septembre 1990, M.[C] a été recruté par la SAS Kontron Modular Computers en qualité d'ingénieur développement logiciel. Il a démissionné le 15 février 1999. Selon contrat à durée indéterminée du 1er juin 2001, il a de nouveau été réembauché par la SAS Kontron Modular Computers en qualité d'ingénieur support carte périphérique, avec reprise d'ancienneté au 1er août 1992. Au dernier état de la relation de travail, il exerçait les fonctions d'expert logiciel responsable de lot.
Le 9 mai 2017, M.[C] a été licencié dans le cadre d'un licenciement pour motif économique collectif.
Le 20 décembre 2017, M.[C] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulon d'une contestation de son licenciement.
Par jugement du 26 juillet 2019, le conseil de prud'hommes de Toulon a':
- condamné la SAS Kontron Modular Computers à payer à M.[C] les sommes suivantes':
- 80'000'euros nets de CSG CRDS et de toutes charges sociales à titre d'indemnité pour non-respect des critères d'ordre de licenciement,
- 2'000'euros au titre des frais irrépétibles de procédure,
- débouté la SAS Kontron Modular Computers de ses demandes,
- condamné la SAS Kontron Modular Computers aux dépens.
Le 26 septembre 2019, la SAS Kontron Modular Computers a fait appel de ce jugement.
A l'issue de ses conclusions du 6 avril 2023, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions, la SAS Kontron Modular Computers demande de':
in limine litis :
- juger sa déclaration d'appel recevable ;
débouter M.[C] de ses demandes ;
- condamner M.[C] à 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens';
au fond :
- réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Toulon le 26 juillet 2019 qui a retenu que :
«condamne la SAS Kontron Modular Computers, prise en la personne de son représentant légal, à payer à titre d'indemnité pour non-respect des critères d'ordre des licenciements subi par monsieur [P] [C], la somme de 80 000 euros nets de CSG, crds et de toutes charges sociales';
condamne la SAS Kontron Modular Computers, prise en la personne de son représentant légal, à verser la somme de 2 000 euros à monsieur [P] [C] au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
déboute la SAS Kontron Modular Computers, prise en la personne de son représentant légal, de toute demande tant principale que reconventionnelle';
condamne la SAS Kontron Modular Computers, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de l'instance.»
statuer à nouveau et de :
- juger que le licenciement pour motif économique de M.[C] repose sur une cause réelle et sérieuse';
- dire que les critères d'ordre des licenciements choisis par la société kontron modular computers sont licites';
- juger que ces critères ont été correctement appliqués';
- constater que M.[C] n'a fait l'objet d'aucune mesure discriminatoire';
- constater que M.[C] n'a subi aucun préjudice';
et par conséquent';
- débouter M.[C] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions';
- condamner M.[C] à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Au terme de ses conclusions du 6 avril 2023, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions, M.[C] demande de':
à titre principal :
- juger l'absence d'effet dévolutif de l'appel, et dire la cour non saisie';
condamner la SAS Kontron Modular Computers à lui payer la somme de 5000 € titre des frais irrépétibles de procédure ainsi qu'aux entiers dépens';
à titre infiniment subsidiaire :
- confirmer le jugement rendu le 26 juillet 2019 par le conseil de prud'hommes de Toulon en ce qu'il a jugé le non-respect par la SAS Kontron Modular Computers des critères d'ordre des licenciements et condamné cette dernière société au paiement de dommages intérêts';
- réformer le jugement quant au quantum des dommages ainsi alloués';
- juger la liste des personnes visées par le plan volontairement incomplète';
- juger que l'application des critères d'ordre de licenciement est discriminatoire';
- juger que le préjudice qu'il subi du fait de cette application discriminatoire est la perte injustifiée de son emploi';
en conséquence';
- condamner la SAS Kontron Modular Computers à lui payer les sommes suivantes :
- dommages intérêts pour préjudice subi du fait de l'application discriminatoire des critères d'ordre de licenciement : 135 000€ nets de CSG et de toutes contributions sociales';
- condamner la SAS Kontron Modular Computers à lui payer la somme de 5000€ au titre des frais irrépétibles de procédure';
- condamner la SAS Kontron Modular Computers aux entiers dépens
La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 avril 2023. Pour un plus ample exposé de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère expressément à la décision déférée et aux dernières conclusions déposées par les parties.
