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20/06/2023 | FRANCE | N°21/15305

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-2, 20 juin 2023, 21/15305


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2



ARRÊT AU FOND

DU 20 JUIN 2023



N° 2023/287









Rôle N° RG 21/15305

N° Portalis DBVB-V-B7F-

BIJ4P







[G] [S] [P]



C/



PROCUREUR GENERAL

































Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me David-andré DARMON



MINISTÈRE PUBLIC





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal judiciaire de Marseille en date du 07 octobre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 21/04222





APPELANT



Monsieur [G] [S] [P]

né le 18 octobre 1978 à [Localité 2] (TUNISIE) (99)

demeurant [Adresse 1]



représenté par Me David-andré DARMON, avocat au ba...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2

ARRÊT AU FOND

DU 20 JUIN 2023

N° 2023/287

Rôle N° RG 21/15305

N° Portalis DBVB-V-B7F-

BIJ4P

[G] [S] [P]

C/

PROCUREUR GENERAL

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me David-andré DARMON

MINISTÈRE PUBLIC

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal judiciaire de Marseille en date du 07 octobre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 21/04222

APPELANT

Monsieur [G] [S] [P]

né le 18 octobre 1978 à [Localité 2] (TUNISIE) (99)

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me David-andré DARMON, avocat au barreau de NICE

INTIME

PROCUREUR GENERAL

comparant en la personne de Madame Isabelle POUEY, Substitut général

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 11 mai 2023 en chambre du conseil. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président

Madame Michèle CUTAJAR, Conseiller

Madame Hélène PERRET, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Jessica FREITAS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 20 juin 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 juin 2023,

Signé par Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président et Madame Jessica FREITAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [G] [P] se disant né le 18 octobre 1978 à [Localité 2] en Tunisie, de nationalité tunisienne, a épousé Madame [B] [J] le 7 mars 2015.

Il a souscrit une déclaration de nationalité française le 15 mai 2019 sur le fondement de l'article 21-2 du Code civil.

L'enregistrement de sa déclaration a été refusé par le Ministère de l'Intérieur le 11 février 2021 au motif que la communauté de vie affective et matérielle avec sa femme ne peut être considérée comme stable et convaincante compte tenu de son comportement violent à l'égard de celle-ci en 2019 et 2020.

Par acte d'huissier en date du 20 avril 2021, M. [P] a fait assigner le Procureur de la République devant le tribunal judiciaire de Marseille afin de voir :

- accueillir sa demande en ce qu'elle est recevable et bien fondée,

- annuler la décision explicite de rejet prise par le Ministère de l'Intérieur en date du 11 février 2021,

- constater les classements sans suite des plaintes à son encontre,

- juger qu'il remplit les conditions d'acquisition de la nationalité française et qu'il justifie d'une communauté de vie au titre de l'article 21-2 au moment de la déclaration de nationalité,

En conséquence,

A titre principal,

- ordonner la délivrance du titre,

- juger que soit dressé un acte de naissance avec mention de sa nationalité française dans le délai d'un mois de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jours de retard,

A titre subsidiaire,

- ordonner dans les mêmes conditions un nouvel examen de sa demande,

- condamner l'Etat à lui verser la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 7 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Marseille a notamment :

- constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

- débouté M. [P] de ses demandes,

- constaté l'extranéité de M. [P],

- ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil,

- condamné M. [P] aux dépens.

M. [P] a interjeté appel de cette décision le 28 octobre 2021.

Par ordonnance rendue le 20 septembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a constaté le désistement d'incident de Madame la Procureure Générale.

Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrées le 2 décembre 2021, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [P] demande à la cour de :

- Sur la forme,

- accueillir la demande de M. [P] en ce qu'elle est recevable et bien fondée,

- constater que la compétence de la juridiction de céans ne saurait être remise en cause,

Sur le fond,

- annuler la décision de refus du Préfet des Alpes Maritimes en date du 11 février 2021,

- annuler le jugement n°2107235 du 7 octobre 2021,

Et statuant à nouveau,

- constater que le Ministère Public eût entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en ajournant la demande de naturalisation pour le motif non établi de violences conjugales car les plaintes ont été classées sans suite et que son épouse a démenti les faits,

- constater les classements sans suite des plaintes à l'encontre de M. [P],

- constater le témoignage de Mme [J] reconnaissant avoir déposé plainte contre M. [P] par simple vengeance,

- constater que la communauté de vie tant affective que matérielle ne pourrait être remise en cause au vu de l'ancienneté du mariage et des fruits nés de leur amour,

