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22/06/2023 | FRANCE | N°17/09158

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 22 juin 2023, 17/09158


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 22 JUIN 2023

ph

N° 2023/ 251













Rôle N° RG 17/09158 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BAQ3M







[X] [T]

[K] [T]

[M] [E] épouse [T]





C/



[L] [D]

SCI GRETA





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



SELARL JEANNIN PETIT PUCHOL



l'ASSOCIAT

ION CM AVOCATS MARSEILLE









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX EN PROVENCE en date du 02 Mars 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 14/02472.





APPELANTS



Madame [X] [T]

demeurant [Adresse 3]



représentée par Me Géraldine PUCHOL de la SELARL...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 22 JUIN 2023

ph

N° 2023/ 251

Rôle N° RG 17/09158 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BAQ3M

[X] [T]

[K] [T]

[M] [E] épouse [T]

C/

[L] [D]

SCI GRETA

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SELARL JEANNIN PETIT PUCHOL

l'ASSOCIATION CM AVOCATS MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX EN PROVENCE en date du 02 Mars 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 14/02472.

APPELANTS

Madame [X] [T]

demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Géraldine PUCHOL de la SELARL JEANNIN PETIT PUCHOL, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

Madame [M] [E] épouse [T] tant en son nom personnel qu'ès qualités d'héritière de son mari Monsieur [K] [T] décédé le 11 mars 2018

demeurant [Adresse 12]

représentée par Me Géraldine PUCHOL de la SELARL JEANNIN PETIT PUCHOL, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

INTIMES

Monsieur [L] [D]

demeurant [Adresse 19]

représenté par Me Patrick CAGNOL de l'ASSOCIATION CM AVOCATS MARSEILLE, avocat au barreau de MARSEILLE, assisté de Me Richard DAZIN, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

SCI GRETA, dont le siège social est [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

représentée par Me Patrick CAGNOL de l'ASSOCIATION CM AVOCATS MARSEILLE, avocat au barreau de MARSEILLE, assistée de Me Richard DAZIN, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 02 Mai 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Patricia HOARAU, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, faisant fonction de président de chambre

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Madame Aude PONCET, Vice-Président placé

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Juin 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Juin 2023,

Signé par Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, faisant fonction de président de chambre et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Mme [X] [T] est nue-propriétaire d'un immeuble sis à [Localité 20] [Adresse 2], cadastré section AD numéros [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 8] dont ses parents, M. [K] [T] et Mme [M] [E], étaient usufruitiers.

M. [L] [D] était propriétaire des trois parcelles de terrain anciennement cadastrées section AD numéros [Cadastre 9], [Cadastre 10] et [Cadastre 11] (nouvellement cadastrées [Cadastre 13] à [Cadastre 18]).

M. [L] [D] a déposé les 17 avril 2008 et 27 mars 2008 des demandes de permis de construire pour réaliser un immeuble sur chacune des anciennes parcelles cadastrées section AD numéros [Cadastre 9] et [Cadastre 11].

La parcelle cadastrée section AD numéro [Cadastre 10] a fait l'objet d'une demande de permis de construire à l'initiative de Mme [I] le 6 mars 2008.

La SCI Greta est devenue propriétaire des parcelles cadastrées AD numéros [Cadastre 16] et [Cadastre 18], sur l'emprise desquelles deux des immeubles ont été bâtis.

Les trois permis de construire délivrés à M. [L] [D] les 22 avril et 30 mai 2008 ont été annulés par trois jugements du 10 février 2011 du tribunal administratif de Marseille, suite au recours des consorts [T], notamment pour violation de l'article 10 du plan d'occupation des sols de la commune de [Localité 20] relatif à la hauteur des constructions édifiées.

Par arrêts du 28 mars 2013, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté les recours de M. [L] [D] et Mme [I]. Postérieurement, trois permis de construire modificatifs ont été déposés.

Mme [X] [T], M. [K] [T] et Mme [M] [E] épouse [T] ont alors fait assigner M. [L] [D] et la SCI Greta au visa de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme pour obtenir la démolition sous astreinte des trois immeubles leur appartenant et édifiées sur les parcelles cadastrées section AD numéros [Cadastre 9], [Cadastre 10] et [Cadastre 11] et nouvellement [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17] et [Cadastre 18] de la commune de [Adresse 12], ainsi que des dommages et intérêts en réparation de leur trouble de jouissance.

