COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-8
ARRÊT AU FOND
DU 08 JUIN 2023
N°2023/553
Rôle N° RG 22/00647 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BIV6V
[T] [V]
C/
CPAM DES ALPES-MARITIMES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me Nadir ICHERQAOUINE
- Me Stéphane CECCALDI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Pole social du Tribunal Judiciaire de Nice en date du 04 Janvier 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 15/00501.
APPELANT
Monsieur [T] [V], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Nadir ICHERQAOUINE, avocat au barreau de NICE substitué par Me Christian MULLER, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
CPAM DES ALPES-MARITIMES, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Stéphane CECCALDI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Avril 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre
Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller
Mme Isabelle PERRIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Séverine HOUSSARD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Juin 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Juin 2023
Signé par Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre et Mme Séverine HOUSSARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [T] [V], exerçant la profession de conducteur d'engin et manoeuvre au sein de la société [5] dans le secteur des travaux publics, a présenté une demande en reconnaissance de maladie professionnelle le 20 août 2014 au titre du tableau 44 bis et sur la base d'un certificat médical initial du 30 juillet 2014 constatant qu'il présente un 'emphysème bilatéral avec double chirurgie de réduction de bulle' constaté pour la première fois le 26 août 2013.
Après enquête administrative n°1233/2014, par décision notifiée le 28 octobre 2014, la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes a rejeté la demande au motif d'un défaut d'exposition aux poussières de fer.
L'assuré a contesté cette décision devant la commission de recours amiable, puis devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Alpes-Maritimes par courrier recommandé avec accusé de réception reçu le 27 mars 2015. L'affaire a été enregistrée sous le numéro 21500501.
Une nouvelle demande en reconnaissance de maladie professionnelle a été présentée par l'assuré au titre du tableau 44 sur la base d'un certificat médical initial du 16 avril 2015 constatant un emphysème bilatéral.
Après enquête administrative n°1266/2015, par décision notifiée le 30 novembre 2015, la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes a rejeté la demande au motif qu'il n'était pas établi que son activité professionnelle l'avait exposé au risque couvert dans les libellés du ou des tableaux de maladies professionnelles correspondant à la maladie déclarée.
L'assuré a formé un recours devant la commission de recours amiable, qui, par décision du 11 avril 2016 a confirmé la décision de la caisse.
Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 6 juin 2016, M. [V] a contesté la décision de la commission de recours amiable devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Alpes-Maritimes. L'affaire a été enregistrée sous le numéro 21601320.
Par jugement avant-dire droit du 15 mars 2019, le tribunal a déclaré les recours recevables, ordonné la jonction des deux procédures, rejeté la demande de prise en charge d'une maladie professionnelle au titre du tableau 44 bis et désigné le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 3] aux fins de donner son avis sur l'imputabilité au travail habituel de M. [V] de la maladie emphysème bilatéral (tableau MP 44).
Le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 3] a rendu un avis défavorable le 2 décembre 2019.
Par jugement avant-dire droit en date du 15 janvier 2021, le tribunal a désigné le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 4] aux fins de donner un second avis sur l'imputabilité au travail habituel de M. [V] de la maladie emphysème bilatéral (tableau MP 44).
Le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 4] a rendu un avis défavorable le16 mars 2021.
Par jugement en date 4 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Nice a rejeté les demandes d'annulation des avis des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 3] et [Localité 4], débouté M. [V] de ses demandes et l'a condamné aux dépens.
Par déclaration formée par RPVA le 14 janvier 2022, M. [V] a interjeté appel.
