COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-4
ARRÊT AU FOND
DU 29 JUIN 2023
N° 2023/
FB/FP-D
Rôle N° RG 19/19810 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFLKM
[B] [E]
C/
SA CONSERVES FRANCE
SAS FM FRANCE
Copie exécutoire délivrée
le :
29 JUIN 2023
à :
Me Luc ALEMANY, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Raphaëlle MAHE DES PORTES, avocat au barreau d'AIX-EN-
PROVENCE
Me Philippe RAFFAELLI, avocat au barreau d'AIX-EN-
PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARLES en date du 09 Décembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 18/00036.
APPELANTE
Madame [B] [E], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Luc ALEMANY, avocat au barreau de MARSEILLE,
et par Me Laila SAGUIA, avocat au barreau de NIMES
INTIMEES
SA CONSERVES FRANCE, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Raphaëlle MAHE DES PORTES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Sophie ROBERT, avocat au barreau de MARSEILLE,
et par Me Christophe LUCAS, avocat au barreau d'ANGERS
SAS FM FRANCE, demeurant [Adresse 9]
représentée par Me Philippe RAFFAELLI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
et par Me Jérémy CREPIN, avocat au barreau de NIMES
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre
Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller
Madame Catherine MAILHES, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Juin 2023 prorogé au 29 juin 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2023
Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
La SA Conserves France (la société A), filiale du groupe Conserve Italia, a pour activité la transformation de fruits et légumes. Elle fait partie du groupe Conserve Italia.
Sa structure était notamment composée d'un site de production, conditionnement, stockage, expédition chargé majoritairement des produits Légumes/Tomates au Domaine du Grand Frigolet à [Localité 7] et d'une plate-forme de logistique au [Localité 6] à [Localité 7], majoritairement dédiée aux produits Fruits.
Mme [E] (la salariée) a été engagée le 11 septembre 2000 par la société A, par contrat à durée déterminée de remplacement sans terme précis en qualité de femme de ménage, la relation de travail s'étant poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée confirmé par lettre du 25 septembre 2003.
Par avenant à effet du 1er mai 2011, rappelant en préambule le cadre d'une réorganisation entraînant le transfert des activités conditionnement et logistique du site de [Localité 5] à celui de [Localité 7] et l'acceptation de la salariée du poste de reclassement d'opérateur sur le site du Domaine du Grand Frigolet à [Localité 7] avec possibilité d'être affectée occasionnellement ou de façon permanente sur tout entrepôt dans un rayon de 15 kilomètres, ses fonctions ont été modifiées comme suit : poste d'opérateur, statut ouvrier/employé, coefficient 140, moyennant une rémunération brute mensuelle de 1387,78 euros pour 151,67 heures.
Conformément à la faculté contractuellement prévue, elle exerçait sur le site de la plate-forme logistique du [Localité 6] à [Localité 7].
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des industries de produits alimentaires élaborés.
La société employait habituellement au moins 11 salariés au moment du licenciement.
La société A a cédé la branche d'activité Fruits le 30 septembre 2015 à la holding d'investissement Florac qui a créé la SAS Saint Mamet et elle s'est recentrée sur la branche d'activité produits à base de légumes et de tomates.
Parallèlement le 1er octobre 2015 la société A a conclu avec la société Saint Mamet un contrat de prestation de services d'un an pour l'activité conditionnement et pour l'activité logistique des produits finis Fruits, cette dernière s'exerçant sur le site du [Localité 6].
Le 1er janvier 2017 la SAS Saint Mamet a changé de prestataire pour l'activité logistique au profit de la FM France (société B) dont le site est à [Localité 3] dans le [Localité 8], l'activité de conditionnement étant pour sa part poursuivie par la SA Conserves France.
Par courrier du 19 décembre 2016 la société A a ainsi informé la salariée de la cessation du contrat de prestation de services conclu avec la société Saint Mamet pour l'activité logistique Fruit le 31 décembre 2016 et de la reprise de cette activité par la société B entraînant le transfert de droit de son contrat de travail en application de l'article L.1224-1 du code du travail, et ce, après consultation des instances représentatives du personnel sur le projet de cessation de la prestation de service de l'activité logistique.
La salariée a signé un protocole d'accord de novation de son contrat de travail avec la société B.
Elle n'a pas rejoint son poste de travail.
Le 6 janvier 2017 la société B a convoqué la salariée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 19 janvier 2017.
Par lettre du 24 janvier 2017 la société B lui a notifié son licenciement pour cause réelle et sérieuse en ces termes :
'Suite au transfert de l'activité logistique du client Saint Mamet, préalablement exercée par
Conserves France sur le site de [Localité 6], sur le site FM Logistic d'[Localité 3], vous avez rejoint l'Entreprise FM Logistic en date du 1er janvier 2017. Votre nouveau lieu de travail est situé à [Adresse 4].
Vous nous avez immédiatement informés ne pas souhaiter venir travailler sur le site FM Logistic d'[Localité 3], trop éloigné géographiquement de votre domicile. C'est la raison pour laquelle vous n'avez pas pris votre poste sur le site FM d'[Localité 3].