Par jugement du 2 mars 2017, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence :

- les a déboutés leur demande en démolition des immeubles anciennement cadastrés [Cadastre 9] et [Cadastre 10],

- a sursis à statuer sur la demande en démolition de l'immeuble anciennement cadastré [Cadastre 11] jusqu'au prononcé d'une décision définitive par les juridictions administratives,

- les a déboutés du surplus des chefs de leur demande principale,

- a débouté M. [L] [D] et la SCI Greta de leur demande tendant à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- a débouté M. [L] [D] et la SCI Greta de leur demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- a réservé les dépens.

Le premier juge a considéré que les permis de construire modificatifs obtenus pour les immeubles situés sur les parcelles anciennement cadastrées [Cadastre 9] et [Cadastre 10] avaient régularisé la situation et donc que les conditions d'application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme n'étaient pas remplies. Il a écarté le trouble anormal de voisinage, s'agissant d'une construction en milieu urbain constructible.

Par déclaration du 12 mai 2017, Mme [X] [T], M. [K] [T] et Mme [M] [E] épouse [T] ont interjeté appel de ce jugement.

M. [K] [T] est décédé le 11 mars 2018.

Par ordonnance du 26 février 2019, le conseiller de la mise en état a notamment constaté que Mme [M] [E] a repris l'instance aux droits de feu son époux [K] [T] et ordonné une expertise en commettant pour y procéder M. [S] [G], avec pour mission de :

- se faire communiquer tous documents et pièces utiles à l'expertise détenus tant par les parties elles-mêmes que par des tiers,

- visiter les lieux et les décrire ; décrire l'environnement général de la propriété [T] ainsi que ses caractéristiques,

- procéder à toutes constatations utiles permettant à la cour d'apprécier si les constructions litigieuses se trouvant sur les parcelles anciennement [Cadastre 9] et [Cadastre 10], ont pour effet d'entraîner une perte d'ensoleillement et de vue de la propriété [T] ; décrire avec précision sur différentes périodes de la journée et de l'année la perte d'ensoleillement résultant de ces constructions ; décrire avec précision la perte de vue engendrée par ces constructions ; fournir tous éléments sur l'ampleur et la nature de ces préjudices pour permettre à la cour d'apprécier s'il existe un trouble anormal de voisinage du fait desdites constructions,

- donner tous éléments d'appréciation sur l'existence d'un trouble anormal de voisinage en rapport avec une perte d'ensoleillement et de vue de la propriété [T],

- recueillir tous éléments permettant de chiffrer le préjudice, telles que perte de jouissance, perte de valeur du bien [T],

- donner tous éléments techniques permettant à la cour d'apprécier la nature exacte des démolitions qu'il conviendrait d'ordonner pour mettre un terme aux préjudices de vue et d'ensoleillement directement en rapport avec les constructions sur la propriété [D]-SCI Greta

- s'expliquer techniquement, dans le cadre de ses chefs de mission, sur les dires et observations des parties qu'il aura recueillis après leur avoir fait part de son projet de rapport ou de ses pré-conclusions.

Le rapport d'expertise a été déposé le 20 octobre 2020.

Par arrêt du 19 mai 2022, la cour a ordonné le renvoi de l'affaire à la mise en état aux fins de régulariser les conclusions des appelants et révoqué l'ordonnance de clôture.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 4 août 2022, Mme [X] [T] et Mme [M] [E] épouse [T] demandent à la cour :

Vu l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme,

Vu les articles 544 et 1382 et suivants ancien du code civil,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a sursis à statuer sur la demande de démolition de l'immeuble construit sur la parcelle anciennement [Cadastre 11], jusqu'au prononcé d'une décision définitive par les juridictions administratives sur le recours en annulation formé à l'encontre de l'arrêté de permis de construire n° PC 01308213M0054 du 21 janvier 2014 et en ce qu'il a débouté M. [L] [D] et la SCI Greta de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [X] [T] et M. et Mme [K] [T] de leurs demandes relatives aux constructions édifiées sur les parcelles anciennement cadastrées n°[Cadastre 9] et [Cadastre 10] et nouvellement [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] de la commune de [Adresse 12],

En conséquence,

A titre principal,

- de condamner M. [L] [D] et la SCI Greta à procéder à la démolition des deux immeubles leur appartenant et édifiés sur les parcelles anciennement cadastrées n°[Cadastre 9] et [Cadastre 10] et nouvellement [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] de la commune de [Adresse 12], et ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour pour chaque immeuble, passé le délai d'un mois à compter de la date de la signification de la décision à intervenir,