A l'audience du 13 avril 2023, l'appelant reprend ses conclusions écrites et demande à la cour de :
- réformer le jugement en toutes ses dispositions,
- juger que les avis rendus par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 3] et [Localité 4] sont irréguliers,
- juger qu'il est atteint d'un emphysème à caractère professionnel en raison d'une exposition professionnelle intervenue entre le 6 avril 1995 et le 16 octobre 2014,
- juger qu'il devra voir ses droits liquidés à compter du 16 octobre 2014,
- condamner la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 1240 du code civil,
- condamner la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes au paiement de la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- à titre subsidiaire, ordonner la saisine d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles autre que ceux de [Localité 3] et [Localité 4],
- condamner la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes à lui payer la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 3] est irrégulier en ce qu'il a été rendu en l'absence du médecin inspecteur régional du travail. Il ajoute que l'absence d'exposition au risque à laquelle conclut le comité n'est pas fondée. Sur ce point, il fait valoir que l'analyse des documents médicaux selon laquelle ceux-ci ne décrivent pas de pneumopathie interstitielle chronique par surcharge de particules de fer ou d'oxyde de fer, révélée par des opacités punctiformes, est contredite par les avis médicaux des docteurs [P] et [N] en date des 28 juillet 2014, 24 mai 2015 et 4 juin 2015. Il fait également valoir que le comité n'a pas tenu compte des nombreuses attestations qu'il a produites, que la liste des travaux susceptibles de provoquer la maladie indiquée dans le tableau n'est pas exhaustive et que le comité n'a pas décrit ses conditions de travail alors qu'il démontre avoir été exposé au risque en utilisant le marteau piqueur et la disqueuse en qualité de manoeuvre et en circulant sur les chantiers dans des mini-pelles sans cabine fermée.
Il fait ensuite valoir que l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 4] est irrégulier en ce qu'il ne comporte pas de motivation.
Sur le fond, il s'appuie sur des témoignages pour démontrer que dans le cadre de ses fonctions de manoeuvre, il manipulait des disques abrasifs, qu'il conduisait des engins sans aucune protection latérale, ce qui l'exposait à la diffusion des poussières minérales ambiantes.
Enfin, il explique que le manque de diligence de la caisse l'a mis dans une situation financière particulièrement difficile, le contraignant à accepter une procédure de surendettement, de sorte qu'il doit être indemnisé de son préjudice.
La caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, intimée, reprend les conclusions déposées et visées par le greffe le jour de l'audience. Elle demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner M. [V] à lui payer la somme de 800 euros à titre de frais irrépétibles.
Au soutien de ses prétentions, elle se fonde d'abord sur les dispositions de l'article D.461-27 du code de la sécurité sociale pour démontrer que lorsque le comité est saisi sur le fondement du troisième alinéa de l'article L.461-1, il peut régulièrement rendre son avis en présence de deux de ses membres, de sorte qu'en l'espèce l'avis du comité de [Localité 3] est régulier.
Sur le fond, elle rappelle que les radiographies et scanner soumis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ne décrivent pas de pneumopathie interstitielle chronique par surcharge de particules de fer ou d'oxyde de fer et que ces imageries ne sont pas contredites par les certifcaits médicaux produits par l'appelant.
Elle se fonde ensuite sur l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 4] pour démontrer qu'il est motivé par le défaut d'exposition au risque. Elle ajoute que l'assuré n'a pas exercé les métiers visés dans le tableau, ni ne démontre que ses fonctions de manoeuvre et conducteur d'engin l'ont exposé aux agents nocifs dans des conditions qui crée une 'ambiance à risque'.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé du litige.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les irrégularités des avis des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles
Il résulte de l'article D.462-27 du code de la sécurité sociale que lorsque le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles est saisi dans le cadre du troisième alinéa de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale, il peut régulièrement rendre un avis en présence de deux de ses trois membres.
Il s'en suit que l'avis rendu par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 3] en l'absence du médecin inspecteur régional du travail n'encourt aucune nullité de ce chef.
En outre, la lecture de l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 4] permet de vérifier que celui-ci a pris en compte l'âge de l'assuré, la dystrophie emphysémateuse pulmonaire et ses conséquences chirurgicales décrites dans le certificat médical initial du 16 avril 2015 du docteur [P], confirmé par le scanner thoracique du 24 avril 2014 et les explorations fonctionnelles respiratoires du 10 juillet 1974, les fonctions de terrassier, manoeuvre et conducteur d'engin et l'ensemble des informations médico-techniques produites pour conclure au défaut d'impuabilité de la maladie déclarée au travail.
Il s'en suit que c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que l'avis n'était pas dépourvu de motivation.
En conséquence, aucune irrégularité des avis ne peut être retenue et le jugement qui a rejeté les demandes d'annulation des avis doit être confirmé sur ce point.
Sur la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée
Aux termes de l'article L.461-1 dans sa version en vigueur du 27 décembre 1998 au 19 août 2015, applicables aux demandes en reconnaissance de maladie professionnelles des 20 août 2014 et 16 avril 2015 :
'Les dispositions du présent livre sont applicables aux maladies d'origine professionnelle sous réserve des dispositions du présent titre. En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident.
Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1.
(...)'