SUR CE':
sur l'effet dévolutif de l'appel':
L'article 562 du code de procédure civile prévoit que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent et que la dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Selon l'article 901 du même code, dans sa version en vigueur lors de l'appel formé par la SAS Kontron Modular Computers, la déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l'article 58, et à peine de nullité :
1° La constitution de l'avocat de l'appelant ;
2° L'indication de la décision attaquée ;
3° L'indication de la cour devant laquelle l'appel est porté ;
4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
La jurisprudence a retenu, en application de ces dispositions, que la déclaration d'appel, dans laquelle devait figurer l'énonciation des chefs critiqués du jugement, était un acte de procédure qui se suffisait à lui seul, qu'en l'absence d'énonciation des chefs du jugement critiqués dans la déclaration d'appel, l'effet dévolutif n'opérait pas mais que, cependant, en cas d'empêchement technique, l'appelant pouvait compléter la déclaration d'appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle devait renvoyer.
En l'espèce, la déclaration d'appel formée par la SAS Kontron Modular Computers le 26 septembre 2019 ne mentionne pas les chefs du jugement critiqué et renvoie expressément à une annexe énumérant ces derniers, sans qu'il soit justifié d'une impossibilité technique d'indiquer ceux-ci dans la déclaration d'appel.
En l'état de la rédaction de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur à l'époque de la déclaration d'appel, et de la jurisprudence précitée, l'effet dévolutif de l'appel n'aurait pu opérer.
Cependant, l'article 901 du code de procédure civile a été modifié par le décret n°2022-245 du 25 février 2022 et dispose désormais que':
La déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 et par le cinquième alinéa de l'article 57, et à peine de nullité :
1° La constitution de l'avocat de l'appelant ;
2° L'indication de la décision attaquée ;
3° L'indication de la cour devant laquelle l'appel est porté ;
4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
L'article 6 du décret du 25 février 2022 prévoient que ces dispositions sont applicables aux instances en cours. Par ailleurs, il ne résulte pas de la nouvelle formulation de l'article 901 du code de procédure civile que la formalité de l'annexe n'est réservée qu'aux hypothèses d'empêchement technique.
Dès lors, l'indication par la SAS Kontron Modular Computers des chefs du jugement critiqué dans une annexe à sa déclaration d'appel est conforme aux nouvelles dispositions de l'article 901 du code de procédure civile.
M.[C] ne peut en conséquence valablement prétendre que l'effet dévolutif de l'appel n'a pu opérer.
Sur les critères d'ordre de licenciement':
L'article L.'1233-5 du code du travail, dans sa version issue de la loi n°2015-990 du 6 août 2015, en vigueur lors du licenciement de M.[C], prévoit que':
Lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.
Ces critères prennent notamment en compte :
1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;
2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ;
3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.
L'employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l'ensemble des autres critères prévus au présent article.
Selon l'article L.'1132-1 du code du travail, dans sa version issue de la loi n°2017-256 du 28 février 2017, applicable lors du licenciement de M.[C], aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.
Il ressort de l'article L.'1132-4 du code du travail que toutes disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance du principe de non-discrimination est nul.
En l'espèce, il ressort du procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise extraordinaire du 1er février 2017 que les critères d'ordre retenus par l'employeur pour identifier les salariés concernés par la suppression de leur poste sont les suivants':
Charge de famille : 15 points':
- Célibataire / marié / pacsé sans personne à charge = 0 point,
- Si 1 personne à charge = 10 points,
- Si 2 personnes à charge = 15 points,
- 5 points par personnes supplémentaires au-delà de 2,
- 5 points supplémentaires pour un parent isolé,
- 5 points supplémentaires par pensions alimentaires versées et par enfant,
Ancienneté société : 15 points':
- plus de 20 ans : 0 points,
- moins de 10 ans : 10 points,
- De 10 à 20 ans 15 points,
Situation du salarié face à la réinsertion : 15 points':
- Moins de 50 ans':0 point,
- Plus de 50 ans': 15 points,
- Handicap déclaré (déclaration 2016)': 10 points,
Performance moyenne relevée (tenue du poste) des 5 années précédentes : 20 points':
- Moyenne des 5 évaluations
- Moyenne des 5 évaluations comprise entre -0.1 et 0.2': 10 points,
- Moyenne des 5 évaluations $gt; 0.2': = 20 points,
- Période d'évaluation
Criticité de la compétence KOM-SA : 20 points':
- Compétence non critique': 0 point,
- Compétence critique mats pas rare': 10 points,
- Compétence critique et rare': 20 points.
La méthode de calcul pour l'attribution des points et la quantification pour le critère «Performance moyenne» est la suivante :
Evaluation tenue du poste valeur prise pour calculer la moyenne
«+» ou «+1» 1
«=+» ou «0.5» ou «3,M.[C]» 0.5
«=» ou «conforme» ou «satisfaisant» 0
«= -» ou «partiellement satisfaisant» ou «-0.5» - 0.5
«-» ou «-1» -1
Pour le critère de criticité les grilles de compétences seront utilisées. Les niveaux de criticité des compétences sont les suivantes :
- Non critique : dont la carence ne présente pas de risque majeur,
- Critique mais pas rare : Risque majeur en cas de carence mais en nombre dans KOMSA,
- Critique et rare : risque majeur en cas de carence et en petit nombre.