Lors de notre entretien, vous nous avez confirmé cette volonté de ne pas venir travailler sur le site d'[Localité 3].
Par conséquent, nous sommes dans l'impossibilité de maintenir votre contrat de travail.
C'est pourquoi nous vous notifions par la présente, votre licenciement pour cause réelle et
sérieuse'.
La salariée a saisi le 31 janvier 2018 le conseil de Prud'hommes d'Arles d'une demande en licenciement abusif au titre d'une collusion abusive entre les sociétés, de dommages et intérêts subséquents, à titre subsidiaire d'une demande en licenciement sans cause réelle et sérieuse au titre de l'absence de transfert du contrat de travail, de dommages et intérêts subséquents, outre une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 9 décembre 2019 le conseil de prud'hommes d'Arles a :
- dit que Madame [B] [E] ne démontre pas l'existence d'une collusion frauduleuse.
- dit que la SA Conserves France a tout mis en 'uvre afin d'accompagner au mieux le transfert d'activité et des contrats de travail des salariés concernés vers la SAS FM France.
- dit qu'aucun élément ne démontre l'existence d'une collusion frauduleuse entre la société Conserves France et la SAS FM France
- constaté l'absence de collusion frauduleuse entre la SA Conserves France et la SAS FM France et dit que le transfert du contrat de travail de Madame [B] [E] est licite en application des dispositions de l'article L1224-1 du Code du travail.
- débouté Madame [B] [E] de sa demande en paiement de la somme de 42.288 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
- constaté l'absence injustifiée de Madame [B] [E] du 1er janvier au 24 janvier 2017.
- dit que le licenciement pour cause réelle et sérieuse de Madame [B] [E] est licite.
- débouté Madame [B] [E] de sa demande en paiement de la somme de 42.288€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- débouté chaque partie de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- mis la totalité des dépens à la charge de la partie demanderesse.
- débouté chaque partie du surplus de ses demandes.
La salariée a interjeté appel du jugement par acte du 27 décembre 2019 énonçant :
'Objet/Portée de l'appel: Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués: Réformer le jugement attaqué en ce qu'il a :
Jugé que le transfert du contrat de travail de Madame [B] [E] était licite en application des dispositions de l'article L 1224-1du code du travail,
Constaté l'absence injustifiée de Madame [B] [E] du 1er au 24 janvier 2017,
Jugé le licenciement intervenu était justifié par une cause réelle et sérieuse,
Jugé que la SA Conserves France avait tout mis en 'uvre afin d'accompagner au mieux le transfert d'activité et des contrats de travail des salariés concernés vers la SAS FM France,
Jugé que Madame [B] [E] ne démontrait pas l'existence d'une collusion frauduleuse entre la SA Conserves France et la SAS FM France,
Jugé qu'aucun élément ne démontrait l'existence d'une collusion frauduleuse entre les sociétés Conserves France et FM France,
Jugé l'absence de collusion frauduleuse,
Débouté Madame [B] [E] de sa demande principale de condamnation in solidum des sociétés FM France et Conserves France au règlement de la somme de 42 900 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif.
Débouté Madame [B] [E] de sa demande subsidiaire de condamnation de la société FM France au règlement de la somme de 42 900 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
Mis la totalité des dépens à la charge de Madame [B] [E]'
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 3 mars 2023 Mme [E] demande de:
REFORMER le jugement du 9 décembre 2019 rendu le Conseil de prud'hommes d'Arles, en ce qu'il a :
- jugé que le transfert du contrat de travail de Madame [E] était licite en application des dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail,
- constaté l'absence injustifiée de Madame [E] du 1er au 24 janvier 2017,
- jugé le licenciement intervenu était justifié par une cause réelle et sérieuse,
- jugé que la SA Conserves France avait tout mis en 'uvre afin d'accompagner au
mieux le transfert d'activité et des contrats de travail des salariés concernés vers la
SAS FM France,
- jugé que Madame [E] ne démontrait pas l'existence d'une collusion frauduleuse entre la SA Conserves France et la SAS FM France,
- jugé qu'aucun élément ne démontrait l'existence d'une collusion frauduleuse entre les sociétés Conserves France et FM France,
- jugé l'absence de collusion frauduleuse,
- débouté Madame [E] de sa demande principale de condamnation in solidum des sociétés FM France et Conserves France au règlement de la somme de 42 288 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif.
- débouté Madame [E] de sa demande subsidiaire de condamnation de la société FM France au règlement de la somme de 42 288 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
- mis la totalité des dépens à la charge de Madame [E]
Statuant à nouveau,
A titre principal ,
Constatant la collusion frauduleuse des deux sociétés défenderesses,
En conséquence,
PRONONCER leur condamnation in solidum au règlement de la somme de 42 288 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif.
