COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-8
ARRÊT AU FOND
DU 27 JUIN 2023
N°2023/
Rôle N° RG 22/00588 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BIVZP
[N] [R] [C]
[N] [C]
S.A.R.L. [5]
C/
[T] [E]
[W] [Z] épouse [E]
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR
Copie exécutoire délivrée
le : 27/06/2023
à :
- Me Romain CHERFILS, avocat au barreau d'Aix en Provence
- Me Adam KRID, avocat au barreau de Nice
- Me Stéphane CECCALDI, avocat au barreau de Marseille
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Pole social du Tribunal judiciaire de TOULON en date du 17 Décembre 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 19/02619.
APPELANTS
Monsieur [N] [R] [C], Gérant de la Société [5], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Rebecca VANDONI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Monsieur [N] [C], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Rebecca VANDONI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
S.A.R.L. [5], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Rebecca VANDONI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
Monsieur [T] [E], demeurant Elisant domicile au Cabinet de Me KRID, Avocat au Barreau de - Nice [Adresse 4]
représenté par Me Adam KRID, avocat au barreau de NICE
Madame [W] [Z] épouse [E], demeurant chez Maître Adam KRID, [Adresse 3]
représentée par Me Adam KRID, avocat au barreau de NICE
Ayants droits de Monsieur [B] [E]
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Stéphane CECCALDI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Mai 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre
Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller
Mme Isabelle PERRIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Aurore COMBERTON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2023
Signé par Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre et Mme Aurore COMBERTON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits, procédure, prétentions et moyens des parties
Le 18 juillet 2013, M. [B] [E], de nationalité algérienne, employé dans le cadre d'un travail dissimulé au sein de la société à responsabilité limitée (SARL) [5] ayant pour gérant, M. [N] [R] [C], est décédé des suites d'un accident survenu sur son lieu de travail situé sur la commune de [Localité 6].
Alors que M. [E] était en train de travailler sous un véhicule de type fourgonnette, ce dernier maintenu à l'avant-droit par des crics s'est effondré sur sa tête.
Par jugement du 1er octobre 2013, le tribunal correctionnel de Draguignan a déclaré la SARL [5] ainsi que les dirigeants de droit et de fait, M. [N] [R] [C] et M. [N] [C], coupables des faits d'exécution d'un travail dissimulé, d'emploi d'un étranger sans autorisation de travail, d'homicide involontaire dans le cadre du travail, d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France, d'infraction à la réglementation générale sur l'hygiène et la sécurité au travail, et des peines d'emprisonnement de deux ans ont été prononcées à l'encontre des deux dirigeants.
Ce même jugement a prononcé la fermeture de l'établissement ainsi que la dissolution de SARL [5] avec exécution provisoire.
Sur appel des prévenus, l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence rendu le 2 décembre 2014 a confirmé le jugement sur la décision de culpabilité ainsi que sur les sanctions infligées à la SARL [5], a ajouté qu'il sera fait application des articles 131-45 et 134-49 du code pénal, infirmé le jugement sur les peine infligées à M. [N] [C] et M. [N] [R] [C] et statuant à nouveau, a condamné M. [N] [C] à une peine d'emprisonnement d'un an et à titre de peine complémentaire, à une interdiction définitive d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque directement ou indirectement pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale et a condamné M. [N] [R] [C] à une peine d'emprisonnement d'un an et dit qu'il sera sursis entièrement à cette peine, à titre de peine complémentaire, à une interdiction définitive d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque directement ou indirectement pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale pour une durée de cinq ans.
L'accident survenu à M. [E] a été pris en charge selon la législation sur les risques professionnels par la caisse primaire d'assurance maladie du Var ( ci-après désignée CPAM ou la caisse ) selon notification en date du 17 juillet 2015.
Par requête en date du 11 décembre 2015, les ayants droit de M. [E], en l'occurrence ses deux parents, M. [T] [E] et Mme [W] [Z] épouse [E], ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Var aux fins d'obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur dans la survenance de l'accident du travail mortel dont leur fils a été victime.