- de les condamner in solidum à leur payer la somme de 22 000 euros en réparation de leur trouble de jouissance pour la perte de vue et d'ensoleillement jusqu'à la démolition des ouvrages,

A titre subsidiaire,

- de condamner M. [L] [D] et la SCI Greta à procéder à la démolition des deux immeubles leur appartenant et édifiés sur les parcelles anciennement cadastrées n°[Cadastre 9] et [Cadastre 10] et nouvellement [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] de la commune de [Adresse 12], pour leurs parties respectives non conformes aux permis de construire de régularisation et dépassant les hauteurs autorisées, et ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour pour chaque immeuble passé le délai d'un mois à compter de la date de la signification de la décision à intervenir,

- les condamner in solidum à leur payer la somme de 22 000 euros en réparation de leur trouble de jouissance pour la perte de vue et d'ensoleillement jusqu'à la démolition des ouvrages,

En tout état de cause,

- de condamner M. [L] [D] à leur payer la somme de 49 000 euros à concurrence de:

- 11 000 euros à titre d'indemnisation pour la perte d'ensoleillement,

- 38 000 euros au titre de la perte vénale du bien immobilier,

- d'assortir les condamnations à intervenir des intérêts au taux légal à compter de l'assignation en justice capitalisés par anatocisme,

- de condamner in solidum M. [L] [D] et la SCI Greta à leur payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile;

- de les condamner enfin, sous la même solidarité, aux entiers dépens de première instance et d'appel en ceux compris les frais d'expertise judiciaire distraits au profit de Me Géraldine Puchol, avocat postulant, qui affirme y avoir pourvu.

Mme [X] [T] et Mme [M] [E] épouse [T] font essentiellement valoir :

- que les constructions dont ils poursuivent la démolition sont d'une hauteur supérieure à celle autorisée par la règlementation d'urbanisme,

- que l'absence de contestation des arrêtés de permis de construire de régularisation des constructions édifiées sur les parcelles ci-dessus ne leur interdit pas de solliciter leur démolition pour le trouble anormal de voisinage qu'ils supportent depuis leur édification en raison des conséquences résultant de l'absence de conformité desdites constructions aux permis de régularisation obtenus par les pétitionnaires dans un deuxième temps,

- que les quatre nouveaux permis datés des 29 juillet 2013 et 2014, 20 septembre 2013 et 21 juillet 2014 qualifiés de modificatifs par les intimés ne sont en réalité que des permis de régularisation administrative de leurs constructions, mais qu'aucun d'eux n'a pu avoir pour effet de faire respecter par les immeubles en place, puisqu'ils avaient déjà été construits avant, la règle d'urbanisme,

- que de nombreuses attestations concordantes de voisins et habitants de la commune relatent l'absence de travaux sur les constructions édifiées par les intimés et notamment celle de M. [H], expert judiciaire honoraire, qui avait examiné les constructions lors de leur édification et qui atteste avoir " assisté à la construction initiale en 2009 " et " constater qu'il n'y a aucune modification qui soit intervenue depuis lors et en particulier suite aux permis modificatifs délivrés en 2014 ", que cela est confirmé par les différentes photographies versées aux débats,

- que l'anormalité du trouble est soumise à l'appréciation souveraine des juges du fond selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation et que la perte d'ensoleillement notable constitue un trouble anormal de voisinage qui ouvre droit à réparation,

- que le seul moyen de mettre fin à ce trouble anormal est la démolition des constructions de la propriété [D],

- que l'expert judiciaire a évalué le préjudice en lien avec la perte de vue et d'ensoleillement.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 17 avril 2023, la SCI Greta et M. [L] [D] demandent à la cour :

A titre principal,

- de confirmer le jugement du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence du 2 mars 2017,

Et dans tous les cas,

- de débouter les consorts [T] de la demande de démolition des constructions,

- de débouter les consorts [T] de leur demande de dommages et intérêts à hauteur de 120 000 euros, au motif de l'absence de préjudice,

- de condamner les appelants à telle amende civile qu'il plaira à la cour de prononcer,

- de condamner les appelants à leur verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts,

- de condamner les appelants à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Subsidiairement, si par extraordinaire la cour devait considérer qu'il existe un trouble anormal de voisinage,

- de débouter néanmoins les consorts [T] de leur demande de démolition en considérant celle-ci manifestement disproportionnée, ainsi que de leur demande d'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 120 000 euros, celle-ci étant totalement excessive,

En toute hypothèse,

- de condamner les consorts [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les dépens d'expertise, avec distraction au profit de Me Patrick Cagnol, avocat aux offres et affirmations de droit.