LES CONDAMNER in solidum au règlement de la somme de 3 000 € au titre de l'article 700
du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
A titre subsidiaire,
Constatant l'absence de transfert du contrat de travail,
En conséquence,
JUGER que le licenciement mis en 'uvre par la société FM France est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En tout état de cause:
CONDAMNER la société FM France au règlement de la somme de 42 288 € à titre de dommages-intérêts.
LA CONDAMNER au règlement de la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de
procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 22 février 2023 la SA Conserves France demande de :
CONFIRMER le jugement entrepris du Conseil de prud'hommes d'Arles du 9 décembre 2019 en ce qu'il a :
- dit que Madame [B] [E] ne démontre pas l'existence d'une collusion frauduleuse,
- dit que la société Conserves France a tout mis en 'uvre afin d'accompagner au mieux le transfert d'activité et des contrats de travail des salariés concernés vers la SAS FM France,
- constaté l'absence de collusion frauduleuse entre la SA Conserves France et la SAS FM France et dit que le transfert du contrat de travail de Madame [B] [E] est licite en application des dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail,
- débouté Madame [B] [E] de sa demande en paiement de la somme de 42 288 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
DEBOUTER Madame [B] [E] de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la société Conserves France,
CONDAMNER Madame [B] [E] à verser à la société Conserves France la somme de
3 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile;
CONDAMNER Madame [B] [E] aux dépens de l'instance distraits conformément à l'article 699 CPC.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 18 mai 2020 la SAS FM France demande de :
CONFIRMER en totalité le jugement du conseil de prud'hommes d'Arles du 9 décembre 2019 et ainsi:
A titre principal:
DIRE ET JUGER que le transfert conventionnel du contrat de travail de Madame [E] auprès de la société FM France est parfaitement régulier,
CONSTATER l'absence totale de collusion frauduleuse entre la société Conserves France et la société FM France
Et ainsi, DIRE ET JUGER que le licenciement de Madame [E] par la société FM France est parfaitement licite et qu'il est fondé sur une cause réelle et sérieuse.
En conséquence,
DEBOUTER Madame [E] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Subsidiairement
DIRE ET JUGER que les dommages et intérêts demandés par Madame [E] au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse sont totalement disproportionnés et que celle-ci ne démontre aucun préjudice.
A titre subsidiaire:
CONSTATER l'absence de transfert du contrat de travail de Madame [E] auprès de la société FM France
Et ainsi, DIRE ET JUGER que la société FM France n'étant pas partie au contrat de travail de Madame [E], celle-ci doit être mise hors de cause.
En conséquence,
DEBOUTER Madame [E] de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société FM France
En tout état de cause:
CONDAMNER Madame [E] à la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens;
Vu l'article 455 du code de procédure civile,
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mars 2023.
SUR CE
Sur le licenciement
Aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
En application de l'article L.1235-1 du code du travail, il revient à la cour d'apprécier, au vu des éléments apportés aux débats par l'une et l'autre parties, le caractère réel et sérieux de la cause du licenciement et ce telle qu'elle résulte des motifs énoncés dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige.
Les motifs de faute doivent contenir des griefs précis, objectifs et matériellement vérifiables.
Le fait pour le salarié de ne pas se présenter sur son lieu de travail constitue un abandon de poste caractérisant une faute.
L'abandon de poste constitue un manquement délibéré du salarié à une obligation essentielle résultant du contrat de travail. Il suppose que l'employeur ait préalablement par deux fois vainement mis en demeure le salarié de reprendre le travail dans les plus brefs délais ou de justifier de son absence.
Toutefois l'abandon de poste du salarié qui trouve son origine dans un manquement de l'employeur à ses obligations, ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En l'espèce il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus, que la société B énonce comme motif le refus de la salariée de rejoindre son nouveau poste de travail à [Localité 3] et d'y poursuivre l'exécution du contrat de travail qu'elle avait repris, consécutivement au transfert de l'activité logistique du client Saint Mamet, précédemment exercée par la société A.
La matérialité de l'absence de la salariée à son poste de travail sur le site de la société B n'est pas discutée.
Toutefois la salariée soutient qu'elle était fondée à ne pas rejoindre son poste sur le site de la société à [Localité 3] dès lors que son contrat de travail n'a pas été valablement transféré à cette société, sans qu'il ne puisse lui être opposé son acceptation du transfert par la signature du protocole d'accord de novation du contrat de travail.
La société A conclut à la validité du transfert légal, à titre subsidiaire à celle de l'application volontaire de l'article L.1224-1 du code du travail, exempte de toute collusion frauduleuse entre les employeurs successifs, de sorte que d'une part la salariée ne pouvait s'abstenir de poursuivre l'exécution de son contrat de travail pour le compte de la société B, d'autre part que sa responsabilité ne peut être engagée relativement au licenciement prononcé par le nouvel employeur.
La société B soutient à titre principal que l'abandon de poste de la salariée est fautif dès lors qu'elle avait expressément accepté un transfert conventionnel de son contrat de travail dans le cadre d'une application volontaire de l'article L.1224-1 du code du travail, dénuée de toute collusion frauduleuse entre les sociétés, à titre subsidiaire qu'en cas de remise en cause du transfert du contrat de travail, faute de relation contractuelle, il ne peut lui être imputé de rupture abusive du contrat de travail.