En cas de personnes ayant le même nombre de points une fois les critères appliqués, il est défini que les critères suivants vaudront doubles dans l'ordre de présentation :
1. Performance moyenne,
2. Charge de famille.
Il en résulte que l'ancienneté dans l'entreprise est prise en compte de manière dégressive puisque, plus un salarié est ancien dans l'entreprise, moins il bénéficie de points.
Cependant, le critère d'ancienneté dans l'entreprise ne constitue pas, au sens de l'article L.'1132-1 du code du travail, un critère permettant de laisser supposer l'existence d'une discrimination. Par ailleurs, l'ancienneté dans l'entreprise ne peut se confondre nécessairement avec l'âge, un salarié pouvant bénéficier d'une ancienneté moindre et être plus âgé. Par ailleurs, l'âge en tant que tel est pris en compte spécifiquement au titre de la situation du salarié face à la réinsertion, de manière plus favorable au profit des salariés plus âgés puisque les salariés de plus de cinquante ans se voient attribuer 15 points alors que les salariés en deçà de cet âge ne bénéficient d'aucun point. Enfin, la situation de handicap du salarié, sur la base de l'état de handicap déclaré en 2016, est spécialement prise en compte par l'attribution de 10 points supplémentaires.
Dès lors, la définition et la mise en 'uvre des critères d'ordre par l'employeur ne permet pas de laisser supposer l'existence de critères d'ordre discriminatoires.
Il est de jurisprudence constante que l'inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements n'a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse mais qu'elle constitue pour le salarié une illégalité entraînant un préjudice pouvant aller jusqu'à la perte injustifiée de son emploi et devant être intégralement réparé selon son étendue.
En l'espèce, le plan de licenciement collectif mis en 'uvre au sein de la SAS Kontron Modular Computers prévoyait la suppression de douze emplois, dont un poste d'ingénieur développement Software, défini comme correspondant aux cadres ou ingénieurs sans responsabilités d'encadrement ayant des fonctions de développement, principalement en software.
Il est de principe que les critères retenus s'apprécient toujours'à l'intérieur de chaque catégorie professionnelle ou catégorie d'emploi et que la notion de catégories professionnelles, qui sert de base à l'établissement de l'ordre des licenciements, concerne l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise,'des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.
Il est constant que M.[V] n'a pas été pris en compte par la SAS Kontron Modular Computers dans le groupe de salariés permettant de déterminer le salarié dont le poste d'ingénieur développement Software a été supprimé. Cependant, il résulte de l'attestation de ce salarié, produite aux débats par la SAS Kontron Modular Computers, et de ses bulletins de paie qu'il exerçait les fonctions d'ingénieur tests industrialisation ou de responsable lot industriel, soit des fonctions d'une nature différente de celles de M.[C]. Dès lors, la SAS Kontron Modular Computers n'était pas tenue de l'inclure dans le groupe de salariés de comparaison.
Il est exact que, de manière inhabituelle, l'ancienneté des salariés par les critères d'ordre est prise en compte de manière dégressive. Cependant, M.[C] ne démontre pas de manière suffisante que ce mode de calcul était destiné à évincer certaines catégories de salariés ou à le désigner spécialement.
Par application des critères d'ordre, M.[C] a recueilli 35,6 points, arrondis par l'employeur à 36 points, soit le plus faible nombre de points d'un groupe de douze salariés. Ces points se décomposent comme suit':
- Charge de famille : 5 points en raison d'une pension versée à un enfant,
- Ancienneté société : 0 point en raison d'une ancienneté de plus de 20 ans,
- Situation du salarié face à la réinsertion : 20,6 points, soit 15 points à raison d'un âge supérieur à 50 ans et 5,6 points en raison d'une situation de travailleur handicapé jusqu'au 24 juillet 2016,
- Performance moyenne relevée (tenue du poste) des 5 années précédentes : 10 points en raison d'une moyenne de -0,1,
- Criticité de la compétence KOM-SA : 0 point en raison d'une compétence non critique.
Il est de principe que, si le juge ne peut, pour la mise en oeuvre de l'ordre des licenciements, substituer son appréciation des qualités professionnelles du salarié à celle de l'employeur, il lui appartient, en cas de contestation, de vérifier que l'appréciation portée sur les aptitudes professionnelles du salarié ne procède pas d'une erreur manifeste ou d'un détournement de pouvoir et qu'il incombe à l'employeur de communiquer au juge, en cas de contestation, les éléments objectifs sur lesquels il s'est appuyé pour arrêter son choix.