Par jugement du 17 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Toulon ayant repris l'instance, a notamment :
- débouté la société et ses gérants de leurs prétentions tendant à la péremption d'instance et à la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable,
- dit que l'accident du travail dont a été victime M. [E] le 18 juillet 2013 est imputable à la faute inexcusable de ses employeurs, à savoir la SARL [5] et M.M. [C],
- dit que les ayants droit de M. [E] peuvent prétendre à une rente majorée à son taux maximum en qualité d'ascendants,
- débouté les ayants droit de leur demande au titre des frais d'obsèques,
- alloué à chacun d'eux la somme de 15.000 euros au titre de leur préjudice moral,
- dit que la caisse devra verser aux ayants droit de M. [E] les indemnisations fixées et disposera d'une action récursoire à l'encontre de la SARL [5], M. [N] [C] et M. [N] [R] [C], tenus in solidum en leur qualité d'employeurs,
- débouté les demandeurs de leur demande d'exécution provisoire de la décision,
- condamné in solidum M.M. [C] à verser aux ayants droit la somme de 1.000 euros à chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par déclaration au greffe de la cour enregistrée le 14 janvier 2022, M.M. [C] et la société ont interjeté appel à l'encontre de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 février 2022, puis visées et développées oralement à l'audience des débats du 2 mai 2023, les appelants demandent à la cour de réformer le jugement déféré, et de :
- dire l'instance périmée,
- débouter M. [T] [E] et Mme [W] [E] de toutes demandes dirigées tant à l'encontre de M. [N] [C] et de M. [N] [R] [C], que de la société,
à titre subsidiaire,
- donner acte à la SARL [5] qu'elle s'en remet à l'appréciation de la présente juridiction quant au montant de la condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,
- condamner M. [T] [E] et Mme [W] [E] à la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [T] [E] et Mme [W] [E] aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SELARL Lexavoué Aix-en-Provence, avocats aux offres de droit.
Ils font valoir essentiellement que :
- sur la péremption de l'instance, selon une jurisprudence constante, la demande de rétablissement de l'affaire après la radiation ne constitue pas à elle seule, une diligence interruptive,
- par courrier en date du 20 juin 2019, les ayants droit ont sollicité la remise au rôle de l'affaire mais depuis cette date, ils n'ont accompli aucune diligence, d'où la péremption de l'instance,
- l'employeur de M. [E] était la SARL [5] de sorte qu'aucune demande ne peut être dirigées à l'encontre de M. [N] [C] et de M. [N] [R] [C],
- en cas de rejet de la demande portant sur la péremption de l'instance, la société s'en remettra à l'appréciation de la cour quant à l'évaluation des préjudices sollicités par les parents de M. [E].
Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 avril 2023, puis visées et développées oralement à l'audience des débats du 2 mai 2023, M et Mme [E] demandent à la cour de confirmer le jugement déféré et de leur allouer une somme de 3.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Ils soutiennent en substance que :
- sur la péremption de l'instance alléguée sur la base de l'ancien article R. 142-22 du code de la sécurité sociale, il est à préciser que la radiation prononcée le 12 janvier 2018 est intervenue par le fait des appelants qui ont changé de conseil à deux reprises, sachant que le troisième conseil, Maître Bossut, n'a jamais notifié ses conclusions alors qu'ils étaient en état de plaider l'affaire,
- par courrier en date du 26 juin 2019, face à la carence de Maître Bossut, ils ont sollicité la remise au rôle de l'affaire, laquelle est intervenue dans le délai de deux ans à compter de la décision de radiation, et cet acte, comme l'ont considéré les premiers juges, était de nature à faire avancer l'affaire et a interrompu le délai de péremption de l'instance,
- sur la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, la prise en charge de l'accident du travail selon la législation sur les risques professionnels n'étant intervenue que le 17 juillet 2015, la requête en date du 11 décembre 2015 a interrompu le délai de prescription,
- sur la responsabilité de l'employeur, il résulte des documents versés aux débats que la responsabilité pénale de l'employeur a été totale, ayant commis des faits d'homicide involontaire dans le cadre du travail et des faits d'infraction à la réglementation générale de l'hygiène et de la sécurité au travail et ces infractions constituent nécessairement des manquements à son obligation de sécurité, sachant que les pièces de la procédure établissent que l'accident mortel a été causé par le non-respect de règles élémentaires de sécurité.
La caisse primaire d'assurance-maladie du Var a sollicité oralement la confirmation du jugement entrepris.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé du litige.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur la péremption d'instance
Aux termes de l'article R. 142-22 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au litige, l'instance est périmée lorsque les parties s' abstiennent d' accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l' article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.