A l'analyse des écritures de la salariée, il s'avère qu'elle conteste la validité de la novation en ce qu'elle repose sur une fraude des sociétés A et B, qui se sont délibérément et faussement référé au mécanisme de transfert de plein droit du contrat de travail de l'article L.1224-1 du code du travail, dont les conditions d'application n'étaient pourtant pas réunies, ce dont il a découlé son accord, qui ne constituait pour elle qu'une mise en application du transfert imposé, pour en régler les conditions salariales et sociales.
Ce faisant la cour dit que la demande repose en réalité sur un vice du consentement, à savoir un dol consistant en une collusion frauduleuse entre les deux sociétés.
1° sur la validité de la novation
L'article 1271 du code civil énonce que la novation s'opère notamment :
'2° Lorsqu'un nouveau débiteur est substitué à l'ancien qui est déchargé par le créancier;
3° Lorsque, par l'effet d'un nouvel engagement, un nouveau créancier est substitué à l'ancien, envers lequel le débiteur se trouve déchargé.'
Lorsque les conditions de l'article L.1224-1 du code du travail ne sont pas remplies, un changement d'employeur constitue une novation du contrat de travail sous la réserve d'une acceptation expresse du salarié. L'intention de nover ne se présume pas. Elle doit être certaine et résulter clairement des faits et actes intervenus entre les parties.
La novation du contrat de travail, qui crée une nouvel engagement, ne donne pas naissance à un nouveau contrat de travail.
Il s'ensuit que la novation du contrat de travail par substitution d'employeur est exclusive du mécanisme de transfert légal du contrat de travail par application de l'article L.1224-1 du code du travail.
L'article L.1224-1 du code du travail dispose:
'Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.'
L'article L.1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, s'applique dès lors qu'il y transfert d'une activité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise.
Ces dispositions ne sont pas applicables à la perte d'un marché.
Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif propre. Le transfert d'une telle entité ne s'opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant.
Ainsi lorsque les conditions de l'article L.1224-1 sont réunies, le transfert du contrat de travail se réalise par le seul effet de la loi et s'impose aux parties.
En revanche en cas d'application volontaire de l'article L.1224-1 du code du travail lorsque les conditions d'application de ce texte ne sont pas réunies, l'accord du salarié est nécessaire.
Selon l'article 1130 du code civil 'l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné'.
L'article 1137 du code civil dans sa rédaction applicable dispose :
'Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvre ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie'.
Il convient donc d'examiner d'abord régime applicable au transfert du contrat de travail de la salariée de la société A à la société B.
Pour contester l'application de l'article L.1224-1 du code du travail, la salariée soutient que l'opération n'a pas porté sur le transfert d'une entité économique autonome dès lors que :
- le matériel d'exploitation du site logistique de [Localité 6] n'a pas été transféré à la société B qui a au contraire repris l'activité logistique des produits Fruits avec des moyens propres et différents;
- l'ensemble des contrats de travail des salariés affectés à l'activité logistique de [Localité 6] n'a pas été transféré à la société B, plusieurs ayant été reclassés sur le site du Grand Frigolet et ce, au surplus alors que l'ensemble des salariés n'étaient pas spécifiquement attachés à la logistique des fruits, la plate-forme assurant indifféremment la logistique des fruits et des légumes;
- la société A a négocié des indemnités supra-légales pour faciliter le transfert qui n'auraient pas eu lieu d'être en cas de transfert de plein droit ;
La salariée produit les éléments suivants :
- le 'document d'information et de consultation relatif à la cessation de la prestation de service sur l'activité logistique 'Fruits' et à ses incidences sociales' présenté au comité central d'entreprise le 23 mai 2016 (Pièce 5) , lequel énonce notamment au titre des conséquences sociales que :
'En application de l'article L. 1224-1 du Code du travail, l'ensemble des contrats de travail en vigueur, majoritairement affectés à l'activité de logistique Saint Mamet, sera automatiquement transféré au sein de la société (société B) le 1er Janvier 2017.
Le transfert des dits salariés par l'application de l'article L. 1224-1 s'accompagnerait de celui des éléments du statut individuel résultant des contrats de travail (ancienneté, rémunération contractuelle, ....).
II est rappelé que le transfert des contrats de travail s'appliquerait de plein droit, les dispositions légales prévues à cet effet étant d'ordre public absolu, ce qui signifie que ces dernières s'imposeraient à tous, et en particulier, à la société (société A), au repreneur, ainsi
qu'aux salariés concernés.