En l'espèce, la SAS Kontron Modular Computers produit aux débats les évaluations de M.[C] pour les années 2012 à 2016 sur la base desquelles elle a évalué la performance de M.[C] à -0,1, soit 10 points, et a estimé que la suppression du poste de M.[C] pouvait être qualifiée comme portant atteinte à une compétence non-critique, soit 0 point. Il n'en résulte pas de la part de l'employeur une erreur manifeste ou un détournement de procédure dans l'appréciation de la performance de M.[C] et de la criticité du poste qu'il occupait.
Concernant la situation de travailleur handicapé de M.[C], il ressort des pièces produites aux débats par les parties que M.[C] a bénéficié d'une reconnaissance de travailleur handicapé à compter du 25 mai 1993 par décision de la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (la Cotorep) du 4 février 1994, du 19 juillet 1994 au 19 juillet 2009 par décision de la Cotorep du 23 septembre 2004, du 25 juillet 2011 au 24 juillet 2016 par décision de la maison départementale des personnes handicapées du 24 novembre 2011 et, enfin, du 11 mai 2017 au 10 mai 2022 par décision de la maison départementale des personnes handicapées du 11 mai 2017.
Il résulte en outre des courriels échangés entre M.[C] et la direction des ressources humaines de la SAS Kontron Modular Computers en octobre et novembre 2016 que l'employeur a demandé à M.[C] s'il avait renouvelé son statut de travailleur handicapé et que M.[C], qui avait estimé en premier lieu qu'il n'avait aucun intérêt à ce statut, s'est ensuite engagé à renouveler son dossier avant la fin de l'année 2016.
Le'27 février 2017, la SAS Kontron Modular Computers a adressé à l'AGEFIPH sa déclaration annuelle obligatoire d'emploi des travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés pour l'année 2016 et a déclaré l'emploi de M.[C] en qualité de travailleur handicapé, à raison de 0,56, pour tenir compte de sa qualité de travailleur handicapé jusqu'au 24 juillet 2016.
Il ne ressort pas des critères d'ordre établis par l'employeur que les points attribués au titre de la qualité de travailleur handicapé pouvaient faire l'objet d'une pondération en fonction de la date d'expiration du statut de travailleur handicapé. En effet, ils ne retiennent que la seule qualité de travailleur handicapé sur la déclaration 2016. Dès lors, M.[C] aurait dû bénéficier de 10 points à ce titre, soit un total général de 40 points, le plaçant ainsi à égalité avec M.[F].
Il ressort des critères d'ordre établis par la SAS Kontron Modular Computers que, en cas de personnes ayant le même nombre de points une fois les critères appliqués, il est défini que les critères suivants vaudront doubles dans l'ordre de présentation :
1. Performance moyenne,
2. Charge de famille.
M.[C] et M.[F] ont tous deux bénéficié de 10 points au titre de la performance. Ce premier critère est donc dépourvu de pertinence pour les départager. En revanche, M.[C] s'est vu attribuer 5 points au titre des charges de famille alors que M.[F] ne s'est vu attribuer de point à ce titre. Dès lors, l'application de ce mode de départage en cas d'égalité de points aurait dû conduire à désigner M.[F] comme devant être licencié.
La violation des critères d'ordre par la SAS Kontron Modular Computers a entraîné un préjudice au détriment de M.[C] dont ce dernier est fondé à réclamer réparation. Compte tenu de l'ancienneté de M.[C] dans l'entreprise, de sa rémunération moyenne, soit 4777,60 euros bruts au cours des douze derniers mois, et de ses difficultés à trouver un nouvel emploi, le préjudice subi par ce dernier sera indemnisé en lui allouant la somme de 85'000'euros à titre de dommages- intérêts.
sur le surplus des demandes':
Enfin la SAS Kontron Modular Computers, partie perdante qui sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles, devra payer à M.[C] la somme de 2'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS';
LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement';
DECLARE la SAS Kontron Modular Computers recevable en son appel';
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Toulon du 26 juillet 2019 en ce qu'il a condamné la SAS Kontron Modular Computers à payer à M.[C] la somme de 80'000'euros nets de CSG CRDS et de toutes charges sociales à titre d'indemnité pour non-respect des critères d'ordre de licenciement,
LE CONFIRME pour le surplus';
STATUANT à nouveau sur les chefs d'infirmation et y ajoutant';
CONDAMNE la SAS Kontron Modular Computers à payer à M.[C] les sommes suivantes':
- 85'000'euros nets de CSG CRDS et de toutes charges sociales à titre d'indemnité pour non-respect des critères d'ordre de licenciement,
- 2'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes';
CONDAMNE la SAS Kontron Modular Computers aux dépens.
Le Greffier Le Président