La SCI Greta et M. [L] [D] soutiennent en substance :

- que les consorts [T] n'ont contesté devant la juridiction administrative que le permis de construire n°13 08213M0054 (portant sur les parcelles n°[Cadastre 17] et n°[Cadastre 18], (ancienne parcelle n°[Cadastre 11]), c'est-à-dire celui objet du litige toujours pendant devant le tribunal judiciaire, que dès lors il convient de tirer toutes les conséquences de la parfaite légalité et régularité des constructions édifiées sur les parcelles anciennement cadastrées n°[Cadastre 9] et [Cadastre 10], (soit les parcelles n° [Cadastre 13],[Cadastre 14],[Cadastre 15] et [Cadastre 16]),

- qu'afin de se conformer aux arrêts rendus par la cour administrative d'appel, mais également à la réglementation d'urbanisme de la commune de [Localité 20], ils ont procédé à la mise en conformité de la hauteur autorisée par le POS concernant les deux premiers bâtiments, et ont obtenu un permis de démolir pour le dernier, que les permis de régularisation ont ainsi été logiquement délivrés et n'ont pas été contestés, que les constructions bénéficient donc d'autorisation d'urbanismes régulières et définitives,

- que les appelants ne caractérisent aucune absence de conformité,

- que la jurisprudence encadre strictement l'action en démolition, qui ne peut être accordée qu'en cas de préjudice d'une gravité excessive causé aux demandeurs, que la mesure de démolition est incontestablement disproportionnée au regard du préjudice allégué par les appelants,

- qu'il ne suffit pas de démontrer l'existence d'un préjudice personnel pour obtenir la réparation du trouble soit par la démolition de la construction litigieuse, soit par l'indemnisation des requérants, qu'il est nécessaire que les victimes rapportent l'existence d'un lien de causalité direct entre la violation de la règle d'urbanisme et le préjudice allégué,

- que les consorts [T] maintiennent de manière particulièrement abusive leurs prétentions et notamment leurs demandes de démolition, sachant que la régularité des constructions édifiées sur les parcelles n°[Cadastre 14] (anciennement n°[Cadastre 9]) et n°[Cadastre 13], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] (anciennement n°[Cadastre 10]) est définitivement acquise et en tout état de cause n'est plus contestée, ce qui caractérise leur mauvaise foi évidente,

- que c'est avec une particulière mauvaise foi et dans l'intention manifeste de tromper la religion de la cour que les appelants écrivent dans leurs dernières conclusions : " la parcelle n° [Cadastre 8] présente la particularité d'être en nature de cour-terrasse et donc de ne pas être bâtie ", alors que c'était une parcelle bâtie en ruine et qu'elle a été transformée en terrasse, sans aucune autorisation.

- subsidiairement, que la propriété des consorts [T] comprend plusieurs parcelles, à savoir AD [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], que seule la parcelle AD [Cadastre 7] serait " impactée " en perte de vue.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 18 avril 2023.

Par conclusions de procédure déposées et notifiées par RPVA le 26 avril 2023, les consorts [T] demandent à la cour de :

- juger comme tardives les conclusions récapitulatives et pièces notifiées par voie électronique le 17 avril 2023,

- juger que cette communication porte atteinte au principe du contradictoire,

- déclarer en conséquence irrecevables les conclusions et pièces notifiées le 17 avril 2023,

- les écarter des débats,

Subsidiairement,

- révoquer l'ordonnance de clôture,

- renvoyer cette affaire à une audience ultérieure,

Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir que la SCI GRETA et Monsieur [D] avaient connaissance de la date de clôture depuis le mois d'octobre 2022 alors qu'ils ont attendu la veille de la clôture pour conclure, ce qui constitue un comportement contraire au principe du contradictoire. Ils expliquent que les défendeurs ont introduit dans leurs écritures de nouveaux éléments et de nouvelles prétentions, auxquelles ils n'ont pas pu répondre avant la clôture. Ils soulignent que les nouveaux éléments et moyens développés dans ces dernières écritures ne sont pas clairement matérialisés de sorte qu'une analyse complète et approfondie est nécessaire pour en prendre connaissance. Ils relèvent qu'il leur était donc impossible de conclure avant la clôture.