- constater qu'il y a eu une volonté de vivre durablement en union,

- constater que le concours de son épouse dans la demande d'acquisition de la nationalité est dispensable car M. [P] répondait aux conditions au vu de la régularité, de l'ancienneté et stabilité sur le territoire (plus de 5 ans),

- constater qu'en l'espèce rien ne peut démontrer qu'il y a eu une liaison suffisamment longue avant la séparation comme il a été supposé par le ministère public,

- constater que la tromperie de Mme [J] ne fasse pas obstacle à l'application des dispositions de l'article 212 du code civil,

- constater que M. [P] n'a pu bénéficier ou perdre la nationalité pour qu'il soit indiqué au sens de l'article 28 du code civil la perte de la nationalité française ou la réintégration de cette nationalité en marge,

- constater que l'acte de naissance de M. [P] n'a pas été remis en cause par Monsieur le préfet dans sa décision de refus,

- reconnaitre l'ordonnance ayant permis la rectification de l'acte de naissance de M. [P],

- constater que désormais M. [P] dispose d'un acte de naissance où figurent les mentions requises conformément à l'article 47 du code civil,

- juger que M. [P] remplit les conditions d'acquisition de la nationalité française et qu'il justifie d'une communauté de vie au sens de l'article 21-2 au moment de la déclaration de nationalité,

En conséquence,

- ordonner l'enregistrement de la nationalité,

- délivrer le Certificat de Nationalité Française,

- juger que soit dressé un acte de naissance avec mention de sa nationalité française dans le délai d'un mois de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

- ordonner dans les mêmes conditions un nouvel examen de la demande de M. [P],

- condamner l'Etat à verser la somme de 2.000 euros aux titres de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

M. [P] fait en effet notamment valoir que :

- sa résidence habituelle est fixée en France ;

- les époux avaient une véritable volonté de vivre durablement en union ; que la communauté de vie n'a jamais cessé ; qu'elle est démontrée par la présence de 5 enfants et la propriété indivise du domicile familial ainsi que les factures et avis d'imposition libellés aux deux noms des époux ; qu'elle existait bien avant la date de la déclaration acquisitive de nationalité ; que l'épouse l'a trompé lors d'une visite chez ses parents avec un homme qu'elle a rencontré lors de son court séjour ;

- les deux plaintes de l'épouse ont été classées sans suite ; que l'épouse reconnait avoir porté plainte par simple vengeance ; qu'il n'est pas violent et n'a pas de casier judiciaire ; que le juge des enfants lui a confié les quatre enfants suite aux enquêtes sociales ; que ces plaintes ne démontrent pas l'absence de communauté de vie ;

- son acte de naissance n'a pas été remis en cause par la décision de refus ; qu'il a fait rectifier l'acte.

Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrées le 14 juin 2022, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, le ministère public demande à la cour de :

- confirmer le jugement attaqué,

- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.

Le ministère public fait en effet notamment valoir que :

- il n'est pas avéré que la communauté de vie affective ait été constante entre les époux jusqu'au jour de la déclaration ; que les plaintes déposées par l'épouse démontrent une grave mésentente dans le couple ; que le couple s'est séparé au moins dès mars 2020 ;

- l'acte de naissance de M. [P] n'est pas fiable et certain; qu'en effet il en présente deux versions successives, notamment en ce qui concerne le déclarant de la naissance ; que cet acte ne respecte pas les formalités imposées par la loi tunisienne ; que l'ordonnance rectificative de l'acte est contraire à l'ordre public international français en ce qu'elle est dénuée de motivation cohérente alors qu'elle modifie une mention substantielle de l'acte.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 avril 2023. L'affaire a été appelée à l'audience du jeudi 11 mai 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la régularité de la procédure

Aux termes de l'article 1043 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en delivre récépissé. En l'espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 1er juillet 2022. La condition de l'article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. La procédure est donc régulière.

Sur la demande de délivrance d'un certificat de nationalité française

Aux termes de ses conclusions, M. [P] sollicite de la cour d'ordonner la délivrance d'un certificat de nationalité française. Il convient de rappeler que la juridiction n'a pas le pouvoir d'ordonner la délivrance d'un tel certificat. La demande de M. [P] tendant à voir ordonner la délivrance d'un certificat de nationalité française est donc irrecevable.

Dès lors, la cour statuera uniquement sur la demande formée par M. [P] de voir juger qu'il est de nationalité francaise, étant précisé qu'à supposer cette demande accueillie, la délivrance d'un certificat de nationalité francaise serait alors de droit.