Ainsi, dès la réalisation définitive des opérations, les contrats de travail des salariés de la société (société A), attachés à l'activité de logistique Saint Mamet, seraient transférés et repris par la société (société B)
La loi ne requiert aucune procédure particulière pour formaliser ce transfert';
- la lettre de la salariée du 7 septembre 2016 indiquant que 'Suite à la réunion courant mai 2016 où vous nous avez annoncé un transfert d'activité du site du [Localité 6] pour la fin décembre' elle se positionne pour être réaffectée sur un des postes du site du Grand Frigolet (pièce 7);
- le procès- verbal de réunion du comité central d'entreprise du 23 mai 2016 (pièce19) au cours de laquelle sont annoncés les éléments suivants :
* le projet prévoit le transfert automatique des contrats de travail, en cas de refus des salariés une gestion de la procédure de licenciement par la société B, le salarié recevant alors l'indemnité de licenciement légale ainsi que le paiement du préavis compte tenu du changement de département;
* le matériel permettant d'assurer la continuité de l'activité logistique Fruits a été listé et 'si (la société B estime avoir besoin de ce dit matériel, celui-ci lui sera transféré sans coût';
- le procès- verbal de réunion du comité central d'entreprise du 8 juin 2016 (pièce 20) dont il résulte notamment :
* le rappel du transfert d'activité (article L.1224-1) prévoyant un transfert automatique des contrats de travail et en cas de refus du salarié la gestion des procédures de licenciement par la société B, précision faite qu'il n'y aura pas de convention de transfert car les sociétés appliquent l'article L.1224-1 du code du travail ;
* le maniement des chariots-élévateurs de la société B ne nécessite pas de Caces mais des autorisations de conduite, avec formation et test, délivrées par la société B;
* six postes sont ouverts dans le cadre du rapatriement de l'activité Légumes: un adjoint administratif, un responsable d'équipe et quatre opérateurs cariste, les salariés intéressés devant candidater au plus tard le 15 septembre 2016;
* la consultation des salariés révèle que sur seize salariés, trois préfèrent refuser le transfert et être licenciés au 1er janvier 2017, douze souhaitent un rapatriement sur l'autre unité de [Localité 7], dont huit refusent catégoriquement le transfert à la société B, seul le responsable du dépôt ne s'étant pas encore prononcé;
* des négociations sur d'une part les conditions salariales pour les salariés transférés dans la société B (durée du maintien de salaire actuel, financement du déménagement), d'autre part sur le montant d'une indemnité complémentaire d'indemnité de licenciement en cas de refus du transfert;
- le procès- verbal de réunion du comité central d'entreprise du 23 juin 2016 portant rappel d'un transfert d'activité se traduisant par le transfert automatique des contrats de travail par application de l'article L1224-1 du code du travail, précisant la création de six poste + un septième poste pour le rapatriement de la fraction d'activité de la branche Légumes sur le site du Grand Frigolet et présentant les dernières propositions salariales de la société B au titre des mesures d'accompagnement des salariés transférés ainsi que les dernières propositions financières de la société A pour les salariés refusant le transfert;
- un projet de procès-verbal de la réunion du comité central d'entreprise du 19 octobre 2016 faisant apparaître que sept postes sont finalement ouverts sur le site du Grand Frigolet pour douze candidatures et qu'il 'reste à finaliser la commande pour la reprise du matériel... La partie nécessaire à [Localité 7] devrait être prête d'ici fin novembre' (pièce 6);
- la lettre de la société A à la salariée du 19 décembre 2016 dont l'objet est : 'Transfert automatique de votre contrat de travail de la société (A) à la société ( B)' par lequel, après avoir rappelé la cession du contrat de prestation de services et la reprise de l'activité par la société B ainsi que les consultations des instances représentatives et les réunions avec les salariés, elle indique 'Dans ce contexte, et en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du Code du travail, nous vous confirmons que votre contrat de travail sera transféré automatiquement de la société (A) à la société (B), à effet du 1er janvier 2017";
- le protocole d'accord de novation du contrat de travail signé entre la salariée et la société B mentionnant au titre de l'objet de la novation du contrat que :
'Dans le cadre de l'accueil et de la bonne intégration des collaborateurs (société A), sur le site de [Localité 7] sur le site (société B) d'[Localité 3], ce protocole a pour objet d'adapter les
conditions sociales de Madame (la salariée ) entre ses conditions antérieures et les conventions et accords (société B)'
et en son article I Novation du contrat de travail :
' A compter du 1er janvier 2017, le contrat de travail de Madame (la salariée) est transféré de la société (société A) à la société (société B)';
- le courrier adressé par quatre salariés, dont la présente salariée, aux deux sociétés le 14 juin 2017 dénonçant leur licenciement injuste et leur imputant le fait de leur avoir fait croire que leur contrat de travail était automatiquement transféré 'sans que nous ayant quoi que ce soit à dire';