En l'espèce, l'instance a été introduite par requête du 11 décembre 2015 reçue le 16 décembre 2015 et a été appelée à l'audience devant le tribunal des affaires de sécurité sociale le 2 octobre 2017. À cette date, elle a fait l'objet d'un renvoi avec mise en place d'un calendrier de procédure et fixation pour plaidoirie à l'audience du 12 janvier 2018. À cette audience, les diligences n'ayant pas permis de retenir l'affaire, elle a fait l'objet d'une décision de radiation.
En application du texte précité, la péremption ne pouvait être acquise qu'au 2 octobre 2019, les diligences expressément mises à la charge des parties par le calendrier de procédure institué le 2 octobre 2017 devant être accomplies avant cette date.
Les demandeurs ont utilement sollicité la remise de l'affaire au rôle le 26 juin 2019, et ainsi que la justement relevé le premier juge, cet acte a valablement interrompu le délai de péremption, le délai apporté par la juridiction dans la convocation, adressée le 8 septembre 2021 pour l'audience du 29 octobre suivant ne pouvant conduire à la constatation d'un défaut de diligence des parties.
Le jugement qui a rejeté l'exception de péremption est en voie de confirmation.
Sur la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur
Aux termes de l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière.
Toutefois, en cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la prescription de deux ans opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire visée aux articles L. 452-1 et suivants est interrompue par l'exercice de l'action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident.
En outre, il est constant que le délai de prescription ne court contre les ayants droit de la victime d'un accident qu'à la clôture de l'enquête administrative de la caisse.
Or en l'espèce, l'accident mortel dont a été victime [B] [E] n'a été pris en charge par la caisse que le 17 juillet 2015.
Il est rappelé que l'instance a été introduite par requête du 11 décembre 2015 reçue le 16 décembre 2015.
Il s'ensuit que c'est à bon droit que le premier juge a constaté que l'action n'était pas prescrite, et le jugement sera également confirmé sur ce point.
Sur la faute inexcusable de l'employeur
C'est par des motifs pertinents, exacts et suffisants, et que la cour reprend, que le premier juge, rappelant que les articles L.4121-1 et suivants du code de travail imposaient à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, que tout manquement à une obligation de sécurité à l'origine d'un accident ou d'une maladie a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale dès lors que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, et constatant que la responsabilité de la SARL [5] et de Messieurs [N] [R] [C] et [N] [C] avait été définitivement tranchée par la décision pénale de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 2 décembre 2014, laquelle avait consacré la violation de plusieurs obligations de sécurité à l'origine de cet accident du travail mortel, a décidé que ce dernier était imputable à la faute inexcusable des employeurs, en l'espèce la société et les deux gérants de cette dernière.
Les appelants n'articulent aucun moyen à l'encontre de cette motivation de fait et de droit, que reprend la cour pour confirmer que l'accident du travail à l'origine du décès de [B] [E] est imputable à la faute inexcusable de son ou de ses employeurs.
Les appelants sollicitent exclusivement de la cour qu'elle relève que le seul employeur de [B] [E] était la SARL [5], de sorte que aucune condamnation ne doive être prononcée à l'encontre de ses gérants.
Toutefois, aucun élément justificatif ne vient corroborer cette affirmation, laquelle se trouve définitivement contredite par la condamnation pénale prononcée le 2 décembre 2014 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, au terme de laquelle les deux gérants ont été retenus dans les liens de la prévention d'exécution de travail dissimulé, d'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié, d'homicide involontaire dans le cadre du travail, et d'infractions à la réglementation générale sur l'hygiène et la sécurité du travail, en leur qualité d'employeurs, de la victime [B] [E], concurremment avec la société précitée dont ils étaient les gérants.
Il en résulte que le jugement déféré et en voie de confirmation intégrale.
Messieurs [N] [R] [C] et [N] [C] qui échouent en leur appel supporteront la charge des dépens et verront leur demande présentée au titre de leurs frais irrépétibles rejetée.
L'équité conduit à les condamner à payer à M. et Mme [E] une somme globale de 3.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du 17 décembre 2021 en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
Condamne Messieurs [N] [R] [C] et [N] [C] aux dépens.
Condamne Messieurs [N] [R] [C] et [N] [C] à payer à M. [T] [E] et à Mme [W] [Z] épouse [E] une somme de 3.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute la SARL [5] ainsi que Messieurs [N] [R] [C] et [N] [C] de leur demande au titre de leurs propres frais irrépétibles.
Rappelle à toutes fins utiles que la distraction des dépens n'est pas applicable en matière de procédure sans représentation obligatoire.
Le Greffier Le Président