Sur l'action déclaratoire de nationalité francaise

M. [P], se disant né le 18 octobre 1978 à [Localité 2] (Tunisie), a souscrit le 15 mai 2019 une déclaration d'acquisition de la nationalité française par mariage sur le fondement de l'article 21-2 du code civil, pour avoir épousé le 7 mars 2015 Mme [B] [J], de nationalité française.

Son action a été introduite à la suite d'un refus d'enregistrement de cette déclaration qui lui a été opposé par le ministère de l'Intérieur au motif que la communauté de vie affective et matérielle avec sa femme ne peut être considérée comme stable et convaincante compte tenu de son comportement violent à l'égard de celle-ci en 2019 et 2020.

Le ministère public sollicite la confirmation de la décision querellée en soulignant notamment que nul ne peut acquérir la nationalité française s'il ne justifie d'un état civil certain, et en faisant valoir que l'acte de naissance produit par M. [P] ne serait pas probant.

M. [P] conteste cette argumentation en faisant valoir que l'acte de refus d'enregistrement n'a pas été motivé de ce chef. Néanmoins, il entre dans l'office du juge de vérifier l'état civil des parties au litige, tandis que le ministère public est en liberté d'avancer des moyens nouveaux à l'appui de la même prétention.

L'acte de naissance n° 1536 produit par le demandeur à l'appui de sa déclaration comme en première instance ne mentionnait ni l'âge ni la profession des parents, ni les noms et prénoms du déclarant, puisque ne figure comme déclarant que la mention "l'hôpital". En ce, il n'est pas conforme aux dispositions de l'article 6 de la loi tunisienne n° 57-3 du 1er août 1957 qui prescrit les dates et lieux de naissance des parents, leur profession et domicile. L'article 24 du même texte prescrit de préciser l'identité du déclarant.

M. [P] produit en cause d'appel une copie délivrée le 14 octobre 2021 de son acte de naissance aux termes duquel il est indiqué qu'il est né le 10 octobre 1978 à l'hôpital de [Localité 2] (Tunisie) de [C] [R] [E] [P] et de [F] [X] [D] [L], sur la déclaration faite par "son père [C] [R] [P]" le 20 octobre 1978.

Il en résulte une variation substantielle entre les deux copies du même acte de naissance en ce qui concerne l'identité du déclarant, tandis que sont toujours omis les dates et lieux de naissance et profession de ses parents.

M. [P] verse aux débats la traduction de la copie certifiée conforme le 25 novembre 2021 d'une ordonnance n° 31081/2 du 14 octobre 2021 rendue par le vice-président du tribunal de première instance de Mahdia, motivée comme suit: "vu les observations du procureur général, vu les pièces d'appui annexées, vu la loi n° 57-3 du 1er août 1957 relative à l'état civil notamment son article n° 63 amendé par la loi n° 88 de l'année 1986 du 1er septembre 1986, nous ordonnons la rectification de l'acte de l'état civil inscrit à la commune de [Localité 2] sous le numéro 1536 de l'année 1978 selon la forme correcte: le nom du déclarant de naissance: son père [C] [R] [E] (au lieu de "l'hôpital").

Or, cette décision ne comporte aucune motivation autre qu'une référence aux observations du ministère public et à des pièces d'appui non spécifiées. Faute de motivation, cette décision est contraire à l'ordre public français, et, partant, à l'article 15 d) de la convention franco-tunisienne du 28 juin 1972. Par voie de conséquence, la modification de l'acte de naissance qu'elle prescrit n'est pas opposable en France.

L'état civil de M. [P] n'est ni fiable, ni certain, au sens de l'article 47 du code civil et la décision de refus d'enregistrement de sa déclaration d'acquisition de la nationalité française est bien fondée de ce chef.

Il sera débouté en conséquence de l'ensemble de ses chefs de demande, et le jugement frappé d'appel sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur la mention prévue par l'article 28 du code civil

Aux termes de l'article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintegration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité.

En conséquence, cette mention sera en l'espèce ordonnée.

Sur les demandes accessoires

Aux termes de l'artic1e 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par decision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. M. [P], qui succombe, supportera la charge des dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe :

DIT la procédure regulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procedure civile,

JUGE irrecevable la demande tendant à voir ordonner la délivrance d'un certificat de nationalité française

DEBOUTE M. [G] [P] de l'ensemble de ses demandes,

JUGE que M. [G] [P] se disant né le 18 octobre 1978 à [Localité 2] (Tunisie) n'est pas de nationalité française,

ORDONNE la mention prévue par l'article 28 du code civil,

CONDAMNE M. [G] [P] aux depens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-2
Numéro d'arrêt : 21/15305
Date de la décision : 20/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-20;21.15305 ?
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