- le courrier en réponse de la société B indiquant 'après avoir disposé des informations nécessaires et d'un délai de réflexion de plusieurs mois, vous avez fait partie des salariés ayant accepté de signer une convention de transfert en décembre 2016 pour intégrer la société (B) avec reprise totale d'ancienneté. Cette novation du contrat a été conclue en parfaite connaissance de cause et vous êtes devenu salarié de notre société à compter du 1er janvier 2017" et justifiant les licenciements au vu de leur abandon de poste pour n'avoir jamais rejoint le nouveau lieu de travail;
- les attestations de M. [R], salarié, qui affirme avoir travaillé pendant trois ans sur le site du [Localité 6] et que 'les racks où étaient transposés les produits de (la société A) et de la marque Saint Mamet ainsi qu'un nombre de chariots élévateurs ont été démontés par une entreprise espagnole et envoyés sur le site de (la société A) au domaine du Grand Frigolet ainsi qu'une filmeuse pour les stocket et ensuite les remonter au service des expéditions' et également que 'en tant que membre délégué du personnel et suppléant du comité d'entreprise j'ai pu voir dans les copies de détail des effectifs de chaque mois, remis par la direction un nombre de travailleur en intérim. Je suis allé constater sur le terrain et une dizaine de ces salariés étaient affectés à la préparation des commandes et notamment au picking et l'expédition';
- l'attestation de M. [F], salarié, selon lequel la société A 'a bien rapatrié du site du [Localité 6] des palettiers, des racks de stockage et une filmeuse automatique';
- l'attestation de M. [Y], salarié, représentant du personnel, qui déclare 'j'ai pu constater que après la fermeture du site logistique du [Localité 6], un nombre élevé de salariés intérimaires qui travaillaient sur le site de [Localité 7] domaine du Grand Frigolet. Sur les copies des effectifs du personnel remis par la direction , on peut voir que le nombre d'équivalents temps plein des contrats intérim est de : 20,84 ETPT pour janvier 2017, 21,84 pour février 2017, 17,24 pour mars 2017".
La société A soutient à titre principal que les conditions du transfert légal de l'article L.1224-1 du code du travail sont réunies en ce que :
- la logistique des produits Fruits pour le compte de la société Saint Mamet exercée sur le site de [Localité 6] concernait bien une structure identifiée poursuivant un objectif précis et elle fonctionnait avec un personnel et des moyens propres;
- la poursuite de l'activité avec une grande partie du personnel et en direction de la même clientèle caractérise le transfert d'une entité économique autonome, peu important que ce ne soit pas dans les mêmes locaux, dont le bail a été résilié, ou que la totalité des équipements et du matériels n'ait pas été reprise, alors qu'au surplus en l'occurrence un contrat de cession du matériel a été conclu;
- seuls importent dans l'appréciation du transfert de l'effectif attaché à l'entité économique, les contrats de travail en cours au moment du transfert, or les contrats de travail des salariés réaffectés en amont fin 2016 sur le site du Grand Frigolet n'étaient plus affectés à l'activité transférée et en cours au moment du transfert;
- la candidature de la salariée pour une réaffectation sur le site du Grand Frigolet avait été retenue et elle est elle-même revenue sur sa candidature pour signer un protocole de novation du contrat de travail avec la société B.
A titre subsidiaire la société A fait valoir que même en cas d'application volontaire de l'article L.1224-1 requérant l'accord du salarié, le transfert du contrat de travail s'est valablement opéré dès lors que la salariée, en signant le protocole d'accord avec la société B, a accepté le transfert de son contrat de travail et s'est engagée à travailler pour cette société.
La société A produit les procès-verbaux des 23 mai, 8 juin, 23 juin, 19 octobre 2016, le protocole d'accord de novation du contrat de travail, ci-dessus mentionnés, ainsi que :
- un contrat de cession entre la société A et la société B relatif à l'organisation du transfert des matériels et marchandises affectés à l'activité logistique transférée prévoyant la cession à titre gratuit du matériel listé en annexe 1, à savoir un robot de bandreolages;
- le courrier adressé le 20 décembre 2016 à la salariée par lequel elle indique avoir pris bonne note du retrait de sa candidature, pourtant retenue, sur un poste d'opérateur cariste sur l'établissement de [Localité 7] pour des raisons personnelles.
Selon la société B, si 'l'inapplicabilité de l'article L.1224-1 du code du travail est très criticable' aux faits de l'espèce, la salariée tente en réalité de déplacer le débat sur le terrain du transfert légal alors qu'il s'est agi d'une application volontaire de l'article L.1224-1 convenue entre les sociétés qui a recueilli, après information en amont des salariés et des représentants du personnel, l'accord exprès de la salariée par sa signature de l'accord de novation de son contrat de travail par substitution d'employeur.
La société B produit les mêmes documents d'information, procès-verbaux des 23 mai, 8 juin, 23 juin, 19 octobre 2016, protocole d'accord de novation du contrat de travail, courrier collectif de protestation du licenciement et sa réponse, ainsi que :
- son courrier d'accueil à la salariée du 19 décembre 2016 ;
- le projet de convention de transfert entre le client Saint Mamet et la société B, signé du seul client, organisant notamment la prise en charge par celui-ci dans des limites de garantie, des coûts sociaux afférents aux ruptures générées suite au refus de transfert des salariés dans les conditions négociées par la société A.