En l'espèce, M. [V] a demandé la reconnaissance du caractère professionnel de l'emphysème pulmonaire bilatéral pour lequel il a subi deux opérations chirurgicales et constaté pour la première fois le 26 août 2013 selon certificat médical initial du docteur [P] le 30 juillet 2014.
Que le caractère professionnel soit analysé sur le fondement du tableau 44 visant la sidérose (pneumopathie interstitielle chronique par surcharge de particules de fer ou d'oxydes de fer révélé par des opacités punctiformes diffuses sur des documents radiographiques ou tomodensitométriques) ou la manifestation pathologique associée de l'emphysème, présumée professionnelle si elle est constatée pour la première fois dans un délai de 35 ans suivant la fin de l'exposition professionnelle sous réserve d'un exposition minimale de 10 ans, ou qu'il soit analysé au regard du tableau 44 bis visant l'emphysème objectivé par des signes tomodensitométriques et des altérations fonctionnelles de type obstructif ou, lorsqu'elles existent, par des constatations anatomopathologiques, présumé professionnel s'il est constaté pour la première fois dans le délai de 15 ans suivant la fin de l'exposition professionnelle sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans, ni le diagnostic de la maladie déclarée, ni le délai de prise en charge ne sont discutés par les parties.
Seule l'exposition au risque d'inhalation de poussières minérales ou de fumées contenant des particules de fer ou d'oxyde de fer est discutée.
Les deux comité régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles désignés aux fins de se prononcer sur l'imputabilité de la maladie déclarée au travail habituel de l'assuré, sont convergents et concluent à l'absence d'un lien direct entre la pathologie et le travail.
Il est précisé dans l'avis du comité de [Localité 3] rendu le 2 décembre 2019 que l'activité professionnelle de l'assuré est variée et ne consiste qu'occasionnellement en la démolition, dans le cadre de laquelle il utilise pour la découpe du fer surtout des pinces et rarement des disques abrasifs, de sorte qu'il ne pratique pas l'extraction, le broyage, le concassage du fer, le polissage avec des abrasifs à base d'oxydes de fer, la soudure à l'arc des aciers doux, autant d'activités visées dans la tableau des maladies professionnelles comme permettant de présumer le caractère professionnel de la pathologie déclarée.
L'appelant ne contredit pas sérieusement cette analyse. En effet, les cinq attestations produites, toutes rédigées de la même façon, font état de l'utilisation par M. [V] du marteau piqueur et de la disqueuse, sans aucune précision ou circonstances permettant de vérifier la fréquence de cette utilisation.
S'il ressort de l'enquête administrative de la caisse, que l'employeur indique qu'en sa qualité de conducteur d'engin, l'assuré conduisait une pelle sans cabine, il n'est rien démontré que la proportion des particules de fer ou d'oxyde de fer contenue dans l'air ambiant des chantiers dans lequel il circulait constituait un environnement risqué.
L'employeur y indique encore que toutes les équipes sont équipées de pinces monseigneur et qu'en cas de grande quantité de fer à couper, cela se faisait au dépôt à l'aide d'une machine automatique, sans qu'il soit démontré par l'appelant qu'il était amené à utiliser cette machine de manière habituelle.
Il s'en suit que c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré qu'il n'était pas démontré de lien direct entre la pathologie déclarée et le travail habituel de M. [V].
Le jugement qui l'a débouté de sa demande en reconnaissance de maladie professionnelle sera confirmé, sans qu'il y ait besoin de désigner un nouveau comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Sur la demande de dommages et intérêts
A défaut pour M. [V] de justifier d'une faute de la caisse dans le traitement de sa demande en reconnaissance de maladie professionnelle, c'est à bon droit que les premiers juges, conformément aux dispositions de l'article 1240 du code civil, l'ont débouté de sa demande en dommages et intérêts.
Sur les frais et dépens
L'appelant succombant à l'instance, sera condamné à payer les dépens de l'appel en vertu de l'article 696 du code de procédure civile.
En application de l'article 700 suivant, l'appelant, condamné aux dépens, sera également condamné à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes la somme de 800 euros à titre de frais irrépétibles et sera débouté de sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par décision contradictoire,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne M. [V] à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes la somme de 800 euros à titre de frais irrépétibles,
Déboute M. [V] de sa demande en frais irrépétibles,
Condamne M. [V] au paiement des dépens de l'appel
Le Greffier La Présidente