Par conclusions de procédure déposées et notifiées par RPVA le 27 avril 2023, la SCI Greta et M. [L] [D] demandent à la cour de :

- donner acte à Monsieur [D] et à la SCI GRETA de ce qu'elles ne s'opposent pas à la demande de rabat de l'ordonnance de clôture et au renvoi de ce dossier à une audience ultérieure de plaidoiries,

Subsidiairement,

- admettre les conclusions des intimés notifiées avant l'ordonnance de clôture ainsi que les pièces versées aux débats,

en conséquence,

A titre principal,

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance d'Aix en Provence du 2 mars 2017,

Dans tous les cas,

- débouter les consorts [T] de la demande de démolition des constructions,

- débouter les consorts [T] de leur demande de dommages et intérêts à hauteur de 120.000€ au motif de l'absence de préjudice,

- condamner les appelants à telle amende à verser aux intimés la somme de 10.000€ à titre de dommages et intérêts,

- condamner les appelants à verser aux intimés la somme de 5.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Subsidiairement,

Si par extraordinaire, la Cour devait considérer qu'il existe un trouble anormal du voisinage,

- débouter néanmoins les consorts [T] de leur demande de démolition en considérant celle-ci manifestement disproportionnée, ainsi que leur demande d'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 120.000€, celle-ci étant totalement excessive,

- condamner en toute hypothèse les consorts [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les dépens d'expertise, avec distraction au profit de Maitre Patrick CAGNOL, avocat aux offres et affirmations de droit.

A l'appui de leurs demandes, ils font valoir que les délais nécessaires pour obtenir certains documents administratifs et notamment les anciens titres qu'ils versent désormais aux débats afin d'établir la nature initiale de la construction édifiée sur la parcelle des consorts [T] ne leur ont pas permis de conclure avant le 17 avril 2023. Ils développent ensuite exactement les mêmes moyens que ceux figurant dans leurs écritures du 17 avril 2023.

MOTIFS

Sur le caractère tardif des conclusions

En application des articles 15 et 16 du code de procédure civile:

« Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense. »

« Le juge, doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevé d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ».

En l'espèce, la SCI GRETA et Monsieur [D] ont déposé et notifié par RPVA des conclusions le 17 avril 2023 soit la veille de la clôture. Ils versent également aux débats de nouvelles pièces (pièces n°26 à 40) au soutien des conclusions précitées.

Or, il convient de relever qu'un avis de fixation a été adressé aux parties le 18 octobre 2022, pour l'audience de plaidoiries du 2 mai 2023 et précise que l'ordonnance de clôture interviendra le 18 avril 2023. Ainsi, les parties disposaient, à compter du 18 octobre 2022, de 6 mois pour se mettre en état ou, le cas échéant, solliciter un calendrier de procédure, ce qui n'a pas été fait en l'espèce.

Si l'avocat initialement désigné par les défendeurs a été remplacé, la constitution du conseil actuel des parties a fait l'objet d'une notification par RPVA le 7 septembre 2022. Ce nouveau conseil disposait donc de plus de 7 mois pour conclure, délai suffisant.

Par ailleurs, les défendeurs soutiennent que le dépôt tardif de leurs écritures est lié à la réception tardive de certaines pièces notamment en provenance de services administratifs.

Or, l'examen de ces pièces et conclusions ne permet pas d'établir que les défendeurs ne pouvaient pas conclure avant le 17 avril 2023.

Tout d'abord, 7 des 15 nouvelles pièces versées aux débats concernent des décisions de justice dont la plus récente date du 14 novembre 2019.

Par ailleurs, les défendeurs n'apportent pas la preuve de ce qu'ils auraient obtenu tardivement les 8 autres pièces versées aux débats dont certaines sont des photographies très anciennes et des titres de propriété non moins anciens.

Ainsi, les dernières conclusions de la SCI GRETA et Monsieur [D] déposées et notifiées la veille de l'ordonnance de clôture, soit le 17 avril 2023, n'ayant pas été communiquées en temps utile et n'ayant donc pas permis aux autres parties d'en prendre connaissance utilement, il convient de dire que ces conclusions sont tardives et de les écarter des débats. Seront également écartées des débats les pièces n°26 à 40, versées aux débats à l'appui des conclusions des défendeurs du 17 avril 2023.