Par ailleurs les sociétés A et B dénient toute fraude aux droits de la salariée dès lors que la situation n'est pas celle d'une entente pour faire échec au transfert de droit des contrats de travail, qu'elles ont au contraire cherché à maintenir les contrats de travail et ce, en toute transparence avec les salariés et les institutions représentatives du personnel, en négociant des reprises aux mêmes conditions salariales ainsi que des indemnités de licenciement supplémentaires pour les salariés refusant le transfert.
A l'analyse des pièces du dossier, la cour relève s'agissant du cadre du transfert de l'activité logistique Fruits que les conditions de l'article L.1224-1 du code du travail ne sont pas remplies en ce que :
- le transfert de l'activité ne s'est pas accompagné d'une reprise significative du personnel attaché à l'exploitation de l'activité transférée dès lors que la société A a d'abord recensé ses propres besoins pour la poursuite des tâches de logistique de la branche Légumes qu'elle a continué d'assurer sur un autre site et conservé ainsi notamment un responsable d'équipe sur deux, cinq caristes, un adjoint administratif, sur un effectif de seize salariés, soit plus de 43% de l'effectif, dont un personnel d'encadrement, la reprise n'ayant finalement porté à la connaissance de la cour que sur des opérateurs-caristes ou préparateurs de commande, polyvalents, sans technicité ni spécificité attachée à l'activité transférée, devant se fondre au sein du personnel préexistant de la société B ;
- aucun élément n'établit la reprise significative par la société B des moyens corporels ou incorporels nécessaires à l'exploitation alors qu'au contraire le document d'information du 23 mai 2016 prévoit la simple éventualité du transfert du matériel dédié en cas de demande expresse du nouvel exploitant, en listant sa composition (mobilier et matériel informatique, photocopieur, imprimante, racks d'accumulation d'une capacité utile de 3808 unités, paletiers d'une capacité utile de 2484 unités, filmeuse semi-automatique de palettes, robot de banderolage, des terminaux embarqués), le contrat de cession entre les deux sociétés limite le matériel transféré à un robot de bandreolage, les attestations de salariés confirment la réinstallation de nombreux équipement sur le site du Grand Frigolet, ces éléments établissant ainsi que l'essentiel des moyens d'exploitation de l'activité logistique Fruits a été conservé par la société A et que la reprise de cette activité par la société B s'est opérée avec ses propres moyens, les compétences des salariés transférés devant par ailleurs être adaptées à certains équipements comme les chariots-élévateurs.
Dès lors et quand bien même l'activité logistique Fruits ressortant du même client a effectivement été transférée, il n'est pas caractérisé de transfert d'une entité économique autonome conservant son identité.
Dans ces conditions le transfert ne relève pas du transfert légal de l'article L.1224-1 du code du travail.
La cour dit ensuite que si les sociétés se prévalent d'une application volontaire de l'article L.1224-1 du code du travail et de la signature par la salariée du protocole d'accord de novation de son contrat de travail par substitution d'employeur, encore faut-il que cet accord repose sur un consentement libre et éclairé des conditions de cette application, en ce notamment la possibilité de refuser le transfert.
Or en l'espèce la cour constate que l'ensemble des documents destinés à l'information des salariés et des institutions représentatives du personnel visent un transfert en application de l'article L.1224-1 du code du travail s'imposant à eux.
Et si y figure l'hypothèse d'un refus, ces documents mentionnent expressément que la gestion des licenciements en découlant, relève de l'entreprise B, ce qui renforce la présentation d'un transfert de droit ne nécessitant pas leur accord, alors qu'en ce cas, il appartient à l'employeur sortant de procéder aux éventuels licenciements des salariés refusant le transfert selon les règles de droit commun, notamment pour motif économique.
La cour relève d'ailleurs que la confusion entretenue ressort des échanges entre les représentants du personnel et la direction de la société A lors de la réunion du comité central d'entreprise du 23 juin 2016, les premiers questionnant la direction sur une transformation en PSE en cas de refus de transfert de plus de dix salariés, sans possibilité de réaffectation sur le site du Grand Frigolet nécessitant alors des licenciements, celle-ci répondant ne pas comprendre l'objet de la question en rappelant que tous les contrats seront automatiquement transférés au 1er janvier 2017 à la société B.
La cour observe par ailleurs que des négociations sont intervenues entre la société B et le client, décideur du changement de prestataire, à l'origine donc des opérations de transfert, pour la prise en charge financière des conséquences des éventuels licenciements résultant d'un refus de transfert par les salariés et ce, dans les limites d'un plafond correspondant au paiement de l'indemnité légale de licenciement, du préavis et de l'indemnité supra-légale, par personne licenciée déterminé par rapport 'au maximum payable compte tenu des conditions légales, conventionnelles et contractuelles applicables aux salariés transférés et des dispositions négociées entre (la société A) et ses représentants du personnel'.
Ces éléments font ressortir une présentation commune trompeuse du dispositif applicable au transfert de son contrat de travail et des droits de la salariée, de nature à la priver des dispositifs du licenciement économique, ce qui caractérise une entente préalable des sociétés, pour éluder le dispositif légal d'un transfert d'activité ne répondant pas aux conditions de l'article L.1224-1 du code du travail et faire supporter au client le coût social de l'opération.