Il s'ensuit que la cour statuera sur les conclusions des parties déposées et notifiées par RPVA le 4 avril 2022 pour la SCI GRETA et Monsieur [L] [D] aux termes desquelles la SCI GRETA et Monsieur [L] [D] demandent à la cour de :

- confirmer l'ordonnance de clôture d'instruction au 22 mars 2022,

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance d'Aix en Provence du 2 mars 2017,

Et dans tous les cas,

- débouter les consorts [T] de leur demande de démolition des constructions,

- débouter les consorts [T] de leur demande de dommages et intérêts à hauteur de 120.000€, au motif de l'absence de préjudice,

- condamner les appelants à verser aux intimés la somme de 5.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

Si, par extraordinaire, la cour devait considérer qu'il existe un trouble anormal du voisinage,

- constater que la demande de démolition formulée est incontestablement disproportionnée,

- constater que la demande de dommages et intérêts de 49.000€ est totalement excessive,

en conséquence,

- débouter les appelants de la demande de démolition des trois constructions édifiées,

- juger le montant sollicité à de plus justes proportions.

Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir que Monsieur [D] a bien effectué les mises en conformité avec le POS, ce qui lui a permis d'obtenir les régularisations des permis de construire concernant les parcelles [Cadastre 13] à [Cadastre 16]. Ils précisent que l'annulation du permis de construire pour les parcelles [Cadastre 17] et [Cadastre 18] n'a pas d'incidence sur le présent litige puisque les bâtiments édifiées sur ces parcelles n'ont aucun impact sur l'ensoleillement et la vue de la parcelle des consorts [T]. Ils indiquent que les constructions édifiées sur les parcelles [Cadastre 13] à [Cadastre 16] bénéficient d'autorisation d'urbanisme régulières et définitives, et que les appelants ne caractérisent aucune absence de conformité. Ils soulignent que les demandes de démolition sont disproportionnées au regard du préjudice subi par les demandeurs, lequel ne peut être qualifié d'anormal, dans la mesure où il n'existe pas de droit acquis au panorama et à l'ensoleillement dans une zone constructible urbaine dense. Ils indiquent que le rapport d'expertise ne permet pas de caractériser un trouble excessif qui justifierait l'octroi de dommages et intérêts. Ils soulignent que la valeur du bien immobilier des [T] et le préjudice subi ne saurait être déterminé par une seule estimation.

Sur les troubles du voisinage

A titre liminaire, il sera rappelé que la Cour n'est saisie que de la question de l'existence ou non d'un trouble anormal du voisinage, de sorte que les développements des parties dans leurs écritures relatifs à la conformité ou non des immeubles édifiés sur les parcelles [Cadastre 13] à [Cadastre 16] aux règles d'urbanisme ou aux permis de construire qui ont été accordés ne seront pas repris, l'existence d'une faute n'étant pas nécessaire.

Le droit d'un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, est limité par l'obligation qu'il a de ne pas causer à la propriété d'autrui aucun dommage excédant les inconvénients anormaux de voisinage.

Il s'agit d'une cause de responsabilité objective et il appartient à la partie qui s'en prévaut de rapporter la preuve qu'elle subit, indépendamment de toute faute de son voisin, un trouble, qui par son caractère excessif lié notamment à son intensité, sa durée ou à sa répétitivité, excède les inconvénients ordinaires.

La responsabilité sur ce fondement peut être engagée même si les dispositions légales ont été respectées et que les actes accomplis par le voisin ont été autorisés par l'administration.

Le dommage doit être évalué in concreto en fonction de l'environnement spécifique des nuisances invoquées. Il faut ainsi désigner par dommage anormal celui que les voisins n'ont pas l'habitude de subir dans telle région et à telle époque.

En ce qui concerne le trouble anormal de voisinage consistant dans une perte de vue, il n'y a pas de droit à la vue, le droit à la vue ou au paysage sans jamais éprouver de troubles visuels n'étant pas, en son principe, immuable.

En l'espèce, concernant la perte de vue, l'expert indique que les édifications des parcelles appartenant à la SCI GRETA n'ont aucun impact dans la mesure où ces constructions sont hors du champ de vue depuis la propriété des consorts [T]. En revanche, il évoque une perte de vue côté sud est vers l'église depuis l'étage de l'habitation des [T] et une perte de vue totale côté sud depuis la courette, liée aux constructions de la propriété [D].

Pour autant, il ressort des photographies prises par l'expert et identifiées comme les annexes n°2 et n°4, qui sont des vues pour la première de la rue étroite qui longue les parcelles [Cadastre 5] et [Cadastre 6] des consorts [T] ainsi que les parcelles litigieuses [Cadastre 13] et [Cadastre 14] de Monsieur [D] et pour la seconde depuis le haut d'une falaise sur la propriété [D], que se trouvent derrière cette dernière des habitations présentant un rez de chaussée et un étage. La vue qu'avaient donc les consorts [T] depuis leur courette n'était donc initialement pas dégagée.

Rien ne permet d'établir que cette vue présentait un caractère exceptionnel, la seule vue du clocher d'une église n'étant absolument pas suffisante pour en justifier.

L'expert relève que l'environnement général de la propriété [T] est celui d'une succession de maisons de village.

Ainsi, au regard des constatations du rapport d'expertise judiciaire mais également des photographies qui sont produites (dont la pièce 24 versée aux débats par les consorts [T]), il apparait effectivement que les parcelles des consorts [T] et de Monsieur [D] sont implantées dans une zone fortement urbanisée puisque située en c'ur de village de [Adresse 12], que les immeubles sont manifestement pour la plupart mitoyens et très contraints.

En ce qui concerne la perte d'ensoleillement, les constatations de l'expert sont les suivantes :

- les constructions de la SCI GRETA n'ont aucun impact sur la propriété [T],

-les constructions édifiées sur les parcelles de Monsieur [D] entrainent une perte d'ensoleillement de 70% l'hiver et de 40% l'été, en moyenne de 55% sur l'année sur la surface de la courette des consorts [T] de sorte que la perte de jouissance est réelle.

Pour autant, il convient de souligner que cette perte d'ensoleillement concerne la courette et non l'intégralité de la propriété des [T]. A ce titre, les photographies qu'ils versent aux débats (pièce 25) ne sont ni datées ni horodatées, de sorte qu'elles ne peuvent faire la preuve d'une perte d'ensoleillement liée aux constructions litigieuses au delà de la surface de la courette.

De plus, la présence d'un murier platane, tel que relevé par l'expert, lequel préexistait bien aux constructions édifiées sur les parcelles de Monsieur [D], a pour conséquence, étant feuillu en été, d'engendrer une ombre portée sur 10% de la surface de la courette à cette période. Le maintien de ce murier platane dans cette courette est donc de nature à accentuer la perte d'ensoleillement telle qu'elle a été mesurée par l'expert.

Enfin, il convient de rappeler que les consorts [T] ne peuvent se prévaloir de l'immutabilité de leurs avantages individuels, la réduction de l'ensoleillement constituant encore une fois un inconvénient normal et prévisible de voisinage dans ce type de zone urbaine.

Ainsi, dans un tel environnement, tout propriétaire doit s'attendre à être privé d'un avantage de vue ou d'ensoleillement, sauf à rendre impossible toute évolution du tissu construit.

C'est à juste titre que le tribunal a considéré que le trouble causé par les constructions édifiées sur les parcelles [Cadastre 13] à [Cadastre 16] ne peut être qualifié d'anormal compte tenu du caractère urbain et résidentiel des lieux.

En conséquence, les consorts [T] échouent à caractériser l'existence d'un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage et lié aux constructions édifiées sur les parcelles appartenant à Monsieur [D].

Leurs demandes de démolition des constructions édifiées sur les parcelles et d'indemnisation du préjudice résultant du trouble anormal du voisinage seront rejetées.

Par voie de conséquence, leur demande subsidiaire de dommages et intérêts, dans le cas où la démolition ne serait pas ordonnée, sur le même fondement, ne sera pas accueillie.

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'article 696 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

ECARTE les conclusions déposées et notifiées par RPVA par la SCI GRETA et Monsieur [L] [D] le 17 avril 2023 ainsi que les pièces n°26 à 40 qui y sont annexées, car tardives,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance d'Aix en Provence déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Madame [X] [T] et Madame [M] [E] épouse [T] à payer à la SCI GRETA et à Monsieur [L] [D] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Condamne Madame [X] [T] et Madame [M] [E] épouse [T] aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 17/09158
Date de la décision : 22/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-22;17.09158 ?
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