C'est donc dans ce contexte d'information trompeuse, alors que la reprise des salariés impliquait pour eux un changement significatif de lieu de travail et à supposer même que comme l'affirment les sociétés l'objectif était de parvenir à maintenir les contrats de travail sans devoir procéder à des licenciements, que la salariée a signé le protocole d'accord de novation de son contrat de travail.
Il convient au demeurant de relever, comme il a été rappelé ci-dessus, qu'en principe la novation est antinomique avec l'application de l'article L.1224-1 du code du travail.
La signature d'un tel protocole d'accord de la novation du contrat de travail apparaît ainsi contradictoire avec l'information donnée à la salariée tout au long de la procédure de transfert, d'un transfert de droit de son contrat de travail et s'analyse dès lors comme la manifestation d'une tentative de sécurisation du transfert par la société B.
Il s'ensuit que le consentement à la novation a été déterminé par la collusion frauduleuse des sociétés A et B.
Si la salariée ne demande pas expressément la nullité du protocole d'accord de novation de son contrat de travail, la cour dit que celui-ci n'a pas été valablement souscrit et lui est donc inopposable.
2° sur la cause réelle et sérieuse du licenciement
Comme il a été dit ci-dessus, les conditions du transfert légal de l'article L.1224-1 du code du travail ne sont pas réunies et le protocole de novation du contrat de travail par substitution d'employeur n'est pas opposable à la salariée.
Dans ces conditions l'absence de la salariée à son poste de travail sur le site de la société B et son refus de poursuivre l'exécution de contrat de travail pour le compte de cette société n'est pas constitutif d'une faute de sorte que le licenciement disciplinaire qu'elle a prononcé pour ce motif est sans cause réelle et sérieuse.
A titre surabondant la cour observe que le licenciement motivé par l'attitude de la salariée s'analysant en un abandon de poste, n'a pas été précédé d'une quelconque mise en demeure de prendre son poste ou de justifier de son absence et la lettre de licenciement se borne à invoquer une information immédiatement donnée par la salariée de ne pas souhaiter venir travailler sur un site trop éloigné de son domicile, sans que la société ne justifie de l'accomplissement des diligences nécessaires à la validité du motif invoqué.
En conséquence et en infirmant le jugement déféré, la cour déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
1° sur l'imputabilité
Dès lors que comme il a été retenu ci-dessus, l'entente frauduleuse est caractérisée entre les sociétés A et B, il convient de mettre à leur charge les dommages et intérêts alloués à la salariée et de les y condamner solidairement.
2° sur le montant des dommages et intérêts
La salariée peut prétendre en application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.
Eu égard au montant de la rémunération mensuelle brute perçue par la salariée (2 157,81 euros en tenant compte du salaire de base, des primes et majorations constituant les éléments fixes de sa rémunération hors régularisation du solde des congés payés en décembre 2015 et de la prime de 13ème mois au prorata), de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un emploi, des explications et pièces fournies sur son préjudice, en ce qu'elle n'a pas retrouvé d'emploi stable mais a exécuté des contrats à durée déterminée entrecoupés de période d'allocation de retour à l'emploi, il apparaît que le préjudice subi par la salariée du fait de la perte de son emploi, doit être fixé à la somme de 21 000 euros.
En conséquence et en infirmant le jugement déféré, la cour condamne solidairement les sociétés A et B à verser à la salariée la somme de 21 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur le remboursement des indemnités chômage
En application de l'article L.1235-4 du code du travail dans sa rédaction applicable, il convient en ajoutant au jugement déféré, d'ordonner d'office le remboursement par la société B aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à la salariée licenciée, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation.
Sur les dispositions accessoires
La cour infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la salariée aux dépens et a rejeté sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance.
Les sociétés succombant sont condamnées solidairement aux dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile il est équitable que les sociétés contribuent aux frais irrépétibles que la salariée a exposé. Les sociétés A et B sont en conséquence condamnées solidairement à lui verser la somme de 1 000 euros pour les frais de première instance, celle de 1 500 euros pour les frais d'appel et sont déboutées de leur demande à ce titre.
Le ministère d'avocat n'étant pas obligatoire devant la présente juridiction statuant en matière prud'homale, en ajoutant au jugement déféré la cour dit qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande au titre de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté la SAS FM France et la SA Conserves France de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne solidairement la SAS FM France et la SA Conserves France à verser à Mme [E] la somme de 21 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Dit que la somme allouée est exprimée en brut,
Condamne solidairement la SAS FM France et la SA Conserves France à verser à Mme [E] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance,
Condamne solidairement la SAS FM France et la SA Conserves France aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
Ordonne d'office le remboursement par la SAS FM France aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à Mme [E], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation,
Condamne solidairement la SAS FM France et la SA Conserves France à verser à Mme [E] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais d'appel,
Condamne solidairement la SAS FM France et la SA Conserves France aux dépens d'appel,
Rejette la demande au titre de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT